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Exposition "Sacrilège! L'Etat, les religions et le sacré"
(Archives nationales, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 29 avril 2024

 

Jusqu’au 1er juillet 2024, les Archives nationales invitent le public à découvrir l’exposition « Sacrilège, l’Etat, les religions et le sacré » qui pose les questions suivantes : Pourquoi les rois de France poursuivaient-ils le blasphème au même titre que le crime de lèse-majesté ? Comment l’Etat, qu’il soit monarchique ou républicain, compose t-il avec le pouvoir religieux ? Même laïc, un Etat peut-il se passer de toute forme de sacré ?

 

L’Hôtel de Soubise, qui abrite l’actuelle exposition offre une certaine solennité. Le thème est abordé et illustré par une centaine d’oeuvres et de documents d’archives inédits destinés à expliquer l’histoire du sacrilège. On raconte également l’histoire des rapports que le pouvoir entretient avec les religions, et les visiteurs sont conviés à plonger dans la lente montée en puissance (dès le 12ème siècle), puis le déclin d’une « religion royale » fortement secouée par la Réforme protestante et les guerres de Religion (entre 1562 et 1598), pour finalement finir éradiquée par la révolution française, mais à laquelle l’Etat a longtemps cherché un substitut alors que la République assiste actuellement à un important et récent retour du fait religieux. L’occasion pour l’exposition de bousculer les frontières entre le spirituel et le temporel, le religieux et le laïc, le sacré et le profane.

D’emblée, des points de repère sont suggérés au public car cette histoire est longue et débute au 1er siècle avant J.C, avec la Lex Julia de majestate, une loi attribuée à César ou à Auguste, qui assimile la lèse-majesté au sacrilège. Dès lors, les évènements s’égrènent au fil du temps :

 

- 325 : Premier concile de Nicée, lors duquel les thèses d’Arius (arianisme) sont condamnées car jugées hérétiques, et naissance de la profession de foi catholique (Credo)

 

- 1182 : Une ordonnance de Philippe Auguste réprime le blasphème.

 

- 1199 : à travers la bulle Vergentis in senium du pape Innocent III, l’hérésie est assimilée au crime de lèse-majesté divine.

 

- 1226 à 1270 : Règne de Louis IX

 

- 1285 à 1314 : Règne de Philippe le Bel (avec la canonisation de saint Louis en 1297, l’élection du pape Clément V, alors basé à Avignon, en 1305, le procès des Templiers de 1307 à 1314( sujet déjà traité sur ce site : https://www.leglobeflyer.com/reportage-2-1581-exposition-le-procs-des-templiers-1307-le-rouleau-dinterrogatoire-archives-nationales-paris-france.html) et le procès de Guichard, évêque de Troyes de 1308 à 1311).

 

- 1517 marque la publication des thèses de Martin Luther, dont la diffusion est facilitée par l’imprimerie, mais aussi au début des réformes protestantes.

 

- 1534 : Affaire des Placards et début de la répression judiciaire royale contre les protestants.

 

- 1562 à 1598 : Guerres de religion (avec, le 24 août 1572, le Massacre de la Saint-Barthélémy à Paris, l’assassinat d’Henri III par le moine dominicain Jacques Clément le 2 août 1589, et l’Edit de Nantes en 1598 qui autorise tout en l’encadrant l’exercice du culte réformé.

 

- 5 janvier 1757 : attentat de Damiens contre Louis XV.

 

- 1er juillet 1766 : Exécution du chevalier de la Barre pour sacrilège.

 

- 1791 : Premier Code pénal et suppression du crime de blasphème

 

- Année 1793 : le 21 janvier, exécution de Louis XVI. En octobre, exhumation des rois de France enterrés à l’abbaye de Saint-Denis.

 

- 8 juin 1794 : Fête de l’Être suprême

 

- 29 juillet 1881 : Loi sur la liberté de la presse dont l’article 26 institue le délit d’offense au président de la République.

 

- 1905, loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

 

- 1er juillet 1972 : Loi Pleven relative à la lutte contre le racisme.

 

- 7 janvier 2015 : Attentat islamiste contre la revue satirique Charlie Hebdo

 

- 16 octobre 2020 : Assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie.

 

Comme dans la citation de Nicolas Boileau (« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement »), une définition est donnée sur place pour les termes de sacrilège, blasphème, lèse-majesté et hérésie.

 

Le parcours de l’exposition débute par une première partie constituée d’une analyse historique et sociologique de la notion de sacrilège, un mot dont le sens varie selon la place que chaque société attribue au sacré.

 

Dans la Grèce antique, sacrilège et blasphème sont perçus avant tout comme des crimes contre la cohésion de la communauté des citoyens. Ainsi Socrate sera t-il condamné en 399 avant J.C à boire la cigüe pour ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité.

La loi juive se contente quant à elle de limiter ce crime à sa dimension religieuse. Le sacrilège prend d’abord la forme d’un affront verbal. Quant au blasphème, il consiste alors à prononcer le nom de Dieu pour le maudire.

