Samedi 6 octobre 2018
La Haute Corse se réveille ce matin sous le soleil après une nuit tourmentée. De violents orages se sont abattus sur la région, et notamment dans la Castagniccia où nous nous rendons ce matin. Partagée entre les trois vallées d'Orezza, d'Ampugnani et d'Alesani, cette région de moyenne montagne est presque entièrement recouverte par une forêt de châtaigniers pluriséculaires, d'où son nom. Ici et là émergent des villages rustiques parmi lesquels Morosoglia, La Porta, Piedicroce, Carcheto-Brustico et Valle d'Alesani.
La route est bonne jusqu'à Ponte-Leccia mais se gâte un peu lorsque nous empruntons la D71. En effet, des éboulis obstruent de temps à autre une partie de la chaussée et nous contraignent à ne pas dépasser les trente kilomètres par heure. Heureusement, nous avons quitté Corte à 8h30 afin de commencer tôt notre promenade car nous craignions le retour rapide de la pluie. J'ai comme chaque jour préparé un itinéraire, mais, pour une fois, je décide de débuter celui-ci par la fin, en me rendant directement au Couvent d'Alesani, l'étape la plus lointaine de notre périple. Et de rouler une heure trente durant pour rejoindre cette première étape, sur cette petite route tortueuse et parfois encombrée et glissante. Thérèse et moi ne nous ennuierons pas car nous rencontrerons plusieurs animaux sur notre trajet et en bord de route : chevaux, vaches, taureaux, cochons noirs avec leurs petits (ci-dessous), chèvres, un petit sanglier et de charmants ânes (deuxième photo).
Le Couvent Saint François d'Alesani (ci-dessous) est fermé mais nous réussissons tout de même à pénétrer dans l'enceinte afin de prendre quelques clichés. Sur place, aucune information n'est donnée sur l'histoire du lieu mais, lors de mes recherches, je tomberai par hasard sur le site internet de ce couvent qui fut fondé en 1236, rebâti en 1354, puis remanié à plusieurs reprises. C'est Fra Giovanni Parente qui sera à l'origine de la construction de l'édifice, dix ans après la mort de Saint François d'Assise. La province franciscaine de Corse était alors l'une des plus anciennes d'Europe et le Père Giovanni Parente fondera plusieurs couvents dont celui-ci, qui sera le premier à pénétrer à l'intérieur des terres corses. Ce premier couvent n'aurait été d'abord constitué que d'une petite église flanquée d'une maisonnette abritant uniquement quelques religieux. Abandonné au 14è siècle, celui-ci sera remplacé par un second couvent, l'actuelle construction, dont l'existence est attestée en 1587. Ce remplacement aurait été du à l'extermination des Giovannali, dont vous pourrez lire l'histoire complète sur le site internet du couvent (voir infos pratiques). L'endroit sera à son tour abandonné lors de la révolution française alors que les religieux étaient expulsés, non sans avoir préalablement abrité le couronnement du baron Théodore von Neuhof, en 1736, en tant que roi de Corse. Autre fait troublant : Fra Pietro Da Brieta d'Oletta fut le témoin et le protagoniste d'un miracle qui s'accomplit au couvent en 1460. Le tableau miraculeux représente la Vierge à la cerise (deuxième photo), un œuvre attribuée au peintre siennois Sano di Pietro.
Nous rebroussons chemin, toujours sur la D71 et nous arrêtons à Carcheto- Brustico, afin d'admirer l'église Sainte Marguerite, à l'intérieur de laquelle les habitants s'apprêtent à organiser un loto dont les bénéfices serviront à la restauration de l'endroit. Cela ne gâche rien aux œuvres qui s'y trouvent, notamment un chemin de croix sur toile (en photo ci-dessous) datant de 1790 et attribué à un imagier local. De style baroque, l'église fut bâtie par des artisans locaux de la Castagniccia aux 17è et 18è siècle et est classée comme monument historique depuis 1976. Sur place, nous rencontrons Jean Claude Rogliano, habitant du village, restaurateur de vieilles demeures et auteur de plusieurs ouvrages (vous trouverez l'un d'entre eux en bas des infos pratiques), un homme passionné et passionnant avec lequel nous échangerons quelques mots avant de reprendre notre route.
Nous filons maintenant à Piedicroce pour y découvrir l'église Saint Pierre et Saint Paul (en photo ci-dessous). Noyé dans une forêt en surplomb d'une profonde vallée, ce village est le point de départ de plusieurs randonnées pédestres. Quant à l'édifice religieux, il est de style baroque du 17è siècle, et reste l'une des plus belles églises de la région. On peut y admirer sa superbe voûte et son retable peints sans oublier son orgue, doyen des orgues corses, et le seul à conserver des éléments du 17è siècle dont le buffet polychrome qui contient l'instrument (deuxième photo). Un coup d'oeil sur la magnifique chaire en marbre à prêcher avec escalier s'impose car elle en vaut la peine.
