Lundi 3 avril 2023
La plus ancienne maison de Bourgogne, qui date de 1720, porte le nom de Champy. A partir du 19ème siècle, elle marquera l’histoire locale en s’imposant comme l’un des maisons les plus renommées au monde et dont les climats sont classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco. La Masion Champy partage aussi une page de son histoire avec Louis Pasteur qui mena à la même époque des recherches sur la conservation du vin. Claude III Champy l’aurait ainsi accueilli dans ses caves pour effectuer avec les vins de Bourgogne les mêmes travaux qu’il avait déjà fait sur les vins jurassiens.
Unique domaine de Bourgogne ayant à ce jour décroché le titre d’Entreprise du Patrimoine Vivant (en 2021), cet article s’intéressera au grand homme que fut Louis Pasteur et à ses travaux sur le vin.
Fondée en 1720, la Maison Champy a vu à ce jour six générations de la même famille se succéder à la tête de l’entreprise: ayant débuté dans le négoce du vin et la tonnellerie, l’entreprise deviendra le premier « négociant-éleveur » de la région grâce au rachat de terrains et de vignes durant la Révolution française et à un impressionnant essor commercial au 19ème siècle.
Bien que fleuron de l’économie française, la viticulture reste fragile entre phylloxéra et mauvaise conservation du vin. D’où, en 1863, l’initiative de l’empereur NapoléonIII de confier à Louis Pasteur le soin d’étudier le moyen d’améliorer la qualité des vins. Le savant, fervent défenseur des terroirs de sa patrie, se penche alors sur les maladies des vins concernés et s’aperçoit qu’elles sont occasionnées par l’oxygène et les agents pathogènes contenus dans l’air. Et met au point un procédé de chauffage des vins (appelé la pasteurisation)quelques années plus tard ? L’oenologie est née.
La Maison Champy sera l’une des premières en Bourgogne à utiliser le « pasteurisateur » et à installer un laboratoire (toujours visible aujourd’hui) dans ses locaux, même si elle testera également d’autres techniques d’amélioration de la qualité des vins.
Au milieu du 19ème siècle, la Maison Champy prospère commercialement grâce, entre autres, à l’ouverture le la ligne Paris-Dijon en 1851 qui permet au vin d’être acheminé plus rapidement aux quatre coins du pays.
En 1868, la cinquième génération succède à la quatrième (celle de Claude III Champy) avec Charles Chaussier aux affaires : dès lors, la profession vigneronne échange constamment avec des chercheurs, tandis que l’entreprise, présente aux expositions universelles et internationales, collectionne les récompenses.
En revanche, 1878 plonge le monde viticole dans la crise avec l’apparition du phylloxéra en Côte d’Or durant l’été. En 1880, la Maison Champy crée alors avec d’autres vignerons le Syndicat antiphylloxérique de Beaune mais plus d’un quart du vignoble est malgré tout détruit, nécessitant replantation des ceps, et mise au point de techniques agronomique ou traitement au sulfure, des travaux qui n’offriront pas les résultats escomptés. Seul le greffage sur des pieds américains permettra de venir à bout du phylloxéra.
Au lendemain de l’Exposition universelle de 1889 à Paris, l’entreprise s’inspire de l’architecture de Gustave Eiffel pour bâtir ses nouvelles caves et le lieu de traitement des vins. Un laboratoire est aussi créé, qui prendra le nom d’Espace Pasteur.
A l’époque, les vignerons maitrisent encore mal les processus de fermentation des vins et les noms des maladies (la tourne, la graisse, l’aigre, l’amer).
C’est à Arbois, sa commune d’origine, que Louis Pasteur entame ses premières recherches sur le vin à partir de parcelles et de vendanges locales. Le savant ne tardera pas à isoler quatre agents pathogènes issus de l’air, qui lui permettent de conclure que la fermentation est le résultat des germes présents dans l’air. Et de compléter ses travaux en déposant, le 11 avril 1865, un brevet sur « un procédé de conservation et d’amélioration des vins par chauffage modéré à l’abri de l’air » pour limiter les effets des germes des maladies.
La question qui se pose alors est de savoir si cette méthode ne risque t-elle pas d’altérer la qualité des vins haut de gamme. Dès 1866, Louis Pasteur installe à l’Ecole normale supérieure une cave d’expériences comparatives contenant à la fois vins communs et grands vins fournis par des producteurs bourguignons. Au final, il apparaît que le chauffage des vins ne nuit en rien aux grands vins. L’expérience de la « pasteurisation » est en passe d’être confirmée.
