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Exposition "Kimono"
(Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris, France)
Heure locale

 

 

 

Lundi 13 mars 2023

 

L’exposition « Kimono » que le Musée du quai Branly présente au public jusqu’au 28 mai prochain se veut sortir des sentiers battus et des clichés habituels en battant en brèche les lectures réductrices d’un patrimoine vestimentaire reconnaissable entre tous.

Le kimono est alors restauré dans son historicité en mettant en exergue ses motifs, ses arrangements et les tissus qui le composent tout en replaçant le vêtement dans son contexte temporel et géographique. Au fil des pièces exceptionnelles (dont certaines sont exposées au musée), le kimono se livre en emblème d’un Japon à la fois influenceur et influençable.

 

Le musée nous convie à un exposition dont le parcours regroupe pêle-mêle près de 200 kimonos, vêtements inspirés du kimono et objets associés, dont certains sont pour la première fois exposés en France.

 

Il s’agit là de retracer l’histoire de ce vêtement depuis le début de l’époque Edo (XVIIème siècle) et d’insister sur le grand dynamisme d’un habit trop longtemps perçu comme traditionnel et immuable mais dont l’influence sur nos contemporains à travers le monde ne se discute plus.

 

Vêtement iconique, le kimono représente le symbole japonais ultime et incarne la culture et la sensibilité nationales.

 

Il est vu également par certaines personnes comme un fascinant objet exotique. Et c’est pour ces raisons que ladite exposition choisit de renverser ce regard pour souligner à la fois sa fluidité et sa capacité à s’adapter à la mode, au Japon ou ailleurs.

 

C’est le moins qu’on puisse dire, Anna Jackson et Joséphine Rout, les deux conservatrices ayant travaillé sur ce projet, n’ont pas lésiné sur les moyens :

 

le visiteur peut en effet admirer des pièces rares et remarquables, dont un kimono créé par Kunihiko Moriguchi, « trésor national vivant » au Japon, mais aussi des tenues célèbres associées à la culture populaire comme, par exemple, les costumes originaux de « Star Wars ».

 

On trouve enfin des créations de Paul Poiret, Yohji Yamamoto et John Galliano, qui démontrent l’importance du kimono dans le processus d’inspiration pour les grands couturiers.

 

 

C’est sous l’ère Edo (1603-1868) que le kimono s’épanouit au pays du soleil levant.

 

Cette période, marquée par une stabilité politique, une croissance économique et une expansion urbaine sans précédent fait de Kyoto le centre d’un artisanat de luxe du kimono, qui se conjugue bientôt avec le dynamisme commercial de sa voisine Osaka.

 

A l’orée du 18ème siècle, le regard se tourne vers Edo (actuelle Tokyo), où s’entremêlent divertissement, glamour et érotisme pour donner naissance à une culture surnommée ukiyo (ou monde flottant). Et la mode de constituer alors une force sociale et économique majeure au Japon.

 

La majorité des kimonos conservés de cette époque Edo correspondent à des tenues de luxe vendues dans des boutiques spécialisées, lesquelles confectionnent les commandes spécifiques d’une élite fortunée tandis que les classes plus modestes s’y procurent le tissu pour fabriquer leur propre habit.

 

Toutefois, c’est à la classe marchande, située au bas de la hiérarchie sociale japonaise, que l’on doit l’incroyable développement de la production de kimonos.

 

Durant la majeure partie de l’ère Edo, le Japon instaure une politique de repli sur soi, ce qui a pour conséquence de limiter sérieusement les échanges avec l’extérieur.

 

La Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, qui est autorisée à établir des liens commerciaux avec le Japon parvient cependant à y introduire des tissus tout en exportant des kimonos vers l’Europe sous l’ère Meiji (1868-1912).

 

C’est à ce moment-là que le pays s’ouvre timidement sur le monde. L’industrie textile se modernise alors et le commerce connait un essor fulgurant.

 

C’est tout naturellement que le kimono se répand dans le monde entier, une demande à laquelle les Japonais répondront en réalisant des tenues spécifiquement destinées à l’exportation.

 

En conséquence, le début du 20ème siècle imposera progressivement aux stylistes européens les formes droites et le drapé du kimono. Ce dernier brouillant au passage les limites entre ce qui est familier et ce qui est étranger, tout en s’inscrivant dans un double jeu d’influences entre le Japon et les pays occidentaux.

 

Quid des métamorphoses du kimono ?

 

Si l’habit est de moins en moins porté depuis l’ère Meiji, celui-ci reste plus que jamais le symbole de l’identité nationale et culturelle du pays après la Seconde Guerre mondiale et est désormais porté par beaucoup comme un costume de cérémonie réservé aux grandes occasions.

