Mardi 4 août 2020
De passage en Bretagne, je découvre une exposition originale intitulée « Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? », une exposition offerte au public en plusieurs temps et déclinée sous différents aspects par cinq musées bretons, à Commana (29), Dinan (22), Landévennec (29), Pont-Labbé (29) et Quimper (29). Chaque musée s'intéresse ainsi à un aspect de ce mets breton incontournable que je vous proposerai de mieux connaître à travers cinq articles détaillés. Commençons cette série par Dinan et son musée, sis à l'Abbaye de Saint-Magloire (Léhon) où l'on s'emploie à explorer l'histoire de la galette en Haute-Bretagne, et plus particulièrement dans le Pays de Dinan, depuis le 16e siècle. J'ai la chance d'être accompagné lors de cette visite par Frédéric Bonnor, Directeur du Musée de Dinan.
On ne pouvait trouver un titre plus adapté pour cette exposition collective étalée sur deux ans à ce monument de la gastronomie bretonne. La plupart des personnes à qui je demande leur préférence entre crêpe et galette m'avoue aimer les deux. J'avoue qu'il est difficile de choisir entre l'une et l'autre de ces deux spécialités typiques de la Bretagne, connues, déclinées et dégustées partout à travers le monde.
Le Musée de Dinan a pour sa part choisi de traiter de l'histoire de la galette de sarrasin et de la crêpe de froment en Haute-Bretagne depuis le 16e siècle, en offrant aux visiteurs l'occasion d'apprendre les différentes façons de consommer l'une et l'autre (que ce soit trempée dans du lait ribot ou enroulée autour d'une saucisse lors des rassemblements populaires) et d'en mesurer le poids économique dans le Pays de Dinan.
L'exposition a trouvé refuge à l'écart de la ville de Dinan, au cœur de l'Abbaye de Saint-Magloire (Léhon). Ce prieuré royal, qui fut fondé au 9e siècle grâce aux libéralités du roi de Bretagne, Nominoé, sera abandonné au siècle suivant par ses moines, à la suite des attaques vikings. De retour à Léhon en 1008, ces religieux rebâtirent le monastère, lequel prospérera au 12e siècle. Le cadre magnifique de l'endroit justifie à lui seul.
Le Musée de Dinan est particulièrement riche, de par les collections qu'il possède, en matière d'archéologie et d'ethnologie locales, mais il détient également de nombreux objets liés à la crêpe et la galette, autant de trésors sur lesquels l'exposition s'appuie pour illustrer les nombreux textes placés sur le parcours de la visite. Dès l'entrée dans la grande salle du 2è étage, je suis plongé dans l'ambiance conviviale créée par diverses conversations reconstituées afin d'illustrer certains chapitres de l'exposition.
Si l'exposition a bien lieu au second étage, il convient de ne pas manquer le texte d'introduction placé immédiatement après le guichet d'entrée (sur la droite) : on y aborde en effet ce qui différencie la crêpe et la galette. On apprend ainsi que la galette, qui désigne diverses spécialités, tire son nom du galet, pierre ronde et plate. Le terme « crêpe » est quant à lui dérivé de l'ancien français « cresp » (frisé, ondulé), peut être à cause des ondulations de la pâte durant la cuisson. Si, en Basse-Bretagne, une galette n'est rien d'autre qu'une crêpe épaisse, il en va autrement en Haute-Bretagne, où l'on distingue les deux mets du fait de la nature des grain, la galette étant préparée avec de la farine de sarrasin, et la crêpe, avec de la farine de froment. Farines utilisées, recettes, zones géographiques de dégustation...autant de sujets traités par cette riche exposition qui invite le visiteur à un jeu de piste à travers les secrets du plat breton le plus populaire et sa consommation dans le Pays de Dinan.
D'entrée de jeu, on nous explique l'histoire de cette plante à fleurs surnommée aussi blé noir, bien qu'elle ne soit pas vraiment une céréale. Vous l'avez compris, il s'agit là du sarrasin, cultivé en Europe depuis l'âge de fer pour l'alimentation animale et humaine. Communément appelé blé noir, il est pourtant dépourvu de gluten. La fameuse plante fut réintroduite en Europe au 13e siècle lors d'échanges avec l'empire mongol (au centre-ouest de Chine), région d'origine du sarrasin. Et la plante de devenir la principale denrée alimentaire en Bretagne dès le 17e siècle, sous la forme de galette, de bouillie et de pain. Le sarrasin sera cultivé dans le pays dinannais à partir du 16e siècle, avec des hauts et des bas, jusqu'à connaître récemment un retour en grâce conforté par une IGP « farine de blé noir de Bretagne », très utile pour permettre au consommateur de s'assurer de l'origine bretonne du produit.
