Lundi 11 février 2019
Pour débuter cette nouvelle année, j'ai pensé à l'exposition « Sur mesure, les 7 unités du monde » qui nous convie à un voyage au pays de la mesure, au Conservatoire des arts & métiers (Paris 3è). Soulignons au passage que ce conservatoire et le système métrique décimal sont tous deux des créations remontant à l'époque révolutionnaire. L'esprit des Lumières, qui soufflait alors en Europe inspira l'unification des mesures comme ingrédient indispensable à la diffusion des connaissances et aux échanges tant scientifiques que commerciaux ou techniques.
Les savants de la Révolution, qui étaient aussi des visionnaires, étaient persuadés que la mesure serait l'un des grands enjeux de la future société industrielle, sans pour autant se douter de la place cruciale qu'elle prendrait deux siècles plus tard dans la société mondiale.
Et l'exposition qui nous intéresse de s'imposer naturellement, surtout en cette année 2018 qui vit la disparition du kilogramme, dernier étalon matériel. Cet événement est également l'occasion pour le musée des Arts & Métiers de réaffirmer sa volonté de s'intéresser aux questions de la société de son temps en présentant au public de prestigieuses collections historiques tout en partant des préoccupations des citoyens du 21è siècle. C'est à un voyage exaltant que je vous invite aujourd'hui, qui part de l'homme et de son corps avec, pour origine des étalons de longueur usuels, pour s'achever avec la société à travers les questions posées par l'arrivée de données quantifiées à tous les niveaux. On découvre ainsi des objets à la fois familiers et méconnus qui nous font pénétrer au cœur de la métrologie,une science de la mesure désormais incontournable.
L'exposition « Sur mesure, les 7 unités du monde », présentée au Musée des Arts & Métiers , en anglais et en français, et jusqu'au 5 mai prochain, est composée d'une partie à vocation temporaire, et d'un parcours situé dans la collection permanente. Et de faire écho à un événement majeur de l'automne 2018, la redéfinition de quatre des sept unités du Système international d'unités, à savoir le kilogramme, l'ampère, le kelvin et la mole. Accessible à un large public, l'évènement révèle aux visiteurs l'omniprésence de la mesure dans notre vie quotidienne et son rôle d'aide à la décision par des exemples concrets : le temps qui passe, la vitesse de notre voiture, notre poids, le « la » en musique ou les gigaoctets des ordinateurs, autant de mesures qui offrent les points de repères nécessaires à la vie sur Terre. D'emblée, on pénètre à l'intérieur d'une habitation offrant une profusion d'objets actuels, puis on découvre la mesure articulée autour de cinq thèmes principaux : la mesure de l'homme, l'acte de la mesure, unités et étalons, de l'étalon à l'étal et les usages de la mesure. Un parcours dans la collection permanente complète l'exposition temporaire en braquant le projecteur sur une sélection d'objets emblématiques dans l'histoire de la mesure.
Corps humain et mesure ont toujours été étroitement liés, ce qui n'a rien d'étonnant car la maitrise de notre santé passe par la connaissance de notre taille, de notre poids, de notre température ou de notre tension artérielle. Dès l'Antiquité, de nombreuses unités de longueur furent ainsi établies à partir de mensurations humaines, dont le pied et le pouce qui en sont les descendants.
Mesurer l'homme revient à convertir en données chiffrées à la fois son corps et ses activités, en se servant d'instruments capables de mesurer les aptitudes psychomotrices voire les émotions. Une série d'objets sont ainsi offerts au regard du visiteur comme cette pendule de pointage (en photo ci-dessus), ancêtre des pointeuses modernes, ou encore un dactymètre pour mesurer la frappe des dactylos ou des couturières, le dynamomètre pour mesurer la force musculaire de la main, le psychogalvanomètre appelé aussi « détecteur de mensonges » et le dextérimètre servant à mesurer l'habileté manuelle.
Quant à la mesure du temps de travail, elle fait partie depuis le 19è siècle des éléments indispensables à la gestion des entreprises. L'ancêtre des pointeuses modernes, jadis installé au début du 20è siècle à l'intérieur d'une imprimerie parisienne, permettait aux 150 employés d'enregistrer leurs heures d'entrée et de sortie en pointant l'index sur le numéro qui leur était attribué. Chaque semaine, une bande de papier offrait une vue d'ensemble sur les horaires de travail des personnels, avec inscription des retards en rouge.
