Mardi 1er mai 2018
La pluie s'est arrêtée cette nuit et c'est sous le soleil que je pars ce matin sur l'île d'Orléans, une île située sur le fleuve Saint-Laurent, tout près de la ville de Québec. Cette île portera plusieurs noms successifs au cours de son histoire : avant la colonisation française, les Amérindiens Algonquins l'avaient surnommé île Minigo, déformation du terme ouindigo signifiant ensorcelé. En 1535, Jacques Cartier lui donnera le nom d'isle de Bacchus lors de son second voyage, à cause des nombreuses vignes sauvages qui y poussaient naturellement, avant de finalement lui donner son nom actuel d'Isle d'Orléans quelques mois plus tard, en hommage d'Henri II, duc d'Orléans. Cette appellation restera inchangée jusqu'à l'arrivée des Hurons, lesquels, attaqués par les Iroquois trouveront refuge ici sous la protection des Français. Une partie de ces réfugiés viendra s'établir dès 1651 à la pointe sud-ouest de l'île et y érigera d'ailleurs un fort à proximité d'un lieu connu encore aujourd'hui sous le nom d'Anse du Fort. Et les Hurons de surnommer alors cette terre l’île Sainte-Marie en hommage à la patronne de leur mission en Huronie (Baie Géorgienne). Ces Amérindiens finiront malheureusement par être totalement décimés en mai 1656 par les Iroquois, et cette appellation de disparaître avec eux.
Vingt ans plus tard, l'île est devenue la propriété de Monsieur François Berthelot. Celle-ci, érigée en comté par le roi Louis XIV, portera bientôt le nom d'Isle et Comté de Saint-Laurent, et ce, jusqu'en 1770. En 1792, l'endroit sera rebaptisé Comté de l'île d'Orléans à l'issue de la première réunion de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada.
Longue de 34 kilomètres, l'île d'Orléans est desservie par une route (Chemin royal) qui en fait le tour sur 67 kilomètres et dessert les six villages qui rassemblent 7000 iliens. L'été, la population double avec le déferlement touristique. J'accède à l'île par un long pont suspendu, le pont de l'île d'Orléans qui fut inauguré le 6 juillet 1935. Cet ouvrage changea complètement la vie des habitants qui délaissèrent peu à peu les bateaux et les quais orléanais, puisque les fermiers pouvaient désormais apporter fruits et légumes jusqu'aux marchés de Québec par la route. En sens inverse, le pont facilitera la venue des visiteurs friands des cultures maraichères (fraises, pommes...) et attirés à l'époque des sucres. Ce pont est ensuite un merveilleux point d'observation sur les escarpements de la côte, le promontoire de Québec et les rivages de Beauport et de la Côte de Beaupré avec, entre autre, l'énorme chute Montmorency. Ma première visite est effectuée à Saint-Pierre. Bien avant d'atteindre le bourg, je m'arrête à l'espace Félix Leclerc, malheureusement fermé en cette saison. L'endroit, dédié à l'auteur-compositeur-interprète propose habituellement une exposition permanente qui permet d'en apprendre davantage sur l'artiste. Une projection d'une vidéo réalisée par son fils Francis, cinéaste de profession, et une boite à chansons d'une centaine de places complètent les attractions. Notre idole de toujours séjournera à Saint-Pierre jusqu'à son décès, sur cette terre qu'il affectionnait avec ses champs, ses battures et ses érables. Le sentier du flâneur (d'une distance totale de 2,5 km aller-retour) conduit les visiteurs au cimetière qui l'accueille pour toujours.
