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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est- Yoshiwara et Kambara
(Préfecture de Shizuoka, Japon)
Heure locale


Dimanche 1er mars 2015

 

Me voici aujourd'hui à Yoshiwara, 14è station de la route de la mer de l'est. Cette municipalité, qui est rattachée administrativement à la ville proche de Fuji, a subi à deux reprises des tsunamis dévastateurs : d'un côté, elle a le Mont Fuji (ci-dessous), plus majestueux que jamais, et de l'autre, l'océan Pacifique. Après le tsunami de 1639, on reconstruisit la petite cité plus à l'intérieur des terres, dans ce qui est désormais l'arrondissement Yadahara de la ville de Fuji. En 1680, Yoshiwara sera à nouveau dévastée par un terrible tsunami et l'on déplaça une nouvelle fois la commune qui reste, encore aujourd'hui, au niveau de la mer. On pouvait apercevoir, durant la période Edo, une longue colonnade de pins qui longeait la route Tokaïdo à Yoshiwara, comme l'indique l'estampe d'Ando Hiroshige (deuxième photo ci-dessous). On y voit un serviteur menant des voyageuses sur un cheval engagé sur un étroit passage aligné de pins avec, à gauche, le Mont-Fuji.

 

Lorsque j'arrive sur place, on célèbre la fête du temple BisyaMonten. Celui qui porte ce nom est aussi connu sous l'appellation de Vaisravana, ou Kubera (dieu des richesses dans la religion hindoue) et est l'un des quatre rois célestes, divinités bouddhiques des horizons. Il est le dieu protecteur de la loi bouddhique et de la prospérité. Pour les Japonais, il représente toutefois la divinité des guerriers. Roi protecteur et « gardien du nord », cette créature est habituellement représentée en armure, tenant une pagode (reliquaire) dans sa main droite, et dans sa main gauche un bâton surmonté d'un joyau, une lance ou un trident. Ici, au Japon, on le considère comme l'un des trois dieux (kami) de la guerre, et on le représente debout sur un yashka qu'il est censé contrôler. Parmi les sept dieux du bonheur, il est celui qui apporte le succès. C'est peut être pour cela que la foule se presse autour du temple ou se rue sur les fameux darumas (ci-dessous en photo), figurines à vœux. Il y en a de toutes sortes et de tailles différentes. Figurine creuse, de forme arrondie, sans bras ni jambes, le daruma est modelé d'après Bodhidharma (enseignement de sagesse). Il est le plus souvent de couleur rouge, mais on peut aussi en trouver des jaunes, vertes ou blanches. Son visage peut être barbu, ou moustachu, ses yeux, blancs et sans iris. Certains darumas ont des caractères écrits sur les joues, qui expliquent le type de souhait du propriétaire (gloire, richesse, santé, protection des siens). Et le prénom de celui qui le possède peut être écrit sur le menton de la figurine. La fête d'aujourd'hui est l'occasion pour de nombreux visiteurs de se procurer un daruma. Il faut compter mille yens pour les plus petits et jusqu'à ...10000 yens pour les darumas de soixante centimètres de hauteur. On utilise généralement de l'encre noire pour tracer la pupille circulaire du premier œil tout en se formulant mentalement le vœu souhaité. Le daruma sera ensuite entreposé en hauteur, chez soi, jusqu'à la réalisation du vœu. On le place en général à proximité d'autres objets de même acabit. Si le souhait se réalise, on dessine alors la deuxième pupille de l'oeil sur le daruma, et on réfléchit sur la façon d'accomplir ce qui est désiré. Si le vœu ne se réalise pas, le propriétaire peut rapporter son daruma au temple pour qu'il soir brûlé (chaque daruma comporte le sceau du temple) mais le temple refusera bien souvent de brûler un daruma qui n'a pas été confectionné par lui. Ce rituel de destruction par le feu a généralement lieu en fin d'année, et indique au kami (dieu) que l'on n'a pas renoncé à son souhait mais qu'on cherche sa réalisation par d'autres moyens.


 

Je croise aussi des kumadé (ci-dessous), porte-bonheur traditionnels placés par les commerçants dans leurs boutiques. Ce kumadé prend la forme d'un râteau de bambou qui sert de support à la création d'un paysage comportant des porte-bonheur folkloriques. Un marteau sert à casser la roche ou l 'urne dans laquelle on pourra trouver un trésor. Sur ce kumadé, les gerbes de blé symbolisent la prospérité découlant de récoltes abondantes, tandis que les « komedawara » représentent des fagots de riz qui ont la même signification. Le « koban » est une ancienne pièce de monnaie d'or et de forme ovale, le fameux « manekineko » est ce chat qui lève la patte pour appeler la fortune, le bateau de la fortune transportant quant à lui les sept divinités de la prospérité : la grue (symbolisant la longévité, le palanquin o-mikoshi (gage de la protection des kamis), les fleurs de cerisier et les dragons (symboles de chance), le daruma...Ces râteaux décoratifs à manche court sont vendus lors des fêtes comme aujourd'hui, mais également lors de la fête du coq (assimilé aux milans et aux corbeaux de la mythologie japonaise), oiseau messager des dieux, mais qui amasse aussi la fortune. Et les râteaux en forme d'éventail, de symboliser la queue de cet oiseau.


