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Exposition "Affaires familiales - Les entreprises pionnières de l'Est parisien, 1830-1950"
(Pavillon de l'Ermitage, Paris, France)
Heure locale

Jeudi 18 mars 2016

 

Le patrimoine parisien est d'une richesse insoupçonnée et l'exposition qui se tient jusqu'au 17 juillet au Pavillon de l'Ermitage (Paris 20è) nous le démontre. « Affaires de Familles – Entreprises pionnières de l'Est parisien, 1830-1950 » nous permet de découvrir ce qu'étaient ces entreprises familiales audacieuses et pleines de vivacité dans le quartier de Charonne. A la fin du XVIII ème siècle, Charonne est une petite paroisse de la capitale, juchée sur une colline à l'est de Paris. Elle est alors le domaine de la vigne, jusqu'à ce qu'une épidémie d’oïdium ne vienne décimer les plants au milieu du XIX ème. La vigne occupera jusqu'aux trois-quarts des terres du petit village et fournira le vin des guinguettes de Fontarabie et du Petit-Charonne. Ce village de Charonne s'est développé à partir du château de Charonne et de l'église Saint Germain autour de l'actuelle rue Saint-Blaise. A la veille de la Révolution, l'endroit compte 600 âmes, et est constitué de quelques maisons de campagne avec jardins, mais aussi de châteaux, et, en limite de l'enceinte des fermiers généraux, de guinguettes, de cabarets et de bals où les parisiens viennent se divertir en buvant le vin local.On y exploite aussi les carrières de gypse, et les cultures maraichères sont nombreuses. Sous la Monarchie de Juillet, Charonne va connaître une forte augmentation de sa population, passant rapidement de 2300 à 12200 habitants : venus des provinces françaises, les habitants de Charonne sont également originaires d'autres banlieues, et surtout de l'étranger. Les terrains sont distribués en « lanières », orientées selon les pentes héritées du vignoble, ce qui sera peu commode pour l'urbanisation future. Pareille distribution parcellaire est encore perceptible du côté des rues des Haies et des Vignoles. 1846 voit la fusion des Petit et Grand Charonne, à l'occasion de laquelle on créera la place de la Réunion, histoire de fêter l'évènement. L'exploitation du gypse permet de produire ce plâtre qui tapissera les murs à fruits dans des enclos fermés, tandis que des fleurs occupent le centre de parcelles converties en fonds de cours d'ateliers lors de l'industrialisation progressive du village. Sur le territoire de Charonne se dresse le cimetière du Père Lachaise, ancien domaine des Jésuites. Il est aménagé à partir de 1802, avec plusieurs agrandissements successifs.


 

Près du Boulevard Davout, la briqueterie Simon, avec ses bâtiments intégrés aux enclos cultivés, sera témoin de la transformation de Charonne, d'une zone maraichère et viticole en une zone industrialisée. Malgré l'accroissement de la population, les constructions restent denses et mal conçues. De plus, la pollution augmente à cause des foyers domestiques, des usines et des ateliers. Avant la Seconde guerre mondiale, tous les toits disposaient en effet de cheminées et le 20 ème arrondissement, de recevoir, par vent d'ouest dominant, toutes les fumées de Paris. Toutefois, cet héritage rural va peu à peu se fondre dans les réalisation haussmanniennes. Percée en 1862, la rue de Puebla (actuelle rue des Pyrénées) offrira en 1877 un visage hétérogène avec de nombreuses ruptures d'alignement du bâti, compte tenu du fort dénivelé imposé par le nouveau tracé. De nouvelles modifications des parcelles auront bien lieu dans les années 1930 mais, malgré le faible cout du terrain (16 à 20 Francs le m2), plusieurs parcelles remembrées resteront sans affectation. Et les investisseurs locaux, peu scrupuleux, de développer librement leurs activités lucratives en construisant ici et là, un peu n'importe comment. L'extension des industries locales aura surtout lieu entre 1890 et 1900, imposant ainsi un changement du tissu local et un paysage urbain en perpétuelle mutation. D'autres changements importants seront visibles au cours des années 1960-1970, jusqu'à ce que l'embourgeoisement ne remplace désormais les anciens quartiers industrieux. Charonne accueillera jusqu'à 350 activités industrielles ou artisanales de toutes tailles. La main d'oeuvre vivant le plus souvent sur place sera abondante et mobile. Rien que dans ce quartier, et probablement à cause de la proximité du cimetière du Père Lachaise, on dénombrera treize entreprises de couronnes mortuaires, ce qui fera de Charonne la capitale mondiale de cette production jusqu'en 1914. Les couronnes étaient alors confectionnées à domicile ou dans l'entreprise, avec utilisation des perles de Venise, produites par une grande manufacture sise au 26-28 rue des Haies (il en existait encore treize du même type en 1931). L'entreprise Dolat, elle, s'était spécialisée dans la production industrielle des peaux de lapins, entre les rues Alexandre Dumas et de Bagnolet, malgré l'utilisation à l'époque de produits toxiques et donc dangereux pour les ouvriers. 55 autres maisons oeuvraient dans le domaine de la chapellerie et des fourrures. L'ameublement n 'était pas en reste puisqu'on comptera jusqu'à soixante manufactures de meubles, 112 artisans-ébénistes et quatre manufactures de piano, sans compter les activités annexes. La main d'oeuvre était le plus souvent provinciale (d'Alsace-Lorraine) et étrangère (Italiens et Luxembourgeois). Parmi ces entreprises, on trouvait les meubles Schneider, rue des Orteaux et rue des Haies, un scierie mécanique au 70, rue d'Avron, l'usine Postel au 70, rue des Pyrénées, laquelle fabriquait des baleines de corset, et l'usine à vapeur Masseron au 97 de la rue des Pyrénées. Masseron fut l'inventeur unique et le fabricant de la pince à linge en bois avec ressort en acier galvanisé. Les entreprises qui fournissaient le plus grand nombre d'emplois dans le quartier étaient les brasseries, l'usine de coton Elve (plus tard remplacée par Radio industrie), la fonderie Marlhiou (rue Planchat), les transports Labbé, les tôleries, ainsi que les artisans qui traitaient les métaux, une fabrique de jouets au 80, rue des Vignoles, les Bonbons Foullon (rue de la Réunion), le chocolat Cémoi, et les dragées Martial.


 

L'exposition du Pavillon de l'Ermitage présente quelques-unes des entreprises-phare de cette époque, qui s'installèrent à Charonne. C'est le cas pour la maison Hardy-Milori, dont le fondateur, Sylvain Milori acquerra en 1827 une usine à Charonne. D'abord établi à Paris, rue Barre du Bec (au sud de l'actuelle rue du Temple) entre 1818 et 1825, cet entrepreneur dynamique se déplacera dans ce quartier pour produire des couleurs, de l'encre lithographique, des vernis et des pâtes colorées pour papiers peints. L'entreprise emploiera en 1906 de 60 à 80 ouvriers, sur une surface d'usine de 10500 m2, avant de disparaître à la fin des années 1970.


 

Xavier Mader avait été quant à lui recruté par la manufacture Joseph Dufour en 1808, grâce à ses talents de dessinateur. Son répertoire s'étendait alors à des thèmes mythologiques aux figures tirées du répertoire théâtral. En 1851, sa famille hérite du Pavillon de l'Ermitage, folie de l'Est parisien d'époque Régence. Et les deux fils de Xavier Mader, fabricants et éditeurs de papiers peints, de faire fructifier l'affaire de leur père née en 1825, au 176 rue de Charonne. En 1851, le fond sera cédé à un employé, Jules Desfossé, originaire de l'une des plus florissantes enseignes du milieu du XIX ème siècle, la maison Desfossé & Karth. La production manuelle à la planche de bois est alors remplacée par la fabrication au cylindre gravé, entrainé par une machine continue (ci-dessus). Le papier peint connait alors un grand succès, tout particulièrement le papier à tenture. Et L'entreprise de produire couramment motifs à corniches, camées, marbres et lambris qui sont ensuite vendus à des marchands spécialisés dans tout l'hexagone.


 