A la fin du 19è siècle, le village de Saint-Pierre se résume encore à quelques maisons élevées autour de l'église (ci-dessous), jusqu'à ce que la construction du pont suspendu ne fasse de cette commune la porte d'entrée de l'île. Et la proximité de la ville de Québec d'accentuer la densification du lieu en favorisant le développement résidentiel sur d'anciennes terres agricoles. Ainsi, des arbres seront-ils plantés le long du chemin dans les années 1940, puis de nouvelles maisons seront bâties sur des terrains en bordure de la vois publique. L'asphaltage du Chemin royal modifiera encore davantage l'ancien environnement, à tel point qu'aujourd'hui, les habitations témoignent plus que jamais de l'histoire locale à travers les siècles, de la maison de ferme aux résidences modernes. Saint-Pierre se distingue en plus par le fait qu'elle dispose de deux églises : l'une en pierre, qui est reconnue comme l'une des plus anciennes du Québec et qui fut inaugurée en 1717, et l'autre, plus récente, en brique, inspirée de l'architecture de Dom Paul Bellot et érigée en 1955.
Chaque village est séparée d'une dizaine de kilomètres et j'arriverai rapidement à Sainte Famille, ma prochaine escale. La plus vieille paroisse de l'île offre une belle vue sur la Côte de Beaupré et sur le Mont Sainte Anne. J'y découvre également de jolies maisons datant du régime français, dont la Maison de nos aïeux (ci-dessous) qui abrite entre autres une exposition sur l'agriculture de l'île : j'apprendrai ainsi que l'île d'Orléans sera concédée en seigneurie en 1636 à un groupe de personnes sous le nom de Compagnie de Beaupré. Des concessions de terres auront lieu sur la paroisse à partir de 1650 avec l'installation d'une dizaine de familles. On y pratiquait alors une agriculture de subsistance destinée à nourrir les habitants. Le blé était la culture de base, juste devant les légumineuses et d'autres céréales. Côté fruits, on cultivait pommes et prunes, et des légumes, comme les poireaux, le chou, les oignons, les carottes et la laitue. Ainsi l'île sera t-elle vite reconnue comme le jardin de la ville de Québec, grâce à la fertilité de ses terres. Et 1850 d'être vécue comme un tournant de l'agriculture ilienne qui se transforme progressivement en agriculture marchande pour répondre à la demande croissante de la capitale québécoise alors en plein essor. Vers 1880, on assiste aussi à la multiplication des vergers sur la commune et ailleurs dans l'île. De même, la forte demande en produits laitiers stimulera la croissance de l'élevage bovin entre 1850 et 1950. Au 20è siècle, le tracteur remplacera le cheval et les citadins viendront de l'extérieur pour s'approvisionner dans les étals en bord de route ou faire de l'autocueillette. Durant les trois décennies suivant la seconde guerre mondiale, on assistera à une hausse continue de la production, et les agriculteurs de se concentrer sur les productions maraichères, plus rentables. Aujourd'hui, les légumes frais représentent à eux seuls un tiers des revenus agricoles de l'île.
A quelques kilomètres de là, je découvre maintenant Saint-François et son patrimoine religieux reconverti. L'ancien presbytère de la commune a ainsi été transformé en ...chocolaterie (première photo ci-dessous) tandis que l'ancienne école (la plus ancienne de la province du Québec) s'est, elle, métamorphosée en confiserie (deuxième photo), un bon moyen pour faire venir les enfants à l'école.... L'une et l'autre sont cette fois encore fermées en ce début de saison.Tant pis pour moi ! Quant à l'église, elle aussi fermée, elle abrite de véritables trésors religieux, et des sculpteurs québécois comme François-Noël et Jean-Baptiste Antoine Levasseur contribuèrent à la décoration intérieure de l'édifice entre 1770 et 1773. On admirera le tableau représentant Saint-François de Sales qui fut peint en 1798 par François Baillairgé. Souvenons-nous du surnom donné jadis à l'île, l'île ensorcelée. Il était en effet de coutume de s'adresser aux iliens afin de connaître l'avenir ou ce qui se passait dans les endroits plus éloignés. Pour certains, ces habitants se transformaient même en lutins ou en feux follets (il est vrai que les iliens avaient autrefois pour habitude de se déplacer avec des flambeaux pour récupérer le produit de leur pêche sur la côte, à marée basse une fois la nuit tombée...ceci expliquant cela). A l'entrée du bourg, s'élève une tour d'observation offrant en temps normal une vue panoramique sur le fleuve Saint-Laurent. Pas de chance, la tour est fermée au public. Le territoire de Saint-François correspond au troisième fief concédé sur l'île d'Orléans, celui d'Argentenay, et s'étend sur toute la pointe est de cette île. Le paysage s'ouvre donc sur le fleuve qui atteint à cet endroit les dix kilomètres de large, et sur la vingtaine d'îles qui occupent cet estuaire, deux font partie de la municipalité : l'île Madame et l'île aux Ruaux. Les eaux, elles, sont particulièrement poissonneuses même si on ne pêche guère plus aujourd'hui que l'esturgeon. Saint-François vit surtout de l’agriculture (pomme de terre, fraises et poireaux...) et c'est ici que pousse la fameuse vigne sauvage repérée jadis par Jacques Cartier. Enfin, la commune sert de repère aux oies, canards et outardes qui effectuent ici des pauses au printemps et à l'automne. Je descends sur le port afin de profiter d'une magnifique vue sur le Saint-Laurent (troisième photo) avant de me diriger vers Saint-Jean.
