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Exposition "Tarots enluminés, Chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne"
(Musée français de la Carte à jouer, Issy-les-Moulineaux, Hauts-de-Seine, France)
Heure locale

Lundi 20 décembre 2021

 

L'exposition que nous présente actuellement le Musée de la Carte à Jouer d'Issy-les-Moulineaux (92) jusqu'au 13 mars 2022, a été suggérée à partir d'une carte d'un jeu de tarot enluminée du milieu du 15ème siècle, chef d'oeuvre inédit identifié comme le Chariot d'un jeu de tarot exceptionnel par son raffinement, sa qualité d'exécution, la richesse de ses couleurs et de son fond d'or estampé. Et c'est tout naturellement autour de ce chariot et de ses sœurs, des tarots florentins et milanais et autres merveilles prêtées par de prestigieuses institutions que s'articule cet évènement.

 

Penchons-nous d'abord sur l'origine du tarot. Ce terme est un emprunt à l'italien « tarocchi » qui dérive de tara (déduction, perte de valeur). Le même mot désigne plusieurs jeux de cartes à jouer apparus en Italie au 15ème siècle. Les plus anciennes cartes de tarot connus aujourd'hui furent peintes pour la famille Visconti-Sforza, des cartes contenant bien des thèmes. Cet ensemble de cartes est l'un des plus anciens qui soit connu et qui ait eu un véritable impact sur la composition visuelle, la numérotation et l'interprétation des cartes à jouer modernes.

Les tarots enluminés dont il est question aujourd'hui sont des objets de luxe qui ont par conséquent été mieux préservés que les tarots ordinaires imprimés. Ces tarots-là sont dominés par les cartes peintes de Bonifacio Bembo et son atelier pour la cour de Milan de l'époque. Peintre, miniaturiste et enlumineur lombard, l'homme s'illustrera entre 1447 et 1477, soit au début de la Renaissance. Formé à l'école du style gothique tardif, mais aussi influencé par la Renaissance, il est généralement considéré comme l'auteur d'un des fameux jeux de tarot Visconti-Sforza, dont le symbolisme reflètera l'intérêt de Bembo pour le néoplatonisme. Ces tarots enluminés furent également réalisés pour d'autres cités comme Ferrare ou Florence.


 

L'apparition sur le marché de l'art puis l'acquisition par le Musée Français de la Carte à Jouer d'un superbe chariot totalement inédit, un des atouts du tarot, a bousculé les attributions faites jusque-là. De là découle un regard nouveau qui fait tout l'intérêt de cette exposition, laquelle présente également de précieux tarots milanais et florentins provenant d'institutions prestigieuses (Le Louvre, la BNF, la Morgan Library & Museum de New-York et différents musées de Sicile). Ces tarots apportent par ailleurs des détails intéressants pour comprendre la peinture italienne du 15è siècle, à l'instar de « Triomphes » de Pétrarque, du plateau d'accouchée et autres livres illustrés qui en éclairent le contexte historique, artistique et intellectuel. Plus de soixante-dix œuvres issues de prêts en France et à l'étranger sont ainsi présentées.

Le tarot, qui est né en Italie au 15ème siècle, nous a légué de magnifiques cartes de luxe, enluminées comme des manuscrits et disséminées dans plusieurs musées et bibliothèques à travers le monde. Le visiteur est invité à découvrir ce domaine méconnu mais d'une très grande richesse pour mieux comprendre les débuts d'un jeu qui reste fascinant. Il faut savoir qu'une bonne partie des thèmes présents sur les cartes des divers jeux de tarot français figuraient déjà sur les cartes enluminées de Visconti et de Charles VI. Ces jeux de triomphes leur sont antérieurs puisqu'ils datent du milieu du 15ème siècle. De même, les tarocchi de la province italienne de Lombardie sont aujourd'hui reconnus comme étant les prototypes de tarots plus récents. Ces tarocchi descendant eux-mêmes des jeux de cartes orientaux des Mamelouks.


 

Venons-en maintenant au parcours de la visite : celle-ci débute par une introduction historique qui apporte au visiteur des clefs de compréhension du tarot, une introduction suivie par un exposé calligraphié d'un jeu de cartes original, qui fut imaginé à Milan (Italie) vers 1415, véritable lieu précurseur du tarot. Le visiteur pourra ensuite parcourir à sa guise les grands centres de production italiens. La cour de Milan y tient bien entendu une place de choix. Celle-ci, alors dominée par les Visconti et les Sforza est mise en avant à travers de somptueux tarots peints que l'on doit à l'atelier des Bembo. Le Chariot, propriété du Musée Français de la Carte à Jouer, et deux cartes du Musée national de Varsovie sont pour la première fois réunis. Ces cartes sont ornées du mors de cheval, emblème des ducs de Milan, et sont l'oeuvre d'un peintre milanais anonyme.

Un interlude aborde aussi la question des rapports possibles entre les Trionfi de Pétrarque et les tarots (eux-mêmes appelés trionfi), juste avant que l'exposition ne fasse la part belle à Florence, les tarots « Rothschild » représentés par un cavalier d'épées (Bassano del Grappa), sans doute les plus anciens tarots datables, le célèbre tarot de Charles VI et un ensemble de cartes méconnues en provenance de Sicile, témoignent de la richesse de la production florentine.