La brasserie Karcher (ci-dessus), elle, naquit d'une passion familiale : son fondateur, Henri Karcher vivait au sein d'une famille de brasseurs alsacienne installée en région lyonnaise.Il fondera sa brasserie en 1891, par le rachat de la brasserie Heusch, au 88 rue de Bagnolet. Depuis les années 1850, ce domaine d'activité connaissait deux innovations de taille, l'utilisation de la technique de fermentation basse (à froid) et la mise en pratique des travaux de Pasteur (pasteurisation de la bière). Et Henri Karcher d'innover en adoptant de nouveaux procédés industriels de fabrication, entrainant ainsi une croissance rapide de son affaire. De nouveaux bâtiments sont ainsi érigés au 139 de la rue des Pyrénées. Plusieurs dépôts de bière sont aussi créés en province et on assiste à une diversification des activités (ouverture de débits de boisson, première taverne inaugurée en 1897, à l'angle du boulevard de Belleville et de la rue du Faubourg du Temple...). En 1900, la brasserie Karcher participera aussi à l'Exposition universelle et recevra pour l'occasion de nombreuses distinctions. L'entreprise produit alors entre 120 000 et 130 000 hectolitres de bière, et est la plus grande brasserie parmi les quinze que compte la capitale. Au milieu des années 1920, Henri Karcher cède son entreprise.Puis, le secteur brassicole déclinera peu de temps après et la brasserie Karcher sera intégrée à la Société financière de l'Union des Brasseries. Après 1945, l'entreprise fera encore partie des cinq brasseries toujours en activité à Paris et le slogan maison, « Avec Karcher, on récupère ! »,sera un succès. Le début des années 1950, une nouvelle salle de brassage s'installe rue des Pyrénées. Et en 1964, l'Union des Brasseries fusionnera avec la société des Nouvelles Brasseries, installée à Drancy, avant qu'Heiheken ne rachète cette dernière quelques années plus tard.


 

La guerre des boutons aura également lieu à Charonne : l'entreprise Goepfer établira son siège au 5, rue Ramus, en 1930. Edouard Goepfer héritera d'abord d'une petite affaire spécialisée dans la confection des boutons, de confettis et d'autres menus articles,variables au gré de la mode. A l'époque, il occupe avec son épouse et ses quatre enfants, un petit appartement situé au 4, rue des rondeaux. Mécaniciens « à façon », les Goepfer se lancent d'abord dans la confection de boutons métalliques et baptise leur entreprise « Ets Goepfer mécanique » en 1928. Parallèlement, Edouard rachète de vieilles maisonnettes alignées entre la rue des rondeaux et la rue Ramus, avec lesquelles il construira de plus grands ateliers. Ses fils, Jean et Georges s'occupent de la production et de l'encadrement du personnel (l'entreprise emploiera jusqu'à 45 personnes) pour fabriquer les fameux boutons d'art en matériaux précieux (destinés aux aristocrates, aux militaires et aux livrées des domestiques) tandis qu'Edouard appartiendra au syndicat des fabricants de boutons en 1937 et participera même à l'application des lois sociales sur les congés payés. Lorsque Patrice Goepfer héritera de l'affaire, l'hyper spécialisation des machines rendra délicate la diversification de l'entreprise. De plus, les boutons, qui étaient jadis indispensables aux vêtements, seront peu à peu remplacés par de nouveaux systèmes de fermeture (zips et autres mécanismes d'attaches, d'usage plus commode). Enfin, l'expansion de modèles de boutons à petits prix et fabriqués à l'étranger auront plus tard raison de la maison Goepfer.


 

Né de famille modeste, en 1849, Fernand Martin, lui, bricolera des arbalètes à ressort. Les fastueux modèles de Monsieur de Vaucanson n'avaient-ils pas fait la joie des cabinets royaux au XVIII ème siècle ? D'autres produits plus courants sont progressivement lancés par notre inventeur, avec l'essor des grands magasins durant le XIX ème siècle. Et les clients de tomber rapidement amoureux de ces petites figurines vêtues de couleurs vives mimant en vitrine des gestes du quotidien. Fernand Martin a alors pour ambition de mettre au point un jouet mécanique bon marché qui ne coutera que...29 sous. Il dépose un brevet en 1878, pour un poisson nageur, puis, pour un bateau de pêcheur. L'originalité et la poésie qui se dégagent de ces premiers modèles en font un succès immédiat. Installé au 88, boulevard de Ménilmontant en 1900, notre homme produira près de 800 000 jouets par an. Une centaine d'ouvriers laminent, découpent et estampent alors l'alliage ferreux, avant d'installer l'ingénieux mécanisme à ressort mu par une clé qui donne vie à la figurine. Peints, habillés et bientôt prêts à être écoulés, les jouets sont distribués aux camelots dans toute la France. De son côté, Fernand Martin suit attentivement l'actualité et adapte sa production au gré des circonstances : il créera ainsi un rutilant petit soldat, le Vaillant Boer suite à la guerre d'Afrique du sud, et n'hésitera pas à affubler l'intrépide jockey (ci-dessus en photo) d'une reproduction du tableau de la Joconde à la suite du vol de la Joconde. Rachetée par la société des automates en 1919, l'année du décès de Fernand Martin, l'entreprise s'éteindra en 1965. Entre temps, notre inventeur aura fait don d'une centaine de ses modèles au musée des arts et métiers, des modèles d'ailleurs toujours prisés des collectionneurs.