Le Christianisme des premiers siècles ne donne pour sa part que des définitions assez floues du blasphème et du sacrilège. Dès le 13ème siècle, les rois de France intensifient la répression contre ceux qui blasphèment. Lutter contre le sacrilège, c’est se souvenir que le roi tient son pouvoir de Dieu, et offenser Dieu revient à offenser le roi, et offenser le monarque c’est rejeter l’ordre politique voulu par Dieu. Et l’on glisse soudainement de l’offense faite à Dieu à la lèse-majesté royale, et du spirituel au temporel.

 

Jusqu’au XVIème siècle, il faut distinguer les affaires de nature politique d’une part et le tout-venant des jurons, parjures de serments prêtés au nom de Dieu d’autre part. Or, l’arrivée du protestantisme va changer la donne : le blasphème ordinaire peut devenir hérétique, remettant en cause le dogme catholique et le pouvoir royal. Après Martin Luther, ce sont les thèses de Jean Calvin qui s’imposent en France et en seulement une génération d’élites bourgeoises et nobiliaires. En 1534, des placards (affiches anticatholiques) sont collés dans plusieurs villes et même sur la porte de la chambre du roi. Face à une répression royale qui manque de dissuasion, les guerres de religions éclatent en 1562 et ensanglante le royaume. Le fragile Edit de Nantes, instauré en 1598, reconnaît au culte réformé le droit d’exister et de pratiquer sous certaines conditions jusqu’à ce que Louis XIII et Richelieu annulent en 1629 les concessions politiques et militaires accordées aux Protestants. Au final, l’Edit de Nantes est révoqué par Louis XIV en 1685.

 

La seconde partie de l’exposition tente de montrer comment le pouvoir fabrique du sacré pour se perpétuer et légitimer son action. Le sacrilège devient alors principalement un crime politique.

Dès le 14ème siècle, les rois de France ont gagné la bataille du sacré. Et toute contestation du pouvoir royal est alors considérée comme sacrilège. Pourtant, et dès le Moyen-Âge, des voix s’élèvent pour affirmer que le roi tient son pouvoir du peuple tandis que Nicolas Oresme, théologien et philosophe, souligne les obligations du roi à l’égard de son peuple. La Réforme protestante viendra par la suite remettre en cause l’absolutisme français de façon radicale. Viendront bientôt, et pour la première fois, l’assassinat de deux rois de France : Henri III (en 1589) et Henri IV (en 1610). Au 17ème siècle, la réaffirmation de l’autorité royale n’empêchera pas l’irrémédiable montée en puissance du rationalisme et de l’athéisme. La Révolution française, elle, remplacera la religion royale par l’exaltation de la Nation et de la Constitution, puis par le culte de la Raison (Hébert) ou de l’Être suprême (Robespierre).

C’est que la Révolution, anticléricale et même résolument antichrétienne, a besoin de bâtir un nouveau sacré pour légitimer l’autorité du peuple souverain. On détruit alors les symboles de l’ancienne monarchie, on déterre et l’on profane les dépouilles des rois de France à Saint-Denis, quelques mois après l’assassinat de Louis XVI. Et curieusement, on poursuit ceux qui se rendent coupables de « lèse-nation » ou qui blasphèment la Constitution alors que le Code pénal de 1791 avait pourtant aboli les crimes de sacrilège ou de blasphème. Un martyrologe est créé et la religion royale est remplacée par d’autres religions civiques plus ou moins convaincantes. Le 8 juin 1794, la fête de l’Être suprême fédère les foules sur le Champ-de-Mars, à Paris.

 

Dans une troisième partie, l’exposition s’intéresse aux relations que l’Etat entretient avec les religions.

C’est ici la recherche d’un équilibre qui domine : la Révolution française fait de la France l’un des premiers pays à autoriser la critique publique des religions. Après les terribles années 1790, Bonaparte et le pape PieVII signent en 1801 le Concordat reconnaissant le catholicisme comme « la religion de la grande majorité des citoyens français ».

L’Etat subventionne alors l’Eglise et rémunère le clergé tout en le contrôlant. Mais en 1819, le délit d’outrage à la morale publique et religieuse rétablit de fait le blasphème. Les progrès de l’athéisme, du rationalisme, du libéralisme et du socialisme effraient l’Eglise qui les condamne en 1864 à travers le Syllabus du pape Pie IX.

Il faudra attendre 1881 sur la liberté de la presse pour voir définitivement aboli ce délit d’outrage à la morale publique et religieuse.

En 1972, la loi Pleven relative à la lutte contre le racisme instaurera un nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, commise envers des individus « en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Les associations étant autorisées à poursuivre en justice des propos haineux, cette loi permettra à certains groupes de pression de tenter de réintroduire le délit de blasphème.

 

 

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition « Sacrilège ! L’Etat, les religion et le sacré » jusqu’au 1er juillet 2024, aux Archives nationales, Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois, à Paris (3ème).

  • Catalogue de l’exposition, aux éditions Gallimard, 35€, 192 pages.









 



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