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Exposition "Hokusai, Voyage au pied du mont Fuji"
(Musée départemental des Arts asiatiques, Nice, Alpes-Maritime, France)
Heure locale



Lundi 21 novembre 2022

 

Nous avons tous, un jour, admiré la Vague, cette magnifique œuvre de Hokusai, ce vieil homme fou de peinture. Symbole japonais par excellence, « Sous la vague au large de Kanagawa » (titre de l’oeuvre) est le fruit d’une rencontre entre l’Asie et l’Occident.

Transcendant les frontières (voire les transgressant), cette vague était pourtant audacieuse au moment de sa création car l’époque d’alors était peu propice aux échanges du fait de la fermeture du Japon. C’est pourtant à Hokusai que le Musée des arts asiatiques de Nice (06) consacre la présente exposition « Hokusai, Voyage au pied du mont Fuji », à découvrir jusqu’au 29 janvier 2023.

 

A travers 126 estampes de Katsushika Hokusai issues de l’exceptionnelle collection de Georges Leskowitz, l’exposition se penche sur un aspect peu connu de la production du maitre, à savoir le paysage.

Omniprésent dans l’estampe japonaise, celui-ci prend une nouvelle dimension dans l’oeuvre de Hokusai qui en renouvelle les codes dès les premières années de sa carrière, et avant de révolutionner le genre dans les séries des années 1830 auxquelles appartiennent les célèbres Trente-six vues du mont Fuji, les Cascades et les Ponts.

 

Les estampes sélectionnées permettent ainsi d’évoquer la manière dont les Japonais apprécient et parcourent leur pays à l’époque d’Edo (1603-1868), en empruntant par exemple la route du Tokaido (que votre serviteur a parcouru en 2016 et à laquelle j’ai consacré plusieurs articles à retrouver sur ce site) alors qu’avec le développement du tourisme intérieur dans l’archipel, le voyage occupe une place de choix dans l’imagerie de l’ukiyo-e, ces images du monde flottant, des plaisirs fugitifs d’ici-bas.

 

Et Hokusai de se montrer sensible à la nature et à la variété des formes qu’elle peut revêtir, mais également à l’activité des hommes qui l’habitent, le contemplent ou la traversent.

 

A noter que l’exposition présente en outre huit carnets de la Manga et dix objets, supports de paysages ou conçus pour le voyage. Une invite à (re)découvrir les œuvres du grand maitre et à se confronter aux plus iconiques d’entre elles.

 

Le nom de Hokusai est désormais éternellement associé au paysage japonais. L’artiste a en effet non seulement exploré l’ensemble des thématiques de l’ukiyo-e mais aussi innové en intégrant dès les années 1780 la perspective occidentale dans des représentations de vues urbaines, de sites célèbres, d’architectures et de scènes historiques.

 

Publiés de 1814 à 1878, les quinze volumes de la Manga rassemblent plus de 3900 dessins de faune et flore, de paysages, de phénomènes atmosphériques et de scènes de la vie quotidienne rurales et urbaines. L’homme montre ainsi sa maitrise du paysage dans ses moindres détails.

 

Au cours des années 1830, Hokusai travaille sur des séries dans lesquelles le paysage n’est plus qu’un simple décor mais bien un sujet à part entière. En s’appuyant aussi bien sur les traditions chinoise et japonaise que sur les apports occidentaux, il place sur le devant de la scène ce qui se trouvait jusqu’à présent en arrière-plan. Inventif et rigoureux dans ses compositions, il adapte le format, l’échelle et le cadrage d’après son propos, se concentrant même sur les activités de l’homme dans son environnement sur certaines estampes.

 

Sur d’autres, il opte pour des plans plus larges afin de mettre en valeur le relief ou de grandes infrastructures. Il prend enfin de la hauteur avec ses vues à vol d’oiseau, décrivant des régions entières de manière extrêmement détaillée.

 

L’exposition présente également trente-six estampes (sur les quarante-six de la série complète) des « Trente-six vues du mont Fuji ».

 

L’oeuvre, dont l’impression est annoncée en 1831 par l’imprimeur Nishimuraya, est alors décrite comme une série à dominante de bleu, pouvant atteindre une centaine de gravures.

En fait, l’ensemble comportera 36 estampes de grand format horizontal dès 1830, complété de dix vues supplémentaire en raison de son succès.

 

Dans cette œuvre, hokusai rend hommage à la montagne sacrée, refuge de sanctuaires shintoïstes et source d’inspiration pour de nombreux artistes depuis le 8ème siècle.

Et le mont Fuji de devenir au fil des siècles un élément familier du paysage avec, au 17ème siècle, l’implantation et le développement de la nouvelle capitale à Edo.

 

De toute évidence, la publication des « Trente-six vues du mont Fuji » permettra au paysage de devenir un genre majeur de l’ukiyo-e : à travers chaque estampe se dévoile un nouvel aspect de la montagne, selon le point d’observation où l’on se trouve, la saison, le temps qu’il fait ou l’heure, tout en privilégiant tantôt le cadre naturel, tantôt les hommes saisis dans leur activité.

 

Techniquement, l’oeuvre est innovante par l’utilisation du bleu de Prusse, pigment synthétique inventé en Europe et tout juste introduit au Japon dans la mesure où cette teinte permet d’étendre la gamme des tons et les effets de dégradé. Ensuite, Hokusai alterne, ou associe dans une même vue les techniques de composition occidentale (perspective linéaire à point de fuite et lignes convergentes), japonaise (vision frontale d’un objet au premier plan et plans étagés horizontalement) et chinoise (contrastes entre le vide et le plein,combinaison du statisme et du mouvement). Enfin, il se détache des vues traditionnelles de sites célèbres (meisho-e) pour privilégier des paysages aux cadrages originaux, voire insolites, mais tous différents au sein d’une même série.


