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Le Port-musée de Douarnenez
(Finistère, France)
Heure locale

 

Lundi 9 mai 2022

 

Valérie m’ayant invité à lui rendre visite à Telgruc-sur-Mer (29), nous avons mis cette occasion à profit pour découvrir le port-musée de Douarnenez, charmante petit cité finistérienne. En ce mois d’avril, nous nous garons aisément sur le port, près de la place de l’Enfer, ainsi nommée car les eaux usées se déversaient ici jadis dans la vase du port Rhu. Cet endroit était alors le refuge de plusieurs chantiers navals qui construisaient canots de pêche (sardiniers, puis plus tard des annexes de mauritaniens), pinasses sardinières et palangriers-thoniers. Quant au port-musée, il trouvera son origine grâce à la mobilisation des lecteurs de la célèbre revue « Chasse-Marée » en 1981.

 

Depuis quelques temps était apparu un phénomène de renouveau de la culture maritime douarneniste, à l’initiative d’un mouvement composé d’individus passionnés et de quelques associations regroupés en 1979 autour de la Fédération régionale pour la culture maritime. De cet ensemble d’énergies conjuguées (la mobilisation de l’association de Treizour, l’appel de la revue « Chasse-Marée », l’initiative de la FRCM et l’appui de la municipalité) naitra en 1986, le musée du bateau.

Pas question de s’arrêter en si bon chemin, puisque l’année suivante, le « Chasse-Marée » présentera un avant-projet intitulé « Douarnenez-Port de mer », proposition qui trouvera rapidement un écho favorable auprès de la mairie, laquelle lancera les travaux du bassin à flot en septembre 1991, bassin inauguré dix mois plus tard. Et c’est tout naturellement que le port-musée ouvrira ses portes au public en mai 1993.

 

Avant la construction du bassin à flot, l’eau se retirait du port avec la marée. Désormais, un seuil à marée permet de conserver à tout moment un minimum de 3,70 mètres de tirant d’eau dans le bassin tandis qu’une porte d’accès de 10 mètres de large autorise l’entrée de voiliers traditionnels comme le «Belem ». Aujourd’hui, le Port-musée est une collection exceptionnelle de référence nationale, de bateaux et d’objets maritimes répartis sur 1500 m2 de collection permanente, 1300 m2 de collection temporaire et sept bateaux à flot (dont quatre sont accessibles au public).

 

Valérie et moi longeons le quai d’où on aperçoit notre premier navire, « Le Roi Gradlon », baliseur et bateau-atelier (en photo ci-dessous) : Ce navire sera chargé de l’entretien des phares et balises dans les eaux du Morbihan jusqu’en 2014. Construit en 1948 au Havre, il sera d’abord affecté à Brest pour assurer la liaison maritime vers l’île d’Ouessant. Puis, il sera rattaché au port de Lorient en 1952, pour entretenir les établissements de signalisation maritime du littoral. Egalement bateau-atelier, « Le Roi Gradlon » effectuera une grande diversité de tâches (changement de bouées, travaux de maçonnerie...) grâce à ses larges cales qui lui permettaient de stocker suffisamment de matériel pour des missions longues et d’héberger durablement l’équipage sans avoir besoin de rentrer au port. Aujourd’hui, le navire est la propriété de l’Armement des Phares et Balises qui effectue son carénage tous les deux ans.


 

Une promenade sur la jetée permet de distinguer le « Anna Rosa », qui transporta autrefois la rogue depuis la Norvège jusqu’à Douarnenez : la rogue désignait les œufs de morues qui servaient d’appât pour attirer les sardines dans les filets. N’oublions pas que Douarnenez sera la capitale de la sardine et aussi un port de commerce important, du milieu du XIXème siècle à 1970.Y transitaient annuellement, pour les besoins des sardiniers, près de 15 000 tonnes de marchandises : rogue venue de Norvège, huile d’olive d’Italie ou d’Espagne, goudrons, bois de construction, planches, fûts, sels et glace venue des fjords du nord de l’Europe. Plus de 300 navires accostaient alors ici et les échanges entre les ports de Norvège et les ports du Finistère étaient si importants que de nombreux Norvégiens choisiront de s’installer à Douarnenez. Des liens étroits existeront même entre la cité finistérienne et la ville de Bergen, et un vice-consulat norvégien sera créé dans la cité douarneniste, et maintenu jusqu’en 1972.

