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Exposition "Crimes et Justices au Moyen-Âge"
(La Tour Jean sans Peur, Paris, France)
Heure locale

 

Jeudi 24 octobre 2019

 

Toujours désireux de parfaire ma connaissance du Moyen-Âge, je me rends cette fois à la Tour Jean sans Peur (Paris 2è) afin d'y découvrir l'exposition « Crimes et Justices au Moyen-Âge » (visible jusqu'au 29 décembre prochain). Les sources judiciaires de la fin de cette époque autorisent l'exhumation d'un nombre important de cas criminels qui battent en brèche l'image encore trop souvent violente et expéditive que l'on attribue à la justice médiévale. Ces mêmes sources permettent l'établissement d'une hiérarchie des crimes, hiérarchie différente de notre justice actuelle, où la fameuse « fama » tient une place importante, quelque soit l'origine sociale des individus. Précisons au passage que cette exposition est l'occasion de marquer deux dates anniversaire : l'ouverture au public, il y a vingt ans, de la Tour Jean sans Peur et la célébration cette année du 600è anniversaire de l'assassinat de Jean sans Peur.

 

Replaçons-nous dans le contexte de l'époque : après la chute de l'Empire romain, en 476, on assiste à un maintien d'une activité législative mais on ne peut plus vraiment parler de justice. Institutions et Etats européens sont tout à la fois divisés et ennemis. Les pays d'Europe continentale s'unissent alors dans une volonté juridique en ayant recours au latin et à un droit ancien, le droit romain, qui surpasse les conflits internes. Et le droit romano-germanique de naitre. Parallèlement, les territoires aujourd'hui connus sous le nom de Royaume-Uni et éloignés du continent européen développeront leur propre système juridique, la Common Law. Au même moment, se crée la religion musulmane, puis le droit musulman. Pendant le Haut Moyen-Âge, la diversité culturelle est telle parmi les peuples dits « barbares » que l'unité judiciaire est impossible, et l'on applique alors simultanément plusieurs droits (romain, canonique, local...). Cette diversité perdurera durant tout le Moyen-Âge. Quant au type de loi, il dépend de l'appartenance des personnes à un territoire. On parle ainsi de personnalité des lois.

La justice médiévale est bien différente de notre justice contemporaine et accorde à l'époque une grande importance à la réputation des personnes, en favorisant les crimes pour l'honneur qui font partie des homicides les plus courants. Surnommés « Beaux faits », ceux-ci peuvent être pardonnés selon les circonstances au même titre que le vol si l'accusé est en mesure de prouver qu'il était dans le besoin. Cette justice très complexe est partagée entre plusieurs juridictions dépendant du roi, de l'Eglise ou des villes. Punitive mais pas expéditive, cette justice n'est pas rendue à la légère et les juges sont réputés infaillibles. Le roi, lui, s'immisce peu à peu dans les différentes juridictions et offre par la grâce royale à partir du 14è siècle l'exemple de la miséricorde divine. Le contexte se prête mal à l'application de la peine capitale, qui est souvent remplacée par le bannissement, châtiment éprouvant pour l'individu car synonyme de mort sociale en le coupant de ses liens communautaires, comme ce fut le cas pour le poète François Villon.

 

Il existe au Moyen-Âge un répertoire des crimes : les infractions les plus nombreuses sont de simples délits (petits larcins) sanctionnés par des amendes fixes. Il en va autrement pour les crimes qui atteignent plus gravement la personne, les biens et l'ordre moral. Ce dernier est défini comme un excès, un maléfice ou un péché. Le coupable devient alors larron (voire très fort larron pour les crimes énormes, à savoir vols aggravés, meurtres prémédités, rapts, trahisons ou incendie de domicile). Bon nombre de crimes échappent néanmoins à la justice et il est impossible d'évaluer le nombre des actes criminels.

Les crimes de sang restent majoritaires et sont commis pour réparer un honneur blessé. C'est le crime le plus courant, et il est surnommé beau fait. Obéissant à des règles tacites, on le règle souvent en privé, Agressé publiquement par des paroles ou des gestes, le coupable doit riposter pour sauver son honneur. La scène oppose alors généralement des hommes de même condition sociale. Ce crime-là est à distinguer du vilain cas, c'est à dire le crime prémédité. Celui-ci fait appel à des tueurs à gages comme pour le meurtre de Thomas Becket par les hommes de main du roi Henri II Plantagenêt en 1120.

