Lundi 25 mars 2024
Si vous passez par Pékin (Chine) entre le 1er avril et le 30 juin 2024, rendez-vous au Musée du Palais situé à la Cité Interdite, pour y découvrir l’exposition « La Cité Interdite et le Château de Versailles, les échanges entre la Chine et la France aux XVIIème et XVIIIème siècles ».
Cet événement a lieu à l’occasion du 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatique entre notre pays et la Chine par le général de Gaulle, le 27 janvier 1964, et dans le cadre de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel. Il offre aux visiteurs d’admirer près de 150 œuvres provenant principalement des collections des deux musées et de porter un nouveau regard sur une histoire méconnue mêlant science, diplomatie, échanges commerciaux, goût d’une époque, savoir-faire et création artistique.
Cette exposition illustre la politique diplomatique que le roi Louis XIV amorcera en direction de l’empereur Kangxi, tout particulièrement à travers l’envoi en Chine et en 1685 de pères jésuites français qui se rendirent à la cour de Pékin en tant que mathématiciens du roi.
Une initiative heureuse qui permettra aux deux pays de nouer des relations de confiance et d’estime réciproques, souvent méconnues, qui dureront jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Une situation diplomatique fructueuse et un intérêt mutuel qui contribueront à la naissance en France de la sinologie moderne.
Le mythe chinois en Europe ne date pas du XVIIIème siècle mais remonte à l’époque romaine : la fascination pour l’empire du Milieu et ses productions artistiques s’était alors manifestée sous des fortunes diverses devenant un véritable mythe à la fin du Moyen-Âge, soutenu par les récits des rares voyageurs qui s’y étaient aventurés, à l’exemple de Marco Polo qui parvint en Chine au XIIIème siècle à la cour de Qubilaï Khan. A la fin du Moyen-Âge, ce mythe prit encore plus d’importance lorsque la dynastie des Ming décida de fermer l’accès de l’Empire aux étrangers.
Les jésuites européens rapporteront leur part de récit à l’instar du célèbre père italien Matteo Ricci, arrivé en Chine en 1583 et qui s’était introduit à la cour de Pékin, au tout début du XVIIème siècle grâce à ses connaissances en mathématiques et en astronomie. Une première incursion qui allait dès lors conforter une implantation durable des jésuites jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Le père Ricci arriva au bon moment, à la fin du XVIème siècle , à une époque où l’astronomie chinoise, pourtant l’une des plus avancées au monde trois cents ans plus tôt commençait à péricliter. Et c’est à la faveur d’une rectification d’une prédiction erronée d’éclipse solaire que les jésuites ravirent en 1629 aux astronomes musulmans le titre de président du Bureau d’astronomie. Un statut qui impliquait une grande proximité avec l’Empereur et la participation aux grandes cérémonies.
Les pères jésuites brillaient aussi en géographie intérieure chinoise : Matteo Ricci avait déterminé la latitude de Pékin, et avec certitude, la continuité des terres entre l’Inde et la Chine.
A la mort du père Ricci, deux jésuites, Adam Schall et Ferdinand Verbiest présideront le Bureau impérial d’astronomie, à la demande de l’empereur Shunzhi, père du futur Kangxi.
Une relation durable et fructueuse s’instaura entre Louis XIV et Kangxi donnant naissance à une période de découvertes mutuelles et enrichissantes inaugurant plus d’un siècle de relations entre les deux pays.
C’est en effet en 1688 que Louis XIV amorce une politique diplomatique et scientifique en direction de l’Empire du Milieu, en finançant personnellement une expédition de six religieux français en tant que mathématiciens du roi. Cinq d’entre eux parviendront à gagner la confiance de l’empereur Kangxi grâce à leurs connaissances mathématiques, médicales et astronomiques.
En retour, les jésuites informaient Louis XIV de tout ce qu’ils découvraient en Chine avant de publier des ouvrages se faisant l’écho des découvertes rapportées : « Les Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine » (par le père Le Comte, en 1696), « Lettres édifiantes et curieuses » (à partir de 1702) ou «Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise (du père Du Halde, en 1735).
Quant à la relation entre la France et la Chine, elle perdurera après la disparition de Louis XIV grâce à Louis XV et Louis XVI, et ce, jusqu’à la Révolution française.
La Chine est alors un goût qui se diffuse, notamment à la cour de France où l’attrait pour ce pays et pour l’art chinois se manifestait de diverses manières à travers quatre phénomènes principaux :
- L’importation d’objets d’art chinois : porcelaines, papiers peints, laques, étoffes et soieries sont extrêmement prisés à la cour de France au XVIIIème siècle. Ce fort engouement pour « lachine » ou le « lachinage » se concrétise entre autres par l’importation par la Compagnie française des Indes orientales de nombreuses œuvres d’art chinoises et japonaises (à l’époque, les Européens confondaient souvent les deux) par la suite commercialisées à Paris par les marchands-merciers.
- La transformation de certaines œuvres d’importation, notamment par l’adjonction de montures en bronze doré sur les porcelaines ou l’utilisation des panneaux de laque sur des pièces de mobilier français. Il arrivait aussi que les marchands-merciers transforment des œuvres chinoises, à l’instar de la Fontaine à parfum (en photo ci-dessous) datant de l’époque Qianlong. Ce vase balustre en porcelaine craquelée, qui repose sur une élégante terrasse en bronze doré, se transforme ainsi en fontaine à parfum après adjonction de bronzes évoquant ici la thématique de l’eau. La pratique est courante au milieu du XVIIIème siècle, où l’on associe aux porcelaines d’Extrême-Orient de luxueuses montures fondues à Paris par des artisans trop heureux de montrer leur savoir-faire. Cette fontaine à parfum reste à ce jour la seule pièce de porcelaine de Chine ayant appartenu de manière certaine au roi Louis XV.
