Vendredi 19 juillet 2019
L'exposition « Illuminations japonaises » qui se tient actuellement (et jusqu'en septembre prochain) à l'Hôtel Gajoen Tokyo (Japon) transporte le visiteur dans l'univers artisanal nippon à travers les objets qui y sont présentés. Lors d'un précédent article, je vous narrais l'histoire de ce célèbre hôtel qui fut fondé à Tokyo en 1928. A cette occasion, nous avions admiré les peintures d'artistes japonais ornant les salles de cet établissement mythique. Aujourd'hui, « Illuminations japonaises » nous propose d'appréhender cet univers artisanal sous un autre œil, je devrais même plutôt dire sous un autre ..éclairage !
Vieil habitué de l'endroit, je me déchausse à l'entrée du bâtiment comme l'exige la règle et mon exploration débute avec les lampes de Tetsuro Fukushima (ci-dessus) qui incorporent des motifs de kimonos dans leur design : l'architecture japonaise a toujours été très liée à l'environnement et la lumière est bien sûr un élément clé de l'atmosphère des maisons nippones. L'éclairage naturel est primordial et c'est dans la partie inférieure d'une pièce que se trouve la luminosité la plus forte, pour permettre l'assombrissement progressif des parties hautes de chaque pièce. Ce phénomène s'explique par le fait que la lumière ne pénètre pas directement dans la maison mais est d'abord réfléchie sur les avant-toits et la véranda (engawa). En conséquence, c'est au sol qu'étaient traditionnellement disposées les lampes, puisque les Japonais avaient pour habitude de s'asseoir par terre. Sans trop détailler, revenons sur les différentes lanternes japonaises : on trouve ainsi l'Andon (lanterne de papier tendue sur un cadre de bois, en bambou ou en métal), le bonbori (petit andon portable, avec un long pied), le Chochin (lanterne agrémentée d'un cadre en bambou et de forme ronde) et le Toro (lanterne fabriquée avec des matériaux lourds, ornant temples et jardins). Les lampes de Tetsuro Fukushima font partie de cet artisanat japonais omniprésent dans l'univers nippon.
Dès le début de l'exposition, je découvre des éclairages conçus à l'intérieur de bambous creusés (ci-dessous), appelés Take-akari Nittake. La scène, qui reconstitue une forêt de bambous désordonnés, est l'oeuvre de Miyazaki qui a déployé beaucoup d'énergie pour créer ce spectacle artistique étonnant.
Après Miyazaki, rendons-nous au festival des lanternes de Nagasaki, l'une des manifestations hivernales marquantes de cette ville japonaise (ci-dessous) : les 15000 lanternes chinoises colorées, accrochées dans les rues de la cité, créent ainsi un monde fantastique presque imaginaire pour le thème choisi de cet événement, à savoir le Palais du Roi Dragon . La scène ressort particulièrement bien avec les sculptures de la salle Gyosho.
Quant à ceux qui seraient tentés de se rendre à ce festival, sachez que cet événement annuel, organisé par la communauté chinoise locale, célèbre le nouvel An lunaire en offrant à la population des festivités séduisantes. A Shinchi Chinatown, le quartier chinois de Nagasaki, la centaine de lanternes utilisées (deuxième photo) sont confectionnées par les habitants eux-mêmes. Rouges, jaunes ou dorées, ces lanternes sont aux couleurs de la Chine et arborent des motifs à l 'effigie du Nouvel An chinois, à l'image des douze signes du zodiaque chinois censés porter chance en ce début d'année. C'est par un feu d'artifice tiré depuis le parc de Minato que s'ouvre le festival. Suivent plusieurs danses (danse du Dragon, danse du Lion...) et processions (parade en l'honneur de la déesse Mazu, protectrice des marins, ou encore la parade de l'Empereur...) qui rythment les quinze jours de ces festivités. Le festival accueille aussi de nombreux concerts de musique traditionnelle, un bon moyen de marier culture chinoise et culture japonaise au cœur d'un même événement.
Cette exposition est décidément un régal pour les yeux. Me voici maintenant face à une illumination intitulée « Yamaga Toro Roman » (lanternes romantiques de Yamaga), en photo ci-dessous. Cet événement estival de Yamaga (Préfecture de Kumamoto), qui a son pendant hivernal, le « Yamaga Toro Roman, Hyakka-Hyakusai », relate l'histoire de cette cité à une époque où elle se mit à fabriquer les fameuses ombrelles japonaises. Dans la même salle, sont présentées des ombrelles converties en lampes (wagasa Kobo) par l'entreprise Shu-ka installée à Nakatsu (Préfecture de Oita). Des objets d'ailleurs spécialement conçus pour cette exposition. Quant aux ombrelles, elle étaient jadis utilisées pour se protéger de la pluie (ou du soleil) grâce à leur résistance exceptionnelle (ces objets sont faits à l'aide de papier japonais washi, un matériau particulièrement résistant).
