Mardi 28 novembre 2017
Bruxelles (Belgique) regorge d'endroits insolites que je vais tenter de vous faire découvrir dans cette nouvelle série d'articles, Si Bruxelles m'était contée. Le Plasticarium était, il y a quelques années encore, l'un de ces endroits particuliers. Le site et sa collection d'objets, œuvre originale de Philippe Decelle, ont depuis rejoint l'ADAM, le Musée du Design de Bruxelles, et en constitue le noyau dur de l'exposition permanente du musée. On peut y admirer la plus importante collection au monde d'objets en plastique, collection créée en 1960, date qui correspond à la création du premier meuble en plastique. 1973 reste une date mémorable puisqu'elle correspond au premier choc pétrolier, qui aura pour conséquence de renchérir considérablement le prix du plastique, lui-même dérivé du pétrole. Cette courte période entre ces deux dates correspond à l'âge d'or de ce matériau qui doit indirectement son existence à la Seconde Guerre mondiale, car la toile des parachutes était fabriquée en soie avant les années 1940. Cette matière première, qui provenait en grande partie du Japon, se fit beaucoup plus rare après l'attaque de Pearl Harbour et les Américains recherchèrent alors un matériau de remplacement et finirent par inventer le nylon, une variété de plastique. Lors de votre visite au nouveau Musée du Design, pensez à admirer l'un des cinq bureaux en plastique (ci-dessous) de notre ancien président de la République, Georges Pompidou. Ces bureaux sont l'oeuvre de Maurice Calka, sculpteur, designer, urbaniste et originaire de la Pologne. Notre homme vivra et travaillera à Paris tout au long de sa carrière. Il remportera de nombreux prix, comme celui de la sculpture (Premier Grand Prix de Rome en 1950), notamment pour ses réalisations en plastique. Vous découvrirez également sur les places des objets de la vie quotidienne stylisés par Starck, que l'on ne présente plus, et qui est l'un des exemples emblématiques de cet art décoratif industriel à but social. Notre homme démocratisera l'accès à une certaine forme d'art. Une autre partie de cette collection d'objets en plastique est consacrée à la période post-68 avec les célèbres chaises en forme de dent (molaire, double-molaire ou même incisive, en photo ci-dessous), œuvres de Wendel Castle. Sans oublier la chaise fleur de Günter Beltzig, les célèbres fauteuils bulle et le siège en forme d'oeuf. On ne peut pas dire que cette collection-là manque d'assise...La période plus récente offre de voir des objets créés par Starck ou César, comme ce tableau voyageur gonflable, La Source (troisième photo), très utile pour ceux qui dorment souvent à l'hôtel et sont fatigués des collections impersonnelles de leur chambre. Encombrement minimum pour un plaisir maximum puisque vous dégonflez votre tableau en repartant et hop !
Autre curiosité : l'école primaire du 16, rue Locquenghien. Bâtie entre 1903 et 1908 par l'architecte Fernand Symons, cette école comporte un superbe sgraffite (ci-dessous) attribué à Privat-Livemont. De l'italien graffiare (qui signifie gratter), le terme sgraffito désigne une technique de décoration murale consistant à revêtir une surface d'un enduit clair puis à gratter en partie cet enduit encore humide pour mettre à jour la première couche, et de créer par ce procédé un dessin. Cette méthode fut le plus souvent utilisée en deux couleurs (blanc et gris argenté) lors de la Renaissance italienne, notamment par le peintre et architecte Giorgio Vasari. Et les sgraffites d'être redécouverts au XIXème siècle, en Europe occidentale, sous l'influence de Gottfried Semper. Cette forme d'art connaitra alors un développement nouveau avec la gravure des lignes à côté du simple grattage et l'utilisation de la couleur. Malgré la présence d'une corniche, le sgraffite de l'école est dégradé mais permet de distinguer une grande guirlande de fleurs et de fruits avec laquelle jouent des enfants dénudés. Ce sgraffite encadre deux arcs ornés de bas-reliefs allégoriques : à gauche, un coq qui chante le lever du soleil, à droite, une pile de livres évoquant le savoir, un hibou, la sagesse et une balance, l'équité. On peut encore plus à droite, remarquer une poule entourée de ses poussins.