Après avoir été battu, puis nettoyé, le sarrasin est moulu au fur et à mesure des besoins, à la maison jusqu'aux 19e-20e siècles, et à l'aide de moulins domestiques.
La confection de la galette, elle, répond à un rituel immuable depuis des générations, mélange de gestes techniques précis et de grande concentration. Préparation de la pâte, refroidissement des galettes, graissage du galetier, étalement et retournement...gare à ceux qui brûlent les étapes ou ne surveillent pas la cuisson ! Plusieurs ustensiles sont bien sûr nécessaires à la réussite de la galette. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il revient à la maitresse de maison de confectionner la pâte : celle-ci se compose alors d'eau du puits, de farine de sarrasin en quantité suffisante et d'une poignée de gros sel. Le tout est alors versé dans une grande jatte en bois ou en terre cuite avant d'être pétri longuement pour obtenir une pâte sans grumeaux. Pour la cuisson, le choix du galetier est primordial (poêle avec manche ou plaques) et le choix des Dinannais de se porter, au 18e siècle, sur une plaque circulaire en fonte accompagnée d'un trépied. Quant à la pâte, elle est étalée à l'aide d'un râteau en bois, le rouable. En Haute-Bretagne, tout le savoir-faire consiste alors à d'étaler la pâte en un minimum de coups, alors que les crêpiers de Basse-Bretagne multiplient les coups de rozell pour réaliser une galette la plus fine possible. Reste ensuite à surveiller la cuisson, puis à retourner la galette avec délicatesse et à l'aide d'une spatule, en préservant son apparence.
La galette est consommée sous différentes formes selon les époques : sous l'Ancien Régime et au 19e siècle, on l'utilise en remplacement du pain, le sarrasin coutant moins cher que les céréales. On la consomme aussi agrémentée de beurre, ou d'un œuf dans les familles les plus aisées. Le village de Bécherel inventera alors le « pâté de Bécherel» (un œuf cassé qu'on laisse cuire au milieu d'une galette). Au 18e siècle, les Bretons trempent leurs galettes dans du lait ou du cidre, voire avec du lait ribot (pays de Caulnes) dans une écuelle. D'abord méprisée par les milieux moins populaires, la galette sera adoptée par les urbains à partir de la seconde moitié du 19e siècle, avant d'apparaitre au grand jour au début du 20è lors des pardons laïcs. Et le chansonnier Théodore Botrel d'organiser en 1905 le pardon des Fleurs d'ajoncs à Pont-Aven (29). Le succès est au rendez-vous avec 15000 visiteurs venus du Finistère, de Bretagne et même de Paris. Un an plus tard, le même chansonnier propose la création du Pardon des Fleurs de Blé noir à Dinan, sa ville natale. Au début du 20e siècle, les fermes du pays de Caulnes consommeront la galette avec de la saucisse, du lard et du bricolin.
On consomme aussi la galette sur les marchés de Haute-Bretagne et lors des rassemblements populaires. Le crêpier ambulant fascine alors petits et grands et illustre les cartes postales, tandis qu'après la Seconde guerre mondiale, la fameuse galette-saucisse est proposée sur les marchés du pays gallo. Ainsi, le marché de Dinan qui a lieu chaque jeudi matin accueille t-il les crêpiers sur la Place du Champ Clos, près des étals de grain. Et les clients de déguster leur galette dans les bistrots du coin.Terre de sarrasin, le pays de Dinan fait de la galette un mets quotidien de sa population depuis quatre siècles. Certes, sa consommation est désormais en perte de vitesse même si les habitants affichent toujours leur préférence pour la galette-saucisse et la crêpe de froment avec chantilly et caramel au beurre salé. De nos jours, la galette de sarrasin traditionnelle se marie avec des garnitures très variées (au saumon fumé ou au hareng fumé et pommes de terre de Saint-Malo...). Ces deux mets représentent aujourd'hui une part non négligeable de l'économie alimentaire et touristique bretonne. La Bretagne compte ainsi près de 1300 crêperies, et crêpes et galettes s'affichent aussi sur les étagères des commerces d'alimentation.