Il faut reconnaître que la technique de pasteurisation est née avant Pasteur. En 1810, un certain Nicolas Appert publiait en effet « L’Art de conserver pendant plusieurs années toutes substances animales et végétales, en recommandant de chauffer les aliments pour les conserver ». En 1846, Alfred de Vergnette de Lamotte, notable et scientifique de Beaune, démontrait que ce procédé pouvait aussi fonctionner avec le vin.Quant à Louis Pasteur, il partait du principe, dès 1863, que les germes contenus dans les moûts de fermentation entrainaient cette dernière et, que pour stopper la fermentation, il fallait donc détruire les germes. Et d’expérimenter avec succès sa théorie sur la bière en 1871, étude dont le savant fera un enjeu national au moment ou la France connut la défaite lors de la guerre franco-prussienne, en demandant que les bières qui seraient fabriquées avec son procédé de conservation portent désormais le nom de Bière de la Revanche nationale.
La découverte de Louis Pasteur attire l’attention dans toute l’Europe et c’est en 1867 qu’apparait, en Hongrie, et pour la première fois, le terme pasteurisation.Plusieurs appareils voient le jour, qui permettront de pratiquer ce procédé. Toutefois, trente ans plus tard, on découvrira que cette même pasteurisation détruira aussi les « bons » microbes, d’où l’abandon progressif de cette technique par les vignerons.
Quoiqu’il en soit, les travaux du savant français n’auront pas été vains puisqu’en 1886, le chimiste allemand Franz von Soxhlet prônera à son tour la pasteurisation du lait.
Les pasteurisateurs, eux aussi, auront leur histoire : Louis Pasteur utilisera un bain-marie en cuivre pour chauffer ses vins en bouteilles. Pour traiter de plus grandes quantités de breuvage, on inventera le Thermoephylactique, et dès 1868, de nombreux autres appareils seront mis au point. Et si les travaux de Louis Pasteur ont, semble t-il, trouvé des partisans convaincus dans le Sud-Ouest, il n’en va pas de même en Bourgogne, où, pour les vignerons, les pasteurisateurs sont source de « prévention injustifiée ». Nul n’est prophète en son pays...
Alfred de Vergnette de Lamotte, né à Beaune, revient à ses terres natales à l’issue de ses études. Devenu propriétaire d’un domaine viticole, il est amené à s’intéresser aux maladies du vin et est l’un des premiers dans les années 1840 à se pencher sur le chauffage et le gel des vins.
En 1845, il soumet ses vins au froid hivernal bourguignon à des températures idéalement situées entre 0 et -6°C (voire -15°C). Des observations obtenues se détache un vin moins onctueux mais avec plus de nerfs et un petit goût de raisin cuit.
La Maison Champy tente la même expérience mais le procédé, pas très probant, ne sera utilisé que pour les années peu favorables à la végétation de la vigne. L’entreprise poursuit pourtant son développement entre tradition et modernité tout en étant l’une des premières à profiter des découvertes de Louis Pasteur et d’Alfred de Vergnette de Lamotte. Elle investit d’abord dans un pasteurisateur (pour réchauffer les vins) et dans une sabotière (gel des vins), pour ensuite construire une nouvelle cuverie et un laboratoire ultramoderne en 1889. La cuverie, installée en hauteur, permet alors de faire couler le vin par gravité sur plusieurs étages, et offre un traitement avec de nouveaux procédés révolutionnaires pour l’époque.
En mars 1901, et alors que le procédé de chauffage des vins se répand dans d’autres maisons, des expériences publiques de pasteurisation du vin sont menées place de la Madeleine à Beaune, en présence d’une vingtaine de constructeurs de pasteurisateurs dans le but de sensibiliser d’autres vignerons à cette technique.
La reconnaissance des travaux de Louis Pasteur est mondiale : en avril 1865, le savant dépose son brevet pour l’invention du procédé de conservation et d’amélioration des vins par chauffage modéré à l’abri de l’air et ces premiers travaux sur le vin lui sont très utiles lorsqu’il débute ses études sur la bière en 1871.
