Vendredi 4 mai 2018
Bienvenue sur l'Isle aux Coudres ! Avant l'installation sur place des premiers colons, l'endroit servait de halte pour la navigateurs qui voulaient enterrer des membres de leur équipage décédés durant la traversée. Les premières familles se fixèrent sur l'île en 1720 et vécurent de l'agriculture et de la pêche. Le fleuve Saint-Laurent fournit de tous temps les moyens de subsistance à ces paysans qui durent s'habituer à la navigation, que ce soit pour chasser le marsouin ou pour pratiquer le cabotage. Non seulement des générations de marins se succédèrent sur ce morceau de terre mais l'île abrita également des chantiers de construction de goélettes à voile ou à vapeur. L'une de ces goélettes depuis disparue, porta le nom d'Isle aux Coudres (ci-dessous), un nom choisi en 1928 par Harvey et Lajoie, deux insulaires qui eurent l'idée de construire ce bateau afin de l'utiliser comme navire de transports de matériaux et de bois de pulpe dès 1930 pour une période de trois année, et uniquement durant l'été, entre l'île et Saint-Joseph de la Rive. Ces traversées se poursuivront entre 1937 et 1948 tandis que des canots à glace remplaceront la goélette une fois l'hiver de retour. Aujourd'hui, c'est à bord du traversier « Joseph Savard » (deuxième photo) que j'embarque ce matin pour me rendre sur l'île en un quart d'heure. La météo, peu clémente, nous gratifie à nouveau d'un brouillard à couper au couteau.
L'Isle aux Coudres est unique en soi au Québec car elle rassemble à la fois un moulin à eau et un moulin à vent : ces deux moulins permettent encore aujourd'hui de fabriquer la farine de blé et de sarrasin avec laquelle on confectionne encore des produits en vente sur place (voir les infos pratiques). Le moulin à vent (en photo ci-dessous) fut bâti en 1836 dans la seigneurie du même nom, alors propriété du Séminaire de Québec depuis 1687. Ce moulin était dit « banal » car le régime seigneurial de l'époque imposait aux seigneurs l'obligation de construire un moulin pour leurs censitaires,lesquels devaient y faire moudre leur grain et payer en retour un droit de mouture, nommé droit de banalité. Conçu avec une hélice à quatre ailes, ce moulin pouvait toutefois en supporter six en cas de besoin. Le monument sera classé en 1962 puis fera l'objet de travaux de restauration les années suivantes. Quant au moulin à eau (deuxième photo), il fut bâti en 1826 pour répondre aux requêtes pressantes des habitants qui devaient partir à Baie Saint-Paul ou aux Eboulements afin d'y moudre leur grain. Lui aussi sera un moulin banal et plusieurs meuniers s'y succéderont. Plus tard, Etienne Bouchard le transformera en moulin à scie. Puis la construction sera elle aussi classée en 1963, puis restaurée dans les années 1980.
Même si je choisis cette fois de parcourir l'île en voiture, il est possible de s'y déplacer à vélo : le tour de l'île ne fait que 23 kilomètres et la surface de cette terre reste modeste (30 km2) avec 3,6 km de large et 10,4 km de long. L'île tire son nom d'un arbre de la famille des Bétulacées, le coudre (anciennement couldre), dont les fruits sont comestibles. Eh oui, il s'agit bien du noisetier ou avelinier. On doit à Jacques Cartier d'avoir baptisé ainsi ce morceau de terre en 1535 après avoir remarqué la prolifération de cette plante. Et les habitants de l'Isle aux Coudres de s’appeler des Coudriens depuis 1986.
Cette même année 1535, Jacques Cartier fera ancrer ses trois navires le 6 septembre, puis fera célébrer une première messe le jour suivant. Et le cimetière des Français qui se trouve au Chemin du mouillage (à quelques centaines de mètres du quai) de témoigner par sa croix (ci-dessous) de tous les évènements historiques des débuts de l'île tout en symbolisant le lieu où les marins venaient déposer les personnes décédées lors des longs voyages.
