Mardi 24 octobre 2017
De retour à Buenos Aires (Argentine), je vous invite à découvrir cette fois la Casa de Ejercicios espirituales « Sor Maria Antonia de la Paz y Figueroa ». Erigée en 1795, cet édifice dont on pourrait traduire le nom par « Maison des Exercices spirituels de sœur Maria Antonia de la Paz y Figueroa » représente sans aucun doute l'un des plus beaux exemples de bâtiments coloniaux de la ville. L'endroit existe toujours et conserve encore une grande partie de sa structure d'origine. Ainsi, son mur d'enceinte est-il construit en pisé tandis que le portail en bois qui donne sur l'Avenue Independencia est une véritable relique menant à un lieu presque demeuré immuable depuis l'époque de la vice-royauté des années 1800. Sols, revêtements, ouvertures, mobilier et décoration sont originaux. Fondée par Maria Antonia de la Paz y Figueroa (cette sœur était originaire de Santiago del Estero), cette maison fut la première école pour filles, et aussi un lieu d'accueil pour les jeunes filles abandonnées. L'édifice servira également de refuge pour des personnalités les plus connues de l'époque comme, par exemple, Cornelio Saavedra, Jacques de Liniers, Manuel Belgrano, Mariano Moreno, Bernardino Rivadavia, Juan José Castelli, Juan Bautista Alberdi ou Juan Manuel de Rosas... La demeure sera ensuite déclarée Monument historique national pour sa valeur patrimoniale, mais n'ouvre malheureusement que rarement ses portes (un dimanche par mois) car des retraites spirituelles y sont toujours actuellement effectuées. Si vous avez la chance de pouvoir y pénétrer, ce qui ne fut malheureusement pas mon cas, vous apprécierez certainement les patios coloniaux, les cloitres, les cellules des religieuses (avec des trésors de l'art baroque jésuite) et les chapelles. L'une des ces chapelles est d'ailleurs consacrée au culte de Jésus de Nazareth et possède un portrait touchant de Jésus Christ, originaire de Cuzco. Une autre pièce remarquable est une impressionnante croix de 45 kg, en bois de caroubier, portée jadis par les pénitents. Cette croix est de nos jours encore accrochée au mur du cloitre du couvent.
La Maison des Exercices spirituels sera utilisée comme espace de préservation de la femme de la fin du XVIII ème au début du XIX ème à une époque où on ne reconnaissait aux femmes que très peu de droits. On y abritait également les femmes en attente d'un jugement, ou celles qui ne disposaient pas de tuteur masculin. Ainsi Mariquita Sanchez fut-elle enfermée à cet endroit, d'après la plaque de bronze accrochée à la porte de l'une des chambres. Cette punition eut pour origine la romance entretenue par cette jeune fille de 15 ans avec son cousin Martin Thompson, et avec lequel elle finira par se marier malgré l'opposition de ses parents. Camila O'Gorma, elle aussi, séjournera ici après avoir été arrêtée avec le prêtre Ladislao Gutierrez au moment où le couple s'apprêtait à fuir à l'étranger. La demoiselle sera transférée au couvent pour y attendre son jugement grâce à l'intervention de son amie, Manuelita Rosas, la fille de Juan Manuel de Rosas. Ainsi Camila disposera t-elle d'une chambre individuelle avec un piano à queue qui se trouve encore aujourd'hui dans le salon des Amériques. Juan Manuel de Rosas refusera par contre de lui accorder sa grâce et signera son ordre d'exécution. Camila O'Gorman sera fusillée le 18 août 1848, alors qu'elle était enceinte de huit mois. On ne plaisantait pas avec la moralité à cette époque !
Autre curiosité portègne : la porte historiée de la bibliothèque del Docente, en photo ci-dessous. Celle-ci donna accès au complexe Carlos Peligrini 80 ans durant. L'endroit est un ensemble formé de deux écoles et d'une bibliothèque publique située au N°1300 de l'Avenue Entre Rios. Cette porte-monument présente l'histoire de l'éducation argentine sur quelques mètres carrés seulement grâce à l'oeuvre du sculpteur Arturo Dresco (deuxième photo). Cette œuvre fut conçue comme un hommage aux professeurs et fut inaugurée le 11 septembre 1933. Cette date représente le Jour Panaméricain de l'enseignant et commémore la date du décès de Domingo Faustino Sarmiento, considéré comme le père de l'Education publique argentine. L'oeuvre en question est composée de huit panneaux de bronze en relief montrant les paysages de différentes régions du pays : chaque panneau décrit ainsi des scènes typiques du travail d'un enseignant, en insistant tout particulièrement sur le sacrifice de ceux qui travaillaient dans les zones rurales et frontalières. L'imposant porte de trois mètres de haut offre sur ses côtés les figures de Sarmiento, Rivadavia, Belgrano et Moreno, des personnages politiques qui contribueront au développement de l'école argentine. L'oeuvre est complétée par des représentations de la flore et de la faune locales et par les blasons des quatorze provinces composant la République argentine. A noter que cette porte del Docente représente des similitudes avec l'oeuvre de la Renaissance de la porte du baptistère Saint Jean-Baptiste à Florence (dont l'autre nom est la porte du Paradis). Notre sculpteur Arturo Dresco aurait d'ailleurs très bien pu s'en inspirer car il étudia dans cette ville pour terminer sa formation. Nous l'avons vu plus haut, la porte del Docente remplit pendant des dizaines d'années sa fonction originelle d'accès à la bibliothèque, mais les intempéries et le cours du temps l'abimèrent considérablement. Et les Autorités de l'avoir retiré de son encadrement en 2013 pour la restaurer cette même année. Depuis, la célèbre porte est exposée dans le hall de la bibliothèque.