La « pasteurisation » conquiert rapidement toute l’Europe, après la Hongrie, et quelques décennies plus tard, au début du 20ème siècle, le procédé connait ses premières applications industrielles. Depuis 1920, la pasteurisation est devenue obligatoire pour un grand nombre de boissons et même si celle-ci n’est plus utilisée pour le vin, elle l’est pour la bière et le lait ainsi que pour les jus de fruits et nombre d’autres aliments.
Suite logique de cette notoriété : la création, en 1888, d’un institut portant le nom de Pasteur. Dès le départ, l’endroit sera consacré à l’extension de la vaccination contre la rage et à l’étude des maladies infectieuses. Ainsi, à l’occasion du 70ème anniversaire du savant français, le jubilé du chercheur a été organisé et d’innombrables honneurs lui ont été témoignés.
Depuis lors, le scientifique est bel et bien devenu une légende : après Charles de Gaulle, c’est son nom qui a été le plus souvent choisi pour baptiser rues, places et avenues.
Après les découvertes de Louis Pasteur, divers appareils de chauffage des vins voient le jour. L’un des premiers modèles construits,le « pasteurisateur Houdart », adopté par la Maison Champy dès 1878, recevra d’ailleurs une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889. Ce modèle est toujours visible dans les murs de la Maison à Beaune.
Pour la Maison Champy, les Expositions universelles présentent une opportunité pour faire connaître ses vins au grand public (comme en 1867, où l’entreprise est récompensée d’une médaille d’argent pour ses vins tandis que Louis Pasteur remporte le Grand Prix et le Mérite agricole).
Soucieuse de développer sa notoriété auprès des consommateurs européens, la Maison Champy participe en 1883 à l’Exposition internationale d’Amsterdam, et obtient sa première médaille d’or. Elle est au rendez-vous de l’Exposition universelle de Paris en 1889 qui commémore le centenaire de la Révolution française et une autre médaille d’or lui est décernée. Deux ans plus tard, elle se rend à Moscou où se tient l’Exposition française, puis décroche la même année la médaille d’or et un diplôme d’honneur à l’Exposition internationale d’hygiène et d’alimentation de Vienne (Autriche).
En 1897, la Maison Champy se rend à l’Exposition universelle de Bruxelles (Belgique). Il se trouve que ce pays est un marché historique pour l’entreprise. L’Exposition universelle de Paris en 1900 offrira elle aussi une médaille d’or à la célèbre maison.
Une visite à la Maison Champy, désormais tricentenaire, permet de mesurer l’importance de Louis Pasteur et de Gustave Eiffel dans le destin de l’endroit. A la fin du 19ème siècle, le négociant en vins qui prospère avec l’acquisition de clos prestigieux investit opportunément dans son outil de production en s’inspirant notamment de l’architecte Gustave Eiffel, en construisant ses nouvelles caves dans la continuité des bâtiments existants de la rue du Grenier à Sel.
Une nouvelle cuverie et un laboratoire de traitement des vins sont ainsi bâtis sous le nom d’Espace Pasteur. Les chais (composés d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’un comble) reposent sur des structures métalliques et sont construits sur des caves, tandis qu’un ensemble d’instruments et d’appareils issus des préceptes de Louis Pasteur, vient renforcer l’outil de vinification, le tout permettant de concentrer la production sur le même lieu en centre ville. Cette architecture unique fait date à Beaune puisque les bâtiments de 1890 et leurs annexes (abritant le matériel de vinification) ont été inscrits à l’inventaire des monuments historiques en 2010.
L’héritage Pasteur est indéniable dans le travail de la vigne chez Champy, laquelle revendique depuis la fin du 19ème siècle son excellence en s’appuyant sur le terroir unique des Climats de Bourgogne inscrits depuis 2015 au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Forte des valeurs inculquées par le savant français, la Maison Champy exploite la moitié de son vignoble en agriculture biologique, et l’autre en viticulture durable et labellisée HVE3. Et la préservation de ses terroirs d’exception et de son patrimoine d’avoir pu lui permettre de rejoindre le cercle très restreint des entreprises françaises labellisées « Entreprise du Patrimoine Vivant », une première en Bourgogne.
Aujourd’hui, la maison ouvre ses portes au public qui peut découvrir son histoire incroyable, qui s’étale sur près de trois siècles, ses vignes et ses domaines.
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