Lundi 18 décembre 2023
Quel lieu plus approprié que le château de Versailles (dont nous fêtons cette année le 400ème anniversaire) pour évoquer ces grands décors sculptés, dorés, et surtout peints, dont Noël Coypel fut l’une des figures marquantes au 17ème siècle ? Ces grands ensembles, aujourd’hui méconnus dominent pourtant l’oeuvre de ce grand peintre auquel est consacré l’exposition « Noël Coypel, Peintre de grands décors » actuellement présentée au public, jusqu’au 28 janvier 2024.
Noël Coypel, fondateur d’une dynastie de peintres excella dans plusieurs domaines : plafonds peints, tableaux d’autel, cartons de tapisserie et peintures de chevalet.Remarqué le peintre Charles Errard, alors en charge des peintures des appartements royaux, il fit bientôt du grand décor sa spécialité, d’abord au parlement de Bretagne, puis dans les demeures royales avant d’exercer son talent aux Invalides sur la fin de sa vie.
Aujourd’hui, certains de ces ensembles ont malheureusement disparu (comme ceux du Louvre, de Fontainebleau, du Palais Royal et du premier Versailles) mais il reste tout de même de cet immense artiste quelques tableaux présentés dans cette exposition.
Le célèbre peintre, dont la carrière fut menée sous les ors du pouvoir, gravit brillamment les échelons de la carrière académique : d’abord reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663, il est nommé professeur l’année suivante, puis dirige l’Académie de France à Rome de 1672 à 1676, avant de prendre la tête de l’académie parisienne en 1695.
Cette première exposition qui lui est consacrée permet d’admirer 90 de ses œuvres (peintures, dessins, cartons de tapisserie...) au sein du Grand Trianon et du château de Versailles (salle des gardes de la Reine) sous un décor qu’il a lui-même réalisé.
Quel homme talentueux que ce Noël Coypel, et pourtant, cet artiste qui aura été l’un des peintres les plus éminents du Grand Siècle, s’est éclipsé sans bruit, faisant place à sa descendance. On regrettera toutefois que son génie se soit perdu avec les grands décors qui firent son originalité. Né le 25 décembre 1628 à Paris, alors que le château de Versailles n’en était qu’à ses balbutiements, ce grand peintre traversera discrètement le siècle qui en assura la renommée.
De la rencontre entre le peintre Charles Errard et Noël Coypel naitra une fructueuse collaboration, qui, dès lors, permettra au jeune artiste d’exprimer son génie : réalisation de plusieurs décors au Louvre en 1655, réalisation du plafond de la Grand’Chambre du parlement de Bretagne à Rennes en 1656, peinture du may des orfèvres pour la cathédrale Notre-Dame de Paris « saint-Jacques conduit au supplice, guérit un paralytique et pardonne à son accusateur » en 1661.
Dans les années 1660, Noël Coypel se rapprochera de Charles Lebrun, nommé Premier Peintre du Roi en 1664, et de Jean-Baptiste Colbert,directeur des Bâtiments du Roi. Et le peintre d’exercer à nouveau son talent : premiers décors pour Versailles dans les petits appartements du Roi et de la Reine à partir de 1662, puis Grand cabinet du Roi au Palais-Royal et appartement de la reine mère à Fontainebleau.
D’autres commandes royales affluèrent dont la réalisation de décors dans l’appartement de commodité du Roi aux Tuileries peint à partir de 1667, puis le décor des salons de Jupiter et de Saturne du Grand Appartement du Roi à Versailles.
Avec sa nomination à l’Académie de France à Rome, son style évolua au fur et à mesure de ses découvertes comme celle de l’école bolonaise, et de Nicolas Poussin, grand nom de la peinture française décédé à Rome en 1665. C’est dans la Ville éternelle que Coypel peindra quatre épisodes de l’histoire de la Rome antique destinés à orner les voussures du salon de Jupiter à Versailles.
De retour en France en 1676, le peintre poursuit ses activités sur le chantier de Versailles tout en enseignant à l’Académie Royale. Successeur de Colbert en tant que directeur des Bâtiments du Roi, Louvois invite Coypel à participer en 1688 à la réalisation du décor du Trianon de Marbre, à travers deux séries de tableaux, l’une consacrée à Apollon, et l’autre à Hercule, puis deux séries de tapisseries dont il avait créé les cartons représentant Apollon, les Quatre Saisons et les Mois arabesques.
