Lundi 1er juillet 2024
Jusqu’au 18 août prochain, le Musée de l’Armée nous convie à découvrir le duel. L’affaire n’est pas nouvelle puisque l’être humain s’affronte en duel depuis l’Egypte antique, dans la grande Histoire comme dans la fiction. On se livre à un duel pour résoudre un différend, demander réparation ou simplement pour l’honneur. L’exposition « Duels. L’art du combat » nous dresse en dix tableaux la longue histoire des différents duels existants.
Toujours au goût du jour, le duel reste un mode de confrontation très présent et sous des formes différentes dans le monde de la politique, du sport, de l’art ou des jeux vidéo. Une chose est sûre : pratiqué, toléré ou condamné, féroce, flamboyant, grave ou spectaculaire,le duel est bel et bien un phénomène social qui a su traverser les frontières et les âges.
Le parcours de l’exposition s’intéresse en premier lieu aux origines du duel pour en explorer les grands principes et les évolutions. Plus on remonte le cours du temps, et plus on en apprend sur cette discipline olympique qui impose aux duellistes de respecter des règles issues de différentes formes de duel. Pour l’occasion, le musée de l’Armée a choisi de plonger le public dans une scénographie théâtralisée, laquelle expose épées, rapières, pistolets ,sabres, navajas, dagues ou raquettes de tennis et décrit aux visiteurs l’usage de ces objets. Quant à la pratique du duel, et aux règles qu’elle impose, le musée de l’Armée prend soin d’en décrypter l’usage.
Tout au long du parcours, l’exposition évoque les grandes figures de duellistes historiques à l’image de Mademoiselle de Maupin transperçant de son épée le fils du duc de Luynes à l’épaule avant de le prendre pour amant. Plus exotiques, les deux samouraïs japonais , Musashi et Kojirà qui s’affrontent sur une petit île nippone, le combat entre le chevalier Jean de Carrouges et Jacques le Gris qui a lieu en 1386 et passe pour le dernier duel judiciaire français ou bien le duel qui s’engage en 1547 entre le baron de Jarnac et François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraie, en présence du roi Henri II et sa cour réunie au château de Saint-Germain-en-Laye.
Enfin, le visiteur découvrira des protagonistes d’histoires hautes en couleurs illustrant la façon dont la réalité et la fiction se sont mutuellement influencées et ont contribué à faire du duel un spectacle, tant dans la culture populaire que dans l’imaginaire collectif.
A chacun son duel
La mémoire collective théâtralise tellement les représentations de duel qu’on s’imagine aussitôt la confrontation de deux hommes de la bonne société à coups d’épée. Mais le duelliste n’est pas forcément aristocrate et le duel n’est pas réservé à une seule classe. Hommes ou femmes, nobles ou roturiers, bourgeois et ouvriers, bref, tous les milieux pratiquent ce type de combat ritualisé.
L’épée, mais aussi les poings ou le bâton peuvent ainsi être mis à contribution pour régler un différend privé ou des tensions sociales. Et cette démarche, qui consiste à engager le combat relève de la démarche initiatique, les uns en en faisant une affaire d’honneur et les autres en l’utilisant comme moyen de s’affirmer au sein d’une société,chacun ayant ses raisons.
Ce qui vaut en France vaut aussi au-delà de nos frontières, où certains duels marquants deviennent mythiques dans la mémoire collective, à l’instar des samouraïs Musachi et Kojiro au Japon, ou du combat auquel Pouchkine se livra en Russie et qui lui couta la vie.
Un rite initiatique
L’être humain étant par nature habité par la violence, il est impossible de l’éradiquer, mais on peut toutefois la contrôler pour en faire non pas un élément de destruction mais un moyen de stabiliser l’ordre social.
Et le duel illustre jUstement ce phénomène : les individus les plus à même d’être violents sont des jeunes hommes qui sont sortis du stade de l’enfance sans pour autant avoir atteint complètement l’âge adulte. Dès lors, de nombreuses sociétés ont mis en place des rituels intégrant le duel afin de permettre à ces personnes de faciliter leur passage d’un état à un autre. Le duel devient alors un moyen de s’intégrer à un groupe, mais aussi d’affirmer ses qualités comme par exemple la virilité et le courage qui font partie intégrante de l’identité masculine. A titre d’exemple, citons les duels imposés aux jeunes conscrits au 19ème siècle, qui permettaient aux anciens de juger de la valeur d’une « jeune recrue » tout en lui apportant le sentiment d’appartenance à son bataillon. Ce rituel-là ressemble à la manière dont les gangs et les bandes recrutent leurs nouveaux membres.
Notons encore ces combats entre bilakoros, jeunes hommes du Mali, ou bien la Mensur dans les universités germanophones, qui reposent sur la même logique: l’impossibilité de reculer devant un adversaire contraint l’intéressé à exprimer son courage : les cicatrices éventuelles ne sont pas des stigmates de la honte mais au contraire des preuves esthétiques démontrant l’appartenance des duellistes à l’élite de leurs communautés.
