Lundi 3 juin 2024
Au Musée Hébert de La Tronche (38), on aime le chic : des frous-frous du 19ème siècle à la fast-fashion du 21ème siècle, il n’y a qu’un pas que ce musée franchit pour inviter le public à s’émerveiller mais aussi à s’interroger sur la mode à travers deux expositions. La première, «Chic ! Vêtements et élégance (1800-1900) », jusqu’au 22 juillet prochain et la deuxième, « Denis Rouvre. Photographies » jusqu’au 23 septembre 2024.
Conçu à l’origine pour protéger l’homme des intempéries, le vêtement va se transformer au fil des siècles. D’abord utilitaire, il va devenir décoratif et attrayant, le renvoyant ainsi à la notion d’une mode supposée répondre aux goûts d’une époque, d’une région ou d’une classe sociale. L’habit est aussi un symbole (d’autorité, de pouvoir, d’un métier ou d’une condition).
Dans ce 19ème siècle en voie d’ industrialisation, la mode traduit les transformations de la société et l’exposition «Chic ! Vêtements & élégance. 1800-1900 » offre de découvrir un parcours haut en couleur dans l’histoire du goût et des codes vestimentaires de la bourgeoisie. Une plongée au temps des corsets et des crinolines à l’époque d’Ernest et de Gabrielle Hébert et une mode qui n’est plus réservée aux milieux fortunés, et devient accessible à cette bourgeoisie qui reflète une société en pleine mutation qui s’enrichit, et qui voit apparaître ses premiers grands magasins, la haute couture et une mode foisonnante et évolutive.
L’exposition, qui est inédite par sa forme est consacrée à la mode au 19ème siècle, occupe tous les espaces du musée : la maison d’Ernest et Gabrielle Hébert, mais également les salles dédiées à la formation et à la carrière du peintre.
Ingénieux, le parcours de la visite est enrichi de douze entrées thématiques dévoilées au gré des salles. Pa exemple, il a été décidé d’évoquer la mode masculine dans la chambre d’Ernest Hébert, et les robes à crinoline du Second Empire dans le salon de la princesse Mathilde Bonaparte, amie intime du peintre. Déambuler ainsi offre aux visiteurs un tour d’horizon idéal des codes vestimentaires et de la mode au 19ème siècle.
Toute notre gratitude doit aller à Nathalie Harran, collectionneuse de costumes anciens. Pas moins de 15 pièces textiles avec leurs accessoires illustrent à la fois la diversité et l’évolution de la mode durant cette période. Ces pièces sont donc présentées en regard de peintures elles-mêmes empruntées auprès de collectionneurs privés et d’institutions publiques.
Cet événement est aussi l’occasion d’interroger de nouveau certaines pièces de collection du musée Hébert. Si les peintures et les sculptures sont décryptées sous l’angle du vêtement et de la mode, les collections textile, elles, sont mises en lumière alors que le reste du temps, elles sont remisées dans les réserves muséales compte tenu de leur fragilité.
La salle à manger de la maison Hébert abrite la section dédiée au mariage en blanc.
Il est vrai que jusqu’au 19ème siècle, la robe de mariée est semblable à la toilette revêtue au quotidien, tant par sa forme que par sa couleur. Seuls la qualité et le style indiquent alors le rang de la mariée.
L’hygiène corporelle et vestimentaire qui s’est développée le siècle précédant assimile désormais le blanc à la propreté, et est aussi considéré comme un symbole de pureté et de virginité.
Avec le temps, la tenue de la mariée s’enrichira d’un voile, de gants et de fleurs, tandis que celle du marié restera sobre.
A cette époque, c’est au fiancé qu’il revient d’offrir la corbeille de mariage, laquelle, avec le trousseau de linge de maison, constitue une part conséquente de la dot de la jeune mariée. Cette corbeille comprend robes, tissus, bijoux, châles ou éventails.
Le salon d’Hébert nous parle du vêtement et des circonstances.
Dans les milieux aisés et en fonction du moment de la journée, on change de tenue vestimentaire pour être en accord avec les exigences de la bienséance. Vers 1860, les manuels de savoir-vivre estiment alors à cinq ou six toilettes journalières les besoins d’une femme en matière vestimentaire. Quant aux robes de soirée, elles viennent compléter l’ensemble, avec son style propre, selon qu’il s’agisse d’un diner ou d’un spectacle.
Vers 1870, apparaît la robe à transformation constituée d’une jupe et de deux corsages (un pour le jour, et un pour la nuit). Cette pièce vestimentaire répond au besoin de se changer sans pour autant dépenser des somme mirobolantes. Et la même règle d’or s’applique: si une certaine décontraction est permise chez soi, la perfection et le respect des convenances sont attendus à l’extérieur.