Le « Anna Rosa » est une galéasse norvégienne construite en 1892 en Norvège.. Ce type de caboteur à voile, très robuste, se livrera au début du XXème siècle au commerce de la rogue et de la morue séchée. Ces galéasses livreront aux ports sardiniers bretons des tonnes de rogue, produit obtenu en conservant dans le sel les ovaires de morues. La sardine, très friande d’oeufs de morues, remontaient alors en surface pour se nourrir de ce mélange à base de farine et de rogue de morue.


 

Autre bateau : « Dieu Protège », une gabarre sablière, bateau de charge qui prélevait du sable en mer d’Iroise et le livrait à Brest. Acquis par le Port-musée en 1990, ce navire, qui a bénéficié d’une restauration fin 2008, a la particularité de disposer d’une cale entièrement vaigrée (doublée intérieurement), c’est à dire une cale lisse, sans recoins et donc facile à vider et à nettoyer.

Juste à côté, se trouve le « Saint-Denys », unique remorqueur à vapeur visitable en France. Anciennement baptisé « Northgate Scot », il porte désormais le nom de Saint-Denys, en hommage aux saints de Cornouailles. Construit pour la force, et non pour la vitesse, l’embarcation offre une puissance de remorquage de dix tonnes, avec une machine à soupapes soulevantes de 790 CV à triple expansion et son hélice de près de trois mètres de diamètre. Son rôle étant alors de fournir un service aux autres navires, il stockait à son bord de l’eau, et pouvait aussi bien servir de baraquement (dock flottant) que de « bateau pompier ».


 

Outre ces quatre navires, les visiteurs ont le loisir d’observer également le boutre arabe « Nizwa », originaire du sultanat d’Oman, « L’An Eostig », une chaloupe sardinière de 1993, le « Flimiou », ancien bateau du service du port et le bateau goémonier « L’Estran », qui exploitait les laminaires au large de l’île de Sein. Le musée possède également d’autres embarcations dans sa réserve : Le « Scarweather », un bateau-feu d’origine anglaise, un bateau de survie du porte-conteneurs «Rokia Delmas », échoué en 2006, le « Richard-Marika », fileyeur palangrier, le « Notre-Dame des Vocations » thonier d’Audierne de 1962, le « Notre-Dame de Rocamadour », langoustier breton de 1959 et le « Northdown », barge à voile de la Tamise datant de 1924 (désormais au cimetière des bateaux de Port-Rhu, faute d’avoir été restaurée.

Notre promenade sur cette partie extérieure sera enfin agrémentée par plusieurs sculptures de balises réalisées par des étudiants du lycée Vauban de Brest (29). Un moyen de participer à l’exposition Artbalise actuellement présentée au public.

 

Installé dans une ancienne conserverie de sardines, Place de l’Enfer, la partie terrestre du Port-musée offre d’admirer une impressionnante collection de bateaux premiers, bateaux de plaisance, bateaux de pêche et une multitude d’autres objets. D’entrée, nous découvrons que la flottille sardinière de Douarnenez était autrefois composée de centaines de chaloupes, lesquelles étaient généralement la propriété des patrons pêcheurs : en 1865, 191 d’entre eux en possédaient (puis 552 en 1875 et 776 en 1904) avant d’être plus tard rejoints par près de 600 industriels des conserverie qui armaient aussi ce type d’embarcation dès 1865. Deux d’entre elles restent gravées dans ces mémoires de bateaux puisque reconstituées depuis : Telenn Mor et An Eostig.

