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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est - Ishiyakushi et Shono
(Préfecture de Mie, Japon)
Heure locale


Jeudi 3 mars 2016

 

Je me réveille avec un magnifique ciel bleu, un soleil éclatant et un air printanier. Ma promenade du jour va me conduire à Ishiyakushi puis à Shono, anciennes étapes de la route du Tokaido. J'ai prévu de m'y rendre en train et il me faut regagner la gare JR un peu distante de mon hôtel. L'employé de la gare me demande d'acheter un ticket car ma carte de paiement (rechargeable) japonaise ne fonctionnera pas. Ici, c'est la campagne, et lors de mon voyage retour, je devrai même prendre mon billet auprès du contrôleur du train. L'hôtel m'avait gentiment tiré un plan et je suis parti sans trop savoir où j'allais. C'est mon côté méfiant d'occidental qui resurgit parfois, à tort en ce qui concerne les Japonais, car ces gens sont fiables.

A la descente du train en gare d'Ishiyakushi, c'est le désert. Le village est étonnamment calme et je me mets en route, les yeux rivés sur mon petit plan. Il me faudra marcher deux bons kilomètres avant d'atteindre ma destination : la maison de Sasaki Nobutsuna, et mon plan de se confirmer au fur et à mesure de mon avancée. Une personne, et puis une autre, rencontrées sur ma route, m'encourageront à poursuivre mon chemin. Et d'atteindre ma destination au bout de quarante minutes...

Ishiyakushi-juku (ci-dessous en photo) était la 44 ème station de la route du Tokaido, et se trouve administrativement dans la ville de Suzuka actuelle, cité plus particulièrement connue par les amateurs de courses automobiles car le circuit de Suzuka accueille de temps à autre des grands prix internationaux. La ville est d'ailleurs jumelée avec celle du Mans (Sarthe, France) qui organise chaque année les 24 Heures du Mans. A Ishiyakushi, c'est la campagne et je parcours l'ancienne route shogunale pour me rendre au centre de documentation Sasaki Nobutsuna, qui jouxte la maison du célèbre poète et spécialiste de la littérature japonaise (deuxième photo ci-dessous).

 

C'est le 8 juillet 1872 que Sasaki Nobutsuna (ci-dessous) nait dans ce quartier de Suzuka, qu'est Ishiyakushi. A l'âge de 40 ans, son père, Hirotsuna rêvait d'avoir un garçon. Lui-même avait passé sa jeunesse du côté d'Ujiyamada (non loin du sanctuaire Ise Jingu) afin d'y recevoir la bonne éducation du maitre Aji Hironori. Nobutsuna était un petit garçon vif et précoce. On l'enfermait parfois au grenier et il se mettait alors à crier en pleurant. Ce débarras aux murs épais ne disposait en effet que d'une petite fenêtre, mais un jour, on n'entendit pas le petit garçon pleurer car celui-ci s'était plongé dans de vieux livres entreposés dans une malle. Il y avait à la maison un vieux serviteur nommé Seijyuro, qui emmenait souvent Nobutsuna en promenade sur ses épaules. Un jour, Seijyuro emmena le petit garçon au bord d'un étang, Yamabe no Mi, et lui récita un poème de Manyoshu. L'autre distraction de Nobutsuna consistait à rendre visite au droguiste Kyoga. Là, se trouvait une dame qui répondait au nom de Omishisan et qui lui racontait des histoires anciennes, avant de le laisser repartir avec des sucreries. Hirotsuna était très attentif à l'éducation de son fils et c'est à l'âge de 5 ans que Nobutsuna récita son premier poème. Bientôt, le petit garçon quittera sa ville natale pour une ballade à pied de plus de deux mois à Matsuzaka, en traversant la chaine montagneuse de Suzuka. Les monts Suzuka forment en effet une chaine de montagnes qui traverse la Préfecture de Mie puis longe celles de Gifu et de Shiga. Le point culminant est le mont Oike (1247 mètres d'altitude). Un parc quasi national d'une superficie de 298 km2 protège une partie de cette chaine montagneuse comprenant les « sept montagnes » de Suzuka : les monts Fujiwara (1140 m), Ryu (1099 m), Shaka (1092 m), Gozaisho (1212 m), Kama (1161 m), Amagoi (1238 m) et Nyudo (906 m).