Si la fabrication des galettes de sarrasin et des crêpes de froment relèvent d'un savoir-faire précis requérant une expérience certaine, il s'agit aussi de transmettre ce savoir pour qu'il se perpétue. Des formations de deux années sont proposées à l'Ecole nationale de la crêperie, tandis que d'autres organismes forment également au métier de crêpier, une qualification qui ne s'improvise pas.Il reste ensuite à faire connaître le plus largement possible et hors de nos frontières ce mets irremplaçable de la gastronomie bretonne. Il est un homme qui a inventé un concept innovant : ancien élève de l'école hôtelière de Dinard (35), Bertrand Larcher exerce son métier entre la France et la Suisse. En 1996, il ouvre une première crêperie à Tokyo (Japon), où l'on mise sur des produits haut de gamme (beurre de chez Bordier, farine bio, huitres creuses de Cancale, andouille de Guéméné) et recettes originales.....clientèle nippone oblige. De cet établissement naitra le concept « Breizh Café ». Ambassadeur de la cuisine bretonne au Japon, notre homme possède désormais six Breizh Café au Japon, un à Cancale, un à Saint-Malo et cinq à Paris.
Autre concept né par accident, à Quimper, en 1886 : la crêpe dentelle. Cette année-là, Marie-Catherine Cornic, crêpière de métier, oublia trop longtemps une crêpe sur son bilig. Au lieu de la jeter, elle plia celle-ci en huit et découvrit une crêpe dorée avec un effet croustillant unique, la crêpe dentelle. Cette nouvelle crêpe, dont le concept est d'être enroulée sur elle-même à huit reprises rappelle alors les huit temps de la gavotte (danse), d'où le futur nom de Gavottes pour désigner ces nouvelles crêpes. Celles-ci seront d'abord produites à grande échelle à la Crêperie de Loc Maria à Quimper (29) avant que l’unité de fabrication ne soit à l'étroit et ne décide de s'installer à Taden (près de Dinan) à l'intérieur d'une biscuiterie de 4500 m2, puis de déménager à Lanvallay (en 2015) dans un site de production de 10000m2 où sont désormais produites les crêpes dentelles « Gavottes ». Et la petit crêpe de s'habiller de chocolat en 1978, avant d'embrasser la planète avec plus de 800 millions de crêpes dentelle écoulés annuellement dans plus de soixante pays, des Etats-Unis à l'Asie,en passant par le Moyen-Orient. Une reconnaissance bien méritée, et récompensée depuis 2013 par le label français« Entreprise du Patrimoine Vivant ». L'entreprise n'a depuis de cesse de s'inscrire dans une démarche locale consistant à maintenir et à développer l'emploi avec 410 collaborateurs en France, tout en n'utilisant que des ingrédients de qualité fabriqués sur le sol français.
Après la galette, la crêpe : variante de la galette en raison de son épaisseur pour les uns, ou de la farine utilisée pour les autres, la crêpe se distingue de sa grande sœur, par l'utilisation de farine de froment, de lait et d'oeufs. Ce mets souvent associé aux saveurs sucrées est aussi l'élément phare de la fête chrétienne des chandelles, la Chandeleur. Et les crêperies d'apparaitre à partir des années 1930. A Dinan, la première crêperie ouvre ses portes en 1935 au 16, place du Champ Clos. A sa tête, Madeleine Marie-Thérèse Queffelec, née Le Roux. Aussitôt, la grande bourgeoisie dinannaise fréquente la crêperie et le poète Jean Trichet (père de Jean-Claude Trichet) fait découvrir la crêperie Queffelec à Léopold Sédar Senghor en 1955. Jusque dans les années 1960, point de galette sans bolée de cidre et les bistrots bretons remplissent leurs cruches. Les mêmes établissements inscrivent les repas de galettes à leurs menus au début du 20e siècle, comme à Saint-Grégoire (près de Rennes), où le café-cidrerie La Robiquette, situé sur la route des supporters du stade rennais, connaitra un vif succès. A la même époque, les Bretons nostalgiques de Paris se retrouvent dans certains bistrots autour de cidre, crêpes, galettes et pâté, au milieu de murs ornés de décors d'intérieurs bretons dans ces crêperies parisiennes nouvelle tendance qui s'exporteront dès les années 1920-1930 vers les villes touristiques bretonnes, encouragées par l'essor du tourisme.
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