Samedi 1er décembre 2018
Ville de référence en matière de masques traditionnels, Ambalangoda mérite un arrêt afin d'y découvrir l'art de ces masques sculptés et peints à la main jadis arborés par les danseurs des basses terres (région Sud). Utilisés à l'origine lors des danses du kolam et des cérémonies d'exorcisme, ces parement sont aujourd'hui confectionnés en série pour être ensuite vendus comme souvenirs aux touristes. Soma me conduit au Musée d'Ariyapala & Sons Masks, le plus grand et le plus intéressant des deux établissements qui se disputent la visite des gens de passage. Et une hôtesse de nous livrer un aperçu fascinant du sens rituel et de l'histoire des masques en question, tandis que la boutique située à l'étage offre un vaste choix de masques et de sculptures. Dans une autre partie de la maison,on peut aussi observer les artisans au travail : nos yeux assistent ainsi en direct à la naissance d'un masque sculpté dont le processus est sensiblement identique. Il faut d'abord choisir un bois approprié, tendre et facile à sculpter comme l'arbre Kaduru (bois de Balsa, extrêmement léger), Strychnine, ou Strychnos nux-vomica. Une fois coupé, le tronc sèche avant d'être découpé en morceaux, puis l'artisan découpe grossièrement au maillet (ci-dessous) la forme de son masque en tenant compte des dimensions indiquées par les manuscrits anciens. Le futur masque est ensuite enfumé afin d'éviter l'intrusion future d'insectes et les dégâts sur l'objet, puis le bois sec est enfin sculpté finement afin de laisser apparaître les traits d'expression recherchés et le lissé nécessaire. Dernière étape, la peinture de l'objet (deuxième photo), à l'aide de différentes teintes dont, là aussi, la composition est prodiguée par les livres anciens afin de conserver un éternel rendu des couleurs.
La famille Wijesuriya a fait de cet endroit le temple du masque depuis cinq générations et sait savamment mélanger les aspects culturels et commerciaux de l'entreprise afin de séduire un large public. Le présent musée sera créé juste après qu'Ariyapala Wijesuriya Gurunnanse (en photo ci-dessous), l'un des ancêtres de cette famille, ait été reconnu comme le meilleur artisan du pays. La disparition des croyances traditionnelles liées à la danse du démon (Sanni Yakuma) et l'envahissement des foyers par les médias ont en effet peu à peu fait disparaître les amateurs de spectacles traditionnels comme par exemple la danse de Kolam, ce qui a eu pour résultat de faire tomber les célèbres masques dans l'oubli. Ces derniers, désormais objets de collection pour musées, connaissent heureusement une nouvelle vie grâce au tourisme. Et parmi les nombreuses familles qui sculptaient autrefois les précieux objets, seuls les Wijesuriya exercent encore leur art au Sri Lanka, en reproduisant dans leurs ateliers les 120 dessins traditionnels existant dans ce pays. L'intégralité de ces masques ne peut malheureusement pas être exposée ici par manque de place et le musée offre d'admirer à la place deux collections complètes de masques, celle du rituel Sanni Yakuma (deuxième photo) et celle de la danse de Kolam. En plus du musée et des ateliers, L'Ariyapala & Sons Mask Museum propose d'accéder à une petit fonds de documentation, unique au Sri Lanka, qui autorise la consultation de rapports anthropologiques concernant l'histoire des masques (leur confection et leur utilisation) par tous les connaisseurs en la matière.
L'histoire des masques sri-lankais date des années 1800 à une époque où ces objets étaient utilisés pour représenter divers personnages de contes populaires ou lors de la danse du démon. Cette tradition, le Sri Lanka la tient de l'influence de l'Inde toute proche, à savoir le Kerala et Malabar. Les artisans reprendront ce savoir-faire à leur compte en s'appropriant les techniques de réalisation des célèbres parements et en en améliorant la qualité au fil des ans. De nouveaux modèles viendront même compléter les faciès déjà existant.
