Lundi 2 janvier 2023
C’est une première en France que nous propose le Musée des Arts de Nantes (44) avec cette exposition « Le Voyage en train » : Explorer comment, à partir du milieu du 19ème siècle, l’essor du chemin de fer a modifié notre perception et nos représentations du temps et de l’espace, à travers la peinture de paysages, la synthétisation du territoire, la faculté de contempler un panorama en mouvement et la caractérisation du temps du voyage lorsqu’on est livré à soi-même ou aux autres...
L’évènement, accessible au public jusqu’au 5 février prochain, se déploie en deux parties, aux premier et deuxième étages du Cube, puis complété dans la Salle Blanche.
Une centaine d’oeuvres montre, de la critique à la célébration, du refus à l’adaptation, comment les artistes réagirent à ce nouvel environnement alors que rails, ponts, vapeur, signaux, horloges, gares et télégraphe devenaient les emblèmes technologiques d’une circulation rapide et régulée des êtres, des marchandises et de l’information, dégagée des contraintes naturelles.
« Le Voyage en train » s’inscrit aussi dans l’histoire et l’esprit de la vie culturelle de la métropole nantaise, déjà marquée par l’imaginaire technique (Musée Jules Verne, les Machines de l’Île, festival Les Utopiales)... Les peintures, photographies, sculptures et films présentés au public proviennent de collections publiques et privées, y compris de la National Gallery (Londres), du Centre Pompidou, du Musée national d’art moderne ou de la Galerie nationale d’Art moderne et contemporain de Rome (Italie).
Autant d’oeuvres évocatrices des années 1840 aux années 1930 qui intègrent également quelques œuvres contemporaines.
Par ailleurs, le Musée d’Orsay soutient exceptionnellement cette exposition qui bénéficie du label Exposition d’intérêt national octroyé par le ministère de la Culture.
Le parcours de l’exposition débute au 1er étage du Cube :
La première section est intitulée « La Traversée du paysage ».
Dans une superbe scénographie évoquant un paysage lumineux, ces cimaises traversent l’espace, tels des trains en mouvement se détachant sur un fond de grand dégradé coloré évoquant le ciel.
On assiste alors à la traversée d’un paysage de forêt primaire par une locomotive fumante faisant fuir des faunes dans l’aurore.
Ce tableau de Frédéric-Auguste Bartholdi, « Adieu la mythologie » ouvre le bal.
Entre 1840 et 1880, il n’est pas le seul puisque George Inness (Etats-Unis), Claude Monet, Auguste Renoir ou Vincent van Gogh (France), ou encore Adolfo Tommasi (Italie) s’intéressent eux aussi au développement du chemin de fer et à la transformation fondamentale du paysage qui en découle. Ainsi le paysage traversé par le train est-il le symbole de l’éphémère et d’une rupture temporelle.
Une véritable mystique du progrès par la vitesse prend forme. Une vitesse représentée comme un attribut démocratique, un vecteur de fraternité même.
D’abord hostiles puis prudentes, les autorités religieuses se convertissent à leur tour à la vapeur. Et l’Eglise organise bientôt de grands pèlerinages en profitant de ce nouveau moyen de transport, après avoir béni voies et locomotives en présence des fidèles.
De leur côté, les médecins, d’abord inquiets, deviennent également d’ardents promoteurs du train dont les effets sur la « santé générale » sont désormais vus d’un bon œil.
En 1888, c’est par une lettre à son frère Théo que Vincent van Gogh s’enthousiasme à la découverte d’un entrepôt ferroviaire.
Son tableau « Wagons de chemin de fer à Arles » témoigne alors de l’intérêt pour les moyens de locomotion propices aux vues japonisantes qui découpent les paysages en fragments d’espaces et de temps, façon Hokusai.
Lors d’une promenade, l’artiste avait déjà été frappé, en 1876, par un fanal rouge de locomotive et la lumière filante des wagons avec pour décor un ciel crépusculaire.
