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Exposition "Gamins et Poupardes-Enfances parisiennes au 19ème siècle"
(La Tour Jean sans Peur, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 8 novembre 2021

 

La Tour Jean sans Peur (Paris 2ème) nous invite actuellement à découvrir l'exposition « Gamins et Poupardes – Enfances parisiennes au 19ème siècle » jusqu'au 29 mai 2022. On découvre ainsi que la capitale compte 25 000 naissances (pour 700 000 habitants) en 1815. Grossie de l'annexion des communes périphériques et des migrations de l'exode rural, Paris abritera près de deux millions et demi d'âmes en 1891, dont un tiers a moins de vingt-cinq ans, un âge parfait pour se marier et fonder une famille.

 

Enfance désirée ou enfance redoutée, c'est selon. Toutes les femmes issues de la bourgeoisie ne voient pas toujours la grossesse d'un bon œil. Tenues à l'écart de la sensualité, ignorantes de leurs corps, par pudeur, celles-ci méconnaissent les mécanismes de la conception. Et de percevoir la fécondité avec plus ou moins de craintes : peur de la stérilité, désir d'enfants limité chez les familles mues par l'ambition sociale, ou fratries issues de la classe ouvrière. A cette époque, la naissance à domicile reste dominante, assistée ou pas par une sage-femme ou un médecin. C'est toujours mieux qu'à l'hôpital, où l'on observe une plus forte proportion de décès (un décès pour cinq naissances en 1865). Les mères célibataires sont rejetées par leurs employeurs, d'où ces tentatives de dissimuler le plus longtemps possible leur état de grossesse ou de se débarrasser de l'enfant dans la solitude de leur chambrette sous les toits. Quant aux enfants de domestiques mariés, ils sont conduits à la campagne ou confiés à des proches. A l'époque du malthusianisme domestique naissant, journaux et syndicats de gens de maison prodiguent aux femmes des conseils de procréation consciente car il n'es pas question de fournir aux bourgeois de la chair à plaisir, à canon ou à travail.

Après l'arrivée de l'enfant, l'allaitement est généralement confié à une nourrice ou « seconde mère ». Sur 53 000 nouveaux-nés recensés à Paris en 1866, la moitié est allaitée de cette manière. Les médecins sont partagés sur la question, reconnaissant les vertus fortifiantes de l'allaitement par la mère tout en conseillant aux plus aisées d'avoir recours à une nourrice logée sur place. Ces femmes recrutées à la campagne jouissent d'un statut enviable : outre l'hébergement, elles reçoivent des gages élevés et des beaux vêtements. Car, ici comme ailleurs, tout est question d'argent et le marché de l'allaitement diffère selon l'état de fortune des parents. Et certaines familles doivent se tourner vers des rabatteurs de seins mercenaires, tandis que des meneurs et des recommandaresses dirigent des succursales privées de placement fréquentées par les ménages recherchant des nourrices à emporter. Il peut alors s'agir de femmes miséreuses en quête d'un nourrisson à élever chez elles, en dehors de la capitale. Quant au bureau municipal de la Direction des nourrices, il s'efforce de soutenir la concurrence et assiste de son mieux les familles pauvres.

Malheureusement, le taux de mortalité des enfants placés en nourrice crée un certain émoi en 1865, au point de vilipender la mauvaise nourrice, négligente et uniquement attirée par l'appât du gain. Les bureaux de placement sont en ce qui les concerne accusés de spéculation. On met en cause l'inconfort de ces nouveaux-nés transportés en train ou entassés dans des charrettes de la direction des nourrices. Bref, la loi Roussel de 1874, qui exigera la surveillance des enfants de moins de deux ans placés en nourrice, en sevrage ou en garde hors du domicile parental tentera de calmer les esprits.

 

Le sort des enfants trouvés ou abandonnés n'est guère plus enviable : on a alors recours au lait animal pour alimenter les plus frêles des nourrissons et le principe de la nourricerie avec étables, ânesses et ânons pratiqué par l'Hospice des Enfants-trouvés de Saint-Vincent-de-Paul, est validé en 1875 par le Conseil de Paris. L'initiative est raillée par certains et il devient alors difficile de recruter des nourrices pour allaiter ces enfants suspectés d'être vénériens.

Sous Napoléon, le décret de 1811 distingue les enfants trouvés jusqu'à deux ans des enfants abandonnés avant cinq ans et des orphelins, légitimes pour la plupart. En 1815, une naissance sur cinq aboutit à l'hospice des Enfants-trouvés. Ces enfants trouvés proviennent de familles démembrées par la maladie, d'une déchéance légale ou de familles minées par la crainte du sort moral promis aux fillettes pauvres. Le dépôt d'un enfant par une mère s'effectue à l'aide d'une tour d'abandon, sorte d'armoire pivotante, qui communique discrètement avec la rue. Puis l'enfant est accueilli dans l'ancienne chapelle aménagée en pouponnière. Malgré cela, 1400 petits (sur les 5000 enfants recueillis par l'hospice) meurent prématurément en 1826 et fournissent aux médecins d'excellents sujets d'autopsies pour l'observation médicale.