Sur place, on peut aussi observer un thermomètre médical (deuxième photo ci-dessus) dont l'invention est attribuée au grand-duc Ferdinand II de Médicis au milieu du 17è siècle, et qui était fondé sur le principe des différences de densité des liquides. On attachait l'instrument au bras du patient, en positionnant la tête de la tortue vers le haut. Et des petites boules de verre colorées de se déplacer selon la densité du liquide qu'elles contiennent selon la température qu'il fait.
L'acte de la mesure nous apprend que mesurer revient à comparer une grandeur physique inconnue avec une grandeur de même nature prise comme référence, en utilisant des unités communes et en partageant les mêmes méthodes. Bien souvent, ces grandeurs sont mesurées de façon indirecte, comme la température sur un thermomètre à alcool qui mesure en fait la longueur d'une colonne de liquide que la dilatation fait varier. De nos jours, les capteurs actuels ne sont que les descendants d'une grande lignée d'instruments de mesure qui n'ont cessé de se perfectionner depuis : sextants, pieds à coulisse, thermomètres, altimètres ou tensiomètres. Mesurer le sensible est plus délicat car la perception des valeurs des phénomènes est différente selon les observateurs. C'est le cas des couleurs, pour lequel il est proposé au visiteur d'apprécier la variation des teintes selon l'éclairage auquel elles sont soumises. On peut aussi voir sur place un tableau d'échantillons (en photo ci-dessus) de soixante couleurs pour la peinture sur porcelaine, ainsi qu'un graphomètre à pinnules (deuxième photo ci-dessus) qui servait autrefois à mesurer les angles avec une grande précision. Utilisé horizontalement, l'objet permettait aux géomètres de mesurer des distances et des surfaces, tout en donnant la hauteur des édifices et des reliefs lorsqu'on en faisait un usage vertical. L'amélioration de cet outil par les astronomes Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain permettra de mesurer par triangulation la distance entre Dunkerque et Barcelone entre 1792 et 1798, et de déterminer ainsi la nouvelle définition du mètre comme la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre.
Le thème des unités et étalons s'intéresse au Système international d'unités qui repose sur 7 unités de base et un grand nombre d'unités dérivées. L'année 2018 fut marquée par la redéfinition de quatre d'entre elles et la disparition du kilogramme, le dernier étalon matériel. L'exposition offre de découvrir un échantillon de 90 mesures issues d'Europe, d'Asie et d'Amérique qui fait prendre conscience de la diversité incroyable qui existait avant la ratification du traité de la Convention du mètre. Le « la » musical, qui permet à chaque musicien de l'orchestre d'accorder son instrument en est un bel exemple. Et le Système international (SI) d'unités, de gérer au niveau planétaire l'ensemble de ces unités de mesure si précieuses. Sur place, les sept unités de base sont présentées au public à travers sept objets : le kilogramme (ci-dessus), le kelvin, la mole, l'ampère, la seconde, le mètre et la candela. Et chacune de ces mesures d'être détaillée et expliquée avec soin. Enfin, un cabinet de curiosités métrologiques rassemble une série d'objets surprenants, d'instruments de mesure non conformes au SI, ou d'unités disparues...Certaines de ces unités (comme les chevaux pour la puissance des automobiles, ou les pieds pour l'altitude des avions) résistent malgré tout au temps. Un autre objet s'offre au regard du visiteur : le conformateur de chapelier (deuxième photo ci-dessus) en bois laqué noir et en métal était destiné à relever la conformation parfaite du crâne pour réaliser des chapeaux d'homme, surtout rigides, et sur mesure (comme des chapeaux melon ou haut-de-forme). L'objet est équipé d'un mesureur qui permet de lire directement l'entrée de tête ou le tour de tête en centimètres.
