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Exposition "Sur les Routes de Samarcande, Merveilles de soie et d'or"
(Institut du monde arabe, Paris, France)
Heure locale

 


Lundi 13 février 2023

 

Jusqu’au 4 juin prochain, l’Institut du monde arabe et la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan nous offrent de voir une exposition-évènement sur le patrimoine et les savoir-faire ancestraux d’Ouzbékistan, de la fin du XIXème au début du XXème siècle, en admirant une série d’oeuvres uniques exposées pour la première fois en dehors des musées nationaux.

 

C’est à un dépaysement complet auquel nous assistons, entre l’art de la broderie qui trouve toute sa symbolique dans les stupéfiants suzanis, tissus brodés de soie, qui ornent à la fois les intérieurs urbains et nomades. On croise ces femmes qui s’adonnent aux travaux d’aiguilles pour préparer la dot de leurs filles. Quant aux suzanis, leurs riches motifs brodés témoignent de leur goût, de leur créativité et de l’influence de leur environnement, chaque région disposant de ses propres codes esthétiques.

Il y a aussi l’art du tapis, preuve de l’abondance des produits lainiers confectionnés par la population des steppes et des régions montagneuses. Symboles et couleurs dévoilent la richesse du patrimoine culturel national grâce à la technique du abrbandi et aux fameux ikats en soie, pièces de tissus aux mille couleurs.

Ces couleurs et cette esthétique générale deviendront source d’inspiration pour un grand nombre d’artistes, notamment soviétiques, qui découvriront le Turkestan (actuelle République d’Ouzbékistan), alors destination de prédilection de l’avant-garde russe qui connaitra son apogée entre 1917 et 1932. Les peintres de l’école russe, eux, satisfont leur goût pour la couleur locale grâce à la richesse des paysages, des formes, des couleurs et des visages de l’Asie centrale.

Tapis, suzanis, chapans et ikats présentés dans cette exposition sont autant d’oeuvres d’artistes en quête d’ailleurs et d’exotisme.

Situé au cœur de l’Asie centrale, entre montagnes, déserts, plaines fertiles et oasis, l’Ouzbékistan est une terre d’Histoire et de culture. République indépendante depuis 1991, après la chute de l’URSS,ce pays abrite cultures et traditions ancestrales, une manière de perpétuer les royaumes et les empires qui naquirent jadis de cette situation stratégique politique et intellectuelle unique.

 

Le parcours de plus de 1100 m2 aménagé pour l’occasion permet aux visiteurs d’admirer plus de 300 pièces inédites représentatives des trésors de l’Ouzbékistan, depuis les somptueux chapans (manteaux) et accessoires brodés d’or de la cour de l’émir jusqu’à une vingtaine de peintures d’avant-garde orientalistes, en passant par les tapis, les selles en bois peintes à la main, les harnachements de chevaux en argent sertis de turquoises suzanis, les ikats en soie, et autres bijoux et costumes de la culture nomade. Un événement qui met en valeur la renaissance des splendeurs artisanales des XIXème et XXème siècles, constitutive de l’identité ouzbèke et un moment unique lorsqu’on sait qu’un grand nombre de productions splendides et monumentales (comme les caftans, robes et coiffes) réservées à la cour et aux cadeaux diplomatiques, sortent de l’atelier privé de l’émir.

D’un point de vue stratégique, l’Ouzbékistan se situ au carrefour des civilisations entre les peuples des steppes, de l’Inde, de la Perse et de la Chine. Dans le passé, les légendaires « Routes de la soie » ont contribué à la prospérité de la Transoxiane avec son flot de richesses et de marchands en partageant savoirs et légendes. Samarcande et Boukhara se distinguent alors par leurs artisanat et commerce florissants. Quant aux oasis abritant la culture du coton et de la soie, ils sont à l’origine de cet art du tissage et de la broderie que l’on retrouve dans les riches motifs des suzanis qui ornent les intérieurs ouzbèkes, tandis que les ateliers de la cour affinent la broderie d’or (zardozi) pour répondre aux exigences de la haute société.