Autre pratique malheureuse, l'infanticide : souvent dénoncé par le voisinage, il concerne la plupart du temps de pauvres femmes venant d'accoucher dans la misère. Son auteur peut être puni de mort car l'enfant est sacré. L'avortement est pareillement considéré comme un homicide.

La trahison est également considérée comme un crime et sa démultiplication prendra forme lors de la Guerre de Cent ans. Viennent ensuite les différents vols : le vol excusé (si son auteur peut prouver les circonstances atténuantes), le vol aggravé (commis de nuit, dans des lieux protégés comme par exemple les églises...) qui donne plus souvent lieu à un bannissement qu'à la pendaison, le vol professionnel (en petites bandes organisées pratiquant au passage meurtres et viols) qui conduit souvent le « mauvais garçon » au gibet, ou le vol occasionnel (entre gens de connaissance).

Le suicide est quant à lui considéré comme un crime car la vie est sacrée et il est sévèrement puni. Le corps d'un suicidé ne peut pas être enterré en terre chrétienne et est enseveli « aux champs ». Ses biens sont confisqués par le justicier. En revanche, le viol, mal connu, est, au même titre que le rapt, amené à se clore par un arrangement financier ou un mariage. Quant aux femmes violées, elles sont majoritairement situées en bas de l'échelle sociale. On y trouve surtout des servantes. La preude femme est le surnom donnée à la femme mariée à la conduite honorable. Certaines n'ont pas cette conduite sexuelle irréprochable et l'adultère féminin est alors gravement châtié par le mari ou la famille. La sanction pouvait aller jusqu'au meurtre de la coupable ou la castration de son amant. L'adultère masculin, lui, était peu poursuivi...cherchez l'erreur !

Blasphème et sorcellerie sont quant à eux des crimes portant atteinte à l'ordre moral. Le blasphème sera ainsi condamné au cours du 13è siècle par plusieurs ordonnances royales, au même titre que la sorcellerie, laquelle sera fortement réprimée dans les milieux populaires à la fin du 14è siècle.

Et Jean sans Peur dans tout cela ? Duc de Bourgogne, il paiera des tueurs en 1407 pour tuer son cousin le duc Louis d'Orléans le 23 novembre de cette même année. On assiste ce jour-là à un meurtre politique à l'intérieur d'une même famille, ce qui est rare et particulièrement condamnable. Jean sans Peur sera très vite démasqué par le prévôt de Paris qui conduira une enquête exemplaire. Et le meurtrier de prendre la fuite en attendant que son acte ne soit justifié publiquement l'année suivante par un certain Jean Petit, théologien de son état.

 

Autre chapitre de cette exposition : les justices en concurrence. Ces justices médiévales sont enchevêtrées. Outre la justice royale, il y a les justices seigneuriales (dont les justices urbaines) et les justices ecclésiastiques (ou officialités). Le roi dominera certes l'ensemble à partir du 13è siècle, mais les autres justices camperont sur leurs droits tout en veillant à exercer dans les limites de leurs juridictions. Après tout, et en vertu du serment qu'il a prêté lors de son sacre, le souverain est aussi juge. Plusieurs conflits les opposent cependant, qui donnent lieu à des cérémonies ritualisées permettant à telle ou telle juridiction « lésée » de ressaisir son droit. Et celui qui a empiété sur le territoire de l'autre de lui offrir un objet symbolique, généralement un gant, en témoignage de réparation. Quant aux sanctions prises par les différents tribunaux, elles sont parfois complémentaires. Les personnes endettées peuvent ainsi être à la fois poursuivies devant les officialités et être excommuniées. Avec la sanction annoncée à la messe du dimanche.

 

Le souverain juge se fait aider par les délégués de la justice royale. D'abord rendue par des prévôts ayant acheté leur charge, la justice royale va connaître une profonde mutation au 13è siècle sous le règne de Philippe Auguste qui institue les baillis au nord du pays, et les sénéchaux au sud. Nommés, gagés et révoqués par le roi, ces délégués jurent de rendre la même justice pour tous. Saint Louis, lui, sera à la fois roi et justicier : il imposera le recours aux témoins et à l'enquête, multipliera les tribunaux royaux dans le pays, créera le Parlement de Paris (tribunal d'appel) vers 1250 et finira par laisser le souvenir d'un modèle d'équité même si, contrairement à ce qu'on prétend, il ne rendit jamais la justice sous un chêne.