Chez les familles bourgeoises, placer une nourrice au service du nouveau-né de la maisonnée concilie côté pratique et représentation sociale : ainsi, en 1884, une servante de la famille d'Harcourt (Paris) deviendra t-elle tour à tour bonne, bonne d'enfants et gouvernante. Les familles les plus aisées, elles, emploient des nurses. Quant à la bonne, elle est idéale lorsqu'elle tient son rang et se garde d'un mot plus haut que l'autre. Dans les familles plus modestes (artisans, commerçants, employés), l'unique bonne à tout faire remplace ou assure la continuité de la mère de famille. Faire garder son enfant, notamment lorsque celui-ci revient de chez une nourrice, relève du parcours du combattant : en 1895, un rapport du conseil municipal de Paris relève qu'il en coûte 0,70 francs par jour à un couple pour la garde et la nourriture de sa progéniture. Malheureusement, ces « gardeuses de ville» sont parfois en dessous de tout et sources de chutes, brûlures et autres accidents. L'entassement des maison de sevrages est tout aussi inquiétant, des endroits où l'on n'hésite pas à verser généreusement du sédatif pavot dans le lait du biberon, sans parler des conditions d'hygiène discutables.

Fondées sous l'impulsion du magistrat Firmin Marbeau et du maire du 1er arrondissement parisien, les premières crèches entendent venir en aide aux enfants et à leurs familles pour un prix abordable. Et 22 crèches Firmin d'accueillir 730 enfants, allaités ou sevrés, en 1884. Les berceuses qui y officient sont recrutées parmi de respectables mères de familles.

 

Le déroulement de l'enfance est primordial pour le reste de l'existence de l'enfant. Au berceau, le nouveau-né fait l’apprentissage de la solitude. Quant au berceau, il ne berce plus à l'aube de la Première guerre mondiale. Et la chambre individuelle de s'imposer, petit à petit après 1880, et les intérieurs aisés s'inspirent du modèle britannique de la nursery (réservées aux babies) en intégrant des éléments décoratifs nouveaux (papier-peint, meubles et rideaux coordonnés). En ce qui concerne la tenue vestimentaire, poupards et poupardes survivent engoncés entre brassières et bonnets, et le vêtement bourgeois (costume de marin pour le garçon et corset pour la fille) rigidifie la silhouette enfantine. Difficile de se sentir à l'aise dans de telles tenues qui contraignent notamment les petites filles du Second Empire à jouer en robes à cerceaux et en jupons à dentelle. Le blanc, symbole de pureté, s'impose à la fin du siècle chez les enfants aisés et issus de la classe moyenne comme couleur dominante des vêtements enfantins. Une fois vêtu, l'enfant doit également satisfaire à certains rites : la cérémonie du baptême reste incontournable pour accueillir l'enfant dans la communauté familiale et privée, même si en 1887, seul un petit parisien sur sept est baptisé dans les trois jours suivant la naissance. Les prénoms des petits sont puisés dans le calendrier des saints, le réservoir historique ou le répertoire familial.

Autre apprentissage, celui de l'école : celle des premiers pas s'effectue à deux ans et demi, parfois plus tôt, dans la salle d'asile. Les bambins miment les gestes d'un des 10 000 moniteurs parisiens en 1875. Les communes périphériques de la capitale, qui formeront les futurs arrondissements, assurent l'entretien de l'école primaire, en application de la loi Guizot de 1833. La gratuité de l'école publique, elle, annonce la venue de l'instruction obligatoire. Quant à l'instruction civique, elle supplante peu à peu la morale religieuse au nom de la laïcité. L'école trouve refuge dans un bâti rationnel aux salles de classes rectangulaires bien éclairées. Celles-ci sont meublées de pupitres standardisés avec sièges, casiers et encriers intégrés. D'autres objets agrémentent l'espace : globes, bouliers, instruments de géométrie, planches murales et cartes de géographie sont fournis par des éditeurs (Hachette, Deyrolle et Mazo). Pour soulager certaines familles aisées, précepteurs et pensions assistent les parents dans l'éducation des enfants, tandis que les enfants pauvres ou marginalisés prennent très tôt le chemin de l'atelier ou du magasin familial. Cette première scolarité est sanctionnée par le certificat d'études pour la plupart des enfants, tandis que seule une petite élite accède au lycée et aux études supérieures.