Dans les steppes et les régions montagneuses du pays, l’abondance de produits lainiers permet aux femmes nomades, expertes dans le tissage de tapis et le feutrage, de produire des tapis d’intérieur destinés à l’embellissement des foyers.

Après la conquête russe de 1868, la place sociale et culturelle des productions textiles n’aura que peu souffert de l’introduction des importations russes, mais l’ère soviétique va malgré tout imposer de nombreux changements qui fragiliseront la transmission et la valorisation de ces artisanats d’excellence.

 

La deuxième partie du parcours de l’exposition est consacrée au pouvoir et à l’apparat : au XIIIème siècle, les riches oasis de la Transoxiane subissent l’invasion des tribus nomades mongoles menées par Gengis Khan, puis, au siècle suivant, Amir Timur, surnommé Tamerlan réussit l’exploit de réunir l’héritage des conquêtes nomades et des centres urbains de la Transoxiane, donnant ainsi naissance à un vaste empire dont la capitale est Samarcande. Au XVIème siècle, trois khanats rivaux (Boukhara, Khiva et Kokand) forment un nouvel espace ouzbek, avant d’être placés sous protectorat russe à partir de 1868 puis de former plus tard le gouvernement général du Turkestan.

 

A la cour de l’émir de Boukhara, on relance bientôt d’anciennes coutumes artisanales : ainsi rétablit-on la sériculture vers la fin du XVIIIème siècle, ce qui autorise l’apparition de nouveaux tissus incorporant des symboles issus d’un dictionnaire commun à toutes les composantes de la population. Les émirs de cette dynastie, eux, se comportent en véritables mécènes pour ces artisans. Ateliers de confection et artisanat de luxe font leur apparition, alors que Boukhara voit sa production de coton et de soie augmenter durant le protectorat russe. Et cet émirat de devenir au tournant du siècle la capitale de l’artisanat de la broderie d’or (zardozi). C’est sous le règne de l’Emir Muzaffar-Ed-Din qui crée un grand atelier à l’intérieur même de sa résidence à la Citadelle Ark (Boukhara) que cet art de la broderie (zardozi) connaît son apogée. Caftans, pantalons, bottes, chaussures, chapeaux et autres accessoires féminins sont massivement produits pour la cour et les proches de l’émir. Fin XIXème, on comptera 32 guildes de brodeurs (chaque guilde ayant à sa tête un aqsoqol, administrateur organisant le travail des brodeurs tout en s’assurant du respect des coutumes et des rites). Deux types de broderies d’or existaient alors : le zardonzi-zamindozi (broderies recouvrant intégralement un tissu) et le zardozi-guldozi (confection d’un motif floral brodé à partir d’un papier). L’or utilisé est soit de l’or filé doux (kolbutan), soit de l’or dessiné (sim).

 

Les œuvres artisanales présentées dans cette exposition permettent l’embellissement des intérieurs :

 

- Les suzanis : ce mot persan qui signifie « fait à l’aiguille » évoque également de grandes pièces de tissus brodées de fils de soie destinées à la dot de la mariée. Décorations de murs, couvertures de lit, taies d’oreiller, rideaux et tapis de prière font partie de ces ouvrages exclusivement réalisés par des mains féminines. Le suzani est à chaque fois une création unique renfermant un univers fantasmagorique censé assurer une vie de couple et de familles harmonieuses.

On distingue deux courants majeurs pour ces éléments d’apparat : le courant de Sarmacande (qui offre un décor de ciel arborant des motifs astraux audacieux, hypnotiques et rougeoyants) et celui de Boukhara (un jardin d’Eden enrichi de motifs floraux, végétaux luxuriants et colorés). Des paradis célestes et terrestres à vocation aussi bien décorative que protectrice.

Le nombre et la qualité des suzanis à l’intérieur d’un foyer dépendent du statut social de la famille. Entre une et huit années de travail sont nécessaires pour réaliser une grande tenture de ces tissus.