Quelques kilomètres plus loin, et toujours sur la même route, nous faisons une halte au couvent Saint François, aussi appelé couvent d'Orezza (ci-dessous en photo). Celui-ci fut fondé en 1485 par les mineurs observantins qui le cédèrent ensuite aux Réformés. L'ancienne église San Francescu mesurait 33 mètres de long et onze de large. Tombée en ruines dès 1832, elle est vendue pour 1025 lires à des particuliers (en y incluant les terrains adjacents). Plus tard, le presbytère, le couvent, l'oratoire et les terres restantes seront également cédés. Ce couvent joua pourtant un rôle considérable dans l'histoire de la Corse au 17è siècle car il abrita en 1731 la fameuse réunion de théologiens qui proclama la guerre contre les Génois, une guerre juste et sainte. Suivit, quatre ans plus tard, la proclamation du « Gaverno Separato » (de Gênes) puis celle de l'Immaculée Conception Reine de la Corse. Pascal Paoli y séjournera en 1757, 1761 et 1765 lorsqu'il prendra les eaux à la source d'Orezza. En 1790, à son retour d'exil, il reviendra sur place après avoir été acclamé par la grande Cunsulta des Corses qui lui confieront les pleins pouvoirs. Après son abandon, l'endroit servira tour à tour de cimetière, puis d'écurie aux gendarmes. Lors de la Seconde guerre mondiale, l'édifice sera ruiné par les Italiens en 1943 qui en avaient fait un dépôt de munitions, dépôt qu'ils feront sauter à l'approche des Allemands. Les dégâts de l'explosion furent si grands que l'Etat refusera le classement du couvent en tant que monument historique.
La Porta est notre prochaine étape. Et son église Saint Jean Baptiste (ci-dessous) de nous ouvrir ses portes. La construction de cet édifice religieux baroque agrémenté de son campanile débuta en 1644, sous la direction des maitres d'oeuvre Baina Domenico et Francescone. A l'intérieur, on peut y trouver un petit orgue artisanal qui fut achevé en 1780 au Couvent de Rogliano (Cap Corse) par le moine franciscain Marracci. Cet orgue est de style italien classique, avec un clavier unique. On pense que l'instrument fut acheminé jusqu'ici sous la Convention, alors que la destruction du couvent voisin de Saint Antoine (pour lequel cet orgue avait été confectionné) avait déjà été ordonnée. Délaissé trente années durant, le petit orgue sera restauré in-extremis en 1963, en en gardant toute l'authenticité. Seule une soufflerie électrique a été rajoutée.
Il est impossible de traverser Morosaglia sans visiter le Musée Pascal Paoli au hameau de Stretta. Le petit musée a trouvé refuge à l'intérieur de la maison natale de Pascal Paoli depuis 1954, et offre aux visiteurs d'admirer non seulement une iconographie du célèbre général corse mais aussi de nombreux objets, documents, peintures et sculptures de notre homme. Notre visite débute par la projection d'un film de dix minutes résumant la vie et la carrière de Pascal Paoli. Nous parcourons ensuite les quatre salles qui forment l'exposition, avant de nous recueillir devant la sépulture de Pascal Paoli qui se trouve à l'intérieur de la chapelle familiale. La maison à elle seule instruit sur l'existence des notables de la Castagniccia au 18è siècle, les mentalités et les croyances de l'époque, ainsi que les structures de cette demeure qui repose sur le roc. A l'intérieur, la première salle d'exposition présente la vie quotidienne à cette époque, avec plusieurs objets témoignant du quotidien des habitants de cette région, mais également un écu de couleur bleu azur, et plusieurs portraits de Paoli, dessins et gravures, autant de regards différents portés par les maitres d'alors sur le général corse. L'orfèvrerie sacrée et les armes (dont des stylets et une paire de pistolets) sont présentées dans la seconde salle. Nous y lirons aussi des lettres portant l'autographe de Pascal Paoli et d'autres écrits illustrant les contrastes violents de sa vie. Sur le mur, sont affichés les noms des électeurs présents lors de l'assemblée du couvent d'Orezza, le 9 septembre 1790. On trouve enfin les attributs du pouvoir comme le sceau du gouvernement, le crucifix, la conque marine « U Columbu », qui fut longtemps employée comme outil de communication en Corse et le drapeau de l'indépendance (quatrième photo). La troisième salle (dans laquelle est né Pascal Paoli) nous révèle la dimension politique de l'homme avec plusieurs documents, parmi lesquels un plan de l'Île Rousse dont il fut l'inventeur, et une carte de la Corse, entre autres. La visite s'achève dans la quatrième salle où est dressée la scène des origines : de nombreux témoignages y rappellent quelques-uns des points forts de l'existence du « père de la patrie ». On y apprend certains aspects de la mentalité et des croyances de la famille Paoli. Parmi les peintures marquantes, on note celle représentant Pascal Paoli à la bataille de Ponte Novu.
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