Au début de l'histoire de Ceylan, les masques servaient uniquement à l'exécution de danses, y compris celle du démon, tandis qu'aujourd'hui, ces objets sont principalement mis à l'honneur dans des pièces de théâtre, lors de spectacles de danse et autres rituels. Ceux-ci furent d'abord confectionnés par des familles d'Ambalagoda, de Wathugedara et de Benthara, qui maitrisaient leur art depuis souvent plusieurs générations. Il existe ainsi trois types de masques sri-lankais : on trouve le masque Raksha, comme ce masque de cobra ci-dessous, utilisé lors de l'exécution de la danse de Raksha (danse des démons, lesquels auraient jadis dirigé le pays). Ces démons pouvaient apparaître sous plusieurs formes (on en compte 24, mais seules quelques-unes d'entre elles entrent dans la composition de la danse de Kolam), dont celle du cobra, de l'oiseau et du démon de la mort. Le masque de Garuda appartient à cette catégorie et représente l'oiseau solaire (deuxième photo) qui véhicule Vishnou. Il est utilisé lors de la danse du démon afin d'effrayer le démon Cobra. C'est pour cette raison qu'il est orné de serpents ennemis, agissant en quelque sort comme des trophées. Et la danse de Raksha de transmettre aux villageois le vrai danger d'une morsure de serpent à travers ce spectacle. Autre masque Raksha, celui de Naga, à la fois très finement sculpté et impressionnant, qui représente le cobra présenté ci-dessous.
Le masque Sanni (photo ci-dessous) est quant à lui utilisé lors des rituels consistant à guérir des malades. On compte 18 masques de ce type. Les Cinghalais disposent de nombreux rituels de guérison, dont le rituel « Sanni Yakuma », le plus élaboré d'entre eux. On le sait, la guérison dépend de l'équilibre physique et mental du malade, pour se débarrasser des maux démoniaques que les Anciens personnifièrent par différents masques représentant les démons eux-mêmes. 18 maladies sont ainsi représentées par des masques dépeignant les traits des 18 démons. En ce qui concerne la danse « Sanni Yakuma », sur la deuxième photo ci-dessous, elle est exécutée sous la forme de trois rituels. Le démon responsable de telle ou telle maladie est d'abord appelé en présence du malade, puis reçoit des offrandes. Ensuite, le spécialiste de ce démon promet de forcer le diable à sortir du corps du patient, avant d'éloigner le même démon à travers l'exécution d'une danse. Un seul et même masque, le Masque Maha Kola représente à lui seul les 18 maladies démoniaques et décrit Maha Kola qui tient des malades entre ses mains et dans sa bouche tout en étant entouré de serpents et de 18 « Sanniyas » (démons de la cécité, du choléra, de la fièvre et autres maux...). Lors de la cérémonie, un spécialiste du rituel entre en communication avec le démon approprié par l'intermédiaire du malade et de sa famille.
Quant au masque Kolam (ci-dessous en photo), il est surtout utilisé lors de pièces dramatiques, dont les principales effigies représentent Lenchina et Jasaya. D'après la mythologie, les masques Kolam seraient apparus à l'époque du roi Maha Sammatha, premier roi des êtres humains. Son épouse, qui attendait un bébé, eut soudain envie de voir une danse de masques mais personne autour d'elle ne pouvait satisfaire son désir et la reine se sentait de plus en plus mal. Le dieu Sakra eut pitié d'elle et demanda au dieu Vishvakarma (dieu des artisans) de mettre au point les masques et la chorégraphie du spectacle. Et les masques d'être déposés le lendemain matin dans le jardin de la reine, prêts à être utilisés sur l'ordre du roi. Heureuse, la reine vit disparaître sa grossesse. Un moyen contraceptif bien commode...
La danse de Kolam ne s'intéresse pas uniquement à l'aspect mythologique mais également à l'existence traditionnelle des Cinghalais, à travers l'histoire de plusieurs serviteurs royaux. Le masque Makara utilise ainsi l'arc de Makara pour représenter le peuple Karava, des pêcheurs ethniques. Et une femme de supplanter cet arc en jonglant avec deux sphères.
Il est rare, voire impossible de voir exécuter ces danses. Cependant, la Bandu Wijesuriya Dance Academy (417, Main Street à Ambalangoda) située juste en face de l'Ariyapala & Sons Mask Museum, propose de temps à autre des spectacles de danses traditionnelles kandyennes et des basses terres, surtout entre novembre et avril. Les séances d'entrainement des élèves (qui ont lieu chaque après midi) sont aussi accessibles gratuitement au public.