 

Kambara est la quinzième station du Tokaïdo. Ando Hiroshige représente curieusement l'endroit sous la neige lorsqu'il trace son estampe (ci-dessous) alors que la bourgade se trouve dans une zone climatique tempérée et chauffée par le courant kuroshio, venu de la mer. Il est rare d'y voir de la neige mais c'est ainsi. Ce courant marin est, après le Gulf stream, le second plus grand courant marin de la planète. Il débute dans l'ouest de l'océan Pacifique, au large de la côte orientale de Taïwan, puis se dirige vers les eaux du nord-est du Japon où il fusionne avec la dérive orientale du courant du Pacifique nord. Il jour le même rôle que le Gulf stream, en transportant les eaux chaudes tropicales vers le Nord et les régions polaires. Le terme Kuroshio évoque la couleur bleu sombre de ses eaux. On le nomme également « courant du Japon », tandis que la branche du courant dans la Mer du Japon reçoit le nom de « courant de Tsushima » (comme le détroit du même nom). Les eaux chaudes du Kuroshio jouent un rôle important puisqu'elles autorisent l'existence des récifs coralliens du Japon, récifs les plus septentrionaux au monde.

Contrairement à ses autres estampes, Hiroshige peint ici avec un minimum de couleurs. Le paysage va du blanc au noir, et seuls les personnages ressortent en couleur. On distingue à gauche un habitant du village et à droite, deux voyageurs courbés comme pour se protéger du froid et des gros flocons de neige qui tombent en arrière-plan. La neige ne peut ici qu'être le fruit de l'imagination de l'auteur. Là encore, Hiroshige montre son aptitude à combiner les éléments naturels, ce qui donne une grande intensité lyrique à son estampe.


 

Sur place, je découvre une toute petite ville avec des gens très aidants. Je remonte une partie de la route Tokaïdo, à pied, bien entendu, car c'est comme cela qu'on découvre le plus de choses. Je m'arrête un instant à la mairie et, les employés municipaux, de se mettre en quatre pour m'orienter sur la meilleure route conduisant vers deux honjin (auberges) de l'époque Edo. L'un d'entre eux me fournira même des plans pour mes prochaines destinations. La journée d'aujourd'hui est radieuse et il est très agréable de marcher dans les rues tranquilles. Je m'imagine parfois à l'époque des Tokugawa, en train de cheminer dans cette même rue, en croisant des voyageurs. C'est que cette route-là était la plus importante de toutes, car elle reliait Edo à la capitale impériale, Kyoto. Le shogun Tokugawa Ieyasu en commencera la construction en 1601 afin de renforcer le contrôle du pays. C'est par contre, Tokugawa Ietsuna (quatrième shogun du shogunat Tokugawa et petit-fils de Ieyasu) qui proclamera les cinq routes créées, routes majeures. On ne se déplaçait alors que lentement et des shukuba (relais) avaient alors été disposés tout au long de ces routes. La route de la mer de l'est ne faisait pas exception à la règle et les voyageurs pouvaient s'arrêter régulièrement pour se ravitailler et se reposer. Le voyage à pied était appelé Hizakurige, sous l'ère Edo. Il n'était d'ailleurs pas question de voyager autre part qu'au Japon et tout voyageur devait disposer d'un passeport sur lequel figuraient nom, adresse, motif du voyage, destination du déplacement et secte bouddhique (au cas où l'on mourrait en route). Ce passeport était délivré par l'autorité locale. Certes, à part ses pieds, on pouvait bien sûr utiliser le palanquin, ou le cacolet. Ce type de voyage était donc éprouvant à cause des incommodités multiples, des muscles tétanisés et des écorchures. Il n'y avait ni revêtement de route, ni ponts jetés sur les cours d'eau. Malgré tout, ces axes de circulation, nouveaux pour l 'époque, étaient noirs de monde. On assista ainsi à l'explosion du nombre de pèlerins su les routes, notamment en direction du Grand Sanctuaire d'Ise : trois millions six cent mille d'entre eux y défileront en cinquante jours, d'avril en mai, en 1705, et deux millions sept cent mille en 1771. Il n'y avait que la force de la foi pour attirer de telles foules. Peu de gens préparaient leur périple. Heureusement, la sécurité était assurée sur tout le parcours, et les structures d'accueil, bien développées, au point de surprendre les rares visiteurs étrangers. Sur la même route coexistaient plusieurs types de voyageurs : il y avait les feudataires (daïmios) et leurs gens, qui avaient ordre de se rendre régulièrement à Edo, pour y séjourner une année sur deux, tandis qu'épouses et enfants étaient gardés sur les terres provinciales, en otages. D'ou ce va-et-vient incessant de gens d'armes, de gens de maison, d'estafettes galopantes entre la province et Edo. Les guerriers (bushi) de l'époque étaient là pour trotter et pour obéir. D'où cette maxime : sur la route qui poudroie, l'ordre règnera. Sur la route, on croisait également de nombreux journaliers entre les les grandes villes et la province. Cette bougeotte d'antan expliquerait-elle le goût des Japonais d'aujourd'hui pour les voyages ?

Parmi les voyageurs nés, on trouvait enfin les poètes et les gens de lettres. Dans le même temps, apparurent de nombreux guides de voyage pratiques, avec une foule d'informations utiles, comme les distances entre les étapes de la route, les tarifs des auberges, des palanquins et des chevaux de bât, mais aussi les péages des gués, les spécialités régionales...on n'a rien inventé !

 

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