Revoir le globe
Top


Exposition "Pierre Dac. Le parti d'en rire"
(Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 19 juin 2023

 

Jusqu’au 27 août prochain, le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (Paris) nous invite à découvrir l’exposition « Pierre Dac. le Parti d’en rire ». Première exposition consacrée à ce personnage, cet événement offre une occasion unique d’en apprendre plus sur ce personnage talentueux qui dérida nos ainés. Plus de 250 documents issus des archives familiales, des extraits de films, des émissions de radio et de télévision témoignent du parcours personnel et de l’oeuvre de ce maitre de l’absurde, qui présida entre autres à la naissance de l’humour contemporain.

 

Né André Isaac à Châlons-sur-Marne en 1893, Pierre Dac est issu d’une famille juive alsacienne qui choisit la France après l’annexion allemande de 1871. Il s’engagera durant la Première guerre mondiale afin de contribuer à rendre l’Alsace-Lorraine à la France, puis, après l’armistice, choisira le métier de chansonnier, un métier qui lui vaudra un succès immédiat grâce à ses sketchs, chansons et pensées.

Dans les années 1930, il produit les premières émissions humoristiques de la radio française (La Société des Loufoques, la Course au Trésor...) puis fonde l’hebdomadaire « L’Os à moelle » dont le tirage atteindra 400 000 exemplaires. Mais les nuages s’amoncellent à nouveau sur l’Europe et notre homme, Résistant de la première heure, rejoint Londres en 1943 d’où il mènera une impitoyable guerre des mots contre Radio Paris dans « Les Français parlent aux Français » au micro de la BBC.

Au lendemain de la guerre, Pierre Dac fait la connaissance de Francis Blanche avec lequel il monte « Sans Issue » au cabaret des Trois Baudets. Il crée ensuite le célèbre Sâr Rabindranath Duval, puis le feuilleton « Signé Furax » », la série la plus écoutée de l’histoire de la radio.

Dans les années 1950, l’homme invente le schmilblick, un objet au nom yiddish « qui ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout ». Suivit le biglotron, « la découverte la plus scandaleusement oubliée par les autorités scientifiques, militaires et religieuses de notre époque ». On le retrouve aussi sur France Inter de 1965 à 1974 dans la désopilante série radiophonique « Bons Baisers de partout », série dont il fut co-auteur.

Il se présentera enfin à l’élection présidentielle de 1965, à la tête du mouvement ondulatoire unifié ou M.O.U. En 1972, celui qui s’était auto proclamé « roi des Loufoques » publiera ses Pensées qui touchent une nouvelle génération.

Des années 1930 au milieu des années 1970, l’imagination et l’inventivité de Pierre Dac nourrira la culture française, savante et populaire, d’un prodigieux arsenal humoristique que le visiteur découvrira dans cette exposition.


L’exposition met en exergue la créativité musicale et littéraire de l’artiste, ses sources, le rôle de la parodie et de la satire, ses modes d’expression très variés (dont l’utilisation qu’il fait de tous les médias – film, radio, télévision) tout en restant attaché au cabaret et au théâtre.

Plusieurs générations d’humoristes y sont également évoquées, qui ont été, à un moment de son existence, des compagnons de route. On citera ainsi Francis Blanche, Jean Yanne et René Goscinny, qui figurent tous les trois au Panthéon de l’humour.

Cette présentation restitue enfin l’oeuvre de Pierre Dac parmi celles des maitres de l’absurde (dont Samuel Beckett, Eugène Ionesco ou Roland Dubillard...), redevable tant à l’argot des bouchers qu’au Witz freudien, et aborde les résonances de sa judéité dans son parcours personnel ainsi que ses choix de citoyen et d’artiste.

 

Le parcours de l’exposition comporte neuf parties :

 

Les jeunes années d’André Isaac (1893-1919)

A la suite de l’annexion de l’Alsace-Moselle en 1871, la famille maternelle d’André opte pour la France et s’installe à Châlons-sur-Marne, où elle ouvre un magasin de chaussures. Le couple Isaac aura deux fils dont André, le cadet, qui nait en août 1893. Trois années plus tard, la famille s’installe à Paris. André se trouve être bon élève et posséder quelques talents artistiques, dont la musique. Pratiquant l’humour, l’homme pratique aussi plusieurs langues (le judéo-alsacien, le français et le louchébem, l’argot des bouchers pratiqué par son père).

Le 3 août 1914, lorsque l’Allemagne déclare la guerre à la France, André et son frère, Marcel, sont envoyés au front, où le premier est blessé lors de la bataille d’Artois, et le second perd la vie lors des attaques de la Champagne en 1915. La mort de Marcel, puis une deuxième blessure, marqueront durablement André sans pour autant entamer ses convictions patriotiques et humanistes.