Dans son désir d’aider à la préservation des pratiques ancestrales, le gouvernement japonais attribue en 1955 aux créateurs le statut de « trésor national vivant », ce qui n’empêchera pas le kimono de rester en perpétuelle mutation, en étant par exemple adopté par le monde du spectacle nippon (et étranger) après la guerre.

 

Ceci s’explique sans doute par la capacité de ce vêtement à être déconstruit, puis restructuré, traduit ou modifié. Et le Japon assiste actuellement à une véritable renaissance de cette tenue, qui se caractérise par le port de kimonos anciens et stylisés dans la rue, par des jeunes que les incessants changements de la mode occidentale finissent par lasser, et du fait qu’une nouvelle vague de créateurs s’approprie le kimono de façon innovant, voire subversive.

 

Ainsi les adeptes qui arborent aujourd’hui ce vêtement ne le portent-ils pas tant comme un produit de la tradition que comme un objet de mode.

 

 

Le parcours de cette exposition dont le propos est de renverser l’habituelle vision traditionnelle du kimono pour insister sur la fluidité et la capacité de cet habit à s’adapter à la mode, au Japon ou ailleurs, est divisé en trois parties :

 

  • Le kimono au Japon

    Du temps de l’ère Edo, Kyoto devient le centre névralgique de la confection du kimono de luxe, grâce à son esprit créatif mais aussi à la proximité de la dynamique ville d’Osaka.

     

    Puis, au début du 18ème siècle, l’attention se déplace vers Edo (l’actuelle Tokyo), ville la plus peuplée du monde à l’époque, et empreinte d’une culture de divertissement, d’élégance et d’érotisme, et surnommée « monde flottant ».

     

    Sous Edo, la mode agit alors comme une force sociale et économique majeure. Une demande croissante autorise le progrès technique et un culte de la célébrité encourage les dépenses vestimentaires, de quoi stimuler fabricants, distributeurs de kimonos et imprimeurs à travailler de concert afin de répondre à la forte demande.

     

    En matière de création et de commerce, le kimono se décrit comme un habit à coutures droites fermé par une ceinture nouée à la taille (obi), dont la surface plate revêt une importance, au même titre que la couleur, les motifs et la technique employée, lesquels indiquent le statut et le goût de la personne qui s’en pare.

     

    A l’époque Edo, on donne le nom de « kosode » (petites manches) au kimono, en référence à l’ouverture pratiquée au niveau du poignet.

     

    La majorité des kimonos aujourd’hui préservés sont des objets de luxe, vendus dans des boutiques spécialisées.

     

    Et c’est aux marchands qu’il revenait jadis d’orchestrer les savoir-faire d’un réseau d’artisans expérimentés (créateurs, tisseurs, teinturiers et brodeurs).

     

    Côté statut, style et séduction, on note une forte consommation de kimonos de luxe parmi les membres de la classe dirigeant militaire (classe des samouraïs), même si la classe marchande (hiérarchiquement basse) est celle qui permettra l’extraordinaire développement de la production de ce vêtement.

     

    Prospère sous l’ère Edo, cette classe était à l’affût des dernière tendances pour exprimer leur prospérité, leur confiance et leurs goûts.

     

    Malgré les lois somptuaires shogunales visant à ralentir une consommation débridée, la mode prend de l’ampleur et les acteurs et les courtisanes en sont les icônes.

     

    Les ukiyo-e (images du monde flottant) représentant ces célébrités de se vendre par milliers à des prix abordables.

     

  • Le kimono autour du monde

    La politique de « pays fermé » observée par le Japon sous l’ère Edo ne l’empêchera pas d’entretenir des échanges culturels avec d’autres pays.

     

    Ainsi, la Compagnie néerlandaises des Indes Orientales importera t-elle des étoffes dans le pays, puis exportera des kimonos vers l’Europe.

     

    Fin 19ème, le pays du soleil levant, contraint de s’ouvrir, se tourne vers le monde : on assiste alors à la modernisation de l’industrie textile et à l’explosion des échanges commerciaux avec l’extérieur.

     

    De New-York à la Nouvelle-Zélande, on tombe sous le charme du kimono et le Japon est contraint de réaliser des tenues destinées à l’exportation afin de répondre à cette nouvelle demande.

     

    Au début du 20ème siècle, lignes droites et formes drapées de ce vêtement influencent de nombreux créateurs européens, et le kimono transcende les frontières géographiques malgré lui.

     

L’élégance pour l’étranger est symbolisée par le kimono.

Ce dernier est confectionné à partir de tissus importés au Japon par les Néerlandais, souvent des cotons aux motifs colorés (sarasa) d’Asie du Sud et du Sud-Est particulièrement prisés, dont les tisserands japonais mettent au point des versions locales (wa-sarasa) pour satisfaire la forte demande.

