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A la découverte d'Antananarivo
(Madagascar)
Heure locale

 

Samedi 19 octobre 2019

 

D'astreinte hier à Roissy, me voici déclenché sur le vol pour Antananarivo (Madagascar). Je vais rarement là-bas et cela va me faire prendre l'air durant plus de dix heures de vol. Je connais peu de choses de cet grande île attachée autrefois au continent africain. Le peuplement de Madagascar serait en relation avec les Vazimba (autochtones des terres centrales) et les flux indo-mélanésiens et bantou, secondairement indien et arabe qui s'installeront ici dès le 1er millénaire et jusqu'au 15è ou 16è siècle. Survint alors la pénétration européenne grâce au navigateur portugais Diogo Dias, qui découvre l'île en 1500 et la nomme Île Saint-Laurent. Et Portugais et Hollandais en partance pour les Indes d'y faire escale à partir de la fin du 16è siècle pour se ravitailler. Et la France ?

 

Notre pays s'implantera ici pour la première fois en 1643 lors de l'établissement de Fort-Dauphin à l'extrémité sud-est de l'île par le Rochelais Pronis, en hommage à Louis XIV. Suivra l'annexion de l'île à la France 22 années plus tard, morceau de terre lointaine qu'on nommera alors l'Île Dauphine. Le gouverneur Etienne de Flacourt y débarquera pour dresser l'inventaire des ressources disponibles sur place, puis Colbert y enverra des colons en 1667. Faute de parvenir à mettre réellement en valeur cette nouvelle possession à une époque où les conflits se succédaient dans la région, la France jettera l'éponge en 1674, au profit de l'Inde et de la Réunion. Pirates anglais et français devenant alors les seuls à fréquenter les côtes malgaches jusqu'en 1720.

 

Antananarivo, ou Tananarive en français, est aussi appelé « Village des milles » et est à l'origine du royaume Merina. Aujourd'hui capitale économique et politique de Madagascar, l'endroit fut d'abord conçu comme une forteresse par les rois Merina, au début du 17è siècle, lesquels s'en servirent comme lieu de résidence dans les années 1790. Tanana signifie « village » ou « ville » et arivo, « mille » en raison des mille guerriers que Ramada I mobilisera afin de protéger le domaine royal d'Analamanga (région à l'intérieur de laquelle se situe Tananarive). Pour la petite histoire, c'est Andrianjaka, roi Merina qui aurait enlevé à Rafandrana, roi Vazimba alors en place, la plus haute des douze collines de l'Imerina (1468 mètres), ou « Colline bleue » en 1610. Et le roi merina d'y faire bâtir une forteresse (rova) défendue par un millier d'hommes en 1625 d'où le nom d'Antananarive (Cité des Mille).

 

Lorsque nous débarquons en soirée à Tananarive, on trouve des rues désertes, mais cette situation est trompeuse car il n'y a pas plus vivant que cette ville dès que le soleil se lève. On compte actuellement 5 millions d'habitants qui portent d'ailleurs le nom d'Antananariviens. Toutes les principales ethnies sont représentées, en plus des communautés étrangères (Européens, Chinois et Indo-pakistanais...)

Ne venant que rarement à Madagascar, je souhaite réaliser un sujet sur Antananarivo grâce à l'aide de gens qui connaissent bien la capitale malgache. Et de m'adresser à Dina, directrice de l'agence de tourisme Tsenakely-Vanillas. Celle-ci accepte très gentiment de m'aider et me consacre quelques heures de son temps, aux côtés de Patrick, un autre collaborateur chargé des excursions touristiques. Le résultat de notre sortie est cette vidéo de douze minutes attachée à cet article qui traite de quelques aspects de la vie quotidienne malgache dans la capitale.

Le quartier le plus populaire de la ville reste Analakely, aussi appelé « petite forêt », et est situé dans le centre-ville. Il sera le point de départ de notre visite. Là se dresse un marché qui abrite la majorité des commerces existants, un vrai marché traditionnel qui fut longtemps considéré comme le plus grand marché à ciel ouvert du monde et qui continue d'attirer les marchands venus des provinces pour y acheter leurs propres marchandises. Des pavillons de commerce s'étendent ainsi jusqu'à la gare Soarano (ci-dessous), dont ceux abrités sous les arcades longeant l'avenue de l'Indépendance, particulièrement attractifs pour qui recherche produits cosmétiques, petit et gros électroménagers, habillement, jouets ou produits alimentaires. L'endroit compte pas moins de 820 stands jouxtant les pavillons en question.

