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Exposition "Palace Paradis"
(Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris, France)
Heure locale

Mercredi 19 juin 2019

 

Cet été, Taïwan est à l'honneur au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à travers une exposition consacrée aux offrandes funéraires en papier. Le sujet sort de l'ordinaire et attise ma curiosité. Et de me rendre sur place afin d'en apprendre plus sur cette seconde vie dont rêvent les habitants de cet Etat souverain d'Asie du Sud-Est. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas bien ce pays, il faut savoir que Taïwan sera officiellement gouverné par le grand frère chinois de 1683 à 1895, puis cédé au Japon après la signature du Traité de Shimonoseki (1895) qui suivit la première guerre sino-japonaise. C'est à partir de cette date que l'île va se doter d'importantes infrastructures, avant de retomber sous la tutelle chinoise en 1945. La république de Chine s'installe sur l'île quatre années plus tard, avec, à sa tête, le Kuomintang, plus ancien parti politique de la Chine contemporaine présent aujourd'hui à Taïwan. Un parti qui sera créé en 1912 par Sun Yat Sen, et qui dominera le gouvernement central de la république de Chine à partir de 1928, avant de se faire déborder par les Communiste qui prendront le pouvoir en 1949.

 

1912 avait vu la chute du régime impérial au pouvoir dans le grand pays depuis 221 avant JC. L'histoire chinoise débutera sa période impériale en l'an -1225 avec le dynastie Xia, mais le pays ne connaitra un pouvoir réellement centralisé qu'à partir de 221 av.JC. Je ne m'étendrai pas cette fois sur la civilisation chinoise mais celle-ci, plus que millénaire, comporte bien des traditions dont celle des offrandes funéraires, puisqu'on avait déjà là-bas pour coutume d'inhumer les défunts avec des répliques d'objets quotidiens de terre cuite plus de 3000 ans auparavant. A l'âge du bronze, de riches objets rituels de divination permettaient ainsi de communiquer avec les ancêtres, alors considérés comme des intermédiaires entre les hommes et les divinités. Et le confucianisme de placer ensuite la piété filiale au cœur de sa doctrine et au fondement de l'ordre social à partir du 5è siècle avant notre ère.

 

Le titre de l'exposition « Palace Paradis » est accrocheur et interpelle : qui n'a jamais rêvé de retrouver les plaisirs terrestres après sa mort ? Les objets funéraires en papier (surnommés zhizha) remplissent cette fonction qui consiste à assurer le confort matériel des défunts dans l'au-delà, après avoir été brûlés. Il s'agit là de répliques éphémères et réalistes destinées à être détruites par les flammes, qui illustrent résolument l'idée de dépendance mutuelle entre les vivants et les ancêtres, une idée profondément ancrée dans la civilisation taïwanaise. L'exposition, réalisée conjointement avec le Centre culturel de Taïwan, le Musée des Beaux-Arts de Kaohsiung et le soutien de la Fondation Martine Aublet, met à l'honneur ces œuvres poétiques. On y découvre les techniques de fabrication de ces offrandes, la symbolique du papier, principal matériau utilisé pour leur confection, sans oublier l'aspect historique lié aux origines de cette tradition et ses évolutions contemporaines.

 

L'exposition « Palace Paradis » met tout particulièrement à l'honneur les créations de deux ateliers de papier de Taipei, Hsin-Hsin et Skea. La visite de celle-ci débute avec la maison, les objets domestiques et la nourriture qui font partie des premières offrandes funéraires. Rien en effet n'est trop beau pour honorer un défunt et lui assurer le meilleur statut social au royaume des morts. Et les yachts, jets privés et gardes du corps de faire partie de la panoplie des objets proposés aux clients. Les véhicules et les monnaies funéraires occupent cependant une place particulière. Autrefois, la tradition voulait qu'on brûla un cheval ou un palanquin de papier avec des figurines de serviteurs après le dernier souffle d'une personne. Aujourd'hui, la voiture de luxe avec chauffeur joue le même rôle et conduit l'âme au paradis avec le prestige qu'il se doit. La nourriture a aussi sa place avec des répliques de mets en papier à brûler. Les autels aux ancêtres disposés dans les maisons doivent donc recevoir régulièrement de la nourriture faute de quoi les morts se transformeraient en fantômes affamés.

L'argent, lui, est nécessaire au défunt qui doit subvenir à ses besoins dans l'autre monde, et prend l'apparence de monnaies funéraires ou de cartes de crédit. Le défunt pourra ainsi payer les juges des enfers pour éviter les tortures, et régler la dette de vie que toute personne doit aux divinités célestes créatrices. Il en est ainsi à Taïwan, où chaque être vivant contracte une dette auprès du trésor céleste lors de sa naissance, dont le montant, variable selon le signe astrologique, détermine la destinée et la fortune sur terre.