Passons maintenant à la séquence suivante : De l'étalon à l'étal. Les unités fournissent des mesures exactes et reproductibles mais ne sont pas forcément utilisables directement dans les usages courants. On a ainsi besoin d'une chaine de traçabilité des mesures (de contrôle) afin de garantir la validité des mesures et des instruments utilisés. L'exposition nous enseigne à cette occasion les notions de base de la métrologie, ou science de la mesure. Entourés d'un ensemble d'instruments historiques conçus pour approcher la plus grande justesse, les visiteurs sont invités à appréhender les concepts de sensibilité, de fidélité, de reproductibilité, d'exactitude et d'incertitude. Par ailleurs, la plupart des civilisations ont mis en place des systèmes d'appréciation de la valeur des choses en créant la monnaie, outils indispensable pour les échanges commerciaux. Je découvre ainsi une balance monétaire (en photo ci-dessus) capable de peser à une cadence accélérée des pièces de monnaie, avant et après leur frappe. Cet objet, qui fut créé par le baron Armand-Pierre Séguier, permettait d'éliminer les pièces trop lourdes ou trop légères qui partaient alors à la réforme. Autre curiosité, une armoire d'étalons (deuxième photo ci-dessus) renfermant vingt mesures en cuivre pour l'huile. Sous l'Ancien Régime, on assiste en effet à une multiplicité des mesures en usage dans le royaume de France, avec les veltes, les quarts, les pintes, les chopines....ce qui complique la tâche des vérificateurs chargés de contrôler les mesures des commerçants. La série de vingt étalons de mesures à huile de Paris, placée dans cette armoire en bois grillagée était quant à elle destinée à vérifier sur place la concordance des mesures de capacité avec les étalons royaux.
Les usages de la mesure, dernière partie de l'exposition, montre l'importance et les enjeux de la mesure dans les différents secteurs d'activité économique (industrie, recherche...). La mesure produit des valeurs numériques à partir d'un phénomène, d'une réalité ou d'un objet, des valeurs numériques reproduites sous la forme de graphes, courbes, images numériques, qui requièrent ensuite une interprétation aussi juste que possible. Cette pratique permet aujourd'hui de construire des avions en assemblant des pièces détachées venues des quatre coins de l'Europe qui s'ajustent et s'assemblent parfaitement grâce à la métrologie. Dans le domaine des sciences de la nature, de l'astronomie ou de la physique en particules, la mesure se heurte à la difficulté d'isoler les objets. D'autres appareils relatifs à la santé apportent quelques clés pour comprendre comment les valeurs sont mesurées et les informations traitées. Les visiteurs, eux, sont invités à découvrir les usages plus subjectifs de la mesure dans la vie en société (mesure d'opinion, de comportement, statistiques...), comme cette machine à prédire la marée (ci-dessus) qui fut conçue par le physicien britannique William Thomson en 1872. Notre homme s'attelle alors au problème de l'établissement des annuaires des marées et met sur pied le premier calculateur analogique capable de résoudre de complexes équations par un procédé mécanique muni d'un jeu de câbles et de poulies. Le « Tide Predictor » (c'est le nom de cette machine) assure la somme des huit premières composantes de la courbe d'évolution des marées. Inventée par Eugenio Boggiano en 1906, la machine à voter, ou pséphographe (deuxième photo ci-dessus) sera en ce qui la concerne d'abord employée comme instrument d'aide à la démocratie dans le cadre de votes politiques. L'objet, encensé par la presse française, fonctionne par un procédé uniquement mécanique et comptabilise les votes effectués par des jetons au dos de la machine. Utilisé à la sortie des théâtres, il permettait de connaître l'opinion des spectateurs.
Le parcours de la collection permanente offre de voir des objets exceptionnels parfois peu connus, mais dont le rôle fut souvent décisif dans la vie de tous les jours. 22 objets sont ainsi offerts au regard des visiteurs à travers les sept collections du musée, dont le sextant de Ramsden (ci-dessous en photo) inventé par Jesse Ramsden. C'est grâce à ce sextant que les marins du 18è siècle pourront mesurer la hauteur du soleil sur l’horizon avec une précision de 30 secondes d'angle, ce qui correspond à une distance de moins d'un kilomètre. L'objet, qui apportera un progrès notable dans la mesure de la latitude, est encore aujourd'hui utilisé par les navigateurs, y compris pour mesurer la longitude en cas de panne du système GPS. Autre objet curieux : la machine à diviser la ligne droite (deuxième photo) très utile en métrologie pour réaliser des règles ou tracer des cercles aux graduations exactes. La machine permet de diviser une longueur donnée en un nombre défini de parties égales, ou bien de tracer autant d'unités élémentaires de longueur déterminée grâce à un ensemble de mécanismes de précision. Une loupe et un vernier permettent aussi de contrôler la position exacte de l'index.
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