A la fin de sa carrière, Noël Coypel se concentrera sur la peinture religieuse. Son dernier grand chantier sera la réalisation du cul-de-four de l’église du Dôme des Invalides, entre 1702 et 1704, avec « La sainte Trinité dans la gloire et l’assomption de la Vierge ». Le ciel ne permettra pas à l’artiste d’atteindre les 80 ans puisque Noël Coypel décédera le 24 décembre 1707.
Le parcours de l’exposition est divisé en plusieurs étapes :
Coypel et son entourage
L’homme débuta son apprentissage vers 1642 chez le peintre orléanais Pierre Poncet, puis chez Noël Quillerier. C’est ce dernier qui l’introduira dans le monde des artistes parisiens. Viendra cette rencontre avec Charles Errard, peintre en vue à cette époque, avec lequel il collaborera à la réalisation du décor de l’opéra Orfeo de Luigi Rossi.
Noël Coypel sera coopté par Charles Errard et enrichira ainsi encore plus son réseau.
En épousant Madeleine Hérault (elle-même portraitiste, et issue d’un influent clan de peintres, de graveurs et de marchands parisiens) en 1659, notre homme ne pouvait pas être mieux entouré.
C’est à ce moment-là que son ascension débuta en tant que peintre du roi. Une ascension qui pourrait s’expliquer soit par les commandes royales reçues, lesquelles avaient pu renforcer son statut, soit par les liens étroits entretenus avec Charles Errard.
Les années de la surintendance de Colbert (1664-1683) qui estimait Noël Coypel, furent une période faste pour le peintre. Il reçut alors les commandes les plus prestigieuses de sa carrière (Palais-Royal, Tuileries, Versailles et autres œuvres religieuses destinées au domaine royal). Autre privilège : l’attribution, en 1673, d’un logement au Louvre, faveur très enviée par de nombreux artistes.
En 1672, sa nomination à la tête de l’Académie de France à Rome (institution créée par Colbert en 1666), en remplacement de Charles Errard, ne se fera pas sans heurts entre les deux hommes, ce dernier en voulant peut être à Coypel de s’être rapproché de Charles Lebrun. Une fois à Rome, Colbert demanda à Coypel d’étoffer d’antiques les collections royales pour Versailles et d’oeuvrer au développement de la présence artistique française en se liant sur place avec des personnalités tant françaises qu’italiennes. Le peintre n’oublia pas non plus de travailler à sa propre carrière en peignant les quatre voussures du salon de Jupiter à Versailles entre 1673 et 1675.
De retour en France en 1676, Noël Coypel travaillera aux salons de Saturne et de Jupiter sans doute avec son fils Antoine, qu’il eut de sa première épouse Madeleine, laquelle décédera en 1682. Un décès qui, ajouté à celui de Colbert, son protecteur, l’année suivante, mettra un terme à cette période faste de sa carrière.
Le peintre épousera bientôt Anne Perrin, qui lui donnera quatorze enfants (dont Noël Nicolas qui deviendra peintre comme son père!).
Louvois, le successeur de Colbert maintiendra les grandes commandes notamment pour la manufacture des Gobelins dès 1685 et pour Trianon à partir de 1688.
La vie lui sourit à nouveau avec, en 1689, sa nomination en tant qu’adjoint au recteur de l’Académie, puis en tant que recteur un an plus tard.
L’ultime consécration arrivera toutefois sous la surintendance de Colbert de Villacerf, avec sa nomination en tant que directeur de l’institution en 1695, à la suite de Pierre Mignard.
L’arrivée à la tête de la surintendance de Jules Hardouin-Mansart, protecteur de Charles de La Fosse écartera le peintre pour le remplacer par son protégé en tant que directeur de l’Académie. Les raisons de cette éviction restent obscures mais cet événement n’empêchera pas Noël Coypel de participer à la grande commande des Invalides, la dernière de sa carrière.
La Grand’Chambre du parlement de Bretagne à Rennes
Un petit rappel historique s’impose : en 1532, l’édit de l’Union signa le rattachement du duché de Bretagne à la couronne de France, et Henri II créa la cour souveraine du parlement de Bretagne en 1554, dont les sessions se déroulaient tantôt à Rennes, tantôt à Nantes. Il faudra attendre 1561 pour que Rennes soit choisie comme unique capitale de la province. Et l’idée de bâtir un édifice digne de l’assemblée de Bretagne de faire son chemin trois ans plus tard. Les troubles politiques du royaume de France survenus à la fin du 16ème siècle et les difficultés financières retarderont la livraison de ce projet qui ne sera terminé qu’en...1655.
