Mardi 17 juillet 2018
Me rendant rarement à Mexico City (Mexique), j'entreprends tout de même aujourd'hui de débuter une nouvelle série d'articles consacrée au côté insolite et secret de cette gigantesque ville.
Il existe ainsi un lieu historique bien particulier dans le centre historique : la bibliothèque Carlos Monsivais, une des cinq bibliothèques privées de la ville. Celle-ci porte le nom de l'intellectuel Carlos Monsivais et est sûrement la plus curieuse notamment grâce à la signification cachée de son architecture. La règle est que chaque bibliothèque, qui forme la grande bibliothèque de Mexico, reflète la personnalité du personnage public dont elle porte le nom. Et l'actuel établissement de ne pas avoir trouvé une autre approche que celle de « l'ordre dans le chaos » ou l'anarchie comme principe de toute création, afin de refléter le caractère de Carlos Monsivais. Et l'édifice d'abriter par exemple des étagères de toutes les tailles pour entreposer les 27000 ouvrages dont dispose la bibliothèque. L'ensemble formant un labyrinthe de couloirs délirants un peu à l'image des rues de la capitale mexicaine.
Depuis le fond de la bibliothèque, les étagères dessinent donc de gauche à droite, un immeuble collectif, une maison, des résidences privées, un gratte-ciel, des ruelles et des quartiers, bref un tel ensemble qu'on finit par s'y perdre. C'est à Javier Sanchez et Aisha Ballesteros que l'on doit cette architecture très spéciale, un design qu'ils imaginèrent avec la collaboration d'un ami de l'écrivain, Francisco Toledo (aux côtés de Simon Monsivais sur la photo ci-dessous), lequel complètera d'ailleurs le décor avec des tapisseries qui représentent le profil de Monsivais près de ses livres en rappelant au passage le point commun entre livres et tapisseries : à savoir que leur usage conduit irrémédiablement à leur usure. Le sol de l'établissement, lui, a également été conçu en souvenir des chats de l'auteur (troisième photo). Le désordre organisé s'achève enfin par une petite exposition d'objets que Monsivais avait pour habitude de conserver chez lui (vitrine à l'entrée de l'édifice).
Demeurant à ce jour l'un des écrivains les plus remarquables du Mexique, Carlos Monsivais reste aussi l'une des voix les plus reconnaissables du panorama culturel hispanique, à travers sa participation à la vie culturelle locale via les médias mexicains. L'écrivain Adolfo Castanon le considère comme « le dernier écrivain public du Mexique », reconnaissable par quiconque aussi bien dans la rue que sur les ondes. Notre homme intervint dès le plus jeune âge dans les suppléments culturels et dans les journaux mexicains. Puis, il s'illustrera par sa grande culture, sa curiosité universelle, son écriture efficace et sa capacité de synthèse pour la réalisation d'une œuvre principalement publiée dans la presse. Il publiera également plus d'une cinquantaine d'ouvrages mais ces écrits ne seront jamais édités pour la plupart d'entre eux et on ne peut donc les retrouver que dans les magazines, hebdomadaires et autre publications. Une anecdote pour terminer en beauté : en 2010, lors de la disparition de Carlos Monsivais, nombreux furent celles et ceux qui se souvinrent avec humour la façon dont notre homme avait nommé les treize chats qui étaient ses compagnons de vie, à savoir Miaou Tse Tung, Frère Gatolomé de las Bardas, vœu de Chasteté, Catzinger, Danger pour le Mexique, Fétiche en Peluche, Miss Oginia....
