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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est- Yui et Okitsu
(Préfecture de Shizuoka, Japon)
Heure locale


Mercredi 4 mars 2015

 

La route de la mer de l'est est longue, très longue. Me voici aujourd'hui à Yui, une petite localité, dans laquelle il est, là aussi, difficile de retrouver les traces du passé. Et encore cette station a t-elle le mérite de posséder une gare le long de la ligne JR Tokaïdo, ce qui n'est pas toujours le cas, nous le verrons dans notre prochain article. A l'origine, une des sept grandes divisions administratives résultant de la création du premier Etat unifié du Japon, qui comprenait treize pays (ou provinces), puis quinze, à partir de 771, le Tokaïdo est une vieille histoire : il y a fort longtemps, la côte, située le long de l'océan Pacifique, désignait aussi la route traversant cette région. Mais, en 802, une éruption du Mont Fuji condamnera la route d'Ashigara, d'où le détour effectué par Hakone. Lors de l'installation du bakufu (gouvernement instauré par le shogunat des Tokugawa), on assistera à une augmentation de la circulation entre Kyoto, la capitale impériale et Kamakura (près de Tokyo), la capitale militaire. Et le Tokaïdo, de devenir le premier axe de communication du pays, avec d'abord ses 63 relais sur une distance de 125 ri (le ri équivalait à 3,9 kilomètres), et un parcours allongé à cause de l'évitement de Mino (Préfecture de Gifu). Le Tokaïdo connut le plus fort développement grâce aux nombreux daïmios riverains. Il existait sur cette route plusieurs passages abrupts (nous l'avons récemment vu à Hakone), notamment le col de Suzuka. Des barrières militairement gardées avaient été installées dans le but de maintenir la paix car le pays sortait tout juste de longues guerres intestines. On avait aussi renoncé à jeter des ponts sur les grands cours d'eau car on avait le souci de préserver la sécurité d'Edo. Ainsi les cours d'eau qui traversaient le Tokaïdo, comme par exemple la Sakawa, Okitsugawa, Abegawa et Oigawa (wa voulant dire rivière en langue japonaise) devaient être franchis à gué. On y passait à dos d'homme ou sur de grands tréteaux épaulés par des équipes de passeurs. Mais il suffisait d'une forte pluie pour rendre les rivières infranchissables. On se battait alors pour trouver une chambre de dernière minute ou un abri pour s'allonger dans les auberges qui étaient archi-combles. De soixante-trois relais, on passera bientôt à 53 stations, sur décision du shogun Tokugawa Ieyasu, en 1601.


 

Yui ne faisait pas exception à la règle. Cette petite bourgade dans laquelle je me promène, a su développer de longue date une activité économique autour de la crevette (ci-dessus). Je me rends au port, qui est coincé entre la mer et une route située en hauteur mais je n'y décèle aucune activité. Un poissonnier me confiera que, comme son nom l'indique, la crevette sakura ne se pêche qu'à partir du printemps. Effectivement, pour l'heure, on n'en trouve que des congelées. Par contre, la belle saison revenue, il n'est pas rare de croiser des millions de ces crustacées en train de sécher à l'air libre sur le sol. Pêché dans les eaux des baies de Tokyo, Sagami et Suruga, l'animal était déjà largement utilisé dans l'alimentation en 1969 (on en pêchait alors 4000 à 7000 tonnes annuellement).

Je dois me renseigner auprès des habitants pour connaître les « attractions » locales. On me signale qu'il reste encore une ancienne auberge datant de l'époque Edo. Un musée Tokaïdo Hiroshige s'élève même (deuxième photo ci-dessus) dans cette petite ville. Malheureusement, nous sommes lundi et ce jour-là est celui de la fermeture hebdomadaire des musées japonais. Pas de chance. Revenons toutefois sur Hiroshige, auteur aux multiples noms, surtout célèbre pour ses estampes représentant les « 53 stations du Tokaïdo ». Notre homme naquit à Edo en 1797 et sera graveur, dessinateur et peintre. Il se distinguera par des séries d'estampes sur le mont Fuji et sur Edo, reproduisant de façon évocatrice l'atmosphère de la ville et les paysages rencontrés, en dépeignant par exemple des scènes de la vie quotidienne d'Edo, avant la transformation de celle-ci sous l'ère Meiji. Prolifique, Utagawa Hiroshige réalisera de 1818 à 1858 (l'année de son décès) plus de 5400 estampes. Outre les Cinquante-trois stations du Tokaïdo, son œuvre comprend les Cent vues d'Edo, les Soixante-neuf stations du Kiso Kaiso et les Trente-six vues du mont Fuji. L'artiste se fera l'humble interprète de la nature, exprimant, avec des moyens limités (comme la gravure sur bois), les délicates transparences des saisons et de leurs paysages où l'homme sera toujours présent. Il utilisera des couleurs franches (avec domination de vert et de bleu) pour parvenir à des mises en page saisissantes. Et l'Occident de découvrir grâce à son œuvre, l'originalité des arts graphiques japonais après la réouverture forcée du pays vers 1870.

Penchons-nous sur l'origine de la série «Les Cinquante-trois stations de la route du Tokaïdo » : chaque année, une délégation se rendait à Kyoto afin de rendre hommage à l'empereur en lui offrant des chevaux. Sur ordre du shogunat d'Edo, Hiroshige sera chargé d'accompagner le gouvernement des Tokugawa en faisant avec lui le périple depuis Edo, et en fixant sur le papier les moments les plus importants de ce voyage. Il fera ainsi des croquis qu'il reprendra par la suite jusqu'à en faire les estampes qu'on connait aujourd'hui. L'auteur ne se contentera pas de l'édition Hoeido (édition issue de son premier voyage sur la route du Tokaïdo en 1832), pourtant la plus appréciée, mais en réalisera au total près d'une trentaines d'autres versions qui comporteront d'ailleurs des planches bien différentes pour chacune des étapes, constituant ainsi autant d'oeuvres distinctes d'Hiroshige.

