Dimanche 11 novembre 2018
Ancienne capitale royale et monastique, Anuradhapura fut jadis le lieu de règne de 113 rois successifs et de quatre reines. Et cette cité de s'imposer durant plus d'un millénaire comme la plus grande ville monastique d'Asie et le cœur de la civilisation sri-lankaise. Je suis impatient d'en découvrir les restes à travers cette visite de quelques heures, aux côtés de Chaminda. J'imagine déjà Anuradhapura abritant des dizaines de milliers de moines dans une dizaine de monastères, au plus fort de son apogée. On parle même d'une population de deux millions d'habitants à cette époque.
Ici s'élevèrent il y a très longtemps des palais somptueux, un statuaire et des jardins d'agrément. Plusieurs dagobas furent également érigés pour mettre à l'abri les reliques les plus sacrées du bouddhisme et comptèrent parmi les constructions architecturales les plus gigantesques de l'Antiquité. C'est le cas du Jetavanarama dagoba (en photo ci-dessous) qui, avec une hauteur atteignant les plus de cent mètres au 3è siècle, était la troisième plus haute construction du monde après les pyramides d'Egypte. Nous nous arrêtons en passant et juste quelques instants au musée Jetavanarama, pour y admirer les objets retrouvés sur le site, dont des bijoux, des sculptures et des images de bouddha. Quant au dagoba du monastère de Jetavanarama, il resplendit tant par sa taille imposante (122 mètres de haut et 113 mètres de diamètre) que par ses quatre sanctuaires (vahalkada) ouvragés marquant chacun des quatre points cardinaux, dont l'Est qui est représenté par des femmes aux poses gracieuses. Et ce dagoba de rayonner sur le monastère fondé par le roi Mahasena (qui fut aussi à l'origine de la construction du réservoir Minneriya).
Nous partons maintenant à la découverte du Ruwanwelisiya Dagoba (ci-dessous) qui fut érigé par le roi Dutugemunu au 2è siècle avant JC. Au Lanka, le dagoba (version cinghalaise du stupa indien, constituée d'un dôme reposant sur une base carrée et coiffé d'une flèche) prendra des proportions inattendues sous la tutelle des rois d'Anuradhapura. Structure hémisphérique, le stupa qui nous intéresse contient des reliques de Bouddha et est à ce titre considéré comme un lieu sacré par les Bouddhistes du monde entier. Connu aussi sous le nom de Maha Thupa, il vit le jour sous le règne de Dutugemunu, dont le Mahavamsa raconta un jour que cet édifice lui fut inspiré par la vision d'une bulle flottant sur l'eau. Le dagoba mesure aujourd'hui 55 mètres de haut et est constitué de...quelques cent millions de briques, nécessaires à la construction du dôme. L'ensemble se dresse sur une immense terrasse dallée et on peut faire le tour du monument dans le sens des aiguilles d'une montre pour apercevoir dans l'ordre un sanctuaire secondaire abritant quatre bouddhas et une statue de Maitreya, puis la maison d'images qui contient une réplique du roi Dutugemunu contemplant son oeuvre. Un haut mur borde cette terrasse et porte des centaines de protomés d'éléphants alignés oreille contre oreille. Les pachydermes donnent l'impression de soutenir le dagoba tout comme ils soutiennent la Terre dans la cosmogonie bouddhique. En ce dimanche, les pèlerins viennent nombreux pour prier et vénérer Bouddha. Une procession (deuxième photo) conduit même les habituelles offrandes jusqu'à l'arbre sacré auprès duquel nous nous rendons à présent.
Chaminda et moi remontons une grande allée sur plusieurs centaines de mètres, qui conduit du Ruwanwelisiya Dagoba à l'arbre bodhi Sri Maha. Sur le parcours, des singes à face noire (ci-dessous) jouent les stars et se montrent bien plus conciliants que les macaques pour se laisser prendre en photo. Lors des poya (fêtes de la pleine lune), on compte ici plus d'un million de Sri Lankais qui viennent en pèlerinage dans la cité sacrée. Une grande partie se concentre autour du Sri Maha Bodhi (arbre originel de la bodhi) tout particulièrement lors de la Poson poya (pleine lune de juin). Arbre le plus vénéré au monde, le Sri Maha Bodhi (deuxième photo) serait né d'une bouture de l'arbre de la bodhi sous lequel le Bouddha aurait atteint l'Eveil en Inde. Celle-ci aurait été apportée au Lanka par Sanghamitta, sœur de Mahinda, afin d'encourager la diffusion du bouddhisme dans l'île. Et cet arbre sacré, un figuier des pagodes, de bénéficier des soins les plus attentifs depuis environ 23 siècles, même durant les périodes où le reste de la ville sera livrée à la jungle. D'autres boutures furent également plantées dans d'autres temples du pays puis à travers le monde, créant une troisième génération d'arbres issus du figuier indien originel.
Notre exploration se poursuit par le Thuparama Dagoba (ci-dessous) situé au nord du Ruwanwelisiya. Edifié sous le roi Devanampiya Tissa, après sa conversion par Mahinda, ce dagoba revêt pour les Bouddhistes une importance cruciale car l'édifice, malgré sa taille modeste, aurait hébergé la clavicule droite de Bouddha. La date de sa fondation en ferait l'un des dagobas les plus anciens de l'île mais le dagoba actuel n'est qu'une reconstruction du milieu du 19è siècle qui ne respecte même pas la forme originelle, puisque le monument est en forme de « cloche » et non « de montagne de riz ». Quant aux piliers en pierre qui entourent la construction, ils devaient au départ soutenir une toiture.