 

- Les tapis d’Ouzbékistan ont eux aussi leurs secrets. Cela fait des siècles que cet art est maitrisé dans la région de l’ancienne oasis de Transoxiane , même si l’on dispose que de très peu de témoignages compte tenu de la fragilité de la laine. Ces pièces représentent pourtant des objets historiques précieux car leur iconographie révèle le mode de vie, l’environnement et les croyances de leurs créateurs, leurs relations avec leurs voisins et leurs choix esthétiques.

La production de ces tapis, essentiellement rurale, était toutefois écoulée en grande majorité à Boukhara, ville de tous les commerces.

Il existe quatre sortes de tapis : les tapis à poils courts ou longs, premiers tapis noués, les tapis tissés à plat (facilement pliables puis transportables), les tapis brodés et le tapis feutrés.Tous ces tapis contiennent des motifs choisis avec soin par les tisseuses, pour la protection de la maisonnée en se fondant sur une symbolique ancestrale transmise de génération en génération.

 

C’est bel et bien dans un monde de symboles et de couleurs que nous évoluons lors de la visite de cette exposition-évènement :

 

- Les ikats (mot d’origine indonésienne signifiant « attacher, nouer ») sont originellement confectionnés à partir d’une technique de tissage à l’origine mystérieuse mais répandue dans toute l’Asie. On sait toutefois que sa présence en Indonésie et en Chine dès le VIème siècle s’est étendue en Ouzbékistan sous le nom de abrbandi (mot d’origine persane voulant dire « nuage », en référence à l’aspect flouté et vaporeux des motifs).

Les maîtres ouzbeks de l’abrbandi teignent uniquement les fils de chaine, d’après un procédé très long pouvant s’étendre sur plusieurs mois et qui exige une technicité précise. Chaque région dispose de ses propres motifs, qui peuvent être floraux, végétaux, zoomorphiques, géométriques ou domestiques déployant un florilège de couleurs d’après des codes territoriaux précis.

 

- Les bijoux, eux, sont gages de protection et de bonheur. Etroitement lié au vestiaire féminin en Asie centrale, l’art du bijou fait partie du costume traditionnel de la femme ouzbek et indique l’âge, le statut social, économique et matrimonial de celle qui le porte.

Chaque ensemble (qui peut peser jusqu’à 10 kg) est généralement composé de plusieurs pièces : diadème, frontal, temporal, pectoral, collier, bracelets, boucles d’oreilles, bagues et même parfois anneaux de nez.

 

- Les paranjas sont des manteaux traditionnels d’Asie centrale portés par les femmes dès l’âge de 10 ans dans l’espace public. Plutôt austères, ces longs manteaux brodés sur le devant couvrent la tête et les corps tandis que des manches (factices) sont attachées dans le dos.

Ce vêtement évoluera en 1868 avec l’arrivée des Russes en se parant de couleurs vives, de broderies et de médaillons jusqu’en 1927, date à laquelle les Soviétiques en interdiront l’usage.

 

L’exposition aborde enfin la peinture orientaliste de l’avant-garde russe qui trouve sa terre de prédilection au Turkestan au tournant du 20ème siècle. Tandis que l’Empire disparaît pour laisser la place à l’URSS, nombreux sont les artistes soviétiques à découvrir ce territoire correspondant à l’actuelle République d’Ouzbékistan. En effet, ces peintres de l’école russe y trouveront richesse des paysages, formes, couleurs et visages de l’Asie centrale en guise d’inspiration.

Les peintures uniques exposées proviennent de la deuxième plus grande collection d’avant-garde russe constituée par le collectionneur Igor Savitsky.

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition «Sur les routes de Samarcande, Merveilles de soie et d’Or », jusqu’au 4 juin 2023, à l’Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, à Paris (5ème)

  • Catalogue de l’exposition, Hors-série Beaux-Arts Magazine, 88 pages, 12€.

  • Visites guidées individuelles le dimanche à 14h30 et à 16h00.






 



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