Dimanche 24 Juin 2018
Au numéro 257 de la rue Carlos Calvo de Buenos-Aires (Argentine), s'élève l'église Dansk Kirke, au cœur du quartier de San Telmo. Celle-ci commémore la plus grande tragédie que vécut la communauté danoise présente en Argentine. En levant les yeux vers le haut, une fois à l'intérieur de l'église, on peut observer une maquette de bateau suspendue au plafond du temple, face à l'autel. Cette maquette est là pour rappeler le naufrage du Kopenhavn (le Copenhague), qui eut lieu dans les années 1920. Ce bateau-école quittera Buenos-Aires en juillet 1928 en direction de l'Australie avec, à son bord, de nombreux jeunes marins, fils des meilleures familles du Danemark. La navire ne parcourra que 1500 miles (près de 2400 km) avant de disparaître corps et biens sans que l'on connaisse pour autant la raison de ce naufrage. Quant aux restes du bateau, ils ne réapparurent jamais. C'est en 1913 que la Compagnie de l'Asie de l'Est commandera ce grand bateau à voile conçu pour le transport des céréales en provenance de l'Australie. Sa construction sera toutefois bloquée à cause de la Première guerre mondiale et le navire, pas encore achevé, sera réquisitionné en 1918 par l'Amirauté britannique. Baptisé alors « Dragon noir », il sera remorqué jusqu'à Gibraltar pour être utilisé comme ponton à charbon pendant plusieurs années. Plus tard, le Kobenhavn sera destiné à la formation d'apprentis pour la marine marchande danoise. Il reste à ce jour le plus grand bateau-école à cinq mâts et à coque d'acier de sa génération.
Trois ans après cette tragédie, cette église était inaugurée, grâce au financement de la communauté danoise de la capitale argentine. Son emplacement fut volontairement choisi tout près du port pour offrir un lieu de recueillement spirituel aux familles des marins disparus. L'édifice est de style néogothique et est construit avec des briques apparentes tandis que ses murs not été bâtis en escalier, symbolisant ainsi le songe de Jacob qui, fuyant son frère Esaü, aurait rêvé d'une échelle qui montait vers le ciel. Ce lieu de culte est peu connu des habitants dans cet endroit obscure, dont les volets sont d'ailleurs souvent clos. On reconnaît l'édifice à son clocher dont le sommet est surmonté d'une petite croix.
Ma découverte de la ville portègne me conduit maintenant au niveau du N°1200 de l'avenue Paseo Colon, où l'on aperçoit sur le sol le contour d'une énorme figure humaine, qui rend hommage à la mémoire des disparus de la dernière dictature. Cette figure se trouve sur un terre-plein, sous l'autoroute et au niveau du croisement entre Paseo Colon et Cochabamba. A cet endroit précis se trouvait autrefois un centre clandestin de détention et de torture à trois niveaux, dont la proximité avec le club Boca Juniors explique qu'il porta le nom de « Club Atlético ». Et ces ruines de constituer un vrai témoignage des horreurs s'étant déroulées ici par le passé. On peut encore y voir des pans de murs de cellules qui virent défiler près de 1500 personnes disparues en moins de deux années (le centre de détention fonctionna de la mi-1976 à décembre 1977) à cause de leurs opinions politique, sociale ou syndicale.
Depuis, la construction de l'autoroute 25 de Mayo entraina la démolition du centre dont les restes demeurèrent enfouis 25 ans durant, jusqu'à ce qu'un groupe d'archéologues n'entreprenne des fouilles en 2002 dans le cadre d'un projet de la préservation de la mémoire. Les travaux permirent alors de creuser jusqu'à quatre mètres de profondeur et laissèrent apparaître les restes des murs portant des inscriptions, des uniformes de policiers ainsi que des bottes et même un...rosaire. Lors de ce travail de recherches, les survivants de ce centre d'extermination apportèrent des détails fort intéressants. Le terre-plein actuel est désormais classé en tant que site historique.
Rendons nous à présent au temple de la Très Sainte Trinité, l'unique temple orthodoxe russe de Buenos-Aires. Dissimulé parmi les édifices de l'avenue Brasil, celui-ci ressemble à une étrange carte postale moscovite en plein cœur de San Telmo, non loin du parc Lezama situé juste en face. J'admire la beauté architecturale exotique et saisissante de l'endroit, avec les cinq clochers à bulbes d'un éclatant turquoise, ornés d'étincelles dorées représentant la consécration à la Vierge Marie, et le superbe fronton de la façade. L'intérieur du bâtiment ne démérite pas, bien au contraire.