 

Chansonnier dans l’entre-deux-guerres

Après sa démobilisation en 1919, André Isaac exerce des petits métiers avant de faire ses débuts de chansonnier à La Vache enragée, en 1922. C’est là qu’il prend son nom de scène, Pierre Dac. Ses sketches, chansons et ses pensées (en hommage à Blaise Pascal) contribuent à l’affubler de l’image de maitre de l’absurde. Tant au théâtre que dans les cabarets où il se produit, le succès est immédiat. Bientôt, l’arrivée du cinéma parlant verra Pierre Dac interpréter différents rôles dans des films comme « Le Fada »(1932), « Le Bidon-d’or » (1932) ou « Les Deux Monsieur de Madame d’Abel » (1933).

Un loufoque à la radio. L’invention d’un genre

Avec des camarades chansonniers, comédiens et musiciens, Pierre Dac explore alors le domaine de l’humour absurde qu’il qualifiera de loufoque.

A la fin des années 1920,la France compte déjà plus de trente stations de radio publiques ou privées. Et les foyers sont nombreux à accueillir chez eux la TSF, une technologie qui attise la créativité.

C’est ainsi que l’artiste fait ses premières armes en tant qu’humoriste en 1936 sur Radio Cité en y inventant la première émission humoristique, L’Académie des travailleurs du chapeau. Un an plus tard, il crée et anime La Course au trésor et La Société des Loufoques (SDL, parodie de la Société des Nations, SDN).

Ses revues et ses spectacles diffusés en direct gagnent en popularité. Bientôt, il écrit, avec Raymond Souplex, le scénario des Surprises de la Radio, puis crée les Chercheurs d’or, un jeu radiophonique durant lequel les auditeurs doivent trouver puis rapporter des pièces frappées à l’effigie de « Pierre Dac 1er, roi des Loufoques » cachées dans Paris.

 

L’Os à moelle

Ce succès radiophonique encourage Pierre Dac à se tourner vers la presse écrite.Toujours dans le domaine de l’absurde, il participe à l’adaptation française des dialogues farfelus de Smokey Stover, une BD américaine populaire, publiée chez nous sous le titre de « Popol, le joyeux pompier ».

Quelques mois plus tard, l’artiste lance l’hebdomadaire L’Os à moelle, organe officiel des loufoques. Un tirage à 400 000 exemplaires le 13 mai 1938 est rapidement épuisé. Les petites annonces de Gaston Berger et Ribette connaissent un vif succès et sont lues à voix haute dans les collèges et les lycées. Une « Nuit des loufoques » est organisée en mars 1938 au Moulin de la Galette, suivie d’une première exposition d’art loufoque en mai. Cet « Os à moelle » très populaire raille Hitler et Mussolini ainsi que les compromis, la lâcheté et l’incompétence de certains responsables politiques. Il faudra l’occupation de Paris par la Wehrmacht en juin 1940 pour que soit mis un terme à sa parution.

La Seconde Guerre mondiale et Radio Londres

Pierre Dac, opposé au nazisme depuis 1933, poursuit le combat avec L’Os à moelle, puis, lors de la déclaration de guerre de septembre 1939, il soutient le moral des troupes engagées dans la « drôle de guerre » en participant à des tournées et au Théâtre aux armées sur la ligne Maginot.

Averti du danger qu’il court à cause de ses textes antinazis, il quitte Paris la veille de l’entrée de la Wehrmacht, et se réfugie en Bourgogne. Notre homme, qui a entendu parler de l’appel du 18 juin lancé par le général de Gaulle, veut rejoindre Londres.

Jacques Canetti, son producteur, lui trouvera des engagements pour des tournées en zone libre et en Afrique du Nord jusqu’en novembre 1941.Son départ tourne au périple : il traverse les Pyrénées, débarque en Espagne où il est arrêté, revient en France quatre mois plus tard où il agit dans la clandestinité, repart en Espagne où, après trois autres incarcérations et grâce à un faux passeport canadien,il est échangé par l’intermédiaire de la Croix Rouge contre des sacs de blé. Enfin libre, il gagne Alger puis l’Angleterre.

A Londres, Pierre Dac confiera son mépris pour les Juifs ne faisant pas de la résistance contre le nazisme, alors qu’il est en position de le faire. Sur la BBC, dans « Les Français parlent aux Français », il côtoie Jacques Duchesne, Jean Oberlé, Jean Marin et Maurice Schumann. Il est sur tous les fronts, avec l’émission « La Défense élastique » contre la Wehrmacht, et « La Ronde du chanvre » contre les pétainistes. Pierre Dac écrit aussi pour « France », le journal de la France libre,et rédigera plus de 80 éditoriaux et chansons fustigeant Pétain, les collaborateurs et les occupants jusqu’en août 1944. C’est à la fin de ce même mois qu’il rentre à Paris alors en combat pour sa libération.