Ainsi cohabitent la Basse justice qui est généralement rendue à l'échelle du village, sous un arbre, souvent un orme appelé arbre de justice, et la Haute justice (exercée par un certain nombre de seigneurs dès le 10è siècle pour punir et recourir à la peine capitale). A Paris, seul le roi possède un gibet (à Montfaucon). Peu à peu, la justice va se professionnaliser, jusqu'à ce qu'au 12è siècle les bourgeois des villes obtiennent des chartes de franchise donnant le droit de juger. Etre juge devient alors un métier. Et le juge de tenir des assises plus ou moins régulières annoncées par des crieurs. Il dispose parfois d'un auditoire (maison de justice) et est assisté par un greffier, des sergents et un geôlier. Une différence de poids persiste toutefois entre cette justice locale et celle rendue par le Parlement de Paris et composée de spécialistes en droit civil et canon.

Du coté de l'Eglise, chaque diocèse se dote d'une officialité (tribunal) à partir du 13è siècle. Cette juridiction juge les clercs mais aussi certains cas touchant aux mœurs (mariage, séparations, adultère...) et des crimes relatifs à la foi, au blasphème et à l'hérésie. Réputées laxistes, ces officialités ne condamnent pas à mort mais se contentent de prononcer amendes et excommunications. Et ce laxisme d'inciter certains criminels à se faire passer pour des clercs, tonsure à l'appui!). Dans le cas de l'hérésie, on voit bientôt apparaître de nouveaux tribunaux qui sont souvent tenus par des Dominicains et dont la mission est de lutter contre l'hérésie, et tout particulièrement l'hérésie cathare. L'inquisition nait ainsi officiellement par le bon vouloir de Grégoire IX en 1231. Les juges procèdent d'office, isolent les prévenus et les interrogent en secret. La sanction peut être la prison et la peine de mort.

En ce qui concerne Jeanne d'Arc, c'est une justice en trois épisodes qui sera rendue. Le procès de condamnation sera un procès de foi confié à Pierre Cauchon, alors évêque de Beauvais. Jeanne comparaitra seule, conformément à son souhait et répondra trois mois durant aux questions de 120 experts, théologiens et spécialistes en droit canonique. Une première sentence la livrera à la justice laïque, donc au bûcher qui était prêt, à la grande satisfaction des Anglais. Puis, une deuxième sentence sera prononcée en faveur de la prison à perpétuité histoire de donner à Jeanne le temps de la repentance. Une sentence finale la livrera au bras séculier et la condamnera comme hérétique.

 

Traiter de la mort d'autrui ne doit pas être fait à la légère et suppose l'infaillibilité des juges. Ces mêmes juges devront aller puiser dans la tradition des rois justiciers, un peu à l'image de Charlemagne ou de Saint Louis. On assiste à deux types de justice, la justice accusatoire (jusqu'au 12è siècle) et la justice inquisitoire (à partir du 13è siècle, et davantage fondée sur l'enquête), reposant elles-mêmes sur des lois. La Loi divine s'impose d'abord, suivie du droit coutumier, jusqu'à ce que la diffusion des droits canonique et romain ne s'imposent peu à peu. Il reste que cette justice médiévale demeure écartelée, divisée entre l'obtention de la vérité et la recherche de la paix entre les parties. On ne dispose que de très peu d'archives car l'oral prime. On sait simplement que la négociation est omniprésente, ce qui ralentit considérablement l'exercice de la justice et coute cher. Elle favorise de surcroit la corruption des juges. Ainsi Jean sans Peur n'hésitera t-il pas à verser d'importants pots de vin lorsqu'il sera menacé d'hérésie en 1414. L'opération sera d'ailleurs « payante ». La transaction est également de mise car elle rend la justice du roi possible en écartant la vengeance. La torture, elle, est moins douce et ne sera employée que dans la seconde moitié du 15è siècle. Celle qu'on surnomme aussi gehine, tourments, ou question, a pour but d'extirper des aveux au coupable en faisant « parler » son corps par élongation des membres, ingurgitation d'eau en grande quantité, pratique de l'estrapade, utilisation du feu ou garrotage des membres (pelote). Meurtriers et incendiaires de maisons sont les premiers visés par cette torture qui est alors pratiquée dans une chambre de la prison ou du tribunal, ou dans les basses-fosses des châteaux. Quant au Parlement de Paris, il veille à ce que celle-ci ne soit pas « haineuse » et soit appliquée dans les règles.