Je me dirige maintenant vers la Pointe du bout d'en bas. Là se dresse une statue de Notre-Dame de l'Assomption (ci-dessous) érigée à cet endroit en 1960, en remerciement pour la guérison d'un insulaire, Horace Pedneault. En regardant bien, je découvre un marsouin sculpté dans un rocher faisant face à cette statue. L'endroit est étonnamment calme en cette matinée brumeuse.
A un kilomètre de là, je fais une halte à la Roche pleureuse (deuxième photo) qui est liée à une histoire incroyable: en 1805, Charles Desgagnés prend la mer durant l'été pour effectuer une traversée avec ses hommes, dont il espère être revenu à la fin septembre afin de se marier. Sa fiancée en profitera pour préparer le futur logis du couple en attendant le retour de son promis. Mais fin septembre, point de Charles à l'horizon, et Louise, la fiancée, de trouver le temps long, elle qui passait ses journées assise sur une pierre en bordure de mer. L'hiver fut long et pénible et Louise passait ses journées en sanglotant sur la pierre. En mai suivant, la jeune fille ne rentra pas chez elle et les habitants de l'île la recherchèrent vainement. Un matin, son père observa attentivement une grosse pierre entourée de fleurs sauvages sous laquelle s'échappait un filet d'eau, posa sa tête sur le caillou, puis demanda aux hommes de regagner leur logis. Louise, transformée en pierre, pleure depuis lors, en toutes saisons, son fiancé perdu en mer.
Le long du Chemin des Coudriers, se trouve un endroit surnommé le Pilier (ci-dessous). Ce terme désigne en fait les récifs de forte taille qui entourent l'île. Il y a fort longtemps, avant que la localité voisine ne reçoive le nom de la Baleine, au début du 18è siècle, on rapporta qu'une baleine de six mètres de long se serait échouée ici. Un certain Bouchard appela les voisins pour tenter de sauver le cétacé mais l'animal était déjà mort. Les hommes coupèrent alors la baleine en morceaux et obtinrent environ 28 barils d'huile. On remarqua depuis que les plus fortes marées ne recouvrent jamais ce rocher appelé « pilier ». Et certains pensent que le temps et l'érosion des glaces lui auraient fait prendre la forme d'un visage indien. Je vous avouerai que je ne suis pas allé vérifier par moi-même, car la marée a déjà surpris bien des promeneurs imprudents à cet endroit. Toutefois, cet « Indien » aurait placé l'île (et ses habitants) sous sa protection....
La première chapelle que je croiserai sur ma route est celle de Saint-Isidore (en photo ci-dessous). Celle-ci, qui porte aussi le nom de chapelle orientale, fut consacrée sous l'invocation de la Sainte Vierge et est utilisée lors des célébrations de la Fête-Dieu en tant que première chapelle de procession. Elle fut construite dans l'Anse de l'attente (appelée ainsi car autrefois, les embarcations attendaient ici le bon vent ou l'appoint de la marée). Le tabernacle situé à l'intérieur de la chapelle fait partie des objets historiques sacrés de l'église Saint-Louis, toute proche. Et la chapelle de constituer la réplique de la maison de Dieu depuis sa construction le 13 novembre 1836. L'église Saint-Louis (deuxième photo) sera quant à elle érigée en 1885 et est depuis reconnue comme l'une des plus belles églises du Québec, avec son architecture de style néo-classique. L'intérieur n'étant pas accessible, je ne pourrai malheureusement pas admirer les trésors qu'elle renferme, parmi lesquels quinze fresques peintes tout autour de la voûte par Gaston Masselotte, qui retracent les principales étapes de la vie de Saint-Louis. Peintes directement sur le bois, ces œuvres furent restaurées en 1977. D'autres œuvres proviennent d'artistes comme Baillarger, Levasseur ou Plamondon et de nombreux objets comme le chemin de croix, les statues ou les chandeliers furent offerts à l'église par les paroissiens eux-mêmes. Il me faudra revenir en période estivale pour profiter d'une visite guidée.
A quelques mètres de là, se dresse la chapelle Saint-Pierre, ou chapelle occidentale, qui fut consacrée à Sainte-Anne. Son intérieur cache une statue de Saint-Pierre les clefs à la main droite et un parchemin dans la main gauche, ainsi qu'un coq à ses pieds.