16è station du Tokaïdo, Yui-shuku est désormais située dans l'arrondissement de Shimizu. L'estampe ci-dessous montre uniquement des voyageurs gravissant un très raide col montagneux. Il est vrai qu'à cet endroit, Yui est coincé entre l'océan et la montagne verdoyante. J'apprends, grâce à l'un des rares panneaux d'information rencontrés sur ma route, que Yui mesurait alors 600 mètres de long, et qu'elle abritait quelques 700 habitants. On y trouvait alors une honjin (auberge) pour personnes de haut-rang, une « waki honjin » pour les marchands et 32 autres abris réservés aux autres voyageurs. Sur les 700 habitants, il y avait seulement une centaine de travailleurs avec leurs chevaux, ce qui obligeait parfois cette localité à faire appel aux villages voisins pour abriter l'afflux de visiteurs. Un pont amovible franchissait à cette époque-là la rivière, à l 'ouest du village. Ce pont étant amovible, on le retirait lors des inondations pour le remettre en place ensuite. Dans un document datant de 1843, on apprend également que les auberges (et les entrepôts) de Yui appartenaient à la famille Iwanabe, descendante du clan Yui. L'auberge la plus importante, située au centre du village était entourée de murs de pierres et de palissades en bois. On y trouvait un salon d'accueil pour les familles nobles, magasins et entrepôts.

 

Ma prochaine étape me mène à Okitsu, 17è station de la route de la mer de l'est. Celle-ci fut établie en 1601 au début de la période Edo. Et compta jusqu'à 316 maisons et 1668 habitants.On y trouvait deux auberges et 34 hatagos. Okitsu était séparée d'environ onze kilomètres de Yui, la station précédente. Je m'arrête au temple Seiken-ji (en photo ci-dessous) et suis merveilleusement reçu. Ce temple Zen est l'une des plus belles constructions de ce type à l'intérieur du district de Tokaï. Un premier temple bouddhiste sera érigé à cet endroit en 679, puis la fondation de l'actuel temple interviendra en 1262, sous l'ère Kamakura, avec la seule seule ambition de favoriser le bien-être et la paix des habitants du district. Ashikaga Takauji le reconstruira en 1342 durant les périodes Ashikaga et Edo. Ashikaga Takauji fut le premier shogun de la lignée des Ashikaga. Son règne débuta en 1338, jusqu'à sa mort, vingt ans plus tard. Il appartenait à une lignée de samouraïs, descendant de la lignée Seiwa Genji du clan Minamoto, et de l'empereur Seiwa, qui s'installeront dans le territoire Ashikaga (actuelle préfecture de Tochigi). Takauji fut général du shogunat Kamakura et fut dépêché à Kyoto en 1333 afin de mâter la rébellion Genko (guerre civile) qui avait démarrée deux ans auparavant. Le temple actuel fut quant à lui élevé en 1702. J'ai droit à une visite d'une heure de ce lieu rempli d'histoire grâce aux explications d'une dame sur place et d'un jeune moine. J'apprends au passage que les jardins du temple furent créés par Yamamoto Dosai, d'après les recommandations de Ieyasu Tokugawa enfant, qui venait souvent visiter ce temple. Créé au début de l'ère Edo, ce jardin sera remodelé au milieu de celle-ci. Ieyasu Tokugawa aimait contempler les pierres de cet endroit, dont certaines ressemblent étrangement à un tigre, une vache ou une tortue. Il y plantera lui-même cinq arbrisseaux dont un prunier, et un plaqueminier du Japon, toujours vivants. Le sol est recouvert d'un gravier surnommé gravier argenté, qui complète harmonieusement ce jardin depuis lors classé. A cette époque Ieyasu Tokugawa était gardé en otage au château de Sumpu (Shizuoka) par Oda Nobuhide, daimio du clan Oda. Ieyasu disposait dans ce temple Seiken-ji de sa propre salle d'étude, lorsqu'il y venait enfant. A quelques détails près, cette salle est identique à ce qu'elle était alors. Je peux même admirer un grand coffre ayant appartenu au futur shogun. Celui-ci y rangeait ses habits.


 

Quant à l'estampe d'Hiroshige représentant Okitsu (ci-dessous), on y voit des acteurs de poids puisque l'image nous montre deux combattants de sumo franchissant la rivière locale, l'un à dos de cheval, et l'autre porté par quatre hommes dans un kago.

 

INFOS PRATIQUES :

 


  • En arrivant à Yui par le train, prendre sur la droite en sortant de la gare, puis suivre l'unique route qui était autrefois le Tokaïdo, sur deux kilomètres, jusqu'à atteindre le musée local (que vous trouverez sur votre gauche, quelques centaines de mètres après avoir franchi un pont sous laquelle coule la rivière Yui). Ce musée local présente, outre Hiroshige et son œuvre, les aspects de vie d'une shukuba (relais) du Tokaïdo de la période Edo, de la vie des enfants, des habitants de cette localité. Musée fermé le lundi.

  • Temple Seiken-ji, à Okitsu. En sortant de la gare, marcher tout droit jusqu'aux feux, puis prendre à droite et marcher tout droit sur un kilomètre. Le temple se trouve en hauteur, sur la droite, à l'emplacement d'un passage à niveau (le long de la voie ferrée). Ouvert tous les jours de 8h30 à 16h00. Entrée : 300 yens. Prise de photos autorisée.










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