 

Durant ce voyage, Nobutsuna et son père seront accueillis par des amis poètes. Et Nobutsuna d'expliquer dans le détail le recueil de poésies « Hyakunin Isshu » aux adultes qui l'entouraient, dès l'âge de neuf ans. A 11 ans, Nobutsuna repart avec son père à Tokyo. Ils s'arrêtent en chemin à Hakone et font la connaissance de Kinpara Meizen, un homme qui avait le cœur sur la main. Hirotsuna fait alors part de son intention de rendre les gens heureux en écrivant. Et Nobutsuna de suivre son exemple. Son père lui enseigne alors les bases de la composition poétique et l'encourage à mémoriser des versets tanka classiques. Dès 13 ans, le petit garçon est admis à l'université impériale de Tokyo, puis devient enseignant dans cette même université, une fois ses études achevées. Il décidera plus tard de dédier sa vie à la poésie waka en effectuant des recherches sur d'anciens versets, et en en composant de nouveaux.

Notre jeune poète se marie à Yukiko en 1896, à l'âge de 25 ans. Celle-ci lui donnera neuf enfants, s'occupera merveilleusement de la maisonnée et encouragera Nobutsuna dans son métier de poète et de chercheur.

Notre jeune auteur fonde bientôt la réunion littéraire « Chikuhakukai » (du nom de plume de son père), qui publiera une revue littéraire, Kokoro no Hana, à partir de 1898, une revue qui existe toujours aujourd'hui et qui est le plus ancien mensuel de poésie du pays. Il utilisera ce journal comme tribune pour populariser sa propre philosophie du waka, et publier ses recherches sur l'histoire et le développement de la poésie japonaise dans l'espoir d'inspirer une nouvelle génération de poètes. Parmi ses disciples, se trouveront Jun Kawada, Kinoshita Rigen et Katayama Hiroko. Nobutsuna contribuera aussi au développement du tanka en publiant son premier recueil de poésie « Herbes de pensées », en 1903. Et publiera plus tard onze autres compilations de tanka, comme par exemple « Nouvelle lune », en 1912, Nuages volant au vent, en 1929, ou Montagne et Eau, en 1951. En reconnaissance de son travail, notre homme sera nommé maitre de conférences à l'Université impériale de Tokyo en 1905, avant d'être officiellement chargé de la réalisation d'une critique moderne du Manyoshu, par le ministère de l'éducation. Nobutsuna composera aussi des chansons et des hymnes d'écoles. Il effectuera de nombreux voyages à l'étranger, à la recherche d'ouvrages anciens. Travaillant avec son père, il publiera aussi Kohan Manyoshu, après douze années de recherches, un ouvrage de 4882 pages. Nous sommes à la veille du grand séisme de 1923, qui détruira tous les exemplaire de son œuvre, ...à l'exception de deux d'entre eux, qu'il aura ensuite le plus grand mal à republier. En 1937, Nobutsuna a 66 ans et est décoré de l'ordre de la culture par le gouvernement japonais. Cet ordre du Mérite culturel est une éminente distinction destinée à récompenser chaque année des individus pour leur contribution à la culture japonaise. Créé en 1937, il est décerné par l'empereur chaque 3 novembre et ne concerne que cinq personnes environ. L'insigne, composé d'or et d'émail blanc, a la forme d'une fleur d'oranger. Le disque central comporte trois jades en forme de croissant et est attaché par une guirlande d'or et d'émail représentant des fruits et des feuilles d'oranger, à un ruban violet porté autour du cou.


 

En 1944, Nobutsuna quittera Tokyo pour s'installer à Atami (Préfecture de Shizuoka), sa dernière résidence. Trois ans plus tard, Yukiko décède, et ce moment laissera un grand vide dans la vie du poète. Notre homme écrira plus de 300 ouvrages au cours de son existence, et aura récité plus de 10000 poèmes. Il tirera sa révérence le 2 décembre 1963, à l'âge de 92 ans, après avoir récité son dernier poème : Arigatashi, kyou no ichinichi mo, waga inochi, megumi tamawari, ten to chi to hito to (Je remercie aujourd'hui tout le monde, le ciel et la terre).

