Vendredi 31 juillet 2020
Crêpe ou galette ? C'est la question qui vous est posée par l'exposition collective présentée simultanément dans cinq musées bretons (Dinan, Commana, Landévennec, Pont L'Abbé et Quimper) en cette période estivale. Je me rends cette fois dans les Monts d'Arrée. L'endroit abrite un Ecomusée créé pour répondre à une volonté des habitants de conserver les patrimoines traditionnels jusqu'ici peu considérés. Et le musée de traiter des paysans, meuniers et crêpières dans cette partie de la Bretagne en présentant l'exposition « Bleud zo Krampouez vo : il y a de la farine, il y aura des crêpes ! ».
Domaine agricole exploité entre 1610 et 1942, le site des Moulins de Kerouat (29) raconte l'histoire des paysans-meuniers qui vécurent sur place, les céréales et autres plantes à farine qui jouèrent un rôle central. L'exposition que je m'apprête à découvrir traite de la relation entre la production agricole et les pratiques alimentaires des habitants des Monts d'Arrée du 19e au 20e siècles autour de l'alimentation dans la région avant les années 1950, de la consommation des crêpes, de l'ouverture des premières crêperies et de l'apparition des premières crêpières.
Grâce à la farine, on va pouvoir confectionner des crêpes car cette farine-là ne permet pas de fabriquer du pain. Dans cette partie de la Bretagne, dominent des terrains acides et pauvres et des conditions climatiques variables d'une commune à l'autre, n'autorisant que certaines cultures. Dans les Monts d'Arrée, on note des espaces de landes et des reliefs rocheux, étendues souvent comparées à des zones de terres incultes, ce qui n'empêchera pas l'existence d'une vraie densité culturale intensifiée à partir de 1850 grâce à l'essor des sciences de l'agronomie même si l'on observe des différences de taille entre les cultures du nord et du Sud de la ligne des crêtes des Monts d'Arrée. De grandes surfaces sont ensemencées en froment et en avoine dans le Léon, et en blé noir et seigle en Cornouaille, tandis que dans l'arrondissement de Châteaulin, et durant les années 1850, les champs étaient majoritairement couverts de blé noir, d'avoine et de seigle, complétés par des surfaces plus petites dédiées au froment, à l'orge et à la pomme de terre. Ces denrées servent alors à l'alimentation des bêtes et des hommes.
La vocation de ces cultures est de fabriquer la farine qui va servir de base alimentaire : le moulin à augets devient un maillon central, mu par l'énergie hydroélectrique. Celui-ci, qui offre toutefois une productivité assez faible explique qu'on en compte un grand nombre. Le maitre du moulin avait une vie douce, car le mécanisme du moulin oeuvrait tout seul, sous la surveillance du malour, son premier garçon. Pendant ce temps, un autre garçon, le porteur, courait de ferme en ferme afin de collecter les sacs à grain. Au milieu du 19e siècle, les turbines hydrauliques, inventées par Benoit Fourneyron en 1827, remplacent les roues des moulins, permettant un fonctionnement plus rapide des meules et une production plus importante. Ce sont ces améliorations techniques intervenues entre temps qui permettront la création des premières minoteries (la production d'une minoterie est cinq fois plus importante qu'un moulin en 1930).
Quid des aliments de base ? Céréales et blé noir sont transformés en farine , laquelle, une fois mélangée à de l'eau, constitue l'aliment traditionnel de base aux 19e et 20e siècles. L'avoine est alors cuisinée en bouillie, tout comme le blé noir. Nourrissant, ce plat quotidien est riche en protéines. Et la crêpe de faire bientôt son apparition, consommée sèche et froide (crêpe « du lendemain ») ou trempée dans le bouillon du lard. La pomme de terre est introduite dans les années 1920 et son rendement important va imposer sa présence dans toute la Bretagne. Avant la guerre, les natifs de 1930 consommaient surtout des crêpes de froment (par manque de blé noir) jusqu'à ce que le blé noir ne fasse son retour lors de la guerre.