- L’imitation des produits de la Chine, avec, pour exemple, la recherche frénétique du secret de fabrication de la porcelaine kaolinique. Le visiteur pourra admirer plusieurs pièces comme cette jatte à punch qui était, en 1753, une pièce nouvelle dans la porcelaine française, œuvre réalisée à la manufacture de Vincennes. Ou encore une paire de vases « jardin » à décor chinois, réalisée pour Louis XVI par la manufacture royale de porcelaines de Sèvres.
- L’influence très vive de l’art chinois sur l’art français, tout particulièrement dans le domaine des arts décoratifs. »Le Cabinet des Chinois » en offre un exemple : le premier du genre fut installé en 1747 dans les cabinets intérieurs de la Reine Marie Leszczynska, bientôt remplacé par un second, plus spectaculaire,en 1761.
Autre reine et autre œuvre avec toujours ce même intérêt porté par la cour de France à l’art chinois. Lorsque Marie-Antoinette prit possession du domaine de Trianon, en 1774, elle exprimera très vite le désir de voir planter un jardin anglo-chinois au nord-est du château, type de jardin à la mode au début des années 1770.
Cette exposition se veut en effet être le reflet de l’inépuisable source d’inspiration que constitua l’art chinois pour les artistes et les intellectuels français, dans des domaines aussi variés que ceux de la peinture, des objets d’art, du décor intérieur, de l’architecture, de l’art des jardins, de la littérature,de la musique ou des sciences.
Et les œuvres réunies à Pékin de témoigner plus largement de la véritable fascination ressentie par la cour de Versailles mais également par les amateurs d’art français pour toutes les productions chinoises.
En sens inverse, l’évènement est l’occasion de mettre en avant le grand intérêt des empereurs chinois des XVIIème et XVIIIème siècles pour les connaissances scientifiques et les savoir-faire français.
Comme je l’ai suggéré plus haut, les empereurs chinois étaient eux aussi admiratifs des connaissances scientifiques des jésuites, et des savoir-faire techniques des artisans français.
Cadeaux diplomatiques, instruments scientifiques, portraits des empereurs de Chine vêtus à la mode française et objets d’art mettant en œuvre les procédés les plus innovants des artistes et des manufactures françaises. Cette dernière partie de l’exposition met également en exergue la figure de Henri Léonard Bertin, ministre sous les règnes de Louis XV et Louis XVI. Sinologue et collectionneur, l’homme fut l’un des principaux acteurs de la relation diplomatique, commerciale et culturelle entre les deux royaumes.
La promenade à la Cité Interdite à laquelle le public est convié est un ravissement : on peut apercevoir une superbe montre de poche (ci-dessous) avec portrait de personnage à ouverture lumineuse et boitier en cuivre plaqué or. Cette montre est très probablement un cadeau de Louis XIV à l’empereur Kangxi, ce qui constitue une preuve supplémentaire des contacts existant entre les deux souverains.
Le musée du Palais de Pékin abrite également un portrait de Hiowan Yei, futur Empereur Kangxi (ci-dessous): L’Empereur Kangxi accédera au trône à l’âge de 8 ans et sera le second empereur après l’entrée de l’armée Qing dans les limites de la Grande Muraille. Pendant les 61 ans que durera son règne, l’empereur Kangxi poursuivra l’unification de son pays à travers des campagnes militaires, tout en conduisant une politique visant à réduire les disparités entre les classes, et en développant la production sociale pour rendre l’économie plus prospère.
Ce portrait montre l’image du jeune empereur portant une couronne d’été et une robe ordinaire, assis à une table et prêt à écrire avec un pinceau. Il affiche un visage serein,le regard pensant et tourné vers l’avant, tel un érudit. Depuis son enfance, l’empereur Kangxi est désireux d’apprendre. Après son accession au trône, il promouvra la culture traditionnelle des Han, et prendra soin de s’entourer de personnes de qualité, dont des pères jésuites qui lui permettront d’approfondir ses connaissances scientifiques, mais aussi l’astronomie, la géographie, la religion, et la philosophie.
Le visiteur croise aussi le regard de Yin Zhen, successeur de Kangxi. Son portrait offre l’image d’un homme portant une perruque à la française et des vêtements européens, et son visage apparaît comme vivant et réaliste.
Au cours de cette visite, on croise aussi le portrait de Henri Léonard Bertin, ami de Louis XV et de Madame de Pompadour. Cet homme appartenait au milieu des physiocrates, et était passionné par la Chine.Très intéressé par le porcelaine chinoise, il multipliera ses efforts afin d’encourager l’introduction à Sèvres d’une production de porcelaine dure à la manière chinoise et à base de kaolin. Sa riche correspondance montre l’importance que Bertin accordait aux relations avec la Chine, et de mieux connaître les ressources et les savoir-faire chinois dans de nombreux domaines pour contribuer au progrès de l’économie et des connaissances scientifiques françaises.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition «La Cité Interdite et le Château de Versailles, les échanges entre la Chine et la France aux XVIIè et XVIIIè siècles », du 1er avril au 30 juin 2024, au Musée du Palais de la Cité Interdite, à Pékin (Chine).