J'empreinte ensuite le Chemin de l'Islet et atteins, au bout de deux kilomètres, la croix du Père de la Brosse (ci-dessous) située sur un promontoire qui fut jadis témoin d'une scène religieuse dont les insulaires se souviennent encore : cette croix fut élevée en 1848 grâce à la piété d'un enfant de l'Isle aux Coudres, futur Abbé Epiphane Lapointe, en mémoire du Révérend Père de la Brosse qui fut autrefois l'un des premiers missionnaires de l'île. Et un incroyable phénomène d'annoncer le décès du Père de la Brosse le soir du 11 avril 1792, avec la sonnerie du glas de la part des cloches des églises de l'Isle aux Coudres, de Chicoutimi, de l'Isle Verte , de Rimouski et de la Baie des Chaleurs, et ce, sans aucune intervention humaine. Chose encore plus incroyable, la prédiction de cet événement par le Père lui-même quelques heures avant sa mort, alors qu'il passait la soirée entouré d'amis au poste de traite de Tadoussac.
Toutes ces émotions ont fini par m'ouvrir l'appétit et je sens déjà la délicieuse odeur des mets confectionnés par la boulangerie Bouchard : brioches, pains aux raisins et au chocolat, tartes grand-mère, beignes à l'ancienne, pouding au pain, pets de sœur, croissants, pains artisanaux... préparés toute l'année par cette boulangerie depuis 70 ans ! L'une des spécialités de cette maison attire tout particulièrement mon attention : le pâté croche (ci-dessous). Avant l'arrivée des goélettes, et des traversiers actuels, le seul moyen qui permettait aux insulaires de l'île de regagner le continent était le canot. Plusieurs « traverseux » braveront ainsi le fleuve Saint-Laurent jusqu'en 1954 et en toutes saisons. Ces canotiers assuraient bien sûr le transport de victuailles, du courrier, des écoliers et des malades, sans faillir à leur mission ne serait-ce qu'une seule journée. Chacun d'entre eux devait apporter son casse-croute pour la traversée, un repas qui consistait en un délicieux petit pâté rond à la viande. Avec le roulis et le tangage, le pauvre pâté ne restait pas rond très longtemps et devenait difforme, d'où son nom de pâté....croche ! Un jour, un canotier demanda à son épouse de lui confectionner un pâté en forme de demi-lune, dans un souci de praticité. C'est ainsi que le nouveau pâté reçut le nom de...pâté croche, un mets qui fait désormais partie des spécialités de la boulangerie Bouchard.
INFOS PRATIQUES :
- La traversée en traversier (bac) de Saint-Joseph de la Rive à l'Isle aux Coudres est gratuite dans les deux sens. L'embarquement s'effectue tous les jours au 750 Chemin du Quai à Saint-Joseph de la Rive, de 6h00 à 23h00. Départ de Saint-Joseph à la demie et de l'Isle aux Coudres à l'heure ronde. https://www.traversiers.com/fr/accueil/
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Moulins de l'Isle aux Coudres, 36, Chemin du moulin à l'Isle aux Coudres. Tél:(418) 760 1069. Economusée de la meunerie ouvert de la mi-mai à la mi-octobre, tous les jours de 10h00 à 17h00. Site internet : http://www.lesmoulinsdelisleauxcoudres.com
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En descendant du traversier à l'Isle aux Coudres, tourner immédiatement à droit puis suivre le Chemin du mouillage jusqu'à atteindre une croix (Cimetière des Français et Parc Jacques Cartier)
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Pointe du bout d'en bas : emprunter le Chemin du bout d'en bas puis continuer tout droit en s'engageant sur un chemin truffé de trous (sur une propriété privée) puis conduire sur un kilomètre jusqu'à apercevoir la statue de la Vierge. Attention à la marée !
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Boulangerie Bouchard, 1648, Chemin des Coudriers, à l'Isle aux Coudres. Tél:(418) 438 2454. Site internet : http://www.boulangeriebouchard.com
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Merci à toute l'équipe de la boulangerie Bouchard pour son charmant accueil !