En janvier 1945, il accepte un poste de correspondant de guerre pour la Radiodiffusion française, poste qu’il exerce jusqu’à la capitulation de l’Allemagne. Le général de Gaulle en personne reconnaitra son activité de résistant et l’artiste sera nommé chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur en 1946.

 

De L’Os libre à Signé Furax

C’est en octobre 1945 que Pierre Dac et Marcel Bleustein-Blanchet lancent L’Os libre, un hebdomadaire humoristique avec dans l’équipe, le jeune humoriste Francis Blanche. Mais l’aventure s’arrête deux ans plus tard faute de succès.Cependant la rencontre entre Pierre Dac et Francis Blanche, qui débuta pourtant par une dispute, finit par porter ses fruits puisque les deux compères créent bientôt l’émission radiophonique « Le Parti d’en rire » sur Paris Inter. Ce couple irrésistible formera ainsi le plus célèbre des duos des années 1950 en se produisant tantôt sur scène, tantôt à la radio.

Pour Europe 1, ils créent « Signé Furax », le feuilleton le plus écouté de l’histoire de la radio, mais c’est malgré tout le cinéma qui aura raison de ce couple si hilarant, Francis Blanche se consacrant de plus en plus aux tournages. Et les deux hommes de mettre un terme à leur collaboration en 1960.

Pierre Dac s’illustrera également dans le roman : en 1952, il écrit « Du côté d’ailleurs », l’histoire d’une fable dans laquelle l’étrange et l’absurde le disputent au comique. Un second roman, « les pédicures de l’âme », verra le jour un an plus tard, sous la forme d’une œuvre complexe plus philosophique que loufoque.

 

Du loufoque au philosophe

En dépit de son vécu de soldat de la guerre 1914-18, et de la disparition de son frère, Pierre Dac fera toujours montre d’optimisme dans son humour. Mais entre 1940 et 1945, sa vision du monde a changé et il renonce à faire rire de la même manière. Loufoque amer, il est désabusé par la lâcheté des compromis face aux horreurs du nazisme et son humour s’assombrit. L’homme choisit alors de se consacrer à la cause anti-raciste et antisémite en publiant une série de billets dans Le Droit de vivre, organe de la future LICRA.

Cependant, on assiste à la reprise de « L’Os à moelle » en 1964-1965, qui témoigne de son mépris de l’opportunisme et de la médiocrité politique et intellectuelle des élites. Sa candidature à l’élection présidentielle de 1965 à la tête du Mouvement ondulatoire unifié (M.O.U) parodie les rites politiques.

Enfin, « Les Pensées » publiées en 1972, en référence à Blaise Pascal, touchent une nouvelle génération et consacrent son regard de philosophe.

 

Pierre Dac aujourd’hui

Pierre Dac nous quitte le 9 février 1975 et ses cendres sont déposées au Cimetière du Père Lachaise. De son vivant la ville de Meulan (78) lui consacre un square et une statue et sa popularité ainsi que son action dans la Résistance lui valent une reconnaissance posthume avec une dizaine de rues portant son nom, notamment à Châlons-en-Champagne (sa ville natale), à Paris et à Nancy.

Sans lui, Coluche, Pierre Desproges, les Guignols et bien d’autres n’auraient probablement pas existé.

Désormais, l’image de Pierre Dac est également présente sur internet.

Reste l’image de cet homme qui se cache derrière l’humoriste : les centaines de photos issues d’archives montrent un homme élégant, soucieux de son apparence. Mais Pierre Dac fut aussi un être introverti, portant de nombreuses blessures qui lui vaudront après 1945 un état dépressif durable et quatre tentatives de suicide à la afin des années 1950.

Solitaire et mélancolique, il était pourtant fidèle en amitié même s’il gardait la plupart du temps ses distances avec les autres chansonniers et comédiens. Il passait ses nuits à écrire des textes qu’il voulait parfaits. Homme très cultivé, il était si boulimique de connaissances qu’il se mettra à l’étude des mathématiques à l’âge de 60 ans. Il vouera à sa seconde épouse, la comédienne et résistante Dinah Gervyl, un amour éperdu et se convertira au catholicisme pour l’épouser religieusement en 1954.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Pierre Dac. Le Parti d’en rire », du 20 avril au 27 août 2023, au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 71 rue du Temple à Paris (3ème).
  • Catalogue de l’exposition « Pierre Dac. Du côté d’ailleurs ». 192 pages, 29€.











 



Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile