Lundi 18 octobre 2021
Retour aux sources et redécouverte d'une côte sauvage que je parcourais dans ma jeunesse, de Saint-Malo à Cancale. C'est à vélo que je file à présent sur les petites routes de campagne par une belle journée ensoleillée. Même si la Bretagne garde un certain charme par gros temps, elle resplendit d'autant plus sous un soleil éclatant. Je garde ma droite sur ces petites routes départementales (voire cantonales) pour permettre aux véhicules de me doubler. La cohabitation se passe bien dans le respect de chacun et c'est tant mieux. Après tout, ne sommes-nous pas en vacances ? Eh bien, non, pas tout le monde, puisque même en période estivale, il y a toujours des gens qui travaillent.
C'est parti pour une escapade de 65 kilomètres à vélo (électrique) qui me mènera successivement à Saint-Guinoux, Saint-Méloir-des-Ondes, Cancale, Port-Mer et la Pointe du Grouin. Quatre heures de balade juché sur ma petite reine, c'est excellent pour la santé, à condition de ne pas peiner dans les côtes (ce que le vélo électrique m'évite heureusement!). Cette vaste région dépend de l'agglomération de Saint-Malo et est desservie par de très nombreuses routes en général peu fréquentées. Ces voies de circulation relient hameaux et villages entre eux d'où pointent le clocher de l'église locale, comme par exemple à Saint-Guinoux. Encore un village breton dédié à un saint, Guinou, confesseur breton de son état dont on célèbre la fête chaque 25 octobre. L'église se remarque de loin : bâtie de 1752 à 1754, elle fut en partie surélevée et a la forme d'une simple croix avec un chevet droit et des ouvertures en plein cintre. Elle détient comme chaque lieu de ce type sa propre histoire que l'on peut lire sur le site internet de la mairie. Durant les années 1750, les seigneurs font autorité, et vivent dans de riches demeures comme le manoir de Lessard (au 16è siècle), un terme signifiant « terrain nouvellement défriché ». En creusant un peu, on apprend que le sieur de Lessart fut administrateur et fondateur de l'hôtel-Dieu de Saint-Malo. Voilà au moins une élite locale qui se rendit utile . Saint-Guinoux, que je ne ferais que traverser pour cette fois, offre encore bien des curiosités patrimoniales : l'oratoire de Notre-Dame-de-la-Garde, le manoir de Maupertuis, une maison en pierre (des 16è-18è siècles), plusieurs moulins à vent, deux anciens manoirs et les vannes du village, judicieux système hydraulique destiné à canaliser l'eau d'ici venue de l'au-delà afin d'assécher une partie des marais de Dol et gagner ainsi des surfaces cultivables.
A une moyenne de 25 km/heure, je peux sans me vanter me considérer comme l'échappée belle d'un peloton invisible qui franchit campagnes et lieux-dits en tous genre. J'atteins bientôt Saint-Méloir-des-Ondes, autre village dédié là aussi à un saint, dont la vie fut plus horrible que le précédent : Saint Méloir, Prince de Cornouaille, eut en effet la main droite et le pied gauche tranchés par Rivod, son oncle, afin de le rendre inapte à tirer à l'épée et à monter à cheval.Un bon moyen pour l'oncle tortionnaire de conserver alors le pouvoir rien que pour lui. C'était sans compter sur les fidèles du prince qui lui posèrent des prothèses en argent et airain, dont Saint Méloir fera usage comme s'il s'agissait de ses membres naturels (les armoiries de l'endroit incluent d'ailleurs une main d'argent en souvenir de ce saint). Quant aux ondes, représentées par des traits ondulés de couleur émeraude, elles n'ont rien à voir avec la 5G et symbolisent la mer toute proche. D'autres symboles comme deux coquilles d'argent et une fleur de lys font de leur côté partie du blason du Mont-Saint-Michel, dont les moines fondèrent Saint Méloir des Ondes au 11è siècle. En cette fin du premier millénaire, briser les assauts marins qui envahissaient de temps à autre les terres intérieures s'apparentait alors à un défi insurmontable. Le 12è siècle (et le Moyen-Âge) enseignera aux hommes les progrès agricoles et la construction de digues salvatrices. Ces surfaces cultivables étaient vitales et représentaient pour les moines du Mont Saint Michel autant de dîme (impôt) supplémentaire. Plus tard, de grands domaines s'élèveront aux côtés de fermes fortifiées dont les terres appartiendront à de petits seigneurs. Dès le 13è siècle, on cultive la vigne près de Saint Méloir. Et les réussites commerciales des marchands malouins d'entrainer l'érection de villégiatures dans les environs (manoirs, gentilhommières aussi surnommées « maisons des champs », l'autre nom des malouinières) entre les 16è et 18è siècles. Fin 16è siècle, les Méloriens (habitants de Saint-Méloir-des-Ondes) connaitront des évènements sanglants entre catholiques et protestants de la guerre de la Ligue, d'où le désir de certains d'entre eux de prendre le large en embarquant pour la guerre de course ou pour d'autres grandes aventures commerciales lancées par les négociants malouins.