 

Revenons sur les Triomphes de Pétrarque : ceux-ci se lisaient de la manière suivante, l'Amour triomphait des hommes qui ne lui résistaient pas. Vaincu par la Chasteté, il était enchainé. La Vie incarnée par la victoire de la Chasteté sur l'Amour était vaincue par la Mort. La Renommée triomphait de la Mort, avant de succomber à son tour au Temps. Enfin, la Divinité (l'Eternité) aboutissement de tout ce qui est terrestre, triomphait du Temps.

La thématique des triomphes correspondait au goût de la Renaissance pour les triomphes antiques connus par les bas-reliefs. Les atouts du tarot disposés côte à côte pourraient figurer aussi un défilé même si la succession des atouts fait davantage penser à un cortège allégorique ou à une mascarade, autant de divertissements fréquents à l'époque.

Il nous est aussi donné d'admirer un exceptionnel « plateau d'accouchée » peint par Lo Scheggia illustrant des scènes de jeu (Musée du Palazzo Davanzati) tandis que Ferrare est évoquée à travers des feuilles imprimées tout comme un surprenant manuscrit offrant la plus ancienne liste des atouts du tarot. Ces cartes sont d'ailleurs entourées de manuscrits et d'oeuvres d'art décoratif rappelant le contexte historique et culturel de l'époque. Enfin, certaines cartes de tarot, exclues du prêt d'oeuvres car trop fragiles pour voyager, figurent sous forme de grandes reproductions évoquant un livre d'images dans une superbe scénographie, imaginée par Pascal Rodriguez.

Le « plateau d'accouchée est en fait la traduction française du desco da parto, c'est à dire le recto verso des œuvres peintes en tondo (profil généralement sculpté en faible relief, ou peint sur un support de format rond, ou à l'intérieur d'un disque) par les plus grands peintres, à l'occasion de la naissance du premier enfant dans les familles aisées de la Renaissance italienne et faisant partie de « l'ensemble d'accouchement ». Ce plateau d'accouchée faisait alors partie des objets de la vie quotidienne durant la Renaissance florentine avec le traditionnel cassone (coffre de mariage orné). A l'origine, ce plateau n'était pas un tableau rond à accrocher mais un vrai plateau utilitaire dont on se servaIt pour porter des boissons à l'accouchée (comme le bol de bouillon et son couvercle plat). Quant à Lo Scheggia, il s'agit d'un peintre italien de l'école florentine et frère de Masaccio, et longtemps désigné comme Maître du Cassone Adimari.

 

Le Tarot de Charles VI, lui est l'un des rares témoignages des luxueux jeux princiers de la Renaissance italienne dont une vingtaine d'exemples subsistent encore. En réalité, ce tarot est mal nommé car Charles VI n'était pas le destinataire de ces cartes exécutées en Italie du Nord, postérieurement au règne du roi de France. Les tarots peints de l'époque furent réalisés dans les cours de Milan et de Ferrare et apparaissaient alors comme l'une des expressions de la culture humaniste qui inspirait jadis de nombreux jeux éducatifs. Rappelons que le jeu de tarots fut cité pour la première fois à Ferrare en 1442, sous le nom de carte da trionfi ou triumphorum ludus (triomphes). Vers 1500, le terme tarocchi apparaît lui aussi dans un livre de comptes de la cour de Ferrare, même si c'est depuis la cour de Milan que le tarot se propagera en France, en Suisse, puis dans le reste de l'Europe. Le jeu se répandit sous la forme d'un ensemble de 78 cartes (dont 22 atouts ou triomphes et 56 cartes du jeu à quatre couleurs) aux enseignes latines figurant des symboles. Quant au tarot dit de Charles VI, il aurait pour origine Bologne.

Vous l'aurez compris, une visite s'impose dans ce musée thématique consacré à la carte à jouer pour sa diversité, à la fois dans les arts et l'histoire. Les collections en lien avec la carte à jouer représentent plus de 15 000 œuvres et objets dont près de 9000 jeux de cartes, planches et enveloppes de jeux, des bois d'impression, des peintures, des objets de jeu, ou des pièces textiles comme cet ensemble exceptionnel de quatre costumes de cartes à jouer dessinés par André Derain pour les Ballets russes. Cartes d'artistes surréalistes, cartes à jouer d'Ancien Régime et de la période révolutionnaire, cartes chinoises ou indiennes de forme circulaire, cartes pédagogiques du 18ème siècle pour apprendre la géographie, tarots et jeux divinatoires...une façon de jouer cartes sur table !

 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Exposition «Tarots enluminés, Chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne », jusqu'au 13 mars 2022, au Musée Français de la Carte à Jouer d'Issy-les-Moulineaux (92). https://www.museecarteajouer.com
  • Catalogue « Tarots enluminés, chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne », coédité avec les éditions Liénart. 160 pages, 130 illustrations.










 



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