Plus tard, au tournant du 20ème siècle, l’apparition du sport, des loisirs et du tourisme imposera là encore l’arrivée de nouvelles tenues adaptées à ces activités: robe de tennis, tenue de bain de mer, costume de voyage pour le train ou la voiture...
La salle des fresques abrite la section consacrée aux moyens de consommer la mode.
Au début du 19ème siècle, fabriquer un vêtement nécessitait de faire appel à plusieurs corps de métiers : drapier, tailleur, couturière, marchand de mode (ornementation des coiffes et des robes). Mais bientôt, apparaissent les grands magasins qui remettent en question cet ancien système en proposant dans un même lieu tissus, accessoires, et habits de confection ou demi-confectionnés qui s’emportent immédiatement.
La seconde innovation vient de l’industrie textile et des progrès de la confection vers 1855. Et Paris de compter alors plus de 400 grands magasins dont certains fort luxueux.
Un marché de la friperie se développera et atteindra la pleine croissance au 19ème siècle grâce aux vêtements usagés qui alimenteront ce marché et grâce à l’obsolescence de l’habit de confection ancêtre de notre prêt-à-porter.
Toujours dans la salle des fresques, l’exposition s’intéresse à présent à la naissance de la haute couture.
La mode a beau se démocratiser, les plus fortunés, eux, continuent de se faire confectionner des vêtements sur mesure chez des couturiers ou des tailleurs. Mais bientôt, Charles Frederick Worth, couturier français d’origine, invente les principes de la haute couture. Ce couturier visionnaire passe ainsi du rang d’artisan à celui de créateur, et, parvenant à séduire la haute société, deviendra le couturier attitré de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. C’est à Worth que l’on doit la tournure (jupon rembourré à l’arrière, soulignant le postérieur) et la création de modèles inédits tout droit sortis de son imagination. Il présente aussi les robes sur des mannequins qui défilent, conçoit des collections au rythme des saisons et accueille sa plus belle clientèle dans des salons luxueux.
A la fois artiste créateur exceptionnel et génie du commerce, Worth vendra cher ses propres collections élégamment signées d’une étiquette personnalisée.
C’est à présent dans la petite galerie que l’on retrouve un siècle de modes foisonnantes.
Alors que le goût du jour se renouvelle constamment au lendemain de la révolution française, apparaît une nouvelle tendance que l’on observera jusqu’à la fin du siècle. Il est vrai que les sources d’inspiration sont infinies : exotisme de l’Orient rêvé, Grèce antique ou histoire nationale du Moyen-Âge au 18ème siècle, forment un vivier de formes, de couleurs et de matières très exploité. De son côté, la presse féminine naissante relaie les dernières tendances de la mode en ce 19ème siècle.
Poursuivons ce parcours de visite dans la chambre d’Amélie Hébert qui présente Le corps féminin façonné :
C’est par ce qu’on appelle « la mécanique du dessous » qui modèle taille, poitrine et hanches que la silhouette féminine se forme. Il faudra attendre la fin du 18ème siècle pour que la citoyenne se libère des corsets rigides au profit de la fluidité et des formes visibles.Toutefois, cette trêve ne sera que de courte durée puisque la femme sera à nouveau contrainte d’envelopper son corps sous la Restauration, dès 1814. Quant au romantisme, il imposera le port du corset et de plusieurs jupons superposés parfois lestés au crin, taille de guêpe et ample jupe en cloche oblige !
Vers 1850, la femme est invitée à poursuivre la rigidité du haut du corps tout en désenclavant le bas du corps, lequel prend de l’ampleur avec la crinoline qui donne du volume aux jupes, et à la tournure qui accentue la cambrure des reins.
Vingt ans plus tard, l’anatomie féminine se devine à l’avant de la robe tandis que le volume est rejeté à l’arrière grâce au faux-cul. Le tournant du siècle verra les postiches diminuer en taille, et la mode se convertir à la ligne fluide en S.
La prochaine salle de l’exposition (cabinet de toilette d’Amélie Hébert) nous apprend ce qu’est le tea-gown.
Dès 1860, l’Angleterre voit naître le mouvement de libération du corps féminin autour du designer et artiste William Morris et du mouvement Arts & Crafts. Comme nous l’avons vu plus haut, la femme corsetée aspire à plus de confort tout en conservant son élégance. Le tea-gown est la solution : cette robe anglaise (robe pour le thé) peu formelle qui fait à la fois office de robe de réception et de tenue privée, est conçue dans un drapé souple, pouvant être portée sans corset, libérant ainsi la femme du carcan des vêtements de jour.