En parcourant la salle suivante je découvre des figurines découpées (ci-dessous) dans du papier par l'artiste japonais Fumiaki Aori. Etablie dans la Préfecture de Kagoshima (Île de Kyushu), Aoki a développé sa propre technique de découpage et ses créations s'inspirent d style japonais « wa ». Simplicité et vide caractérisent ce design nippon, deux notions que l'on retrouve dans ce pays au fil des siècles, depuis le service de cuisine en bois laqué du 18è siècle aux vases en acrylique du 20è.
Non loin de là, au-dessus d'une porte d'entrée, tintent des petites clochettes Edo Furin conçues par une maison fondée en 1915, l'entreprise Shinohara Furin Honpo. Ces petites clochettes furent introduites au Japon depuis la Chine afin de protéger les foyers des esprits démoniaques (en les effrayant grâce à leur tintement) à partir de l'ère Edo. Leur usage se démocratisera ensuite sous les périodes Meiji et Showa. Il est possible de s'essayer à la création et à la conception de sa propre clochette chez Shinohara Furin (4-22-5 Minami-Shinozaki-machi,Edogawa-ku, Tokyo), à travers deux ateliers : le plus complet des deux vous permet de souffler vous-même le verre et de créer votre furin avant de le peindre tandis que le second atelier vous invite à décorer une furin déjà soufflée.
Une autre salle rassemble des œuvres de l'artiste Shigeko Takayama, dont les créations trouvent leurs inspirations dans la nature (forêts, étoiles ou lune) avant de prendre forme sous les doigts du concepteur, grâce à l'utilisation de papier comme matériau de base. Non loin de là, je découvre la lampe (ci-dessous) « Kagozome Toro », une lanterne de laiton de forme cylindrique agrémentée de motifs habituellement utilisés pour la teinture à l'indigo. La teinture au panier (Kagozome) n'est désormais plus pratiquée au Japon que par l'atelier de teinture au pochoir Nakano Keisen à Koshigaya. Elle consiste à teindre simultanément les deux faces d’un tissu à yukata (léger kimono d’été) à l’aide de deux cylindres en laiton à motifs différents qui servent de pochoirs, des précieux cylindres-pochoirs créés selon le procédé de l’eau-forte par M. Tomeo Nakano, un artisan traditionnel. À cause de la forme des cylindres et des motifs qui ressemblent à des mailles de filet, cette technique est appelée « teinture au panier ». Les motifs creusés dans le laiton sont des motifs des pochoirs katagami d'Ise, des motifs japonais qui ont une histoire et une tradition, et qui reflètent les modes de chacune des époques. Cette technique de la teinture au panier s’est pour un temps interrompue, mais ce sont les lanternes kagozome qui ont vu le jour pour lui redonner vie. Ces lanternes sont faites d’un cylindre de teinture au panier en laiton dans lequel a été appliqué du papier washi en guise d’abat-jour, et d’un piédestal en laque de Yamanaka, une laque traditionnelle de la région de Kaga. La douce lumière filtrée par le papier washi met ainsi en scène une atmosphère de sérénité.
Installée dans la Préfecture de Fukuoka (Île de Kyushu), Chiharu Irie a fait des portraits d'enfants heureux aux attitudes chaleureuses sa spécialité (ci-dessous). Ces figurines en porcelaine représentent des enfants s'activant dans leur milieu quotidien, mis en valeur par un savant éclairage. C'est sur cette touche lumineuse que j'achèverai la visite de cette splendide exposition qui aura , du moins je l'espère, contribué à faire de moi un « esprit éclairé ».
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Wano Akari », jusqu'au 1er septembre 2019, à l'hôtel Gajoen Tokyo Gajoen, Meguro-ku, à Tokyo. Pour vous y rendre, descendre à la station Meguro JR (Yamanote Line), puis marcher sept minutes. Ouvert du dimanche au jeudi, de 10h00 à 17h00, et du vendredi au samedi, de 10h00 à 20h00. Entrée : 1600 yens. Site internet : https://www.hotelgajoen-tokyo.com/en/