L'organisation de ce temple orthodoxe repose en effet sur une tradition millénaire remontant à la construction de la première demeure du Seigneur par le prophète Moïse, 1500 ans avant la naissance de Jésus. La liturgie comprend ainsi plusieurs accessoires dont l'autel de l'offrande, le candélabre à sept branches, l'encens et les vêtements sacerdotaux. Et la messe de se dérouler sans micro ni orgue, mais avec des chants grégoriens en langue slave. On peut visiter cette église pourvu que cela se fasse dans la plus stricte discrétion et dans le respect des règles de conduite d'usage : les femmes doivent assister à l'office la tête couverte, et vêtues d'une longue jupe, et ne porter aucun rouge à lèvres pour ne laisser aucune trace sur les icônes, la croix et le calice. Pendant l'office, il faut rester debout, excepté pour les personnes âgées qui ont le droit de s'asseoir. La visite du temple n'est pas non plus autorisée durant les cérémonies religieuses afin de ne pas troubler le recueillement des fidèles. De même, sortir de l'édifice avant la fin de la messe est considéré comme un profond manque de respect et aucune photo ne peut être prise à l'intérieur.
Il existe un musée qui possède des calques et de la sculpture comparée Ernesto de la Carcova, le plus important patrimoine sculptural de ce type dans toute l'Amérique du Sud. L'endroit expose en effet les répliques des œuvres les plus imposantes de la sculpture mondiale. Je suis ainsi confronté dans la première salle, à la sculpture en plâtre de David de Michel-Ange, si fidèle du haut de ses 5,17 mètres de hauteur. Chaque muscle, chaque expression sont représentés et expriment la beauté de ce corps qui symbolise la perfection esthétique. Et la valeur de cette collection du musée de reposer essentiellement sur la qualité de ses reproductions. Sept cents pièces sont ainsi offertes à l'oeil exercé du visiteur, dont La Piéta et Moïse, toutes deux œuvres de Michel-Ange, ainsi que la Vénus de Milo, une tête de la reine égyptienne Néfertiti et La Victoire de Samothrace. Le même musée réunit aussi des reproductions d'oeuvres de l'art égyptien, chaldéen, gréco-romain, médiéval et oriental, les pièces de cette immense collection étant tour à tour exposées au musée. Toutes ces copies sont des copies parfaites à l'échelle des originaux, et ont été réalisées par moulage, ou à l'aide des moules des originaux.
Quant à Ernesto de la Carcova, qui prête son nom à ce musée, il fut un peintre argentin reconnu de style réaliste, premier directeur de l'Académie des Beaux-Arts d'Argentine, et fondateur de l'Ecole supérieure des Beaux-Arts (laquelle abrite l'actuel musée). En 1921, fut effectivement créée l'Ecole supérieure des Beaux-Arts qui fut aussitôt placée sous sa direction. Le présent musée, qui sera quant à lui inauguré sept années plus tard, occupe désormais l'emplacement de l'ancienne école. D'importants travaux de rénovation furent entrepris en 2009, pour une durée de quatre ans, afin de redonner à l'endroit le lustre d'antan et une nouvelle muséographie.
INFOS PRATIQUES :
- Navire-école de l'église danoise, Dansk Kirke, Carlos Calvo 257, à Buenos-Aires. Métro : Independencia (ligne A). Visite de l'endroit sur réservation au +54 11 4362 9154.
-
Vestiges d'un centre de détention clandestin, Avenue Paseo Colon 1200, à Buenos-Aires. Toute personne disposant d'éléments sur ce drame est invitée à contacter l'Espace pour la Mémoire (Avenida Pte.Roque Saenz Pena 547, 4è étage, à Buenos-Aires) au 4342 0528/4958 ou au 4345 6969. Courriel : institutomemoria@buenosaires.gov.ar
-
Temple de la Très Sainte Trinité, Avenue Brasil 315, à Buenos-Aires. Visites le deuxième dimanche de chaque mois à 15h00. Cérémonie le dimanche matin à 10h00.
-
Musée des Calques et de la Sculpture comparée Ernesto de la Carcova, Avenida Espana, 1701, à Buenos-Aires (Quartier de Puerto Madero). Ouvert du mardi au dimanche. Site internet : https://museodelacarcova.una.edu.ar/