Il faudra patienter jusque dans les années 1880 pour que le tea-gown arrive en France. Une robe qui aura certes tardé à se diffuser dans notre pays mais qui gagnera en popularité au tournant du 20ème siècle, sortant des salons de thé pour se porter dans les diners et les évènements familiaux ou amicaux intimes. Cette robe, plus créative que ses semblables, offre en effet un décolleté haut pour la journée et profond en soirée.
La chambre d’Ernest Hébert nous invite (enfin) à découvrir la mode masculine de l’époque.
Le début du 19ème siècle met en avant une nouvelle silhouette masculine , élégante et svelte. Oublié l’embonpoint d’antan pour laisser la place au maintien des lignes dans les années 1820 : maintien, taille serrée, épaules larges, torse bombé et jambes galbées. Et certains hommes de la haute société n’hésitent pas à faire usage d’artifices pour embellir leur apparence, en attendant l’arrivée du pantalon droit et de la veste moins cintrée à la taille.
Cette mode masculine est enfin marquée par « la grande renonciation » : adieu aux frivolités de l’Ancien Régime, à savoir les couleurs vives, dentelles et bijoux, pour adopter une élégance mesurée venue d’outre-Manche.
Bientôt, on ne distingue les différentes classes que par la qualité des matériaux, des coupes et des accessoires. On porte un costume sobre à la coupe stricte, accompagné d’un chapeau, d’une canne et de gants.
Seul le dandy s’accorde une touche de fantaisie.
Pendant ce temps, c’est l’Empire des crinolines dans le salon de la princesse Mathilde : sous le Second Empire, il est d’usage pour l’aristocratie d’étaler sa richesse, en portant par exemple ces crinolines dont le volume imposant rappellent les styles d’autres époques. Ainsi le faste de l’Ancien Régime renait-il dans les formes, la somptuosité et le luxe des robes.
Si les crinolines changeront peu dans le temps quant à leur forme, elles connaitront tout de même des évolutions techniques comme cette crinoline en tissu rigide renforcée par du crin de cheval,qui cède la place à la cage à fanons de baleine, puis à la cage-crinoline métallique. L’essentiel étant d’arborer une silhouette hors normes, d’où l’existence de certains modèles de crinolines pouvant atteindre jusqu’à six mètres de circonférence...
Au tournant des années 1850, la France jouit d’une forte croissance économique et rayonne au-delà des frontières. Le monde est alors admiratif de la cour du Second Empire qui transforme la mode en levier économique. La bourgeoisie triomphante rêve pour sa part d’égaler la haute société en matière d’ostentation, signe de réussite sociale. L’homme, restant relativement sobre dans sa tenue, compte alors sur son épouse pour afficher les signes de richesse de la famille. Ernest Hébert (en photo ci-dessous) excellait d’ailleurs dans ses portraits de bonne société du Second Empire et de la IIIème République.
En fin de parcours, l’exposition nous gratifie d’une présentation de vêtements traditionnels de l’Italie rurale (salle italienne).
On découvre ainsi qu’au 19ème siècle, les paysans des alentours de Rome étaient parmi les plus pauvres d’Europe, portant encore dans la vie de tous les jours le costume caractéristique de leur région natale : corset rouge, jupe fendue sur les côtés et grande chemise blanche avec manchettes indépendantes, une ceinture serrée autour de la taille et un tablier en coton complètent alors la tenue des femmes, dont la tête est surmontée d’une coiffe plate (panno).
Ces tenues quotidiennes des paysannes occupées à leurs tâches, ce sont les scènes préférées que le peintre Ernest Hébert prend plaisir à immortaliser sur la toile.
Justement, filons dans la dernière salle de l’exposition, l’atelier du peintre, pour y découvrir Gabrielle Hébert. Originaire de l’aristocratie allemande, la jeune fille prend des leçons de dessin à Paris auprès du peintre Charles Bellay. C’est à cette occasion qu’elle fait la connaissance d’Ernest Hébert. Malgré leur différence d’âge, Ernest et Gabrielle se marient en 1880 et fréquentent les cercles artistiques à Paris et à Rome. Gabrielle voue un amour inconditionnel à son époux, lequel, admiratif de sa femme en réalise plusieurs portraits.Un détail revient constamment chez ce merveilleux peintre : l’élégance de ses tenues et son allure, qui apparaît tant sur ses peintures que sur les photographies qui le représentent, témoigne du faste de son milieu d’origine.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Chic ! Vêtements & élégance. 1800-1900 » jusqu’au 22 juillet 2024, au Musée Hébert, Chemin Hébert, à La Tronche (38).