 

La deuxième partie de cette exposition porte le nom de « Shopping Paradis » et nous montre des objets en papier consacrés au luxe et aux nouvelles technologies. On y voit ainsi des copies d'articles de grande marques et d'appareils à la pointe de la technologie comme par exemple des smartphones équipés d'applications spéciales « paradis ». J'y apprendrai que le monde des morts a toujours été à l'image du nôtre, avec ses modes et ses nouvelles technologies. Dès le 5è siècle avant notre ère, les objets de terre cuite qui étaient enfouis dans les tombes (mingqi) pour accompagner les défunts, reflétaient les cultures matérielles de leurs contemporains. On trouvait ainsi des mingqi en forme de maisons, de chars ou de serviteurs, autant de témoignages aujourd'hui conservés dans les musées. Les répliques d'articles de grande marque sont, soit des copies bon marché, soit comme ici des reproductions hyperréalistes, presque aussi chères que leurs modèles. Sac à main, bijoux, tenue de soirée font partie du catalogue d'objets proposés par les ateliers d'objets funéraires en papier. Les offrandes doivent également être à la pointe du progrès, d'où l'existence de casques sans fil, d'appareils-photos numérique et d'ordinateurs portables. Et certains ateliers d'aller jusqu'à proposer tablettes et smartphones de papier équipés d'applications virtuelles supposées fonctionner dans l'au-delà. Il en va ainsi de l'application « Tchat Paradis ». Cela fonctionne t-il vraiment ? Personne n'est jamais revenu pour nous le dire. En attendant, les fabricants incluent bien sûr des services comme des garanties pour les appareils électroménagers, le service de ménage de la maison et le compte bancaire illimité (éternel?) avec carte de crédit.


 

Ma visite s'achève autour du culte des ancêtres et de la protection contre les « fantômes affamés », dont la fête annuelle pacifie les âmes des défunts qui n'ont pas été nourries par le rituel funéraire, tout en rappelant l'importance des offrandes et de la mémoire des ancêtres. Faute d'avoir reçu le rituel funéraire et de culte ancestral, le défunt peut devenir un revenant affamé. Ces entités dangereuses prennent souvent forme pendant les rêves et entrainent calamités et maladies, d'où l'importance de la fête annuelle des fantômes affamés, qui permet d'offrir aux âmes esseulées nourriture et objets de papier à brûler pour les apaiser. Le rite funéraire, lui, permet au mort de devenir un ancêtre dont l'esprit pourra résider dans une tablette avec son nom. Disposées sur un autel domestique, ces tablettes reçoivent quotidiennement nourriture, encens et fleurs. A Taïwan, comme en Chine, le devenir après la mort relève de systèmes de croyances taoïstes, bouddhiques, confucianistes et populaires qui coexistent. Chaque être possède deux âmes, l'une qui reste avec le corps après la mort, et l'autre, immortelle, considérée comme une énergie vitale. Et le défunt de pouvoir se réincarner et devenir un ancêtre ou un immortel, pouvant être tout à la fois sans contradictions, dans la culture populaire.

Dai Shi Ye (ci-dessous) est une forme particulière de Guanyin, cet être éveillé resté dans le monde de la compassion (bodhisattva). Les cornes, les crocs et les flammes qui sortent de sa bouche sont là pour effrayer les fantômes affamés et les maitriser. Le personnage revêt aussi une armure de général, des drapeaux de commandement militaire dans le dos, et se tient avec autorité sur un piédestal. Trop puissante pour être conservée, la sculpture de papier est brûlée à la fin de la fête et accompagne par la même occasion les âmes errantes vers les enfers et les paradis.

Une vidéo de moins de quatre minutes illustre la fabrication des objets funéraires dans l'atelier Hsin Hsin. Tout commença il y a un siècle avec le grand père de l'actuel propriétaire qui se lança dans la confection d'offrandes en papier. L'entreprise a ainsi accumulé au fil des ans un patrimoine culturel précieux, même si la tradition a tendance à se perdre de nos jours. Les clients qui viennent à la boutique font montre d'un fort attachement pour leurs défunts et l'atelier Hsin Hsin joue alors un peu le rôle de dispensaire psychologique auprès d'eux. Le responsable de l'atelier nous confie ensuite que l'action de brûler des objets matériels permet la transmutation vers l'autre monde immatériel. Une maison brûlée est interprétée comme un geste de piété filiale et une marque de gratitude envers ceux qui ont nourri et élevé les enfants. Des jeunes générations offrent ainsi une maison à leurs ancêtres pour leur procurer une vie confortable et sans souci dans l'au-delà. Une maison de rêve (deuxième photo ci-dessous) qui doit être l'offrande spectaculaire par définition parmi toutes les monnaies et les objets funéraires à brûler qui entretiennent la relation d'interdépendance unissant les morts et les vivants. Cette tradition funéraire qui nous vient de Chine donne lieu à Taïwan à un artisanat original, caractérisé par le soin méticuleux apporté par les ateliers lors de la confection de la maison. Celle-ci peut être de style moderne, ou plus classique, en forme de temple avec ses colonnes puis agrémenté d'un décor de fleurs et de dragons. L'intérieur une effigie en papier du défunt porte un titre de propriété immobilier, l'inventaire des biens et la somme d'argent envoyée par sa famille afin que les offrandes ne soient pas dérobées par les fantômes affamés. La maison se consumera avec autant de pièces meublées et d'équipement que possible, ces offrandes contribuant à créer un intérieur confortable et fonctionnel, avec salon home cinéma, produits de toilette, réfrigérateur, bouilloire et thermos pour le thé. On trouve aussi des jeux de société et du matériel pour karaoké. La qualité de ces répliques est variable, de facture modeste ou industrielle. Les plus aisés commanderont quant à eux des ensembles luxueux adaptés à la personnalité du défunt auprès d'ateliers spécialisés. Survolant la maison, l'hélicoptère remplace désormais le palanquin d'hier (chaise à porteur) pour transporter l'âme au paradis.


 

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