Lundi 10 septembre 2018
Bloqué à Toronto (Canada) un jour de plus suite à une panne avion, je pars à la découverte de la Maison Campbell, qui fut la résidence de Sir William Campbell, sixième juge de l'Ontario (Haut Canada). Cette demeure ne se trouve dans Queen Street, son adresse actuelle, que depuis 1972, puisque la demeure se dressait depuis 1822 sur Adélaïde Street (emplacement désormais occupé par le collège George Brown). L'ensemble sera déménagé par camion, et avec beaucoup de précautions, pour ne pas endommager ce qui reste aujourd'hui une des demeures historiques de la ville. Six heures de transport seront en effet nécessaires au convoi pour parcourir un kilomètre et demi (photo ci-dessous).
La Maison Campbell est voisine de Osgoode Hall et possède son propre jardin. Sa visite est possible grâce à une charmante guide-conférencière qui explique en langue anglaise l'histoire de cette demeure, pièce par pièce. Comme je l'évoque plus haut, le petit manoir de brique fut construit en 1822 par Sir William Campbell et son épouse Lady Hannah afin de procurer au couple un lieu de repos alors que la famille avait déjà élevé ses progénitures et jouissait d'un niveau de vie élevé. Et la maison d'être désormais la plus ancienne de la ville originale de York (actuelle Toronto). La demeure (deuxième photo) a été bâtie dans le style architectural géorgien, un style disparu de Toronto aujourd'hui. La grange qui s'élève au nord-est de la maison est, elle aussi, de style géorgien, bien que cette construction soit moins récente que la Maison Campbell, cette dernière ayant bénéficié d'éléments architecturaux associés au palladianisme (originaire de Vénétie) comme, par exemple la symétrie des fenêtres, des foyers et des portes.
La Maison Campbell se dresse ainsi à l'angle nord-ouest de l'intersection des rues Queen Street et University Avenue. Après la disparition de Sir William Campbell, en 1834, la jouissance de la demeure revint à sa veuve Lady Hannah, jusqu'à son décès dix ans plus tard. Puis l'ensemble fut mis aux enchères et le produit de la vente fut partagé entre les héritiers du couple. Bien entretenue par ses propriétaires, la maison sera longtemps utilisée comme résidence principale tout au long du 19è siècle. Plus tard, l'endroit servira momentanément de local commercial et un fabricant de clous ainsi qu'une société d'ascenseurs y éliront même domicile un certain temps. Peu à peu dégradée, les derniers propriétaires de la maison souhaiteront démolir la construction en 1972, histoire de libérer le terrain pour y construire un parking. Et la demeure d'être finalement offerte gracieusement à la Société des Plaideurs (association professionnelle d'avocats) qui voulut sauver cet ensemble patrimonial. C'est ainsi que la maison quitta son terrain d'origine le 31 mars 1972 pour rejoindre son emplacement actuel. Seul le sous-sol d'origine de la demeure resta sur place. Aujourd'hui, la Maison Campbell repose sur un nouveau sous-sol, pour partie aménagé pour l'usage de l'association. La cuisine originale (ci-dessous) de la demeure y est également installée et respecte les mêmes proportions qu'autrefois. Cette grande pièce servait non seulement de cuisine mais aussi de lieu de vie pour les domestiques (jusqu'à dix personnes) qui étaient au service des Campbell, l'une des familles les plus riches de l'époque à York. L'ensemble était équipé en conséquence avec, incrusté dans la cheminée, un four à pain. Le foyer de la grande cheminée pouvait à elle seule cuire plusieurs plats à la fois et un tourne broche avait même été installé pour rôtir la viande uniformément. Sur le côté se trouve une boite à chandelles qui protégeait les bougies en cire d'abeille d'éventuels prédateurs (rongeurs). Un pot de cuivre servait à faire bouillir l'eau et un évier sec (deuxième photo), c'est à dire sans plomberie, avait trouvé sa place dans la pièce.
