Dimanche 16 avril 2017
A l’occasion de mon retour à New York, j'inaugure une nouvelle série d'articles sur celle qu'on surnomme la Grosse Pomme. Il existe réellement une ville de New York insolite et secrète et je me propose aujourd'hui de vous la faire découvrir.
Dans le quartier de Chambers Street, il existe une étrange fenêtre (ci-dessous), celle de la prison de la sucrerie. Il existe bien une plaque historique sur place mais rien ne prouve que le bâtiment auquel appartient cette vieille fenêtre du Police Plaza était autrefois une prison. Et l'ouverture d’exister encore de nos jours, évoquant l'histoire de la Révolution américaine trop méconnue. Il exista jadis plusieurs sucreries dans le sud de Manhattan, qui servirent aussi de geôles aux Anglais pour les prisonniers de guerre américains. Ces constructions pas très attrayantes étaient pourtant idéales car, bâties au milieu du XVIII ème siècle pour raffiner puis conserver le sucre, elles s'élevaient sur cinq étages, possédaient des murs épais, des plafonds bas et de petites fenêtres. Les soldats américains y connaitront l'enfer, mourant de faim les uns après les autres, atteints tout à tout par des maladies contagieuses qui se répandaient si vite qu'on entassait les cadavres par piles entières. Et il est nécessaire de rappeler que trois fois plus d'Américains périrent derrière les barreaux que sur le champ de bataille de cette guerre contre les Anglais. Ce massacre valait bien un monument. Un livre, Forgotten Patriots, raconte même qu'un immigré écossais se rappela avoir vu, au tournant du XVIII ème siècle, des soldats s'attarder devant la sucrerie en question pour méditer sur les sévices qu'on leur avait infligés à cet endroit. La ville, elle, muait en effaçant peu à peu les traces du passé et l'Ecossais de prédire qu'un jour, on ne retrouverait plus à New York aucune trace de l'emplacement où se dressait une prison dans l'histoire de la tradition révolutionnaire. Il ne reste plus donc désormais que cette fenêtre, qui appartint à l'origine à la sucrerie Rhinelander, à l'angle des rues Duane et Rose Streets. Le mur de ce bâtiment qui sera sauvegardé lorsqu'en 1892 un nouvel immeuble sera érigé aurait alors, comme par magie, et selon certains témoins new-yorkais, laissé apparaître des tourbillons de vapeur à cette fenêtre et des fantômes affamés qui regardaient à travers les barreaux. La sucrerie, elle, ayant fait son temps, la célèbre fenêtre sera enchâssée dans un petit mur de brique de Police Plaza, au cours des années 1960.
Au 31 Chambers Street, on peut admirer les sceaux de la ville au Tribunal des Successions: New-York possède plusieurs exemples de sceaux officiels, mais rares sont ses habitants qui pourraient les décrire. Ces sceaux sont comme les monnaies, à la fois riches en symboles et si banals qu'on ne prête pas attention aux détails. Ils sont pourtant les témoins du passé.
Le Tribunal des Successions (Surrogate's Court) , en photo ci-dessous, est le lieu privilégié pour parcourir l'histoire de la ville à travers ses sceaux. Il s'agit par exemple d'observer les tympans des trois arches au-dessus de l'entrée. Les sceaux, eux sont rangés dans l'ordre chronologique. Le plus à droite, on aperçoit un Européen et un Algonquin flanquant un blason héraldique (deuxième photo). L'Européen tient une ligne de sonde (un plomb attaché à une corde destiné à mesurer la profondeur de l'eau) et indique du même coup qu'il est marin, allusion à la colonisation du Nouveau Monde par la mer et à l'importance de New-York comme centre portuaire. L'Indien, lui, tient un arc et porte des plumes derrière la tête, à la mode algonquine. Au centre du blason figure un grand X, qui représente les ailes d'un moulin. Entre ces ailes, on peut apercevoir des castors, dont la fourrure intéressait les premiers colons (cette fourrure est à l'origine de la richesse de New-York et la première raison de l'implantation des colons à cet endroit), et des tonneaux de farine, une denrée longtemps monopolisée par la ville, laquelle la fera fructifier dès le début de son histoire. Au-dessus, figure un demi-globe surmonté d'un aigle américain.
