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Exposition "Vous n'irez plus danser! Les bals clandestins
(1939-1945)" (Musée national de la Résistance, Champigny-sur-Marne, Val-de-Marne, France))
Heure locale

 

Lundi 10 octobre 2022

 

 En ce mois de mai 1940, les Français découvrent l’interdiction des bals sous toutes leurs formes. C’est le début du régime (sec !) de Vichy qui prohibe la danse sur l’ensemble du territoire national. Cette privation de ce qui était alors le loisir majeur de la jeunesse française de l’entre-deux-guerres perdurera jusqu’en avril 1945. Et empêcheurs de « danser » en rond, rabat-joie, trouble-fête et autres bonnets de nuit d’être à la manœuvre pour empêcher, réprimer et sanctionner les citoyens en raison du caractère immoral des bals. Qu’à cela ne tienne ! Le bal va devenir clandestin, transgressant ainsi les ordres tout en maintenant coûte que coûte valeurs et liens sociaux. La vie n’est-elle pas plus forte que tout ?

 

En cette période d’entre-deux-guerres, la France connaît es bouleversements : sortie durablement blessée de la guerre 1914-1918 qui fit passer de vie à trépas des centaines de milliers de compatriotes, notre nation éprouve le besoin de se changer les idées.

1936 connaitra tour à tout l’instauration du Front populaire (autour du slogan « Pain, Paix, Liberté »), grèves et manifestations ouvrières, instauration de la semaine de travail de 40 heures, des deux semaines de congés payés, de réformes culturelles et sociales et de l’augmentation des salaires.

On aspire à une vie meilleure après la « boucherie de 14-18 » et les bals populaires sont de la fête. La danse ne tardera d’ailleurs pas à devenir le principal loisir de masse de l’époque. 

Âge d’or du bal, on parle alors de dansomanie et l’on assiste à la multiplication des lieux où l’on danse tandis que les dancings élargissent leurs horaires d’ouverture jusqu’au petit matin.

Chaque lieu possède sa clientèle : la bourgeoisie se retrouve dans les salons privés des hôtels et les dancings de luxe, tandis que la classe ouvrière, elle, accompagne souvent les grèves de 1936 de quelques pas de danse sur un air d’accordéon tout en se ruant dans les guinguettes et les bals musette le dimanche.

La danse devient bientôt accessible à une majorité de Français, ce qui aura un impact direct sur les sorties au bal.


 

Le moindre prétexte justifie l’organisation d’un bal là où l’on se trouve. On en relève différents types puisque les bals privés accompagnent les moments clés de la vie de famille comme, par exemple, les noces. 

Lorsqu’ils ont lieu le dimanche, ces bals « dominicaux » accueillent un public qui vient s’amuser entre amis. D’autres accompagnent systématiquement les réjouissances publiques comme lors de la Fête du 14 juillet, mais aussi les fêtes votives et populaires.

A la campagne, de nombreux entrepreneurs de bals ambulants proposent la prestation d’un orchestre et l’installation de pistes de danse démontables au cœur des villages.

Dans le même temps, les villes voient leurs cafés aménager estrades et balcons intérieurs qui transforment certains établissements en véritables dancings.

Lina Margy ne tardera pas quant à elle, à interpréter la chanson « Ah le petit vin blanc » : cette partition publiée en 1943 connaitra un succès tel que plus d’un million d’exemplaires dudit morceau sera vendu. Le refrain (Ah le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de Nogent) n’évoque-t-il pas les guinguettes populaires des bords de Marne, comme le dancing « Chez Convert » à Nogent ?


 

 

Peu à peu, le répertoire va évoluer en incluant aux danses déjà existantes (valse, java, one-step et paso-doble) de nouvelles danses venues d’outre-Atlantique : tango, fox-trot et rumba déferleront ainsi sur l’hexagone dans les années 1920-1930. 

L’avènement de la TSF et de nouvelles émissions musicales contribueront à populariser ces nouveaux rythmes, grâce, entre autres, aux échanges de partitions et aux professeurs de danse eux-mêmes formés à la pratique de ces nouvelles danses au sein de la capitale.

Cependant, ces nouveaux tempos aux origines métissées ne feront pas l’unanimité et seront vite condamnés par la morale (chrétienne) qui dénonce le rapprochement et l’entrelacement des corps.

La trêve ne durera que quelques années puisque la guerre sera de nouveau déclarée le 3 septembre 1939 : en effet, dès le 1er septembre, les troupes allemandes et slovaques attaquent la Pologne, et ce, sans déclaration de guerre préalable. 

On parle alors de « Blitzkrieg » (guerre éclair) avec utilisation intensive de chars et de l’aviation.

Cette entrée de la France dans ce nouveau conflit n’a, dans un premier temps, que peu d’influence sur l’organisation et la tenue de bals.

Seules quelques interdictions locales sont alors prononcées par certains préfets mais l’absence de combat durant cette « drôle de guerre » (sans combat) conduira rapidement à un relâchement provisoire. Il faudra attendre l’offensive allemande du 10 mai 1940 pour amener Georges Mandel, ministre de l’intérieur de l’époque, à interdire les bals dix jours plus tard.

Et le maréchal Pétain de condamner dans son discours du 20 juin 1940 « l’esprit de jouissance » qui aurait conduit à la défaite en corrompant la société française et ses jeunes. Dès lors, la répression des bals deviendra systématique.


 

 

Cette répression trouve ses racines dans notre histoire ancienne : autrefois, les autorités civiles et religieuses considéraient que les bals troublaient la tranquillité publique tout en nuisant aux bonnes mœurs et en mettant en péril la vertu des jeunes filles avant le mariage.