C’est à cette date que commencera la mise en oeuvre du décor de ce nouveau parlement, sous l’autorité de Charles Errard, alors maître d’oeuvre du chantier.
L’éclatant plafond de la Grand’Chambre présente en son centre un caisson octogonal orné des allégories peintes de la Justice entourée de la Tempérance et de la Force. Dans le sens de la longueur et de la largeur, le caisson central est entouré d’ovales qui représentent la Félicité publique, la Sincérité et les armes sculptées de la France et de la Bretagne. Enfin, à chaque extrémité du plafond, quatre tondi évoquant les vertus de la Justice et du bon gouvernement sont séparés par des compartiments aux bords chantournés représentant La Bretagne et la Justice divine et La France et la Justice temporelle.
On se pose aujourd’hui la question de la répartition des taches entre Charles Errard et Noëll Coypel. On pense qu’Errard donna idées et croquis à son jeune acolyte, lequel finalisa ces projets et les exécuta « en grand », c’est-à-dire en peinture.
La Grand'Chambre du parlement de Bretagne à Rennes, qui fut miraculeusement épargnée par l'incendie de 1994, demeure aujourd'hui le plus important témoignage d'un décor civil du règne de Louis XIV. Et l'un des éléments clefs de la postérité de Coypel et de sa redécouverte au 20ème siècle.
Le petit appartement du Roi aux Tuileries
On doit la construction du palais des Tuileries à Catherine de Médicis, même si celle-ci n’en fera édifier que l’aile occidentale. Plus tard, en 1610, ce palais sera relié au Louvre par la Grande Galerie voulue par Henri IV. De nouveau délaissé, le palais subira des travaux sur ordre de Louis XIV qui était désireux de s’y installer. L’endroit sera totalement détruit par un incendie lors de la Commune de 1871.
Noël Coypel interviendra en 1661-1662 aux côtés d’Errard pour décorer le nouveau théâtre, qui passait alors pour être le plus grand d’Europe. On l’appelait alors la « Salle du Peuple» ou « Salle des Machines » en raison de son exceptionnelle machinerie créée par Gaspare Vigarani. L’artiste réalisera le décor peint du plafond qui comprenait une figure centrale représentant le roi sous les traits de Jupiter à l’intérieur d’un ovale autour duquel étaient disposées quatorze peintures circulaires.
Le peintre collaborera ensuite avec Le Brun pour les décors des appartements royaux en 1667-1668: les aménagements comprenaient six ensembles, un grand et un petit appartements dévolus au roi, l’appartement du dauphin et celui de la reine. Les figures d’Apollon et d’Hercule étaient dominantes dans le décor afin d’évoquer le rayonnement et la force du souverain. A Charles Le Brun la conception et la direction des travaux tandis que Coypel peignit le petit appartement du roi, qui se composait d’une antichambre, d’une chambre, d’un cabinet et d’un oratoire.
Les dessins d’académie
Successivement peintre du roi, professeur, recteur puis directeur de l’Académie de peinture et de sculpture, Noël Coypel incarne l’artiste accompli par excellence. L’Académie fonda en grande partie sa légitimité sur l’activité pédagogique et intellectuelle du peintre, à travers un enseignement pratique et théorique, avec des conférences, puis des classes de modèle vivant. Le professeur était tenu de dessiner lui aussi le modèle pour montrer l’exemple. Douze dessins ont donc été réalisés par Noël Coypel, sous la forme de feuilles simples (un seul personnage) mais historiées.
L’objectif de ces exercices était de former des peintres d’histoire.
Décors non réalisés ou disparus
Nous le savons, il reste aujourd’hui très peu d’oeuvres de Noël Coypel car beaucoup ont disparu au fil du temps, même à Versailles. Ainsi dans le premier Versailles de Louis XIV, le peintre s’était-il illustré dans la réalisation des décors des petits appartements des souverains.