Situé en retrait de la côte, Saint Méloir attirera les armateurs de la cité corsaire pour le calme et le charme de la campagne qui y règnent alors et de vastes domaines sortent bientôt de terre. Après les temps mouvementés de la révolution française, le 19è siècle apporte l'apaisement tout en faisant du passé table rase. L'ancienne église du village est alors rasée pour faire place à une nouvelle qui est inaugurée en 1860, avec son immense clocher, l'un des plus remarquables de la région.
Après avoir vaillamment traversé Saint-Méloir-des-Ondes, je n'ai jamais été plus proche de Cancale (35), commune située à l’extrémité ouest de la baie du mont Saint-Michel, à quinze kilomètres seulement de Saint-Malo, ma ville natale. Surtout célèbre pour ses huitres plates sauvages issues de bancs naturels en eau profonde, et pour ses huitres creuses d'élevage, Cancale est habité par l'homme depuis le paléolithique (250000 ans). Parti du Pays de Galles,, Saint Méen aurait abordé la côte locale au 6è siècle puis évangélisé cette partie de l'Armorique avant de poursuivre sa route. La commune portera son tout premier nom, Cancavene, à partir de 1032, qui signifie, en ancien breton « anse »(conq) et « rivière »(aven). Ce premier village correspond aujourd'hui à la Basse Cancale, un territoire jadis sous la dépendance du Seigneur du Plessix Bertrand, qui avait son château sur la commune voisine de Saint-Coulomb, une forteresse démantelée depuis.Non seulement ledit seigneur détenait le droit de justice mais touchait également plusieurs redevances (dont le droit de parcage des huîtres, le droit de palotage – taxe pour amarrage des navires sur des pieux au port de la Houle- la taxe sur le lavage des huitres et une redevance en poissons...). Comme vous le voyez, en matière d'impôts, notre pays a toujours fait preuve d'une imagination féconde.
C'est à Henri II que Cancale devra l'obtention du privilège de tirer le papegault en 1560 (un exercice destiné à entrainer les troupes chargées de défendre la côte et consistant à abattre l'effigie d'un oiseau plantée sur une gaule). Une côte magnifique mais menacée à plusieurs reprises : Vauban fera renforcer les différentes batteries et en installera de nouvelles à la fin du 17è siècle. La ville aura en effet fort à faire face aux attaques répétées des flottes anglaises qui aligneront 115 voiles en juin 1758 avant de débarquer 12000 hommes de troupe sur la grève de l'Abri des Flots. Plus de vingt années plus tard, rebelote, avec cette fois, des bombardements anglais sur Cancale et la destruction de trois navires français. Heureusement, de nos jours, les Anglais ne tirent plus les premiers et viennent ici en villégiature pour profiter de la beauté des paysages et autres charmes locaux : régates de bisquines, dégustations d'huîtres, authenticité de la vieille ville et du port de la Houle...
Je poursuis ma route en direction de la Pointe du Grouin (ci-dessous), pointe la plus au nord de Cancale, offrant une vue inédite sur la partie sud du mont Saint-Michel. Dans son prolongement se dresse le phare de la Pierre-de-Herpin, qui matérialise l'entrée de la baie. Mis en service en 1882, cette vigie de cinq étages veille au grain depuis lors et de manière automatisée depuis 1970. Ce site de la Côte d'Emeraude attire chaque année de 600000 à un million de visiteurs, notamment les années où se déroule la Route du Rhum (les organisateurs de cette course utilise cette pointe pour tracer la ligne de départ de l'évènement).
Dominant de 40 mètres le niveau de la mer, le panorama de la pointe du Grouin s'étend du cap Fréhel à Granville et englobe bien sûr la baie du mont Saint-Michel. De là, on aperçoit aussi l'Île des Landes, réserve ornithologique et botanique comptant plus de mille goélands. Mais pourquoi cette pointe porte t-elle le nom de « grouin » ? Tout simplement parce que, en y regardant de plus près, cette extrémité rocheuse ressemble au grouin d'un cochon. Désormais lieu protégé, l'endroit abrite une flore et faune variée, dont le crapaud épineux, quatre espèces de reptiles parmi lesquelles la vipère péliade, et autres fauvettes, linottes et bouvreuils.
L'Histoire a laissé des traces puisqu'on peut encore aujourd'hui observer les vestiges de ce qui fut hier le mur de l'Atlantique, soit une quinzaine de fortification allemandes (important réseau de bunkers édifié par l'armée allemande lors de la Seconde guerre mondiale sur cette pointe stratégique).
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