Lundi 6 novembre 2017
Non loin de Funchal, se trouve Camara de Lobos, une petite commune côtière dont les environs offrent tout à la fois cirques montagneux et châtaigneraies dans l'arrière-pays et falaises couleur rouille et vignes en espalier sur le littoral. Je vais, pour la première fois depuis mon arrivée ici, expérimenter ma conduite madérienne. Excepté les départs en côte, tout se passe pour le mieux lors de ce premier déplacement : le GPS m'oriente bien pour sortir de Funchal, même s'il sera plus évasif sur les informations délivrées en montagne. Cette balade me prendra en tout et pour tout six heures. Parti à 8h00 de mon hôtel, je serai de retour à 14h00.
Premiers émois ce matin devant la beauté de la montagne de l'île de Madère : tout aurait commencé par une fissure dans la croute océanique, tout près de la plaque africaine. Le magma se serait ainsi épanché en grosses quantités par cette faille, donnant naissance, d'éruption en éruption, à Madère, il y a sept millions d'années.
Cette île de lave et de basalte n'est que la (petite) partie émergée d'un énorme massif volcanique appelé Pico Ruivo. Ce dernier s'élève certes à 1861 mètres au-dessus du niveau de la mer mais culmine en fait à ...5300 mètres au-dessus du fond de l'océan. Les spécialistes distinguent deux grandes phases dans la formation de l'île : une période ancienne, très éruptive au cours de laquelle se serait constituée la cordillère centrale, il y a de cela 4 à 2,5 millions d'années avant notre ère. Et puis une deuxième période (entre 2,2 et 1,6 million d'années avant notre ère) qui fut moins convulsive et durant laquelle lave et sédiments auraient recouvert la périphérie du massif central. Ce principal foyer éruptif se situe autour de Curral das Freiras (en photo ci-dessous) où je me rends aujourd'hui.
Ma première halte aura lieu au belvédère d'Eira do Serrado, qui se trouve à 1095 mètres d'altitude. Prenant la route en direction de Curral das Freiras, je tournerai à gauche juste avant le tunnel pour emprunter une petite route sinueuse et faite de nombreux lacets. Il est conseillé d'y rouler prudemment. Cette route mène en réalité à l'hôtel Estalagem Eira do Serrado où je garerai mon véhicule. De là, dix minutes de marche seront nécessaires afin d'atteindre le belvédère et sa vue imprenable sur les montagnes environnantes (ci-dessous): par temps clair, on peut apercevoir à l'ouest le Pico Grande (1654 m), au nord, le col du Torrinhas (1460 m), à l'est, l'Arieiro (1816 m) et, tout au fond, la crête arrondie du Pico Ruivo (1861 m), point culminant de Madère. Au fond de la vallée se niche Curral das Freiras, un petit village que l'on peut atteindre en une heure à pied, toujours depuis le même hôtel, ou en voiture par un long tunnel de 2404 mètres.
Curral das Freiras a cela de spécifique qu'il est cerné par des pics montagneux et se retrouve donc isolé. Il n'est en effet relié au réseau routier que depuis...1962. Rappelez-vous, c'est là que les religieuses du couvent Sainte-Claire de Funchal s'étaient réfugiées, en 1566, lors de l'attaque de la ville par les pirates de Bertrand de Montluc. Et les sœurs de fixer leur QG dans la bergerie, d'où le village tire d'ailleurs son nom : Curral das Freiras (la bergerie des nonnes). J'aurai vite fait le tour de l'endroit, admirant au passage la vue sur la vallée depuis le petit cimetière situé en contrebas derrière l'église (ci-dessous). Sur la petite place, se trouve La Vale das Freiras (ou vallée des nonnes), un petit hôtel-restaurant qui possède aussi une boutique où sont vendus des spécialités à base de châtaignes (deuxième photo). On y trouve ainsi des biscuits et des gâteaux à la châtaigne, de la crème de châtaigne et des liqueurs à la châtaigne.
Ma prochaine étape me conduit à Jardim da Serra, surtout connu pour sa quinta 5***** (la Quinta da Serra, en photo ci-dessous), propriété rurale qui fut édifiée en 1820 par le consul britannique Henry Veitch. Notre homme y avait installé un magnifique jardin où on cultivait le thé, et avait fait de l'endroit sa résidence favorite au point d'avoir d'ailleurs été inhumé sur place. On le comprend. La région est superbe avec ses vignes à flanc de coteaux (deuxième photo) et ses vergers qui donnent leurs plus belles couleurs en avril et en mai. Là sont produites chaque année 230 tonnes de cerises madériennes, des miudas, toutes petites, et des Norberto, plus grosses. C'est aussi à Jardim da Serra qu'a tout naturellement lieu la fête des cerises au mois de juin. On y récompense alors les meilleurs producteurs locaux et les visiteurs peuvent siroter sur place de la liqueur de griotte (Ginjinha) ou tout simplement assister au défilé des paniers.
Je prends maintenant la route de Camara de Lobos (« Chambre des loups »), ville qui doit son nom aux phoques moines qui étaient encore nombreux à cet endroit lors de la découverte de l'île par les premiers navigateurs au XV ème siècle. Ma préoccupation première sera de garer ma voiture mais les places libres sont rares et souvent...payantes. Je trouverai finalement refuge à quelques mètres de la bibliothèque municipale qui abrite le musée de l'imprimerie madérienne, unique sur l'île. Je serai très gentiment accueilli par son responsable, Lourenço Freitas, qui est également l'auteur d'un ouvrage sur l'histoire de la presse de l'île : j'apprendrai ainsi que le premier journal sera publié en 1821 à Funchal et portera le nom de Patriota Fuchalense. L'île possèdera en tout 383 journaux au cours de son histoire, et même quelques journaux clandestins. Le musée actuel, qui a ouvert ses portes en septembre 2013, est né à Camara de Lobos lorsque la ville a eu l'idée de se lancer dans cette entreprise avec la collaboration de l’Europe. Aujourd'hui, 40 à 50 machines sont exposées pour le plus grand plaisir des visiteurs qui découvriront sur place d'anciennes machines récupérées lors de fermetures d'imprimeries et d'organes de presse sur l'île.
A deux pas de la bibliothèque se tient la Place de la République avec son kiosque à musique et ses cafés en terrasse. Il est dommage que des sans-abris y errent avec leurs chiens. Tournons nous plutôt vers le passé car c'est ici que les lavandières avaient pour habitude d'étaler leurs draps pour les faire sécher, juste en contrebas, à l'embouchure de la rivière au cours des années 1950. Sur cette place, se dresse l'église paroissiale qui conserve toujours un maitre-autel baroque sculpté par Manuel Pereira et une frise d'azulejos émaillant les murs de deux motifs très prisés au XVII ème siècle, à savoir les épis de maïs et les camélias.
Je redescends la Rua Sao Joao de Deus qui me mènera en quelques minutes au petit port de Camara de Lobos : c'est à cet endroit que se trouve encore de nos jours la plus ancienne chapelle de l'île de Madère (en photo ci-dessous) après celle de Machico. Notre-Dame de Conception (tel est son nom!) sera bâtie entre 1420 et 1424 à la demande de Zarco, le découvreur de l'île. L'intérieur offre d'admirer des toiles naïves du XVIII ème siècle illustrant des scènes de la vie de Pedro Gonçalves Telmo, le saint patron des marins portugais. Un petit tour sur l'anse du port me permet de découvrir des embarcations de pêche très colorées et des poissons en train de sécher. Les pêcheurs locaux rapportent encore de belles prises des grandes profondeurs (entre 1500 et 1800 mètres) dont des sabres noirs ou des squales savate. Winston Churchill, lui, passera quelques jours ici en 1950 pour se remettre d'une sale grippe et posera son chevalet au petit belvédère du port, histoire de peindre sa scène favorite : le fond de l'anse, avec les barques bariolées et les filets de pêche en train de sécher sur des arceaux d'osier. Les aquarelles inspirées par Camara de Lobos à notre homme sont désormais visibles dans l'ancienne résidence de Winston Churchill, à Chartwell (Kent, Angleterre).
Partons maintenant au Cabo Girao (ci-dessous) : ce promontoire rougeâtre s'élève à 580 mètres au-dessus du niveau de la mer et offre une vue imprenable sur les environs. Il s'agit là de l'une des falaises les plus vertigineuses d'Europe, dont on peut même apercevoir par temps clair les îles Désertes, au large. Clou du spectacle, une plateforme de verre permet d'observer le contrebas de la falaise avec le faja (deuxième photo), l'éboulement de la falaise et les lopins de terre cultivés avec soin.
Etape finale de mon périple, je décide de m'arrêter un instant à Faja dos Padres, une langue de terre où vivaient jadis une cinquantaine d'habitants. Faja signifie éboulement de falaise et le seul accès possible était jadis par bateau. Le progrès faisant bien les choses, Faja dos Padres est désormais desservi par un téléphérique qui descend en cinq minutes et de manière vertigineuse vers la mer, depuis la haute falaise (ci-dessous). Le lieu doit son nom aux Jésuites (Padres) qui y cultivèrent la vigne pendant presque deux siècles. Aujourd'hui, je découvre un verger luxuriant où poussent bananes, avocats, mangues...qu'il est interdit aux touristes de cueillir ! Ces fruits et légumes, issus de la culture biologique, sont servis au restaurant tout proche qui propose une cuisine délicieuse et à prix doux. Je craquerai personnellement pour le filet de sabre à la mangue et son lit de petits légumes (deuxième photo). Les plus audacieux prendront quelque repos sur la plage de galets (troisième photo).
INFOS PRATIQUES :
- Belvédère Eira do Serrado, accessible par la ER 107, en tournant juste avant le tunnel pour Curral das Freiras, et en empruntant une route sinueuse. Suivre les panneaux routiers. Se garer sur le parking de l'hôtel, puis prendre un petit chemin à gauche de l'établissement, marcher dix minutes jusqu'au belvédère. Accès H (par un chemin alternatif).
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Vale das Freiras (boutique de spécialités à base de châtaigne), près de l'église, et ouverte tous les jours de 9h00 à 21h00. Tél:+351 291 712 548.
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Quinta da Serra, Estrada do Chotte 4, à Jardim a Serra. Tél : +351 291 640 120. Site internet : http://www.hotelquintadaserra.com/hotel-overview.html
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Musée de l'imprimerie madérienne, Avenida da Autonomia 3, à Camara de Lobos. Tél : +351 291 910 134. Ouvert du lundi au vendredi de 10h00 à 17h00. Entrée : 3€. Merci à Laurenço Freitas pour son charmant accueil. Son ouvrage, entière rédigé en langue portugaise s'intitule « Imprensa periodica madeirense os Jornais da Autonomia »
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Cabo Girao, à 7 km de Camara de Lobos. Parking gratuit à proximité et entrée gratuite sur le site. Un téléphérique permet d'accéder au faja (éboulement de falaise) en contrebas depuis le promontoire. Ce téléphérique (http://www.visitmadeira.pt/pt-pt/explorar/detalhe/teleferico-das-fajas-cabo-girao-rancho) se trouve à gauche sur le bord de la route conduisant au promontoire (panneaux routiers).
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Faja dos Padres, à 2,5 km seulement du Cabo Girao. On se gare Estrada Padre Antonio Dinis Enrique, tout près du téléphérique (http://www.fajadospadres.com/faja/index.php/pt/acessos-pt2/elevador-pt
). Ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00. Billet : 10€ (accès gratuit pour les enfants de moins de 11 ans et pour les hôtes des maisonnettes de la plantation).
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Le restaurant Faja dos Padres est quant à lui ouvert tous les jours de 10h00 à 17h00. Tél:+351 291 944 538. Menu varié sur place, cuisine délicieuse, à prix doux, et personnel très agréable. On peut régler par CB ou en liquide. Accès internet gratuit. On peut aussi demeurer sur place pour 61,50€ la nuit (deux nuits minimum) : http://www.fajadospadres.com/faja/index.php/en/