Poursuivant ma promenade bruxelloise, je découvre non loin de là la statue du pigeon soldat (en photo ci-dessous) : la Belgique doit être l'un des seuls pays au monde (avec le Japon) à posséder une statue célébrant cet oiseau soldat, mais cela peut s'expliquer par la forte tradition colombophile de nos amis belges, tradition déjà très forte avant 1939 puisqu'on comptait alors 130000 affiliés au début du siècle. Précisons que ce pays sera le seul à utiliser des pigeons voyageurs à des fins militaires durant la Seconde Guerre mondiale. Peut être cela était-il du à la forte population ouvrière qui peuplait à l'époque la région de Charleroi, la colombophilie étant devenue un loisir peu couteux. Avec l'augmentation du niveau de vie, on notera au fil du temps une nette diminution du nombre des affiliés mais les fidèles continuent à organiser des concours. Et la cinquantaine de pays possédant une fédération colombophile de se réunir régulièrement autour de lâchers de pigeons, auxquels on fait parfois parcourir des distances pouvant atteindre 1500 km. Il faut souligner que le pigeon voyageur possède cette incroyable capacité à toujours savoir rentrer chez lui. On attribue cette faculté à de petits cristaux présents dans son cerveau.
Quel est le plus court chemin du pigeon à...la banane ? Il suffit d'abord de lever la tête pour admirer la façade des immeubles bruxellois, dont la décoration est souvent inspirée par la flore et la faune du Congo belge, et plus particulièrement de la banane. Je me rends ainsi au 75-79 rue Antoine Dansaert pour admirer un immeuble qui fut construit en 1927 par Eugène Dhuicque pour le grossiste en produits exotiques Gérard Konincks Frères. La façade possède une jolie frise en grès émaillé (première photo ci-dessous), qui fut dessinée par Armand Paulis, et exécutée par le céramiste parisien Dhomme. Cette oeuvre représente plusieurs motifs de bananes, alors source de bonne fortune pour de nombreux marchands du début du XX ème siècle. Le commerce fructueux du fruit qui dépanne est aussi illustré sur un immeuble du 34, boulevard d'Ypres (deuxième photo), édifice bâti pour les mêmes grossistes. On admirera une décoration de bananes et d'autres fruits tropicaux juchés au sommet des pilastres de la façade.
La rue de la Cigogne, l'une des plus jolies ruelles de la capitale, ne se trouve qu'à deux pas. Recouverte de pavés anciens et bordée de vieilles maisons, cette rue possède un charme campagnard très apprécié de ses habitants. Côté rue du Rempart-des-Moines, l'entrée dispose d'un porche surmonté d'une très jolie chapelle qui abrite une statue de Saint Roch, datant de 1780 et d'un auteur anonyme.
Rendons-nous à présent au 46, rue de Flandre où se dresse la Maison du spectacle La Bellone. Cet édifice est invisible depuis la rue et donc méconnu de bien des Bruxellois. Et pourtant, l'endroit possède l'une des plus belles façades de la ville. L'ensemble, aujourd'hui transformé en centre dédié au spectacle, abrite plusieurs associations et n'accueille malheureusement plus beaucoup de représentations. Un simple coup d'oeil à la façade permet d'en admirer la beauté. Celle-ci fut construite entre 1697 et 1708 par Jean Cosyn, architecte-sculpteur qui participa à la reconstruction de la Grand-Place à partir de 1695. On se munira du petit feuillet explicatif fourni à l'entrée dans le couloir, afin de mieux observer tous les détails architecturaux, dont le buste de Bellone, déesse de la guerre dans la Rome antique, buste entouré de plusieurs armes et bannières (deuxième photo). Bâti sur une parcelle de l'ancien couvent des sœurs blanches de la Rose-de-Jéricho, La Bellone compte de nombreux signes et symboles chrétiens : ainsi les douze fenêtres sont-elles à rapprocher des douze mois de l'année et des douze apôtres, tandis que le chiffre 7 se retrouve, lui, à plusieurs reprises, comme dans ce faisceau de la loi en bas du troisième pilastre à gauche de la porte, et qui comporte sept baguettes, le coq, en bas du premier pilastre à droite de la porte comporte sept plumes, le linteau de la porte principale est aussi marqué de sept gouttes triangulaires, et les pilastres sont ornés de sept cannelures parallèles.