La paroisse de Saint-Jean fut fondée en 1679 par Monseigneur de Laval sous le vocable de Saint-Jean Baptiste. L'église actuelle (ci-dessous), qui jouxte un cimetière marin, fut érigée en 1734, puis agrandie en 1852. De l'autre côté de la route se dresse toujours aujourd'hui l'ancien presbytère (deuxième photo) lui aussi reconverti en...boulangerie ! Le village, qui vit surtout de l'agriculture, tira jadis des revenus de ses activités portuaires. En effet, de 1867 à 1935, c'est à dire avant la construction du pont reliant l'île d'Orléans au continent, de nombreux bateaux se succédaient pour assurer un service régulier de transport de passagers et de marchandises. Plusieurs goélettes de résidents de Saint-Jean faisaient escale ici et les navires sondeurs et de dragage du fleuve avaient fait du petit port leur point d'attache. Même la Gendarmerie royale du Canada disposera en 1939 de deux navires, le Madawaska et le Chaleur, lesquels seront transférés à la Marine royale canadienne pour le contrôle des navires en transit sur le Saint-Laurent.Ceci explique la forte présence de marins qui vivaient à l'époque près du port dans de petites maisons (troisième photo). C'est que la navigation sur le fleuve est longtemps restée gravée dans la mémoire des habitants : sous le régime français, la navigation à la voile se faisait en général du côté nord de l'île. Le passage de la voile à la vapeur et aux bateaux à fort tirant d'eau requerra un chenal plus profond. C'est pour cette raison que, depuis le régime anglais, la navigation en fort tonnage s'effectue sur le côté sud de l'île grâce à un chenal entretenu par le gouvernement fédéral.
Me voici à présent dans le village de Saint-Laurent dont la paroisse, érigée en 1679 sous le vocable de Saint-Paul, adoptera son nom actuel en 1698 à la demande de François Berthelot, alors propriétaire de l'île. Les terres de cette commune sont les plus escarpées de l'île et l'on choisira finalement un site au niveau de l'eau pour la construction de la première église. A l'époque, les besoins des insulaires favoriseront l'épanouissement d'une industrie de construction navale. On construira d'abord des chaloupes à voiles (jusqu'à 400 chaloupes fabriqués chaque année à Saint-Laurent vers 1830) puis des goélettes à voiles vers la fin du 19è siècle. Au siècle suivant, seules trois familles maintiendront la réputation du village dans le domaine de la construction navale : de 1908 à 1964, la famille Fillion ouvrira ainsi le Chantier maritime de Saint-Laurent et sera alors un important employeur pour l'île. Ce chantier avait surtout été créé pour l'hivernage et la réparation des goélettes, tout en développant une grande expertise dans le domaine du fer et de la mécanique. Autre famille, Hector Coulombe laissera lui aussi son empreinte dans la village en construisant cinq navires équipés d'innovations technologiques entre 1920 et 1946. Avant l'ouverture du pont, ses bateaux étaient utilisés pour le transport des marchandises et tout particulièrement des fraises. Certaines de ses embarcations seront également employées comme traversiers entre la ville de Québec et l'île, tandis que d'autres bateaux inaugureront les excursions nocturnes sur le fleuve. Enfin, le chantier de François-Xavier Lachance produira à lui seul près de 7000 embarcations de 1924 à 1976. Ses chaloupes fabriquées par une vingtaine d'ouvriers durant la seconde guerre mondiale seront utilisées pour le débarquement des soldats. Des yachts à moteur seront aussi fabriqués dans ce même chantier. De nos jours, le village abrite une marina, et l'ancien chantier naval a depuis été transformé en parc maritime (ci-dessous).