Les Campbell conservaient leurs linges de maison dans un buffet deux-corps fait en bois de pin, meuble qui fut offert au couple en guise de cadeau de mariage. Des herbes séchaient aussi dans un coin de la pièce, cueillies dans le jardin adjacent et utilisées pour agrémenter les plats ou pour soigner les maux ordinaires.
L'entrée de la maison débouche sur un hall d'entrée (en photo ci-dessous) qui aurait jadis marqué la limite entre la partie résidentielle de la demeure réservée à la famille Campbell et celle dédiée aux domestiques. En effet, il était à l'époque hors de question de mélanger les torchons et les serviettes...et seuls la bonne et le valet travaillaient alors en contact direct avec les propriétaires. Dans l'entrée se trouve aussi un escalier original.
Juste à côté se trouve la salle à manger (deuxième photo), l'une des salles les plus importantes de la maison puisque les Campbell y recevaient régulièrement les visiteurs. Il fallait offrir la meilleure image et la décoration de l'endroit est particulièrement opulente, en accord avec le niveau de vie élevé des occupants de la demeure. Le plafond haut, lui, marque un vrai contraste avec ceux des autres pièces comme la cuisine par exemple. On remarque aussi que la moulure en bois de cette salle à manger est fabriquée en bois dur bien qu'aucune moulure ne soit d'origine. La table, elle, est dressée pour le deuxième service du diner. Ce dernier débutait en fin d'après-midi et pouvait durer plusieurs heures puisque ce repas comportait trois services. Les deux premiers services comprenaient viandes, légumes, poissons, soupes et ragoûts et tous ces plats étaient consommés bien chauds. Le service du dessert voyait quant à lui le changement du linge de table par les domestiques.
Le mobilier de cette salle provient directement d'Angleterre et a été fabriqué en bois durs exotiques et très couteux. Quant à la porcelaine, elle est en bonne partie issue de la Maison Duesbery (Derby) dans les années 1820. Les assiettes exposées sur le buffet sont en revanche des chinoiseries confectionnées à Worcester, et sont ornées de têtes de dragons. L'argenterie, elle aussi, vient d'Angleterre tout comme ces élégants chandeliers reflétant la richesse de l'endroit. A côté de chaque assiette se trouve un objet contenant de l'eau glacée qui servait tantôt à rincer son verre, tantôt à rafraichir le vin. Il existait également un rafraîchisseur à vin. Au fond de la salle se trouvent deux portes : celle de droite reliait l'endroit à une salle utilisée pour stocker vin et nourriture tandis que celle de gauche ouvrait sur une petite pièce où l'on gardait au chaud les plats venus de la cuisine. Les murs de la salle à manger comportent quant à eux deux portraits de la famille Campbell, l'un représentant Elizabeth Amelia, la seconde des quatre filles de la famille, et l'autre représentant le Docteur William Robertson, son mari. Ce médecin était alors un politicien et un fonctionnaire connu à Montréal (qui fonda d'ailleurs le premier hôpital de cette ville, mais aussi la faculté de médecine de l'Université McGill). Notre homme, qui était à la tête d'une famille nombreuse de douze enfants, enseignera enfin le métier de sage-femme et les connaissances sur les pathologies féminines.
Après le dessert, tout le monde quittait la table : les hommes restaient dans la salle à manger pour fumer un cigare, boire du porto ou du brandy tout en discutant de politique, et les femmes rejoignaient le salon pour y prendre le thé et se détendre.