En levant les yeux, vous apercevrez l'architecture et le cachet particulier d'Analakely, avec ses maisons aux grands toits de tuiles et cette fraicheur si précieuse offerte par les allées des bâtiments durant l'été, comme, par exemple, au Café de la gare de Soarano (édifice bâti entre 1906 et 1910 qui offre une architecture similaire à celles de nos gares françaises du 19è siècle). Centre de la ville-basse, Analakely est délimité par l'avenue de l'Indépendance et est un passage obligé entre les deux villes basse et haute qui composent la capitale malgache. Deux grands escaliers (situés de chaque côté de l'esplanade) conduisent ainsi à la ville haute.

Les marchands ambulants nombreux aux abords du marché : vendeurs de fruits (mangues coupées), d'épicerie, de stimulants sexuels (si, si...), de glaces et de bien d'autres choses encore. Ces minuscules commerces jouent un rôle important dans l'économie locale car les Malgaches ont pour habitude de n'acheter que quelques produits à la fois et ces commerces de rue sont toujours présents. De même, il n'est pas rare de trouver de jeunes enfants derrière le comptoir, compte tenu de la coutume locale qui veut que les enfants exercent des petits boulots dès l'âge de cinq ans pour participer au budget des familles souvent nombreuses. Pour ma sécurité, Dina et Patrick m'encadrent de près pendant que je prends photos et vidéos. Une garantie supplémentaire du sérieux de cette agence.

Outre les marchands, une foule rassemblée face à la gare attire mon attention : il s'agit de l'incroyable Gasy Milay Ra Biby, artiste malgache, qui fait un spectacle avec son caméléon et sa vipère favoris. Et de faire sortir de son chapeau un petit caméléon qu'il transformera en ...fumeur invétéré (première photo ci-dessous) avant d'avaler la vipère par la bouche pour la faire ressortir par le nez (deuxième photo). Succès garanti auprès des spectateurs !


 

Outre les nombreux commerces et marchands ambulants, ce quartier abrite également hôtels, restaurants et cabarets. Autant de lieux qui contribuent à animer encore davantage l'avenue de l'Indépendance. Un effort supplémentaire et, une fois gravie la colline d'Analamanga (soit une centaine de marches), on profite d'une vue imprenable sur Tananarive avec son immense stade et le lac Anosy (au milieu duquel se dresse un monument aux morts érigé en 1927 et surmonté d'une statue en bronze) qui rend hommage aux soldats tombés durant la Première guerre mondiale.


 

Lorsqu'on parle de Madagascar, on pense bien sûr aux enfants de la rue. D'un côté, on met un pied dans l'économie de la débrouille et de l'autre, dans une mondialisation qui déstabilise tout. Les bouches à nourrir sont si nombreuses que les parents sollicitent très tôt (dès l'âge de cinq ans) leurs progénitures pour qu'elles passent le plus clair de leur temps dans la rue afin de trouver quelque menu fretin et de participer ainsi aux finances de la maisonnée, à une époque où la crise économique fait des ravages. Certes, la démographie antananarivienne n'arrange rien, mais est-il possible d'imposer ici, comme la Chine le fit jadis chez elle, la politique de l'enfant unique ? J'en doute. Elle est loin cette époque où le riz faisait la ville. Antananarivo puisera ainsi ses forces dans la plaine du Betsimitatatra, à force de grands travaux d'endiguement et de remblaiement qui rendront possible la culture intensive du riz sur plusieurs hectares de terres. Sous le règne du roi merina, Andrianampoinimerina, la force de l'Etat créera la ville en entretenant avec soin digues et casiers agricoles, en organisant les corvées et en se présentant comme un exemple pour sa population. La structure d'Antananarivo symbolisait alors le pouvoir, avec son Rova (palais) incendié en 1995, gardien de l'essence sacrée de la monarchie merina. A leur arrivée, en 1896, les Français voudront faire de la capitale malgache le « Paris » de leur Empire avec élégantes et magasins de mode, quartiers tirés au cordeau et un nouveau centre-ville venant concurrencer la cité royale jusqu'ici le cœur d'Antananarivo. Cette croissance urbaine altérera l'orientation de la ville, avec entassement de maisons dans une plaine marécageuse alors consacrée à l'agriculture. Et les collines situées à l'est de s'éroder sous le poids des constructions, entrainant coulées de boue et glissements de terrain.