La visite débute bien sûr avec la présentation de bateaux premiers, et les matériaux utilisés de tous temps par l’homme pour construire des engins flottants. Et notre regard de croiser plusieurs types d’embarcations, curragh irlandais, bateau panier circulaire mésopotamien, pirogues antiques...Quant aux matériaux, ils sont des plus divers : troncs d’arbres creusés pour faire une pirogue, utilisation d’écorces, de cuir, de bambou ou de toile pour crée la coque du bateau.

Je m’arrête soudain devant une embarcation conçue pour pêcher les poissons volants, dite Tatara, et construite selon le procédé traditionnel utilisé sur l’ile Lanyu (au large de Taïwan). Au départ, un axe central de trois pièces, de part et d’autre duquel on assemble 19 planches de bois à l’aide de chevilles en bois. Trois couleurs, blanc, rouge et noir recouvrent chevrons, volutes et soleils sculptés, tandis que des dessins géométriques circulaires à l’avant de l’embarcation représentent les yeux du bateau. On reconnaît également Magomaog, le héros légendaire qui aurait appris aux Yamei la construction navale.

Une salle de la maquette déploie le port du Rosmeur, port de pêche de Douarnenez en 1910. Un port qui compte déjà jusqu’à 800 chaloupes dès 1911, des voiliers de travail de conception simple mais efficace. A l’époque, les aléas de la pêche à la sardine imposent la pratique de pêches alternatives comme la sardine de dérive, la raie en hiver, ou le maquereau de ligne ou de dérive au printemps. L’été, on pêche la sardine au « filet droit ». La cité compte alors un tiers de ses habitants (soit 4560 âmes) inscrits au registre maritime, sur une population totale de 15 000 habitants en 1910.


 

Plus loin, je découvrirai que la maitrise des deux seules énergies propulsives connues jusqu’au XIXème siècle, c’est à dire le vent et le muscle, entraine la conception de trois familles de bateaux spécifiques :

 

  • ceux armés au transport, plus ventrus, hauts sur l’eau et largement pourvus de voiles.

  • Les voiliers armés à la pêche, dotés d’une grande variété de formes de gréements et de voilures.

  • Les bateaux de plaisance, taillés pour la vitesse, maniables et confortables.

 

Une salle des gréements, aménagée dans les immenses bâtiments de l’ancienne conserverie douarnetiste permet d’observer une mosaïque de flottilles locales témoignant de la richesse des milieux maritimes. Très vite, on distingue deux types de gréements :

 

  • ceux équipés d’une voile carrée (trapézoïdale), la plus ancienne et la plus simple, mais aussi puissante.

  • Ceux dotés d’une voile aurique, fruit d’étapes successives appliquées selon l’endroit des bassins de navigation. Parfois de forme triangulaire ou axiale en Méditerranée, au tiers ou à corne pour l’Atlantique ou la Manche, ou à livarde pour les mers nordiques, la voile aurique découle souvent de la voile carrée et permet au marin de remonter au vent et de tirer des bords au près du vent.

 

Un espace conserverie complète enfin le parcours dans ce musée maritime de la ville de Douarnenez, qui demeura longtemps « Capitale de la sardine ». La sardine fut en effet le premier poisson à être mis en boite industriellement grâce à la découverte de la stérilisation par Nicolas Appert. Un véritable bassin sardinier s’étendra alors de la Bretagne au Pays basque, bordé par une multitude de conserveries en bord de mer. De trois usines en 1860, Douarnenez en dénombrera près de trente vingt ans plus tard. Produit de luxe à la fin du XIXème siècle, la petite boite de conserve s’imposera bientôt dans le quotidien des Français.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Port-musée, Place de l’Enfer, à Douarnenez (29). https://www.port-musee.org
  • Exposition temporaire «ArtBalise » jusqu’au 6 novembre 2022, dans la partie intérieure du musée (Place de l’Enfer). Cette ambitieuse exposition d’art contemporain regroupant une cinquantaine d’artistes en lien avec le sculpteur métal à l’initiative du projet, Fred Barnley, autour du thème de la signalisation maritime.

  • Mes remerciements aux équipes du Port-musée pour leur charmant accueil.









 



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