Un an plus tard était créée l'association Sasaki Nobutsuna Kensho-Kai, puis un mémorial lui était dédié en 1970. Plus récemment, en 1986, fut inauguré le Centre de documentation Sasaki Nobutsuna où je m'arrête aujourd'hui. L'association, elle, a inventé un jeu de cartes contenant des poèmes de l'auteur. Peut être aurez-vous l'occasion d'y jouer un jour ?


 

A un kilomètre de là, je me rends à pied au temple d'Ishiyakushi-ji (ci-dessous), lieu de culte déjà fameux du temps du Tokaido, qui abrite Daikokuten, le grand noir, appelé également dieu des cinq céréales, divinité japonaise de la richesse, du commerce et des échanges. Il est l'une des sept divinités du bonheur, et apparaît sous la forme d'un corps gras et souriant, assis ou debout sur des sacs de riz. Dans sa main droite, il tient une sorte de maillet en bois représentant la vertu du travail. C'est lui qui veille sur Ishiyakushi depuis des lustres et sur le moine et sa famille qui m'accueillent très courtoisement. Nous sommes ici dans une zone rurale, et encore à quelques kilomètres de la ville de Suzuka. Ma prochaine étape est Shono, qui se trouve à quelques kilomètres du temple. Lorsque je demande au moine s'il peut appeler pour moi un taxi pour m'y conduire, il me confie à son fils qui me déposera devant la porte du musée de la petite ville (deuxième photo ci-dessous). Outre la gentillesse, on me gratifiera d'un superbe cahier de notes du temple, orné d'une superbe couverture représentant les sept montagnes de Suzuka.


 

Shono-juku est la 45 ème station de la route du Tokaido, toute proche de Suzuka. Un petit musée y fut ouvert en 1998, à l'intérieur d'une ancienne honjin (auberge) pour partager avec les voyageurs de passage l'histoire de cette ancienne étape. J'apprendrai sur place que cette auberge fut bâtie en 1554, puis agrandie en 1624. D'autres ruines d'anciennes honjins sont aussi visibles dans cette petite ville, qui dispose par ailleurs d'anciennes maisons traditionnelles qui donnent un certain cachet à l'endroit. Hiroshige représenta Shono à travers une estampe (ci-dessous) en utilisant des lignes diagonales qui s'entrecroisent et forment des triangles, comme le sentier, les arbres courbés par le vent, les manteaux ou encore le toit des maisons. Par son pouvoir d'évocation, son graphisme rigoureux, son aspect essentiellement monochrome, cette estampe est l'une des plus célèbres du Tokaido d'Hiroshige. Pour atteindre Shono, il fallait suivre jadis le cours de la rivière Suzuka en passant par un sentier montagneux, puis marcher une heure environ. Perdu dans les hauteurs, et loin de tout autre village, ce tronçon de route était peu fréquenté jusqu'à son ouverture sur ordre du gouverneur de Kyoto sous l'ère Genna (1615-1624). Sur cette image, on observe le déchainement d'une violente averse, appelée aussi « pluie blanche à Shono ». On remarque deux groupes de personnages qui courent dans des directions opposées et cherchent à se mettre à l'abri. Selon les tirages de l'estampe, l'arrière-plan, et plus particulièrement la base des arbres, est plus ou moins clair, lorsque la base des arbres situés à gauche est complètement estompée par la lumière et que seules apparaissent les cimes , on imagine une pluie blanche, voire une giboulée, où la violente et soudaine averse laisse toutefois filtrer la lumière du soleil.


 

INFOS PRATIQUES :


  • Centre de documentation Sasaki Nobutsuna, Ishiyakushi-cho à Ishiyakushi. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 9h00 à 16h30. Entrée libre. Prise de photos interdite. A l'extérieur du centre, visite libre de l'ancienne demeure de Sasaki Nobutsuna (photos autorisées).

  • Merci à l'équipe du centre de documentation pour son aide précieuse !

  • Musée des archives de Shono, Shono-cho 45 (le long de la route du Tokaido), à Shono. Tél : 059 370 255. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 9h00 à 16h00. Entrée libre.

 






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