Plus à gauche, sur un autre sceau (troisième photo), l'aigle a disparu et est remplacé par la couronne impériale de la Grande-Bretagne, avant l'Indépendance. 1686 reste l'année où l'on accorda une charte à la ville de New-York.
Encore plus à gauche, un autre sceau (quatrième photo) nous présente la Nouvelle-Amsterdam hollandaise. Un castor s'y prélasse en haut du sceau du vieil Amsterdam. Quant à l'origine des ailes du moulin, elle se trouve dans une série de croix de Saint André qui figurent dans le blason amstellodamois. Juste à côté, se trouve le sceau des Nouveaux Pays-Bas (cinquième photo), avec l'éternel castor, et, autour du blason, un ceinture de wampum (variété de palourdes pullulant dans le détroit de Long Island), deux formes de monnaie locale au début de la colonisation lorsque New-York n'était encore qu'une colonie de proscrits réfugiés sur une île marécageuse.
Quant au Tribunal des Successions, il fut érigé avant 1915, l'année où l'on établit le sceau de New-York. Une version actuelle de ce sceau peut être admirée à l'intérieur du bâtiment, sur l'estrade du vigile. D'autres sceaux officiels figurent sur le drapeau de la ville, sur les badges des policiers et derrière les certificats d'inspection de l'hygiène affichés sur la plupart des vitrines de tous les restaurants.
Il existe plusieurs stations fantômes sur la ligne 6 du métro new-yorkais, certaines stations ayant été abandonnées à leurs quais déserts et aux graffitis que plus personne ne lit. On devine ces anciennes stations à travers les vitres du wagon comme, par exemple, Worth Street, qui se trouve entre Brooklyn Bridge et Canal Street, et ne ressemble à rien d'autre qu'à un simple quai. Sur la même ligne, se trouve, plus au nord, la station de la 18 ème rue, également à l'abandon. Et puis, il y a City Hall, point de départ de l'Interborough Rapid Transit, premier métro de New-york. Son inauguration, qui eut lieu le 27 octobre 1904, fut spectaculaire car plus de 100 000 New-yorkais descendirent sous terre pour y assister. Et les passagers de chanter à bord des wagons, certains déambulant le long de la ligne des heures durant. Heins et Lafarge, les architectes du projet, avaient souhaité créer non seulement un service, mais également un monument. Ce fut réussi car City Hall brillait de tous ses feux, recouverte d'une céramique de couleur, avec des voûtes Guastavino auxquelles étaient suspendus des lustres. Ce qui en fit à l'époque l'une des plus belles stations de métro de la ville. Et le beau monde d'y descendre en tenue de soirée. Située toujours au même endroit,, dans un virage resserré où cinq wagons seulement peuvent s'arrêter, elle dut être fermée lorsqu'on rallongea les rames en 1945. Elle est visible encore aujourd'hui sur la ligne 6 en direction du sud, à Brooklyn Bridge, avant que le métro ne fasse demi-tour pour remonter vers le nord. Le conducteur annonce alors l'arrivée prochaine au terminus. Collez alors votre visage contre la vitre du côté droit de la rame !
Poursuivons notre visite en restant sur la Chambers Street, et en nous arrêtant au numéro 52. Là s'élève la Tweed Courthouse Tour (en photo ci-dessous). Le Palais de Justice Tweed est attrayant du point de vue architectural. Rénové depuis qu'il est devenu le siège du Ministère de l'éducation, le bâtiment a retrouvé son apparence d'origine avec ses briques de couleur vive, une fois débarrassé des couches de peinture successives qui le recouvraient. L'édifice faillit pourtant disparaître dans les années 1970, car il était alors extrêmement délabré. Il ne devra son salut qu'au manque des fonds nécessaires à s démolition et il fallut attendre un peu pour voir cette structure restaurée. Il est vrai qu'au yeux des New-yorkais, ce palais de Justice centenaire avait une sulfureuse réputation. En effet, son bâtisseur, William Boss Tweed passe pour avoir été le plus grand escroc de l'histoire de cette ville. Lui et ses complices détourneront ainsi plusieurs centaines de millions de dollars de fonds publics pour construire ce bâtiment dans les années 1680-1870. Et la facture finale de représenter le double de ce qui avait été versé à l'Etat de l'Alaska. D'où le surnom de « monument de la corruption » de ce palais de Justice.