Après l'effort, le réconfort : les loisirs sont une affaire sérieuse pratiqués sous surveillance. Le jouet manufacturé mime la vie sociale ou la guerre, ou invite à l'initiation du pliage ou à constituer une collection. Toujours plus nombreux, ces jeux rivalisent d'ingéniosité et sont accessibles à toutes les bourses. Réalisés dans des matériaux modernes, certains joujoux sont équipés de mécanismes aboutis (animaux bêlants et poupées marcheuses). Si le dessin et la musique s'adressent tout particulièrement aux jeunes gens bien nés, la lecture demeure une source de progrès moraux, grâce à l'essor d'une littérature enfantine de qualité. Enfin, la rue est aussi source de spectacle, toujours sous l'oeil affûté du concierge ou du voisin. Des jeux comme celui du bouchon divertissent le plus grand nombre et les enfants sages étrennent les bateaux mécaniques ou le Théâtre de Guignol dans les jardins publics de la capitale.

 

L'exposition présentée trait également de l'enfance laborieuse, à une époque où les parents voient leurs progénitures comme des bouches à nourrir et les envoient au travail, même si, en 1873, le journal de la statistique de Paris évoque le fait comme exceptionnel. La règle générale veut que l'enfant aille à l'école ou en apprentissage mais les maigres ressources du couple pousse souvent à faire participer les enfants aux charges de la famille. En apprentissage, le gamin assiste l'ouvrier. Les trois-quarts des apprentis sont engagés sans contrat écrit et il devient alors délicat de distinguer l'apprenti de l'aide à l'enfant. Ce contrat d'apprentissage devient en fait un véritable contrat de famille, reconnaît le ministre de l'Agriculture et du commerce en 1851. Au point que la législation en matière de travail infantile se heurte à la prérogative et la puissance paternelle. La loi de 1841 parvient malgré tout à ouvrir une brèche en retardant l'âge de l'embauche à huit ans, du moins pour les entreprises qui emploient plus de vingt salariés. Quant au travail journalier, il est limité à huit heures avant douze ans, et le travail de nuit, interdit avant treize ans. Pour l'Etat, il est impératif d'élever le niveau d'instruction de l 'enfant et l'obligation scolaire gratuite est imposée aux enfants de six à treize ans, par la IIIè République.

Indispensable à la survie du groupe, l'entraide familiale mobilise les forces productives dès le plus jeune âge et à l'écart de tout contrôle. La spéculation immobilière qui sévit depuis l'Empire n'arrange pas les choses : on surélève et on divise les étages des vieilles maisons du centre de Paris et tout l'immeuble fourmille d'activités. L'enfant alterne alors l'école et le travail en chambrée, chez le bottier ou le fabricant de couronnes, et travaille prfois jusqu'à plus d'heure.

Délinquance et vagabondage touchent bien sûr cette jeunesse et il arrive que l'ancien galopin qui vaquait ici et là à de multiples tâches se transforme en polisson industriel, friand de plaisirs gratuits et autres spectacles et boniments. La législation sur le vagabondage se durcit alors au rythme de la scolarisation et de la réglementation du travail infantile. Après l'insurrection de 1830, on devine un émeutier derrière chaque garnement et l'on prend conscience que la déviance juvénile dépend du milieu socio-familial. Rapidement, la peur de la criminalité organisée et de la fureur cellulaire entraine l'apparition d'une prison punitive et dissuasive. Celle de la Petite-Roquette reçoit ainsi les vauriens de peine légère et les femmes. Les premiers jeunes détenus de la Maison d'éducation correctionnelle, âgés entre sept et vingt ans, arrivent dès 1835. Trente ans plus tard, et à la faveur de la visite d'une prison par l'impératrice Eugénie, on s'émeut du traitement d'isolement des détenus et l'administration envoie les mineurs s'amender dans les colonies agricoles. Quoi de plus rédempteur que le travail ?

 

Les naissances difficiles, les infections et les maladies, sans parler de la promiscuité et des accidents domestiques, font du parcours du petit enfant un âpre combat. En l'absence de progrès suffisants de la médecine, un nourrisson sur six décède quelques jours seulement après sa naissance. En situation critique, le parent réchauffe et accompagne l'enfant, tandis qu'à Paris, les lieux saints cumulent les fonctions de sacrements pour l'enfant expirant, les prières des enfants chétifs et les ex-voto apportés en grâce par les femmes accouchées. L'inhumation des enfants, elle, se conforme à une liturgie particulière. De la veillée au convoi, le blanc domine et la sépulture est ornée de fleurs, de fûts brisés et de pleurants. De longues épitaphes expriment la détresse de ceux qui restent et des compositions montrent le petit défunt endormi dans une attitude naturelle. Dès 1840, la photographie permet à la famille de conserver chez elle le portrait de l'être perdu, un portrait qui est souvent conservé avec d'autres objets et une mèche de cheveux de l'enfant disparu. Autre forme d'hommage : l'attribution au nouvel enfant à naitre du même prénom que celui de son aîné.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Gamins & Poupardes – Enfances parisiennes au 19è siècle » , jusqu'au 29 mai 2022, à la Tour Jean sans Peur, 20 rue Etienne Marcel (Paris 2è). Tél : 01 40 26 20 28. www.tourjeansanspeur.com
  • Mes vifs remerciements à Agnès Lavoye et à son équipe pour leur collaboration.









 



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