A Madagascar, la chute du pays s'amorça dès la fin de la 1ère République et devint très vite une descente aux enfers pour ses habitants : chute de 36,8% du PIB entre 1960 et 1995 malgré quatre courtes périodes de croissance durant ce laps de temps. Par trois fois, la reprise annoncée sera cassée par la crise politique, et la population de devenir l'otage (et la victime!) des règlements de compte entre élites. Que dire d'un pays où 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté ? Comment ne pas comprendre que dans ce contexte les enfants deviennent plus une assurance-vie qu'un poids pour la famille, dans la mesure où ils contribuent économiquement à sa survie ?

Les Antananariviens que nous rencontrons se prêtent de bonne grâce à nos interviews (voir vidéo), comme cette mère de trois enfants que nous rencontrons dans la rue et qui vit dans un abri précaire fait de plastique sous les arcades de l'Avenue de l'Indépendance. C'est qu'ici, il faut se battre pour survivre au quotidien. Comme toutes les capitales, Antananarivo abrite un nombre élevé de fonctionnaires, lesquels virent leurs traitements gelés, ou se virent même parfois congédiés lors des crises économiques successives. Avec le temps, la ville observa la disparition de lieux de sociabilité (cinémas, autres lieux de loisirs...) de moins en moins fréquentés par manque de moyens (explosion du coût du transport urbain...). L'accroissement naturel d'une population en proie à la paupérisation n'arrangera rien et l'abandon par les pouvoirs publics de l'espace public entrainera une dégradation du paysage urbain et une montée des délits et des crimes avec un profond sentiment d'insécurité à la clé. Quid de la réaction de la classe politique et des médias face à ce qu'on appelle pudiquement le phénomène des enfants de la rue ? Rien. Durant les années 1980, la presse ne parlera pas de ce mouvement dans ses articles, jusqu'à ce qu'on aborde enfin le sujet à la veille de 1990, pour faire allusion aux familles renommées quatmi (quat faisant référence à l'absence de quatre murs murs pour protéger ces familles, et mi ,syllabe commune à quatre mots sensés résumer les comportements de sans-abris d'Antananarivo, à savoir mifoka (fumer), miloka (jouer de l'argent), migoka (boire de l'alcool) et milely (baiser, en argot)). Le discours est souvent alarmiste vis à vis de ces enfants de la rue supposés salir la ville et menacer ses habitants. Il faudra l'action bienfaitrice des ONG pour temporiser ce jugement.

 

Je suis toujours surpris de croiser ici autant de ces véhicules français qui ont bercé mon enfance, comme la Dauphine, la Citroen 2CV ou la Renault 4L, trois voitures que nous utilisâmes dans ma famille. Bon nombre d'entre elles sont conduites par des chauffeurs de taxi, à l'instar de Denis qui est venu voir Flica, notre mécanicien (en photo ci-dessous) du jour. Notre chauffeur nous confiera lors de l'interview posséder sa 4L depuis 20 ans. Et à la question « comment arrivez-vous à maintenir ce genre de voiture en état de marche ? », Flica de répondre « par le bricolage, façon malgasi ». C'est tout dire !

 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Agence Tsenakely-Vanilla, à Antananarivo (Madagascar). Tél : +261 34 20 900 09/ +261 33 12 498 70. Courriel : rafalimananad@yahoo.fr
  • Il est fortement conseillé de contacter l'agence deux semaines avant sa venue. Sur place, celle-ci propose produits locaux et visites touristiques. Dina utilise couramment Messenger et What's app pour communiquer.

  • Un grand merci à Dina et à Patrick pour m'avoir consacré temps et énergie à la réalisation de ce sujet.

  • Est-il besoin de souligner l'immense gentillesse et la tradition d'accueil des Antananariviens que j'ai croisés ici durant mon séjour ? Merci à eux.

  • Lors de spectacles de rue, les pourboires sont appréciés (100 à 500 MGA) voire plus (5000 MGA) si vous prenez photos et vidéos.

  • Pour la rédaction de l'article consacré aux enfants de la rue, j'ai puisé des informations dans l'ouvrage « La rue des enfants, Les enfants de la rue », édité par CNRS Editions.

 

 



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