Le Centro cultural Tudor vaut aussi le détour. L'endroit, niché dans un coin du centre-ville, a trouvé refuge à l'intérieur des vestiges d'une église anglicane néogothique du 19è siècle (en photo ci-dessous). On y organisait périodiquement des cours de cirque, des représentations de danse, d'opéra, de musique et des ateliers artistiques, jusqu'à ce que l'accès à l'église soit pour l'instant interdit pour des raisons de sécurité, à la suite d'un récent tremblement de terre. Ne vous arrêtez pas à la grille généralement fermée et sonnez à la porte. Quelqu'un viendra alors vous ouvrir pour vous permettre de pénétrer dans ce lieu mystique. Rien que les grilles et les portes de l'édifice, de couleur rouge symbolisant le sang du Christ, valent à elles seules le déplacement. A l'intérieur, on peut admirer les superbes chapiteaux dorés des colonnes, ses grandes baies nues et la chaire pour le moins originale. L'année 1895 qui verra la naissance de la loi de liberté de culte, encouragera la communauté anglaise anglicane à ériger cette église qui sera achevée deux ans plus tard grâce à un prêt de la reine Victoria (celle-ci célébrait alors son jubilé). Son inauguration aura lieu en présence du président mexicain de l'époque, Porfirio Diaz, et le lieu de culte deviendra très vite la première cathédrale anglicane de Mexico et sera visitée en 1964 par le prince Philippe, duc d'Edimbourg.
Peu à peu, cette ancienne zone résidentielle fut envahie par la circulation automobile et l'accès à l'église se compliqua singulièrement. Et l'on décida en 1984, de changer l'emplacement du lieu de culte anglican, en délaissant ainsi l'ancienne église aujourd'hui abandonnée. Le séisme de 1985 endommagea sérieusement le bâtiment au point de voir le toit s'effondrer totalement (ci-dessous). Des membres de la communauté anglicane entreprirent alors de rénover l'ancienne église afin de lui redonner un certain éclat pour permettre la tenue de messes anglicanes, d'adaptations théâtrales de William Shakespeare ou d'un festival médiéval. Désormais classé monument historique, l'endroit est en attente de nouveaux travaux de rénovation.
L'église San Fernando recèle elle aussi des secrets, comme les fameuses niches des De Galvez (ci-dessous). Sur le côté droit de l'autel principal de l'église en question, à l'intérieur de deux niches reposent les corps de Matias et Bernardo de Galvez, les seuls vice-rois qui demandèrent à être enterrés à Mexico. La niche de droite arbore la plaque de Matias qui date de 1784. Celle de Bernardo (niche de gauche) date de 1786. Et ces deux plaques apparaissent ici comme un hommage rendu rendu par les Etats-Unis aux deux hommes qui aidèrent à l'indépendance nord-américaine.
Matias de Galvez devint vice-roi de la Nouvelle-Espagne en 1783 grâce à son frère, le ministre José de Galvez. Et Matias de débuter son mandat en apportant des améliorations en matière d'urbanisme tandis que son fils Bernardo sera nommé gouverneur de Cuba après avoir été celui de la Louisiane. Et les Galvez de devenir alors la famille la plus puissante du continent à cette époque. Matias initia ensuite l'édification du château de Chapultepec et une poudrière à Santa Fe. Atteint d'une maladie contagieuse en 1784, il mourra mystérieusement le 3 novembre de la même année. Son fils Bernardo lui succédera et poursuivra la construction du château qui prendra la forme d'un fort. Sa popularité augmentera considérablement lorsqu'il achètera du maïs sur ses deniers personnels (afin de pallier à la pénurie de 1785) et amnistiera les condamnés à mort. Il semblerait qu'il ait développé deux ans plus tard la même maladie que son père et il mourra à Tacubaya peu de temps après. On prétend que la veuve de Bernardo, Felicitas de Saint-Maxent, aurait versé de chaudes larmes dans l'église San Fernando avant de retourner en Espagne, se retrouvant alors seule et enceinte. De retour au pays, on l'accusera d'avoir propagé des idées révolutionnaires lors de réunions à son domicile. Et de mourir empoisonnée à Aranjuez en 1799.