Tweed marqua durablement les esprits par sa carrure et ses méthodes. Il mesurait plus d'1,80 mètre et pesait quelques 140 kilos. De plus, il avait pour habitude d'arpenter les rues du quartier et de recevoir des immigrants en difficulté, surtout des Irlandais. Et de demander à ces gens de voter pour lui en échange du travail ou du logement procuré.
Construit durant la Guerre de Sécession, le palais de Justice reflète les tensions de l'époque. Et fut bâti par deux architectes aux opinions radicalement opposées. Cela ne les empêchèrent pas de travailler ensemble vingt ans durant, offrant au final un curieux mélange de fonte et de brique. Ancien palais de Justice du comté de New-York, l'édifice est le deuxième plus ancien bâtiment du gouvernement de la ville de Manhattan, juste après l'Hôtel de Ville de New-York. Il fut construit dans un style italianisant avec des intérieurs néo-romans. L'extérieur fut érigé à partir de 1861-62 par l'architecte John Kellum, mais la construction sera interrompue à cause de la divulgation de la corruption auprès du public. Léopold Eidlitz complètera le projet en ajoutant l'aile arrière et en rénovant l'aménagement initial entre 1877 et 1881, en partant du style classique de Kellum tout en imposant une version américaine de l'architecture organique exprimée à travers des formes médiévales. Et l'argent de circuler d'une poche à l'autre parmi les complices de Tweed, suivant un système compliqué de blanchiment durant toute cette période de construction. 1984 verra le classement de l'ensemble au National Historic Landmark, puis son ajout au National Register of Historic Places, devenant ainsi l'un des plus grands et des plus importants monuments civiques de la ville. La presse, mais aussi les célèbres caricatures de l'artiste Thomas Nast contribuèrent à dénoncer les agissements de William Boss Tweed qui finit par être condamné dans le palais de Justice qu'il avait lui-même fait bâtir. Tweed finira par s'échapper pour gagner l'Espagne, jusqu'à être arrêté de nouveau grâce à un dessin caricatural de...Thomas Nast !
INFOS PRATIQUES :
- La fenêtre de la sucrerie, à Police Plaza (derrière le Municipal Building). Accès par les lignes de métro J et Z / Chambers Street, ou par les lignes 4, 5 et 6 /Brooklyn Bridge-City Hall.
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Tribunal des Succession, 31 Chambers Street à New-york. Accès en métro par les lignes J et Z / Chambers Street, ou les lignes 4, 5 et 6 / Brooklyn Bridge – City Hall.
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Stations fantômes de la ligne 6 : les trains des lignes 4 et 5 passent aussi par les stations de Worth Street et de la 18 ème Rue). Le MTA Museum organise par ailleurs des visites de la station City Hall deux fois par mois, à condition d'être membre du musée. Quant aux vieux wagons hors service du métro, ils sont démantelés puis jetés sur un récif artificiel au sud de la côte atlantique, destinés à attirer les mollusques, puis les poissons et...les pêcheurs !
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Palais de Justice Tweed, 52 Chambers Street, à New-york. Tèl : 212 788 2656. Accès en métro par les lignes 1, 2, 3, A, C et J (Chambers Street), trains 2 et 3 (Park Place), trains N et R (City Hall) et trains 4, 5 et 6 (Brooklyn Bridge). Site internet : http://www.nycgo.com/arts-culture/tweed-courthouse