 

Lors de sa visite, le spectateur admirera le Tokaido ou « route de la mer de l’Est » qui relie Edo, capitale shogunale depuis 1603, à Kyoto, la capitale impériale. 53 relais de poste offrent toutes les infrastructures et services indispensables aux voyageurs (auberges, restaurants, écuries, commerces, maisons de plaisir, guides, porteurs) tout en servant de points de contrôle.

 

Il faut au moins deux semaines pour parcourir les 500 km de cette route parfois périlleuse, que ce soit à pied, à cheval ou en palanquin. Les seigneurs (daïmio) avec leurs suites, qui sont à l’époque contraints de résider à Edo un an sur deux, y croisent samouraïs, messagers, pèlerins, marchands et gens du peuple.

 

Hokusai produit sept séries d’estampes et un livre illustré sur ce thème entre 1802 et 1810, dont « La Clochette des relais » publiée vers 1805-1806, œuvre présentée dans l’exposition. Cet ensemble, le seul de format moyen vertical, dépeint les habitudes et les mœurs des voyageurs dans un décor dont l’apparence est ici secondaire.

1818 verra la réalisation par l’artiste d’une vue à vol d’oiseau de cette même route du Tokaido, avec le nom des étapes et des lieux célèbres à visiter dans les environs.

 

Cette fois, Hokusai s’est inspiré de Kugawata Keisai, tout en poussant bien plus loin le souci du détail lors de la composition de ce style de vues (l’artiste en produira en tout et pour tout six au cours de sa carrière).


 

En 1820, alors que débute un nouveau cycle astrologique de soixante ans, Hokusai prend le nom de litsu (qui signifie âgé à nouveau d’un an). Dix années plus tard, il réalise trois courtes séries qui resteront parmi ses œuvres les plus célèbres, qui prennent pour thème les paysages, les sites remarquables et la littérature classique.

 

Dans les 11 estampes des « Ponts célèbres et remarquables des diverses provinces » (œuvre de grand format horizontal), l’artiste s’attarde sur la structure de ponts plus ou moins connus, réels ou imaginaires, dont les formes sont mises en valeur par la composition géographique d’ensemble.

 

Les 8 estampes verticales du « Voyage au fil des cascades des différentes provinces », elles, cherchent à reproduire les différents aspects que prend l’eau dans sa chute (rideau, vagues, écume, brume, gouttelettes) dans de savants effets graphiques et jeux de polychromie.

 

Quant à la série « Miroir véritable des poètes de Chine et du Japon » conçue en dix estampes, elle met en valeur des poètes ou autres personnages dans de somptueux décors, déployés sur un long format vertical, et avec le bleu de Prusse comme couleur dominante.

 

C’est en 1835-1836 que Hokusai (sous le nom de Manji – âgé de dix mille ans-) entreprend de traduire en images cent poèmes waka réunis en anthologie au début du 13ème siècle, très populaires et connus grâce aux jeux de récitation. La nourrice invoquée dans le titre permettra à l’artiste d’éviter d’illustrer les textes à la lettre.

Cette série reste inachevée, probablement en raison de son hermétisme et de la crise économique qui frappe le pays à ce moment-là.


 

Dix objets présentés dans l’exposition font écho à l’oeuvre de Hokusai en livrant moult détails sur la vie quotidienne à l’époque d’Edo, les habitudes des voyageurs et les paysages de l’archipel.

 

Parmi ces objet, notons un costume de théâtre No du 18ème siècle, qui présente un décor de paysage de rivière, glycines et pins, finement brodé en fils de soie.

On trouve également un nécessaire à écrire de la fin du 18ème siècle, en laque d’or et d’argent, orné de grues en vol ou posées sur la rive d’un cours d’eau.

A l’inventaire, on note trois okimono et un manche d’ombrelle en ivoire, sculptés sous l’ère Meiji. Probablement destinés à une clientèle occidentale en pleine vague de « japonisme » dont les décors renvoient aux activités agricoles et maritimes.

 

Le visiteur peut aussi admirer un manteau de pluie en fibre de palmes du 20ème siècle, d’origine chinoise, qui rappelle les vêtements de protection rustiques (mino) que portent les paysans lors des intempéries (pluie, neige), tels que Hokusai les a représentés dans la Manga ou sur ses estampes.

 

Certains de ces objets sont indissociablement liés au voyage, comme le manteau-armure exceptionnel présenté, qui date du 19ème siècle, et qui est recouvert d’une cotte de mailles ornée de plaques de fer dorées. Cet objet relève des armures pliables de voyage transportées par les daimios et les samouraïs.

Parmi les autres objets, remarquons une paire d’étriers en acier et laque de l’époque d’Edo, un palanquin du 19ème siècle, conçu pour conduire une future mariée de haut rang au domicile jusqu’au domicile de sa nouvelle famille. L’intérieur de celui-ci est orné d’un décor floral sur papier peint.


 

 

INFOS PRATIQUES :

 

 

  • Conférences : « Dessiner pour apprendre. Les manuels didactiques du Vieux fou de dessin » (samedi 26 novembre, à 15h30), « Le kimono dans la vie des Japonais » (dimanche 4 décembre 2022, à 15h30), « Sur la route de la mer de l’Est avec Hokusai » (samedi 14 janvier 2023, à 15h30)

 

  • Catalogue de l’exposition, 160 pages, 29€, en vente sur place.

 

 









 



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