 

Quant aux marchands néerlandais, ils reçoivent des kimonos directement du shogun et des daimyô les plus influents. Face à leur popularité européenne, cette classe dirigeant nippone en commande des versions aux manches modifiées et dans une ouate épaisse. Les Japonais ne pouvant fournir ces confortables robes de soie colorées en nombre suffisant, les Néerlandais en commandent en coton d’Inde du Sud-Est, ou en font fabriquer en Europe à partir de soie locale ou d’importation.

 

Ces robes de chambre sont portées de façon informelle dans l’intimité du foyer mais pas au lit.

 

Ce vêtement est l’ancêtre de la robe de chambre contemporaine.

 

Un style en mouvement se fait jour à la disparition des shoguns.

 

L’empereur retrouve alors le pouvoir et la capitale du pays est déplacée de Kyoto à Edo, rebaptisée plus tard Tokyo (« la capitale de l’Est »).

 

Durant l’ère Meiji, les styles vestimentaires revêtent une signification politique. Les élites adoptent le costume occidental afin de témoigner de la modernité du Japon et de leur volonté de traiter d’égal à égal avec les autres pays.

 

Si le costume deux-pièces est de rigueur chez les hommes, le kimono fait de la résistance chez les femmes, garantes de la tradition, d’autant plus que les techniques de fabrication européennes permet d’accélérer la production, à des couts toujours moins exorbitants. Enfin, l’apparition des teintures synthétiques accroit sensiblement la palette de couleurs.

 

L’exportation intensive de la soie et d’autres biens artistiques représente un véritable tournant dans l’économie japonaise. En Europe, une vogue « japonisante » apparaît, qui est perçue comme l’expression d’une nouveauté et d’un exotisme japonais, et impose le kimono au rang de mode.

 

 

Une mode moderne s’impose donc en Europe et l’engouement pour le port du kimono atteint son apogée au début du 20ème siècle, au point d’influencer durablement les couturiers qui renoncent aux vêtement très structurés et corsetés pour utiliser des épaisseurs de tissus moins taillées et plus fluides qui enveloppent le corps.

 

Imperturbablement, les Japonaises continuent à arborer le kimono en soie avec une coupe identique mais aux motifs à la fois élégants et modernes. Les grands magasins comme Mitsukoshi proposent ainsi à leur clientèle ces kimonos d’un genre nouveau, en prêt-à-porter, et pour un prix abordable.

  • Le kimono transformé

    Depuis les années 1940, le kimono a subi de nombreuses transformations et est devenu un symbole, y compris au cinéma et dans les arts vivants, ainsi qu’un emblème important de l’identité nationale et culturelle. Le Japon est souvent perçu comme un pays où tradition et modernité cohabitent harmonieusement et les créateurs du monde entier font usage du kimono pour influencer la mode internationale.

     

    Le kimono révéré existe bel et bien, en incarnant la tradition et le respect de l’étiquette. Il est réservé aux occasions spéciales (mariage) ou à des pratiques spécifiques (comme par exemple l’art floral et la cérémonie du thé) et son usage est minutieusement codifié. Des écoles spécialisées enseignent (principalement) aux femmes l’art de revêtir un kimono.

     

    La renaissance du kimono est en cours depuis la dévastation du Japon par la guerre en 1945, et l’américanisation intense de l’archipel nippon au cours de la période d’occupation des Alliés (1945-1952). Le gouvernement japonais réagit en tentant de préserver les pratiques ancestrales, telles que la teinture et le tissage.

     

    En 1955, les techniques les plus importantes et les artisans les plus habiles sont considérés comme relevant d’une « propriété culturelle intangible » et reconnus comme « Trésor national vivant ». Enfin, personnalités et entreprises soutiennent ou font revivre les savoir-faire ayant conduit au développement du kimono au Japon.

     

    Le kimono, une icône pop ? Sans doute, depuis que cet habit s’affiche dans les films ou les spectacles musicaux. L’histoire millénaire du Japon associée aux technologie futuristes donne au kimono une dimension à la fois intemporelle et ambigüe.

     

    Complexes et dynamiques, les relations entretenues entre ce vêtement et le spectacle à l’échelle mondiale trahissent une porosité des frontière entre différentes catégories continuellement transcendées par la tenue : Est et Ouest, masculin et féminin, conservatisme et cosmopolitisme, tradition et avant-garde.

     

    Le kimono en évolution n’est pas un vain mot. Depuis les années 1950, de nombreux stylistes s’inspirent du kimono. En effet, celui-ci offre une telle capacité à être déconstruit et restructuré, traduit ou modifié qu’il en est devenu un fleuron de la mode incroyablement flexible.

 

 

INFOS PRATIQUES :

 


  • Exposition « Kimono, jusqu’au 28 mai 2023, au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37 quai Branly à Paris (7ème). Www.quaibranly.fr

  • Catalogue de l’exposition en vente sur place : 336 pages, 55€ (Editions de La Martinière).



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