Mon tour de l'île d'Orléans s'achève avec le village de Sainte-Pétronille : cette paroisse qui couvre la pointe ouest de l'île lui a donné le surnom de « bout de l'île ». En 1759, la vue panoramique sur la ville de Québec (ci-dessous, depuis le quai du village) incita le général anglais Wolfe à y installer ses quartiers généraux pour mieux assiéger le chef-lieu de la Nouvelle-France. De belles demeures y furent bâties au 19è siècle alors que l'île restait un lieu de villégiature prisé. Aujourd'hui, le village de Sainte-Pétronille reste à mes yeux un endroit essentiellement résidentiel avec de très jolies maisons. Mais l'endroit fait pourtant l'objet d'une riche histoire bien que plus récente que les autres villages de l’île. En effet, l'occupation de l'endroit remonte aux débuts de la Nouvelle-France, lorsque le jésuite Chaumonot y établit en 1651 les Hurons alors pourchassés par les Iroquois. Dès le milieu du 19è siècle, de nombreux promeneurs du dimanche se rendront dans le village en traversier. C'est là que sera construit en 1868 le tout premier club de golf d'Amérique du Nord, un petit parcours de trois trous. Bientôt, des bourgeois de la ville de Québec se feront bâtir de belles résidences estivales de style cottage le long du Chemin royal. Depuis le site exceptionnel de Sainte Pétronille, on peut apercevoir non seulement la ville du Québec mais aussi celle de Lévis et les chutes de Montmorency.
INFOS PRATIQUES :
- Espace Félix Leclerc, 1214, Chemin royal, Saint-Pierre. Tél : (418) 828 1682. Site internet : http://www.felixleclerc.com/index.php?page_type=espace
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Maison de nos aïeux, 2485 Chemin royal, Sainte-Famille (près de l'église).Tél:(418) 829 0330. http://www.maisondenosaieux.com/fr
Centre d'histoire de l’île d'Orléans avec le parc des Ancêtres voisin. Entrée pour l'exposition : 5$. Entrées jumelées Maison de nos aïeux + Maison Drouin : 10$. Ouverte de la mi-juin à la Fête du travail, tous les jours de 10h00 à 18h00, de la Fête du travail à l'Action de grâce, tous les jours de 10h00 à 16h00. Hors-saison, ouverture du lundi au vendredi de 10h00 à 16h00.
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Maison Drouin, 2958 Chemin royal, Sainte-Famille. Tél:(418) 829 0330. Ouverte tous les jours de la mi-juin à la Fête du travail de 10h00 à 18h00, de la Fête du travail à l'Action de grâce, les samedis et dimanches de midi à 16h00 et hors-saison, uniquement sur réservation et pour les groupes uniquement. Fermée de novembre à mai. Maison historique authentique. Entrée : 6$ par personne. Stationnement gratuit.
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Chocolaterie de Saint-François, 3501 Chemin royal (près de l'église). Tél:(418)829 2252.
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Confiserie de la Vieille école, à Saint-François (près de l'église). Tél:(418) 203 0648. http://www.confiserievieilleecole.com/
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Parc maritime, 120 Chemin de la chalouperie à Saint-Laurent. Tél:(418) 828 9672. http://parcmaritime.ca/
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Vignoble de Sainte-Pétronille, 8705 Chemin royal à Sainte-Pétronille. Tél:(418) 828 9554. http://vs-p.ca/