Buenos-Aires possède également des zones bien mystérieuses. Dans le quartier excentré de Barracas, au nord de la capitale, le passage Mompox est connu pour son étrangeté : en 1978, au croisement des rues Mompox et Garay, Sergio, un étudiant qui gagnait sa vie en travaillant dans l'épicerie d'un proche, fut enlevé puis séquestré par un groupe de militaires. Dans les années 1990, quelques voisins racontèrent avoir perçu un jour les cris d'appel au secours d'un jeune homme, des cris émanant de l'épicerie désormais fermée. Certains pensent qu'il pourrait s'agir d'une tentative destinée à faire prendre conscience aux Argentins de la nécessité d'appuyer la cause des Mères de la place de Mai. A cinq blocs de la place Constitucion, au N°1636 de la rue Mompox, un portail donne sur le couloir d'une antique maison chorizo. Au fond de ce portail monte un escalier. Et la rumeur de raconter que la nuit, une faible lumière émane du toit et qu'il est possible d'écouter les lames de deux poignards s'entrechoquer un peu comme les cloches d'une église. Ces faits bizarres se rapportent à l'histoire de deux voyous qui se disputaient autrefois la domination du quartier et qui cherchèrent à prouver leur bravoure au cours d'un duel. Aucun vainqueur ne sortit de ce combat et il ne resta que le sang des deux vaincus. Depuis cette date, alors que la pleine lune brille certaines nuits, le silence succède aux bruits du combat, das l'obscurité d'une ruelle qui possède plus de légendes que d'habitants.
La publicité peut « jeter un froid » sur ce quartier de Montserrat, au croisement des rues Peru et Belgrano, mais attire malgré tout l'attention. Cette ancienne réclame qui vante les mérites des réfrigérateurs Polaris représente un frigo blanc bien rempli directement relié au pôle Nord qui lui transmet directement le froid polaire. C'est le fameux Lino Palacio (en photo ci-dessous) qui aurait inventé ce concept publicitaire. Notre homme fut à la fois dessinateur, scénariste, peintre, artiste graphique et publicitaire. Au bas de cette publicité, l'adresse Peru 362 signale le commerce des Frères Banham, où se vendait hier le réfrigérateur. Il ne reste rien aujourd'hui de ce magasin. Mais alors, pourquoi cette fresque publicitaire survit-elle encore de nos jours ? Celle-ci fut déclarée Patrimoine culturel de la Ville de Buenos-Aires en septembre 2007 à la suite d'une minutieuse restauration effectuée sur cette peinture en 1990 grâce à l'appui du Secrétariat de la Culture et d'une école d'art, dont les élèves et les professeurs rendirent la fraicheur d'antan à cette remarquable publicité. Pour bien l'observer, mieux vaut se poster de l'autre côté du « patio porteno » afin de lire le célèbre slogan « Réfrigérateurs Polaris : un froid polaire dans votre foyer ».
Achevons cette visite par la statue du Forgeron (ci-dessous), située dans le quartier de Montserrat. Au même endroit, le Club Museum est connu pour son concepteur, le fameux Gustave Eiffel. Transportés depuis la France en 1906, les colonnes et les chapiteaux ornant la construction furent remontés à Buenos-Aires par un architecte local. Il faudra néanmoins une dizaine d'années pour terminer l'édifice de style français qui finit par être inauguré comme fabrique d'outils agricoles et de moulins. Originellement appelé Le Forgeron, le bâtiment conserve toujours de nos jours une statue en son sommet et l'endroit est désormais classé Monument historique. La statue, elle, fut réalisée par l'architecte argentin Lorenzo Siegaris et reste fidèle à la construction d'origine alors que l'intérieur de l'immense bâtisse fut restructuré lorsqu'une célèbre discothèque commença à y fonctionner. Et le sous-sol, le rez-de-chaussée et les deux autres étages bâtis en acier, d'être à présent occupés par des carrés VIP, des restaurants et des bars. Bien du temps s'est écoulé depuis l'édification de ce Club Museum sur ce qui fut jadis la propriété de Vicente Lopez y Planes (l'auteur de l'hymne national argentin), une superbe maison construite en 1757 entourée de magnifiques jardins.
INFOS PRATIQUES :
- Casa de Ejercicios Espirituales « Sor Maria Antonia de la Paz y Figueroa », Independencia 1190, à Buenos-Aires. Tél : +54 11 4304 0984 et 4305 4618. Ouvert le troisième dimanche de chaque mois (se renseigner préalablement sur les horaires). Possibilité d'effectuer des retraites spirituelles sur place. Accès : Métro lignes C et E, station Independencia.
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Bibliothèque del Docente, Entre Rios 1349, à Buenos Aires. Ouverte du lundi au vendredi de 9h00 à 18h00. Accès par le métro de la ligne E, Station Entre Rios-Rodolfo Walsch. Site internet : http://www.buenosaires.gob.ar/educacion/docentes/biblioteca-del-docente
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Passage Mompox 1600 à Buenos-Aires. Accès : métro de la ligne E, station Entre Rios-Rodolfo Walsh
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Publicité pour les réfrigérateurs Polaris, Avenue Belgrano 600, à Buenos-Aires. Accès par le métro ligne E (station Belgrano) ou ligne A (station Peru)
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Club Museum (et statue Le Forgeron), Peru 535, à Buenos-Aires. Tél: +54 11 4781 7061. Ouvert le weekend en soirée. Accès par le métro de la ligne E, station Belgrano. Site internet : http://www.clubmuseum.com.ar/