 

Dernière partie de l'exposition : les crimes et les châtiments. Parmi les exécutions capitales, la pendaison reste la plus fréquente. Et est réservée aux meurtriers et aux voleurs, voire à des criminels politiques. Le condamné est alors exécuté en chemise et reste au gibet pendant plusieurs années, le temps de la décomposition totale de son corps. Il ne peut de toute façon plus être enterré en terre chrétienne. On parle alors de « male mort », chose effrayante car celle-ci menace le corps de ne pas ressusciter le jour du Jugement dernier, même si la confession des condamnés à mort est autorisée à partir de 1397. Cette exécution capitale est enfin une source de déshonneur pour le supplicié mais aussi pour sa famille. C'est pourquoi, certains proches préfèrent que le corps soit noyé plutôt que pendu.

Heureusement, la peine capitale au Moyen-Âge n'est pas si courante que cela. Et les châtiments sont proportionnels à la gravité du délit. Ainsi les amendes constituent-elles les peines les plus fréquentes, face à l'injure ou la « bature ». Autre type d'amende, l'amende honorable, prescrite par le Parlement de Paris pour des cas criminels graves et qui requiert de la part du condamné que celui-ci demande pardon, pieds nus et à genoux. Viennent ensuite les peines infamantes, très répandues et honteuses pour ceux qui les subissent. Elles se déroulent en public face à une foule dont l'action consiste à se moquer du condamné (coiffé d'une mitre mentionnant l'objet de son crime!) ou à lui jeter des pierres ou de la boue. Un vol de raisins peut par exemple être sanctionné par une promenade dans les rues avec des raisins attachés aux oreilles. Au Moyen-Âge, on pratique aussi la mutilation (on coupe la main d'un voleur pour le dissuader de récidiver) et le bannissement (exclusion de la société pour une ou plusieurs années). La panoplie de sanctions était complète et variée. On parle d'exécutions ordinaires qui se déroulent sous les yeux exercés de la foule. Et les humains d'être suppliciés aux côtés d'autres animaux (cochons, chiens...) eu-mêmes condamnés pour avoir par exemple provoqué un accident. Reste que le pire n'était jamais certain : le public pouvait jusqu'à la dernière minute invoquer le « miracle » pour suspendre la peine capitale. Le roi, lui, disposait de lettres de grâce et de la grâce royale.

 

A cette époque, chaque seigneur de quelque importance exerçait des droits de justice et disposait donc de sa propre prison. Paris en comptera jusqu'à 21, entre les 13è et 15è siècle, dont cinq étaient royales. Les plus grandes étaient celles du Grand Châtelet, de la Conciergerie et du For-l'Evêque. La prison servait davantage de lieu d'attente d'une décision de justice que de lieu d'incarcération pur. S'y trouvaient des personnes endettées, des gens violents et...des « femmes amoureuses » (prostituées). Le quotidien des prisonniers était marqué par le geôlier, qui louait au seigneur l'exploitation de la prison pour une durée limitée, et facturait à ses hôtes des droits de gite et des dépenses de bouche. Bien avant Uber Eats, les détenus pouvaient, s'ils le souhaitaient et s'ils en avaient les moyens financiers, se faire livrer des repas depuis l'extérieur. Toutefois la prison médiévale restait bien un lieu de souffrance et de pénitence où l'on ne faisait pas de vieux os, puisque 70% des prisonniers du Grand Châtelet ressortaient au bout d'une journée de détention.

L'exposition se referme sur François Villon, clerc de l'Université de Paris né vers 1431. De nature turbulente, il se livrera d'abord à l'enlèvement d'une borne de rue, puis participera à une rixe-homicide trois années plus tard, avant de dérober 500 écus dans le coffre du Collège de Navarre, mais s'en sortira à bon compte une fois de plus. Fuyant dans le Val de Loire à la recherche de mécènes princiers, il vole encore, jusqu'au jour de 1461 où une nouvelle rixe lui est fatale et le conduira au bannissement deux ans plus tard. On perdra la trace de l'homme alors âgé de 32 ans. Il est vrai que le poète qu'il était n'avait pas une vie simple et restait hanté par la peine de mort.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition « Crimes et Justices  au Moyen-âge», jusqu'au 29 décembre 2019, à la Tour Jean sans Peur, 20 rue Etienne Marcel, à Paris (2è). Tél: 01 40 26 20 28. Ouvert du mercredi au dimanche de 13h30 à 18h00. Entrée : 6€. Métro : Etienne Marcel. Site internet : http://www.tourjeansanspeur.com

  • Le catalogue de l'exposition contient une foule de détails sur l'exposition, et est en vente à l’accueil.






 



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