Restons dans le mystique et penchons-nous sur la tombe d'Isadora Duncan, la « déesse de la danse moderne ». Celle-ci dansait pieds nus, en tunique grecque et brisait les schémas du ballet comme très peu de danseuses du début du 20è siècle auraient osé le faire. Celle qui s'inspirait des vases grecs et de la musique de Mozart et de Chopin pour créer des chorégraphies était ainsi. L'artiste haïssait aussi les voitures depuis qu'en 1913, l'une d'entre elles était tombée dans la Seine en noyant ses deux enfants. Dépressive à la suite de ce drame, Isadora ne s'en remettra jamais et le seul échappatoire sera l'amour qu'elle donnera à ses amants. L'un deux, qui était mécanicien, l'invitera un jour à faire une balade à bord d'une Amilcar surnommée « la Bugatti ». Richement vêtue, Isadora portait ce jour-là une grande écharpe de soie et conduisait dans Nice lorsque la très longue écharpe s'envola soudainement autour de la roue arrière de la voiture et étrangla la pauvre femme. Tragique destin, n'est-ce pas ?
Officiellement, la dernière personne enterrée au Panteon San Fernando, dans la Colonia Guerrero, est le président Benito Juarez, dont l'inhumation eut lieu en 1872. A la suite de cette cérémonie, il fut décidé que l'endroit ne servirait plus de cimetière (le lieu est devenu un musée depuis 2006). Et pourtant, dans la petite cour (à droite de l'église San Fernando), se détache une petite niche funéraire portant le nom de la célèbre ballerine américaine Isadora Duncan, morte en 1927, tout juste 55 jours après le président mexicain. Décédée à Nice, elle sera enterrée à Paris la même année, mais deux ans plus tard, son nom apparut sur la niche funéraire N°19 du cimetière abandonné, accompagné d'une erreur quant à la date de son décès. On raconta alors qu'un richissime banquier banquier mexicain, amant d'Isadora, aurait acheminé les restes de l'artiste avec l'autorisation de la famille. D'autres prétendirent que le président de l'époque, Plutarco Elias Calles, s'était amouraché d'Isadora et qu'il aurait discrètement ordonné le rapatriement de son corps, ici, à Mexico. Selon les habitants du quartier, il aurait longtemps apporté une rose blanche à Isadora, chaque samedi à 6h00 précises. Envoyé en exil en 1936, l'homme, plus tard pardonné, aurait ensuite vécu à Cuernavaca de 1941 à sa mort, en 1945. Les rumeurs persistant sur la mystérieuse niche funéraire, on ouvrira celle-ci un jour mais on n'y découvrit que de la poussière à l'intérieur. Et le secret de la niche funéraire de rester entier.
INFOS PRATIQUES :
- Bibliothèque Carlos Monsivais, Plaza de la Ciudadela 4, Colonia Centra, Mexico City. Tél : + 52 55 4155 0830. Ouverte du lundi au dimanche de 8h30 à 19h30. Visites guidées sur rendez-vous. Métro : Balderas. Site internet : http://www.bibliotecademexico.gob.mx/
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Centro cultural Tudor, Calle del Articulo 123, N°134, Colonia Centro, à Mexico. Tél : +52 55 5510 0469. Ouvert du lundi au vendredi de 11h00 à 18h00. Office religieux le dimanche à 12h00 et le lundi à 18h00. Métro : Juarez. Metrobus : Expo Reforma. https://es-la.facebook.com/pages/Centro-Cultural-Tudor/219927011761583
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Les niches des Galvez, dans l'Eglise de San Fernando, Calle Guerrero 39, à Mexico. Tél : +52 55 5518 6761. On pénètre généralement dans l'église par la porte latérale. Celle-ci est ouverte du lundi au samedi de 9h00 à 19h30, et le dimanche de 7h30 à 19h00.
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Tombe d'Isadora Duncan, niche funéraire N°19, sur la droite de l'église San Fernando dans le petit cimetière, Museo Panteon de San Fernando, Calle San Fernando 17, Colonia Guerrero, à Mexico. Tél : +52 55 5518 4736. Ouvert du lundi au dimanche de 10h00 à 18h00. Métro : Hidalgo. Site internet : http://www.cdmx.gob.mx/vive-cdmx/post/museo-panteon-de-san-fernando