A partir de 1671, le plan d’agrandissement de l’architecte du roi, Louis Le Vau, aboutit à la construction de deux grands appartements symétriques (un pour le roi et un pour la reine), chacun d’entre eux possédant sept pièces réparties en antichambres, chambres et cabinets.
En 1670, Noël Coypel se verra confier par Jean-Baptiste Colbert la réalisation des plafonds de deux salons consacrés l'un à Saturne, que le roi utilisait comme petite chambre, et l'autre à Jupiter, où il tenait son conseil. Ils seront supprimés à partir de 1678 en raison de la construction de la Grande Galerie. Le décor du salon de Saturne, lui, ne fut jamais exécuté, mais sa mémoire perdure notamment grâce à un modello – c'est-à-dire une peinture de plus petit format préparant l'œuvre finale – conservé à Versailles et à un dessin du musée des Beaux-Arts de Rouen.
Les tableaux de Trianon
Louis XIV, qui désirait édifier un palais de plaisance à l’écart du tumulte de la vie de cour du château, commanda Trianon. Pour ce chantier, Coypel peindra onze tableaux formant deux suites: l’une consacrée à l’histoire d’Apollon pour l’aile nord de Trianon, et l’autre, à celle d’Hercule pour l’aile de Trianon-sous-Bois.
Quant au décor intérieur réalisé par le peintre pour Le Trianon de Marbre, il reflète une nature omniprésente et idéalisée ainsi que des épisodes plus plaisants de l’histoire d’Apollon et d’Hercule.
Les décors du château de Meudon
Ce château, dont la majeure partie a aujourd’hui complètement disparu bénéficiera aussi du talent de Noël Coypel, lequel verra quatre de ses tableaux exposés dans la Galerie du Château Neuf.
Le Dôme royal des Invalides
Dernier grand chantier de Noël Coypel, ce décor fut exécuté entre 1702 et 1706, alors que le peintre était âgé de plus de 70 ans. Le choix des peintres oeuvrant au décor de cet édifice fut compliqué et des rivalités entre peintres et directeurs des Bâtiments du roi n’arrangèrent rien. Plusieurs projets seront proposés par Noël Coypel et son fils Antoine, mais, au final, si le père se vit confier le décor du sanctuaire, le fils fut écarté de ce chantier des Invalides (lequel savourera cependant sa revanche quelques années plus tard après l’obtention de la plus importante commande de sa carrière avec la voûte de la chapelle royale du château de Versailles)
Le parcours de l’exposition aborde également les cartons de tapisserie, des modèles sur lesquels se basaient autrefois les lissiers pour tisser. A l’origine, c’est sous le règne d’Henri IV que se développèrent véritablement les tapissiers. Soucieux de rassembler ces tapissiers, Jean-Baptiste Colbert donnera naissance à la Manufacture des Gobelins en 1662, tandis que Charles Le Brun proposera l’essentiel des carton aux lissiers.
Mais bientôt, d’autres peintres seront sollicités afin de créer de nouveaux cartons. Coypel fera partie des heureux élus puisqu’à partir de 1684, il sera chargé par la manufacture de préparer les cartons peints de la tenture des « Arabesques de Raphaël ».
Pour achever cette visite, attardons-nous quelques instants sur la salle des gardes de la Reine : on trouve dans celle-ci le décor qui a posé le plus de difficultés au château de Versailles, depuis sa conception jusqu’aux dommages occasionnés par l’effondrement de l’octogone central du plafond en 1942. Les quatre voussures, peintes à Rome par Noël Coypel, furent exposées avec succès au Panthéon de Rome, avant d’être envoyées à Paris. Puis, changement de programme : Les salons de Jupiter et de Saturne disparurent avec le projet de construction de la Galerie des Glaces, salons pour le décor desquels le peintre avait été sollicité. Finalement, les quatre voussures et l’octogone central destinés au salon de Jupiter orneront la salle des gardes de la Reine vers 1679-1680.
INFOS PRATIQUES
- Exposition «Noël Coypel (1628-1707), Peintre de grands décors », jusqu’au 28 janvier 2024, au Grand Trianon et à la Salle des Gardes de la Reine (Château de Versailles).
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Catalogue des expositions du Château de Versailles et du musée des beaux-Arts de Rennes, « Noël Coypel, peintre du roi ». 352 pages. 39,90€
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Livret-jeu gratuit (pour les enfants de 8 à 12 ans) téléchargeable sur www.chateauversailles.fr