La Place du samedi (ou Place Sainte Catherine), non loin de là, offre sa Tour noire (ci-dessous), une tour médiévale curieusement coincée à l'intérieur du bâtiment moderne d'un hôtel. En fait, cette construction est un vestige de la première enceinte de Bruxelles au XII ème siècle. Cette tour sera aménagée en habitation au XVI ème siècle, plus exactement en une taverne connue sous le nom de In de Toren. Sauvée de la démolition par le bourgmestre Charles Buls, elle sera redécouverte, restaurée, puis remise en valeur en 1888 par l'architecte Victor Jamaer, lequel reconstruira le pignon à gradins et la toiture conique. La fameuse tour aurait probablement échappée à la destruction grâce à l'édification d'une deuxième enceinte fin XIV ème, mais n'échappera pas à son classement au titre des monuments historiques en 1937.
Puisque nous sommes dans l'insolite, je vous signale également un hôtel très original, sis au 23, Quai au Bois à Brûler. Les propriétaires ont, comme moi, fait le tour du monde et ont, comme moi, décidé de faire partager à leurs clients leurs voyages en décorant chaque chambre de l'établissement dans le style d'un pays exotique (Japon, Chine, Indonésie...). La chambre Belgium abrite pour sa part un beau mur de fleurs en mosaïque. A découvrir !
Une envie pressante ? Arrêtez-vous à l'urinoir de l'église Sainte-Catherine (en photo ci-dessous) situé sur le flanc gauche de l'édifice religieux. Il s'agit là du dernier urinoir public de la ville, qui pourrait raconter à lui seul l'histoire du traitement des excréments de la capitale bruxelloise: les problèmes liés à ces déchets apparaitront véritablement avec l'urbanisation galopante. Autrefois, à la campagne, le fumier ou l'étable faisaient parfaitement l'affaire, les déchets ainsi recyclés faisant alors office d'engrais, mais en ville, on fera tous simplement ses besoins dans la rue, la municipalité passant régulièrement nettoyer et récupérer les excréments humains pour les emmener vers le fumier général de la ville. Cette pratique avait pour inconvénient les mauvaises odeurs, et ne pourra survivre longtemps à la croissance démographique dès le XIX ème siècle, sans parler des considérations morales liées à la pudeur. C'est ainsi que Bruxelles se dotera d'urinoirs en 1845. Mais pourquoi le long d'une église ? N'y voyez là aucune intention d'insulter quiconque mais l'endroit sera tout simplement choisi pour sa fréquentation assidue. L'urinoir de cette église surprend aussi par le fait qu'il laissait jadis délibérément voir ce qui s'y déroulait, et ce, afin d'éviter la débauche éventuelle.
INFOS PRATIQUES :
- ADAM, Musée du Design de Bruxelles, Place de Belgique, à Bruxelles (Belgique). Tél:+32 2 669 49 29. A 5mn à pied de la station de métro Heysel (ligne 6). Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 10h à 18h. Entrée : 10€. Site internet : http://www.adamuseum.be/home-museum-fr.html
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Ecole primaire, 16, rue Locquenghien, à Bruxelles. Metro : Sainte Catherine.
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Statue du pigeon soldat, Square des Blindés à Bruxelles. Métro : Sainte Catherine.
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Fédération belge de colombophilie, 39 rue de Livourne à Ixelles. Tél:+32 2 539 30 55. Site internet :https://www.kbdb.be/fr/
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Immeubles Art-déco illustrant la banane : 75-79 rue Antoine Dansaert et 34, boulevard d'Ypres, à Bruxelles.
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Rue de la Cigogne, à Bruxelles
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Maison La Bellone, 46, rue de Flandre à Bruxelles. Tél:+32 2 513 33 33. Métro : Sainte Catherine. Site internet :https://www.bellone.be/
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La Tour Noire, 29 Place Sainte Catherine à Bruxelles.
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Hôtel Welcome, 23, Quai au Bois-à-Brûler, à Bruxelles. Tél:+32 2 219 95 46. Site internet : http://www.hotelwelcome.com/
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Urinoir de l'église Sainte-Catherine (à droite de l'entrée), Place Sainte-Catherine à Bruxelles. Métro : Sainte-Catherine.