Mercredi 17 octobre 2018
Le musée Cognacq-Jay (Paris 3è) nous invite cette fois à découvrir le milieu bien particulier des marchands merciers parisiens au 18è siècle. Ceux-là mêmes que l'Encyclopédie attribuée à Diderot qualifiait de « Marchands de tout et faiseurs de rien » constituaient alors l'une des plus importantes corporations parisiennes à cette époque. L'exposition présentée aborde ainsi des marchands célèbre comme Lazare Duvaux ou Dominique Daguerre, tout en explorant l'univers des marchands merciers à travers une centaine d'oeuvres d'art, documents et archives témoignant des origines du luxe à la parisienne. Le marchand mercier était à la fois négociant, importateur, collecteur, designer et décorateur, tout en restant un personnage atypique qui entretenait des liens dans la haute aristocratie et s'appuyait sur un réseau international d'artistes. Et de développer la promotion publicitaire dans le but de se faire connaître et d'agrandir son réseau avec l'aide de dessinateurs anonymes ou d'artistes reconnus comme Boucher ou Watteau. Cette corporation disparaitra toutefois durant la révolution française.
C'est donc à une promenade dans le temps que je vous invite aujourd'hui à travers l'histoire, les statuts et l'organisation de cette ancienne corporation, le rôle et les enjeux de celle-ci pour commercialiser ses pièces d'art, l'art d'enjoliver tout en développant enseignes, marques, contrats d'exclusivité et réclames publicitaires.
Dissous à la Révolution, le système français des corporations réglait la vie professionnelle des commerçants d'une même ville et les marchands étaient classés selon les biens qu'ils vendaient. Forcément catholiques et de nationalité française, les membres de la corporation étaient juridiquement protégés moyennant une cotisation annuelle. A Paris, les « Six Corps » formaient alors une sorte d'aristocratie industrielle qui avait le droit d’assister aux cérémonies et aux parades de la Ville. Attestée dans la capitale dès 1137, la corporation des merciers constituait le troisième de ces six corps et rassemblait tous les vendeurs de toutes sortes de biens finis ou restant à « enjoliver » par l'assemblage. Un débutant devait alors suivre un apprentissage de trois années, devenait aspirant et pouvait ensuite devenir maitre et constituer un stock de biens variés, dont des œuvre d'art, de l'ameublement et du textile. Le statut de la corporation donnait aussi le droit aux vendeurs de commercer les pièces de provenance orientale depuis 1324, et jusqu'à la disparition de l'ensemble en 1793. Au 18è siècle, deux bâtiments parisiens symbolisaient cette organisation : le Bureau de la corporation, sis rue Quimcampoix, abritait assemblées et archives. L'édifice a depuis disparu mais on imagine que sa façade ressemblait à celle édifiée par Jacques Bruant pour les drapiers, façade aujourd'hui incorporée dans l'architecture du musée Carnavalet-Histoire de Paris. L'église du Saint-Sépulcre, elle, accueillit les offices de la confrérie des merciers jusqu'à sa démolition en 1790. Ce lieu situé rue Saint-Denis et qui respirait la sociabilité, hébergeait également plusieurs autres confréries, dont celles des peintres, des sculpteurs et des graveurs. Quant au secteur qui couvrait la rue Saint-Honoré, il rassemblait les boutiques du Palais-Royal et les quais, et bénéficiait de la prédilection de la noblesse parisienne et des touristes de l'époque.
Si les marchands merciers n'avaient pas le droit de fabriquer les marchandises vendues, ils pouvaient tout de même les enjoliver, en utilisant par exemple le fleurissement. Ces merciers font forcément appel à d'autres corporations pour se faire livrer leurs marchandises de la dernière mode. Et une pièce unique peut tout à fait associer des objets importés, des productions de manufactures et des éléments exécutés par des fournisseurs d'ateliers de taille variable. Des grands maitres entrepreneurs emploient alors plusieurs dizaines d'ouvriers à la journée pour répondre aux commandes comme par exemple l'ébéniste Adam Weisweiler ou les ciseleurs-doreurs François Rémond et Pierre Gouthière. Certains stocks de merciers abritaient aussi des objets préfabriqués, prêts à être posés et destinés à une clientèle pressée et exigeante qui avait le souhait de se procurer un objet de valeur aperçu chez un membre de la famille royale. La fleur qui symbolise l'esthétique rocaille, incarne tout à fait ce genre d'accessoire. Les fleurs « façon de Saxe », en boutons ou épanouies, ornent alors candélabres et horloges. La fleurisserie de Vincennes, dirigée par Henriette Gravant de 1748 à 1753, offrira des fleurs en porcelaine montées sur des tiges en bronze par Claude Le Boitteux. Tiges vendues ensuite aux merciers qui s'en servaient pour en faire des bouquets perpétuels. Le catalogue de 1759 mentionnait alors 64 espèces de fleurs.