La crêpe constitue bientôt un repas très prisé auquel sont associés rites, savoir-faire et pratiques sociales. Consommée régulièrement, elle est souvent préparée le vendredi (jour maigre), puis conservée pour le reste de la semaine pour être trempée dans la soupe ou le café. Entreposée sur un séchoir dans la cheminée, ou posée à plat en quinconce, c'est selon car les techniques de conservation varient. La préparation de la pâte était une affaire de femmes, dont le savoir-faire se transmettait de mère en fille. Et les premières crêpières professionnelles d'être mentionnées dès 1851 à Brasparts, mais seulement en 1936 ...à Commana. Cette activité de secours était pratiquée par des femmes vivant seules (au statut de « chef de ménage »). Les dénombrements de la population communale, tous les cinq ans, permettaient de noter l'apparition du métier de crêpière sur les territoires des Monts d'Arrée. Au milieu du 19e siècle, cette activité sera surtout pratiquée par des femmes seules et d'âges variés vivant à Brasparts. Métier féminin et encore peu courant, elle était exercée par des journalières réalisant par ailleurs des travaux multiples. Parfois « chef de ménage » c'est à dire ayant la charge d'une famille, des enfants, des aïeux, de jeunes frères ou sœurs, ces crêpières avaient la vie dure, lorsqu'elles devaient remplacer un mari défaillant (malade, infirme ou disparu...). Au cours du 20e siècle, des conditions semblables sont observées dans le quartier de Ty Douar (à Commana) où des femmes (seules) ouvrent des « crêperies-garages » pour subvenir aux besoins de leurs familles. Vivant de la vente à emporter, ces crêpières livrent des dépôts en ville dans les communes alentours. A partir des années 1960-1970, apparaissent des crêperies de dégustation avec un service de table et une offre gustative étoffée. Cette pratique traditionnelle toujours vivante et le savoir-faire associés à la crêpe en font un patrimoine culturel immatériel breton.
La fabrication de la crêpe et de la galette est attestée dans notre pays dès le 16è siècle et permet l'utilisation du sarrasin. Présentes sur l'ensemble du Massif armoricain, mais aussi dans d'autres régions françaises et sous différentes appellations, crêpes et galettes sont connues depuis l'Antiquité, voire la Préhistoire. En Bretagne, le Catholicon (premier dictionnaire de langue bretonne rédigé en 1464) mentionne ces mets sous le nom de « craipe », sans pour autant apporter une définition. On fait toutefois la différence entre la crêpe (de froment ou de blé noir) et la galette (« sorte de crêpe épaisse »).
Consistance de la pâte et épaisseur du mets final sont des facteurs déterminants pour différentier l'une de l'autre : en principe, une crêpe cuite sur une billig sans rebord et étalée à l'aide d'un râble est généralement plus fine qu'une galette préparée sur une tuile pourvue d'une bordure et d'un manche. Ensuite, la manipulation de la poêle est aussi déterminante, car le manche de cet instrument permet d'étaler la pâte jusqu'aux rebords. Quant à la consistance de la pâte, elle détermine également l'épaisseur du mets. Plus la pâte sera fine et plus la crêpe (ou la galette) sera fine. Depuis l'Ancien Régime, il apparaît que la galette bretonne est majoritairement préparée avec de l'eau alors que sa consoeur normande contient du lait. Le 20e siècle et l'augmentation du pouvoir d'achat permettront le développement d'une multitude de recettes locales débouchant sur l'utilisation d'ingrédients divers...lesquels offriront de nouvelles qualités gustatives. Parmi les ingrédients, la qualité de la farine joue aussi un rôle déterminant. Une « fine fleur de farine » n'offre pas le même résultat qu'un farine moins raffinée. Au final, on distingue les crêpes du blé noir de Basse-Bretagne (généralement plus fines) et les galettes de Haute-Bretagne, même si les crêpes les plus fines et les plus délicates sont les crêpes dentelle présentes à Morlaix et Quimper dès le début du 19e siècle.