Le salon ne comporte malheureusement que peu de meubles mais on peut y admirer deux portraits, celui de William (ci-dessous) et de Hannah Campbell, de chaque côté de la cheminée. Ces peintures sont l'oeuvre du peintre écossais Robert Mac Naughton qui les réalisa à York en 1821. On retrouve dans ces tableaux les mêmes poses et les mêmes vêtements que dans d'autres portraits composés par ce peintre. Si l'existence de Hannah Campbell est restée relativement secrète, la vie de William, elle, est beaucoup plus étayée : né en 1758 dans le canton écossais de Caithless, notre homme a étudié le droit très jeune. Lorsque son précepteur disparaît, il s'engage dans le 76è régiment des Highlands de l'armée britannique, et est ensuite muté aux Etats-Unis afin de servir lors de la guerre révolutionnaire américaine, conflit à l'issue duquel l'armée britannique capitulera lors du siège de Yorktown en 1781. Notre homme est alors capturé, puis libéré après la guerre. Il repart en Nouvelle-Ecosse pour reprendre ses études de droit. C'est là-bas qu'il fera connaissance de Hannah, sa future épouse et la fille d'un riche pêcheur. Le couple vivra en Nouvelle-Ecosse vingt années durant et Willian Campbell deviendra alors le Procureur général de l'Île du Cap-Breton. Et la Grande-Bretagne de le nommer juge en 1811 et de l'envoyer à York qui n'était encore à l'époque qu'un simple village de quelques 700 âmes.
Revenons à ce salon qui est le seul endroit de la maison à avoir conservé ses couleurs originales.C'est grâce à une restauration des années 1970 que l'on retrouva des échantillons de peinture qui étaient alors dissimulés par des briques. Ce salon servait non seulement aux femmes comme lieu de réunion après le repas mais également comme endroit de divertissement. On y servait habituellement le thé importé d'Orient et une boite à thé fermée à clef servait à conserver les précieuses feuilles. La salle offrait plusieurs jeux comme le whist, le jacquet, ou les échecs. Devant la grande cheminée, ces dames se tenaient derrière un grand écran de cheminée tout en pratiquant la couture ou le tricot. On y jouait aussi du piano-forte (ce piano se dresse encore dans la pièce).
Je franchis à présent l'escalier qui me conduit à l'étage supérieur où se trouve l'ancienne salle de bal, utilisée désormais comme salle de réunion pour les membres de la Société des Plaideurs. L'unique pièce digne d'intérêt reste la chambre principale (en photo ci-dessous) dont la vue donnait autrefois sur le port. On y trouve encore un grand lit surélevé avec dais, afin de protéger ses occupants du froid qui causait, dit-on, des maladies. On dormait alors pratiquement assis car une croyance prétendait que dormir complètement à l'horizontal empêchait les quatre humeurs du sang de bien circuler et pouvait donner de l'arthrite. Les hivers rudes du Canada nécessitaient l'usage de la cheminée pour chauffer l'endroit mais on utilisait aussi un chauffe-lit rempli de braises pour chauffer l'intérieur du lit pendant quelques minutes.
On ne se baignait pas dans la rivière à cause de l'eau soi-disant contaminée mais les gens aisés disposaient de leur propre baignoire (deuxième photo) en étain. Les domestiques apportaient alors de l'eau chaude jusqu'à la chambre. Un étrange lavabo du voyageur complétait l'installation sanitaire : transportable, ce petit meuble se dépliait pour laisser apparaître un mini-lavabo et un miroir. On suppose que Sir William Campbell a beaucoup utilisé ce meuble lors de ses nombreux déplacement dans le Haut-Canada. Au pied du lit, on peut enfin observer un pot de chambre et un seau faisant office de toilette. Le lieu d'aisance avec chasse d'eau avait pourtant été conçu dès 1790 mais restera peu utilisé dans le pays jusqu'en 1930.
Terminons cette visite avec le palier du premier étage (en haut de l'escalier) qui offre d'admirer une carte datant de 1827, qui représente le village de York à cette époque. En 1825, l'endroit comptait alors 1700 habitants. Une maquette du village permet de localiser l'ancien emplacement de la Maison Campbell avant son déménagement de 1972. On remarque également une reproduction d'un journal publié par William Lyon Mackenzie, éditeur du Colonial Advocate, mais aussi réformateur politique. L'homme aura pour habitude de critiquer le gouvernement conservateur jusqu'à ce que son imprimerie soit saccagée en 1826. Mackenzie réclamera alors des dommages et intérêts qui seront accordés par le juge William Campbell, à hauteur de 625 livres. Et Mackenzie de devenir le premier maire de Toronto en 1834.
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