Autre attraction, je vous invite maintenant à découvrir le plus grand Bouddha couché de l'île (soit 35 mètres de long!) au Temple Galagoda Sailathalaramaya (en photo ci-dessous) de Karandeniya. Cette immense statue, qui représente Bouddha au nirvana et qui date du 18è siècle, a élu domicile dans ce modeste temple perché sur une hauteur, à l'intérieur d'une gigantesque salle. Par ailleurs, l'endroit permet aussi d'admirer les statues très colorées des premiers souverains de l'île (deuxième photo), le Cinghalais d'un côté et le Tamoul de l'autre. Il nous faut gravir 208 marches avant d'arriver au temple et de mériter la découverte de la maison d'images qui s'y trouve.
A Bentota se trouve la plus ancienne couveuse sri-lankaise à tortues. Une petite halte s'impose d'autant plus que je suis curieux de voir comment fonctionne cette entreprise qui, semble t-il, rachète les œufs aux braconniers locaux, facilite leur éclosion (des œufs, pas des braconniers!) puis relâche les petites tortues dans l'océan. Je sais, le spectacle d'une couveuse est moins emballant qu'une observation nocturne sur la plage mais encore faut-il se trouver sur place de janvier à mai, et surtout en avril, durant la saison de ponte, ce qui n'est pas mon cas.
Après m'être acquitté d'un droit d'entrée, un guide me prend en charge et me fait faire le tour du propriétaire en me faisant découvrir la couveuse, un espace de sable où sont enterrés les œufs récupérés. Lorsque les petites tortues naissent, elles remontent toutes seules à la surface puis sont récupérées pour être mises dans un bassin pendant deux jours. Elles sont enfin relâchées la nuit du troisième dans l'océan voisin. Dans un autre bassin, m'est présentée l'une des cinq espèces de tortues sri-lankaises, la tortue caouanne (en photo ci-dessous) qui peut atteindre un mètre d'envergure et peser jusqu'à plus de 180 kg. C'est l'espèce la plus rare dans ce pays. Cette tortue partage ici son bassin avec la tortue imbriquée (deuxième photo) et son bec perroquet (bien utile pour aller débusquer les crustacés cachés dans les trous de rochers), une tortue de taille assez modeste (90 cm maximum d'envergure pour un poids maximal de 50 kg) qui se nourrit d'éponges, de méduses et de crustacés.
Plus loin, on me présente la tortue verte (ci-dessous) qui peut peser jusqu'à 230 kg. Ces jeunes tortues sont principalement carnivores avant de devenir herbivores une fois atteint l'âge adulte. Malheureusement, cette espèce de tortues est aujourd'hui en voie de disparition. Plus rare encore est la tortue verte albinos (deuxième photo), fruit d'un œuf pondu sur ...un million. La visite s'achève avec la présentation de bébés tortues à deux têtes, conservés dans du formol. Des bizarreries dont dame Nature nous gratifie de temps à autre. Pour le reste, souhaitons bonne chance au Turtle Conservation Project qui fait un travail remarquable en matière de préservation de ces animaux marins depuis tant d'années.
INFOS PRATIQUES :
- Ariyapala & Sons Mask Museum, 426 Main road , à Ambalangoda. Tél : +94 0912 258 373 .Site internet : http://www.masksariyapalasl.com/mask_museum.htm
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Un spectacle de marionnettes traditionnelles est disponible sur réservation préalable (deux jours avant), auprès de l'Ariyapala & Sons Masks Museum ou de l'école de danse en face en téléphonant au +94 091 225 83 73.
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Ariyapala Traditional Masks, 432 Galle Road, à Ambalangoda. Tél : +94 091 225 4899.
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Southland Masks, 353 Main Road, à Ambalangoda.
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Temple Galagoda Sailathalaramaya, sur Elpitiya Road, à Karandeniya.
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Centre de conservation des tortues, Galle Road à Bentota. Entrée: 500 roupies. Visite guidée sur place et présentation de nombreuses tortues. Tél: +94 034 227 58 50 (et 227 10 62). Ouvert tous les jours de 8h00 à 18h00. Site internet : http://www.seaturtlesbentota.com