La vocation première de la crêpe ou de la galette était de remplacer le pain. Sous l'Ancien Régime, les Bretons consomment leurs galettes en les trempant ou en les émiettant dans du cidre, du poiré ou du lait (doux, cuit ou caillé). Autre mode de consommation, faire fondre un morceau de beurre sur la galette, une pratique paysanne qui existait déjà en 1788, et qui ressemble à la pratique de la tartine de pain beurrée. Ce qui différencie le pain de la galette est l'emploi de l'oeuf (celui-ci est cassé sur des crêpes dès la première moitié du 18è siècle). Une garniture qui reste toutefois exceptionnelle sous l'Ancien Régime. La fin du 19e siècle, elle, verra la généralisation du lard et de la saucisse qui accompagnent alors la galette, ce qui fera de la galette-saucisse une institution au siècle suivant.
Dans les Monts d'Arrée, au milieu du 19e siècle, un journalier agricole consomme trois repas par jour : durant l'hiver, il petit-déjeune à 6h00, déjeune à midi et dine à 18h00 tandis qu'à la belle saison, période des grands travaux à la ferme, il se restaure quatre fois par jour, à 5h00, 10h00, 15h00 et 19h00. Les repas sont principalement composés de soupe, de pommes de terre cuite à l'eau et de bouillie d'avoine au lait caillé. La soupe est confectionnée avec du bouillon de porc, de bœuf, de vache salée, et est accompagnée de pain noir de seigle ou d'orge. Les vendredis et samedis, on consomme les crêpes au diner, le reste de ce mets venant agrémenter la soupe le reste de la semaine.
La lecture des nombreux textes enrichissant l'exposition révèle des souvenirs d'enfance d'une jeune bretonne qui préparait sa bouillie d'avoine tout en apprenant ses leçons, et rajoutait un morceau de beurre dans son plat, avant de le consommer. Cette bouillie était consommée en famille, assise autour d'une table, en trempant sa cuillère dans un bol de lait froid pour refroidir le tout avant de l'avaler. Certains raffolaient même du « krigné » (fond du plat) que d'autres donnaient aux cochons.
En conclusion, une galette se différencie d'une crêpe par son épaisseur et sa consistance durant l'Ancien Régime. Les Bretons de Basse-Bretagne parlent de crêpe de blé noir, et utilisent des outils et des recettes permettant d'obtenir des mets assez fins. En Haute-Bretagne, on nomme « galette » un plat réalisé à partir d'ustensiles similaires à ceux utilisés en Basse-Bretagne, et cette région de sembler être tiraillée entre l'autre partie de la Bretagne et les provinces voisines. Crêpes et galettes remplacent d'abord le pain, et sont consommées nature ou trempées dans un liquide (soupe, lait, cidre ou poiré) et sont agrémentées de beurre ou d'un œuf (pour les plus aisés). Dans la deuxième moitié du 19e siècle, ces mets vont devenir des plats principaux remplaçant le pain. N'oublions pas toutefois que dans le passé, d'autres formes de consommation du sarrasin cohabitaient même si, de nos jours, bouillie et pain de sarrasin sont délaissés.
INFOS PRATIQUES :
- Ecomusée des Monts d'Arrée, Moulins de Kerouat, à Commana (29). Ouvert tous les jours de 11h00 à 19h00 en juillet et en août, du lundi au vendredi de 11h00 à 18h00 et dimanche et jours fériés de 14h00 à 18h00 (du 1er septembre au 30 octobre) Tarif : 4,50€. http://www.ecomusee-monts-arree.fr/
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Exposition « Bleud Zo Crampouez Vo, Paysans, Meuniers et Crêpières dans les Monts d'Arrée », jusqu'au 30 octobre 2020.