Ce n’est qu’au début du 20ème siècle que la situation évoluera en faveur des bals, lesquels deviendront dès lors intouchables, notamment grâce au soutien de la presse, mis à part de rares suspensions temporaires prononcées durant le premier conflit mondial. Seule la détermination du régime de Vichy à vouloir moraliser l’espace public aura raison des bals populaires.

L’esprit français de résistance ne tardera pas, lui aussi, à s’imposer avec l’organisation de bals clandestins : ces bals se rencontreront essentiellement en milieu rural et les gendarmes auront fort à faire pour les réprimer, à savoir faire cesser la fête, puis dresser un procès-verbal.

Qu’ils soient à pied ou à vélo, les gendarmes ont l’ouïe suffisamment fine pour détecter les bals en localisant par exemple le son d’un accordéon ou en repérant des groupes de jeunes gens rejoignant une grange. Comptant (déjà) sur la délation, ou se fondant sur la rumeur locale, la Maréchaussée s’efforce de formaliser le délit, lequel sera ensuite jugé par le Tribunal de simple police présidé par un juge de paix.

La sanction pouvait alors aller d’une simple amende à une peine d’emprisonnement et visait presque exclusivement les organisateurs, les musiciens et les propriétaires de cafés et d’hôtels. Ces derniers pouvaient alors être condamnés à une fermeture administrative, voire à un internement administratif en cas de récidive.


 

 

2 mai 1941, en zone occupée : les Allemands laissent à nouveau aux autorités françaises le soin d’autoriser et de surveiller les bals populaires, ne maintenant la pression que sur l’enseignement de la danse, pour lequel l’occupant exige la mise en place d’un examen professionnel de professeur de danse.

De son côté, le régime de Vichy, qui craint que les cours de danse ne se transforment en bal clandestin, les maintient malgré tout afin d’encourager les jeunes gens à l’apprentissage de certaines danses (folkloriques). Avec le temps, il apparaitra que la plupart des cours de danse parisiens serviront de couverture à des bals clandestins. En ce qui concerne ces bals, les Allemands font montre d’une relative indifférence selon les endroits, pourvu que leurs intérêts ne soient pas remis en cause.

Mais qui sont les participants aux bals clandestins ?

Ce sont en grande majorité des jeunes issus des milieux populaires qui se tiennent informés par le bouche à oreille.

On se rend à ce genre de divertissement en costume du dimanche, à pied ou à vélo. Ces bals ont souvent lieu le dimanche après-midi ou le dimanche soir (et peuvent s’éterniser jusqu’au petit matin) dans des lieux discrets (grange, maison inhabitée ou des lieux insolites comme un cinéma, un tunnel ou une école !).

Notons au passage qu’hommes et femmes ne s’y rendent généralement pas pour les mêmes raisons : les premiers espèrent y faire des rencontres tandis que les secondes prétendent y aller par amour de la danse. Quoiqu’il en soit, les flirts entamés sur place se concluent parfois par des mariages.

Les organisateurs de ces bals sont souvent des femmes (patronnes de débits de boissons, musiciennes…), lesquelles doivent trouver un accordéoniste, et dénicher un lieu approprié.


 

 

Un autre volet de l’exposition traite de l’atmosphère des bals clandestins en bord de Marne, grâce au concours d’acteurs municipaux et régionaux, ainsi que de collectionneurs privés : on peut ainsi admirer de nombreux objets d’époque, cartes postales, partitions et instruments de musique émanant la plupart du temps de dons effectués par des particuliers.

Est aussi évoqué le besoin de danser jusqu’à l’intérieur des lieux d’internement en France comme on peut le voir à travers des dessins réalisés par des résistantes et des résistants détenus au camp des Tourelles, à la prison de la Santé à Paris ou bien à la centrale pénitentiaire d’Eysses de Villeneuve-sur-Lot.

Parlons justement de la Résistance qui entretient un rapport ambivalent avec les bals clandestins lors de l’apparition des premiers maquis dans les principaux massifs de la zone sud dès 1943 : surtout organisés en milieu rural, ces bals peuvent parfois servir de camps de recrutement ou de passage d’informations, de lieux de collecte…

De juin à août 1944, l’arrivée des Alliés donnera lieu à des scènes de joie dans les villes et les villages français, et ce, jusqu’à l’annonce de la capitulation allemande le 8 mai 1945.

L’exposition nous permet enfin d’observer un groupe électrogène offert par des soldats américains à la patronne du restaurant Chez Charlot (Place de Clichy, à Paris) afin de poursuivre le bal en cas de coupures de courant.

Malgré le débarquement, l’interdiction des bals perdurera durant le gouvernement provisoire de la République car d’autres préoccupations plus urgentes s’imposent à la libération comme des défilés d’hommes armés, de femmes tondues ou de collaborateurs et exécutions sommaires.

Pourtant, dès la libération de Paris en août 1944,la question des bals clandestins se posera et le ministre de l’intérieur de l’époque rappellera aux préfets leur interdiction.

Il ne peut en effet être question d’autoriser la danse dans un pays meurtri et, qui plus est, toujours en guerre.

Des dérogations (bals organisés au profit d’œuvres de bienfaisance, à l’occasion de fêtes traditionnelles locales…) seront toutefois accordées, jusqu’au 30 avril 1945, date à laquelle la « liberté de la danse » sera finalement rétablie sur l’ensemble du territoire français.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition «Vous n’irez plus danser ! Les bals clandestins (1939-1945) » jusqu’au 2 avril 2023, au Musée de la Résistance nationale, Site Aimé Césaire, 40 quai Victor Hugo, à Champigny-sur-Marne (94).








 



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