Il ne reste plus du Palais royal qu'une ruine. La capitale avait en effet déjà été déplacée à Polonnaruwa lorsque le roi Vijayabahu 1er passa commande de cette construction après sa victoire sur les Chola en 1077. Seules la terrasse et les pierres de garde (ci-dessous) ont résisté à l'épreuve du temps.
Non loin de là, se trouvent les restes du réfectoire de Mahapali, dont l'auge (visible sur cette deuxième photo ci-dessous) était remplie de riz destiné à nourrir le millier de moines résidant sur place. A côté, une autre auge, bien plus petite, contenait le curry. A une centaine de mètres de là, nous découvrons le plus grand bassin du Sri Lanka (que Chaminda surnomme bassin des éléphants) ayant servi aux ablutions des moines (troisième photo). Celui-ci mesure 159 mètres de long, 52 ,70 mètres de large et 9,5 mètres de profondeur, et est alimenté en eau grâce à des réservoirs proches. Lui-même aurait servi de réserve d'eau pour l'alimentation de bassins et des puits du monastère d'Abhayagiri.
Fondé par le roi Vattagamini en 88 avant JC, le vaste monastère d'Abhayagiri hébergea jusqu'à 5000 moines. Cette puissante institution fut réputée pour son interprétation éclectique et hétérodoxe du bouddhisme, fortement influencée par le courant mahaya déjà implanté au Tibet, en Chine ou au Japon. Ce genre de pratique indisposera d'ailleurs les moines d'autres monastères locaux, adeptes du strict canon theravada, qui verront cette pratique nouvelle de la religion comme blasphématoire. Le célèbre monastère connaitra son apogée sous le règne de Mahasena qui financera l'émergence du palais, de bains et d'une magnifique statuaire. L'entrée sur le site est marquée par une statue de Samadhi Buddha (ci-dessous) en posture de méditation. Les moines du monastère d'Abhayagiri allaient se baigner dans les bassins jumeaux, aussi appelés Kuttam Pokuna (deuxième photo). Des faux jumeaux, car les deux bassins ne sont pas exactement identiques, l'un mesurant 28 mètres de longueur et l'autre, 40 mètres. Les ruines du monastère se répartissent quant à elle autour du gigantesque Abhayagiri Dagoba qui est désormais le troisième plus grand stupa d'Anuradhapura et culmine à 75 mètres de haut. Ce dagoba est toujours en cours de restauration, après avoir été totalement envahi par la végétation (troisième photo). Autre curiosité du site archéologique, située à quelques mètres du musée d'Abhayagiri, le Dalada Maligawa, ou Temple de la Dent, qui reçut le premier la relique de la Dent à son arrivée au Lanka, au 4è siècle. Il n'en reste plus aujourd'hui que des piliers de pierre.
Un joyau de pierre offre toujours ses attraits dans l'ancien Palais du roi Mahasen : ce lieu qui fut aussi désigné sous le nom de Pavillon de la Reine a conservé l'une des plus belles pierres de lune (ci-dessous) d'Anuradhapura, sous la forme d'un superbe seuil de granit hémicirculaire finement sculpté de motifs symboliques. Elément caractéristique de la sculpture cinghalaise, la pierre de lune (ou sandakata pahana) est une dalle en forme de demi-lune faite de granit poli, qui est installée à l'entrée des sanctuaires importants. Cette pierre joue le rôle de seuil spirituel en offrant une allégorie du passage du monde physique et de ses distractions au nirvana. Les détails sculpturaux varient bien sûr d'une pierre à l'autre mais l'on retrouve certains éléments, voire tous. Dans un cercle extérieur de flammes symbolisant le désir, s'inscrivent l'éléphant qui représente la naissance, le taureau qui symbolise la vieillesse, le lion qui représente la maladie et le cheval la mort. Vient ensuite un registre composé de vigne ou de serpents qui incarnent l'attachement à la vie, et d'oies symbolisant la pureté. Au centre de la pierre se déploie un lotus qui figure la réalisation du nirvana. Les symboles évolueront toutefois selon les époques, comme sous les périodes de Polonnaruwa et de Kandya, avec la disparition progressive du lion et du taureau. De nos jours, la pierre de lune a troqué son symbolisme contre un rôle purement décoratif à motifs floraux.
Si le Palais du roi Mahasen a aujourd'hui disparu, il en va de même pour la salle capitulaire du monastère de Ratnaprasada (ci-dessous), ou Palais des pierres précieuses. Tous les sanctuaires et les palais importants étaient veillés par des gardiens en pierre coiffé du nagaraja (ou roi naga) et de la couronne traditionnelle du cobra à sept têtes. Chaque détail de sa tenue, de la ceinture aux glands, apparaît détaillé avec soin et très bien préservé. Son corps se contorsionne pour donner une impression de grâce et de souplesse, avec ses pieds effleurant le sol. La statue offre les symboles de la prospérité et une branche en fleur. Le dessus de sa tête laisse apparaître un arc avec ses quatre makara, des créatures mythologiques composées de sept animaux différents. Enfin, à ses pieds, se trouve un serviteur nain (gana) qui semble ricaner devant cette scène surréaliste.
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