Les marchands de tableaux et d'objets d'art, eux, se distinguent des merciers en raison de la valeur de leurs stocks et de l'emploi de fournisseurs réputés. Certains proposent des biens similaires à la vente tandis que d'autres apparaissent par le biais d'un monopole négocié ou de productions exclusives, transformant la boutique en une véritable marque de goût (goust) du mercier. C'est le cas de gens comme Laurent Danet (spécialiste des pierres dures), Jean Dulac (qui possédait une autorisation exclusive de vente au détail des productions de la manufacture royale de Sèvres) ou les Julliot (spécialisés dans les meubles, porcelaines et objets de laque). Et la fidélité de leur clientèle et la notoriété de leur enseigne auprès des visiteurs étrangers de reposer sur la maitrise du circuit publicitaire et sur la bonne réussite d'entreprises conséquentes en ameublement.
L'exposition aborde aussi le cas de deux merciers de renom : Thomas-Joaquim Hébert et Lazare Duvaux. Le premier sera l'un des merciers les plus importants de sa génération qui disposera d'une impressionnante variété de marchandises. Il livrera ainsi près de 120 objets à la famille royale entre 1737 et 1750. Hébert serait ainsi l'un des premiers à avoir imaginé l'association de panneaux de laque orientale avec des meubles. Quant à Lazare Duvaux, il révèle de précieuses connaissances sur le métier de mercier à travers la publication de son Livre-Journal par Louis Courajod en 1873. L'ouvrage permet au lecteur de suivre les achats d'oeuvres, les livraisons, les commandes de réparation ou d'opérations de nettoyage sur une période de dix ans, de 1758 à 1758 (date du décès de notre homme). Durant ce laps de temps, ce marchand louera une boutique appartenant à Thomas-Joachim Hébert dans la rue Saint-Honoré, à l'enseigne du Chagrin de Turquie. Et l'homme appuiera sa réussite sue une clientèle internationale fidèle et sur des expositions de prestige comme celles des services commandés par le roi.
Les stratégies mises en œuvre par les merciers pour se faire connaître sont diverses : on utilise la création d'une identité visuelle (enseigne, carte de visite, publicités dans les journaux et les guides...) et l'on commercialise également des formes nouvelles adaptées aux tendances du moment. Il arrive ainsi que des commandes soient passées auprès des dessinateurs connus comme concepteurs de décors (Jean-Démosthène Dugourcq) mais le rôle des merciers reste souvent primordial, comme avec Jean Dulac, mercier dont le nom reste encore aujourd'hui associé à une forme de vases de la manufacture royale de Sèvres. De leur côté, des inventaires notariés apportent des informations précises sur l'état des stocks des marchands : ces stocks révèlent la richesse des marchandises écoulées mais également les stratégies commerciales des propriétaires. On découvre les noms des fournisseurs classés en deux colonnes, créanciers et débiteurs, et une certaine forme de solidarité entre merciers transparait lors des rachats de stocks auprès de marchands vendant leurs stocks lors d'un dépôt de bilan ou dans le sort des veuves des marchands. L'exercice de gestion s'avère quant à lui bien difficile comme en témoigne l'important nombre de faillites répertoriées dans les Archives de Paris.
Certaines œuvres sont conservées sans pedigree ou sans étiquette du mercier, et le problème de leur identification reste alors entier. Les objets portent cependant des indices (poinçon, estampille ou signature) qui permettent de restituer la paternité du bâti, de la marqueterie, de l'orfèvrerie ou de la porcelaine utilisée. Le choix des matériaux, lui aussi, évolue au fil du temps selon les modes d'approvisionnement, et les essences exotiques deviennent au fur et à mesure plus recherchées pour leurs propriétés et leurs couleurs, venant concurrencer les matériaux classiques (marbre blanc, bronze...). Ainsi l'acajou importé des colonies deviendra t-il un véritable phénomène de mode à partir des années 1780.
Clou de cette exposition passionnante : la reconstitution autour de l'Enseigne de Gersaint, dans le grand comble. Gersaint fut un des merciers les plus renommés grâce à l'enseigne légendaire peinte par Antoine Watteau qui représente l'intérieur idéal d'une boutique dédiée au commerce de l'art. Placée au-dessus de l'entrée du magasin, l'mage de cette enseigne contrastait étonnamment avec celle qu'offrait le stock réel du commerce de Gersaint. L'homme était pourtant éloigné de ce milieu commerçant mais épousera en 1718 la fille d'un mercier bercé dans le marché des arts. Il acquiert bientôt la boutique d'Antoine Dieu, avant de transférer son activité sur la rue du Pont-Notre-Dame an 1720, en ouvrant Au Grand Monarque. Il est reçu cette même année dans le corps des merciers et modifie son enseigne avec le nom A la Pagode, afin de mieux coller au contenu de son stock désormais composé d'objets exotiques.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « La Fabrique du Luxe, les marchands merciers parisiens au 18è siècle » , jusqu'au 27 janvier 2019, au Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir à Paris (3è). Tél : 01 40 27 07 21. Ouvert du mardi au dimanche de 10h00 à 18h00. Entrée : 8€. Site internet :http://www.museecognacqjay.paris.fr/
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Le catalogue de l'exposition (broché, 176 pages, 120 illustrations) est en vente sur place au prix de 29,90€