 

C'est aux côtés de son père que Raymond Martial apprendra le métier de dragiste. Il fondera sa confiserie, Dragées Martial, en 1912, dans la maison familiale, et se spécialisera dans la confection de dragées de baptême aux amandes. Entrepreneur prospère, il quittera Ivry sur Seine pour s'installer sur quatre étages, aux 55-58 rue Planchat. En 1932, nait l'entreprise « Fabrique de dragées Martial-Duchesne » qui propose au prix de gros de succulentes dragées pour garnir les tables et offrir aux invités. Deux ans plus tard, Raymond Martial ouvre une succursale au 79, avenue des Champs Elysées, pour les clients particuliers. Chaque client se voit alors offrir un échantillonnage de dragées bleues, roses ou assorties, accompagné d'un catalogue de boites réalisées en papier plissé, en vieux parchemin ou en daim blanc. De judicieux conseils de savoir-vivre sont aussi prodigués aux parrains pour lui assurer une cérémonie parfaite. Le même faste est offert lors du baptême des cloches d'églises. C'est à l'issue du diner offert par ses soins que le parrain offre à l'évêque un grand coffret de satin rempli des dragées les plus fines, tandis que de jolies boites sont distribuées aux invités présents. Peu à peu, le nombre de boutiques augmente dans l'ouest parisien. Et Bernadette, la fille de Raymond Martial d'être mise en scène dans les publicités qui vantent les dragées fraiches et roses comme bébé. Aujourd'hui encore, cette même tradition perdure sous l'égide du groupe franco-belge Jeff de Bruges, qui acquit la marque en 1997.

 

L'exposition nous conte aussi l'histoire de deux autres entreprises locales : les Chaussons et ballerines Repetto et les Imperméables Cyclone. En 1947, Rose Repetto tient alors un bistrot et voit son fils, Roland Petit, rentrer épuisé de ses cours de danses, les pieds blessés. Bonne couturière, Rose tente alors de fabriquer un chausson de danse plus adapté, et crée la technique du « cousu-retourné ». Devant le succès des premiers modèles de chaussons, elle abandonne le bistrot pour se consacrer entièrement à son atelier qu'elle ouvre bientôt près de l’Opéra de Paris. C'est alors la naissance de la ballerine Repetto. Le premier magasin de la marque ouvre ses portes en 1959, au 22 rue de la Paix, puis un atelier est créé dans les murs d'une ancienne manufacture de boutons quelques temps plus tard, au 45 rue du Télégraphe. Le succès des ballerines ne se démentira pas auprès notamment de Zizi Jeanmaire (femme de Roland Petit), de Béjart, de Noureev, des Folies Bergère ou de Kirov.

Les imperméables Cyclone, eux, installeront leur siège au 37, rue du Télégraphe, afin de se consacrer à leur clientèle principalement constituée d'agents du service public (gendarmes, policiers...). La publicité de 1972 clame alors le slogan Imperméables Cyclone, pour se sentir bien partout, même s'il ne pleut pas. Et l'entreprise de se lancer ensuite dans le prêt à porter. La première usine se situait rue Olivier Métra et sera plus tard transformée en atelier pour prototypes. La marque disposait par ailleurs de trois autres usines, dont celle de Fougères (Ille et Vilaine) avec ses 600 ouvrières. Les Imperméables Cyclone embaucheront jusqu'à 1500 personnes au plus fort de leur activité. L'entreprise lancera même une collection enfantine pendant une courte période, du bébé au 18 mois. Elle trouvait alors ses modèles à la crèche laïque Saint-Fargeau, installée au 33 rue du Télégraphe, en échange des chutes de tissus qui faisaient la joie des petits. Plus tard, Cyclone sera intégrée dans la structure du Bon Marché. Les bureaux de la rue du Télégraphe seront cédés à un ensemble immobilier. Le nom de la marque, lui, existe encore de nos jours avec toujours une belle diversification.

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition « Affaires familiales – Les entreprises pionnière de l'Est parisien, 1830-1959 », au Pavillon de l'Ermitage, 148, rue de Bagnolet, à Paris (20è), jusqu'au 17 juillet 2016. Pour vous y rendre : Métro Porte de Bagnolet, tram T3bis, Porte de Bagnolet ou Bus ligne 76, arrêt Pelleport-Bagnolet. Ouvert du jeudi au dimanche, de 14h00 à 17h30. Entrée : 3€.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 








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