La seconde section, « Dans le cadre des portières. Le paysage vu du train » offre un autre point de vue :
Les artistes ne regardent plus passer le train mais l’empruntent, embrassant la modernité du « regard véhiculé ».
Un espace est consacré à la photographie, des premières « vues instantanées obtenues pendant la marche rapide d’un train » de Paul Nadar (en 1884) aux quasi-abstractions de Sophie Ristelhueber.
Arrive enfin le panorama cinématographique des Frères Lumière, ouvrant la voie à un défilement sans arrêt sur image.
Dès le milieu du 19ème siècle, l’expérience visuelle du défilement de paysage par la fenêtre d’un train contribuera fortement au développement d’autres esthétiques picturales, comme dans l’oeuvre de Ferdinand Hodler, « La Pointe d’Andey, vallée de l’Arve (Haute-Savoie) » en 1909.
Ce grand voyageur dessinera régulièrement dans le train et griffonnera dans ses carnets des esquisses dont certaines lui serviront de base pour ses tableaux.
La section 3 a quant à elle pour titre « Rail et signal. Le paysage comme circulation ».
En effet, le chemin de fer offre également aux artistes une troisième manière d’envisager le paysage. A côté de l’image tumultueuse de la locomotive (sa vitesse, voire parfois ses accidents), ceux-ci s’intéressent à l’organisation de la circulation ferroviaire commence motif ou modèle artistique.
Le rapport du signal (plus particulièrement du disque) au champ des rails qui véhiculent les convois, est très important : en étant traité comme motif moderne dans les œuvres impressionnistes et postimpressionnistes, le disque s’impose comme forme plastique à la surface d’un tableau dès 1900, à l’exemple de Raoul André Ulmann qui peint en 1902 « La Gare de Bercy ».
Poursuivons maintenant cette visite en nous rendant au 2ème étage et découvrons la seconde partie de cette exposition consacrée aux « Temps et contretemps » :
« L’horaire et l’instant. Le temps du quai » (section 4) s’intéresse à l’influence du chemin de fer sur l’espace temps.
Ce nouveau moyen de transport a profondément transformé le rapport de tout un chacun au temps, avec, notamment l’instauration de l’heure universelle.
Du départ à l’arrivée, le voyage en train nous conduit à vivre une expérience temporelle, entre attente et action, comme dans l’oeuvre « L’heure de tous » (1985) d’Arman, qui consiste en un assemblage d’horloges visible sur le parvis de la Gare Saint-Lazare (Paris).
Un premier espace est dédié à l’arrivée du train en gare et aux mouvements complexes de la foule anonyme. Certains artistes, comme Edouard Dantan ou Abel-Truchet observent l’action avec attention, pendant que le caricaturiste, lui, raille l’attente interminable d’un train retardé.
Ce n’est pas par hasard qu’à la fin des années 1990, des sociologues décrivirent les gares de voyageurs comme des « lieux-mouvements » entrainant des effets immédiats sur ceux qui les arpentent dans l’attente d’un train par exemple...l’esprit semblant quitter le corps pour voguer vers d’autres horizons en suivant les rails qui y prennent naissance.
Un second espace, « L’ennui et le récit. Le temps du wagon ») fait entrer le visiteur dans les wagons.
Coupés de l’espace, les voyageurs sont confrontés au temps et à l’inaction, cette dernière étant vue par certains artistes comme un temps de repos et de jeu, et par d’autres comme une allégorie de la vie qui passe. James Tissot, lui, voit ce moment comme une frustration pour le « gentleman pressé ». En ce qui concerne Guy de Maupassant, l’endroit est un lieu propice à la narration.
La dernière section du parcours, « Le progrès et la nature. Le temps de l’Histoire » ouvre une réflexion autour de l’article de Benjamin Péret « La Nature dévore le progrès et le dépasse » publié à l’hiver 1937 dans la revue surréaliste Minotaure. Vaste débat !
INFOS PRATIQUES :
-
Exposition « Le Voyage en train », jusqu’au 5 février 2023, au Musée d’Arts de Nantes, 10 rue Georges Clémenceau, à Nantes (44).