Quatre formes de duels
Nous découvrons ici que les quatre duels existants correspondent à une époque :
- Les civilisations antiques connaissaient le duel héroïque et l’on se souvient des exemples de duels célèbres cités par Homère : celui qui opposa le Grec Achille au Troyen Hector. Au lieu de dépêcher toute une Armée dont la victoire serait par définition incertaine, on préférait un combat entre le champion de chaque camp, considéré comme un moindre mal car il permettait de canaliser la violence des armées et d’épargner des vies par milliers.
- Au Haut Moyen Âge correspond le duel ordalique, utilisé lorsque la justice des hommes échoue à régler un différend. L’attaquant et le défenseur se rencontrent alors dans un cadre légal et sacré. Le vainqueur désigné par Dieu est lavé de tout soupçon tandis que le vaincu subit la vérité absolue du châtiment divin.
- L’époque moderne nous apportera le duel d’honneur. Mis entre les mains des nobles, ce duel devient une arme de justice personnelle qui impose au responsable d’un affront aussi futile soit-il de se rendre sur le pré pour régler l’affaire. A chaque époque son arme, et dans le cas présent, l’épée allégée, allongée et plus fine était particulièrement adaptée à ce nouvel usage.
- Il nous faudra attendre la fin du 19è, début du 20è siècle pour qu’apparaisse l’escrime, qui deviendra d’ailleurs un sport. Cette nouvelle pratique fédérera ses membres par la création de cercles, d’écoles nationales et d’associations. A noter que le duel sportif conserve des règles du duel d’honneur : l’épée mouchetée peut désormais toucher tout le corps.
Duels et jurisprudence
En ce qui concerne notre pays, les rapports entre le duel et la législation française ont toujours été ambigus. Il faut savoir que la condamnation du duel remonte à une ordonnance de Philippe Le Bel datant de 1306, qui concernait les gages de bataille. Depuis lors, les successeurs au pouvoir royal ont toujours condamné le duel à cause des importantes pertes humaines générées et aussi parce que le clergé lui-même en interdisait la pratique. En fait, le duel était considéré comme un affront à l’autorité du roi et plusieurs édits, au fil des siècles, puniront de mort ceux qui pratiqueront malgré tout le duel bel et bien assimilé à un crime de lèse-majesté.
D’un autre côté, le duel est la marque d’appartenance des combattants à la noblesse (dont le roi est issu) et il est alors difficile pour un souverain de condamner à mort ses pairs. Et la législation d’osciller durant tout ce temps entre sévérité théorique des peines et fréquence des grâces accordées par le roi. Quant au code pénal, qui nait après la Révolution, il laissera carrément un vide juridique en la matière, en se gardant bien de mentionner les duels. Même son de cloche du côté des autorités judiciaires durant les 19è et 20è siècles. Le duel est alors puni sévèrement lorsqu’il s’agit de combats dans les classes populaires et considéré avec une plus grande mansuétude lorsqu’il a lieu au sein des élites nobles et bourgeoises. « Selon que vous serez puissant ou misérable... »
Le duel dans les arts et la littérature
C’est ainsi, la pratique du duel s’inspire beaucoup des représentations qui en sont faites dans les arts et la littérature, et inversement.
La production littéraire de l’Europe moyenâgeuse diffuse donc les grandes figures guerrières de la mythologie grecque et les champions bibliques. Les héros des romans de chevalerie qui en sont les héritiers inspireront plus tard la création artistique des 16è et 17è siècles, qui donnent naissance à des Cyrus et des Rodrigue. Et l’on convoque bientôt les duellistes du Grand Siècle dans les romans de cape et d’épée du 19è siècle.
Des valeurs comme le sens de l’honneur et l’héroïsme à toute épreuve sont portées par ces grands champions qui traversent les sociétés européennes et façonnent encore de nos jours les préjugés sur le duel nourris par la culture populaire.
Il existe, parallèlement à cette littérature héroïque, une littérature parodique se moquant de l’orgueil mal placé des duellistes et de leurs pratiques violentes. L’exemple le plus célèbre est sans doute Don Quichotte de Cervantes, dans lequel le pauvre hidalgo abreuvé de romans de chevalerie se prend pour un héros alors qu’il est en réalité risible, extravagant et tragique et finit toujours par être rattrapé par une réalité choquante.
Le duel est enfin présent dans l’art vivant (danse, théâtre ou cinéma) : souvenons-nous du « Duel d’Hamlet » où Sarah Bernhardt interprète le personnage éponyme.
Le duel militaire
Celui-ci est intimement lié à la guerre et à deux héros, le chevalier et le mousquetaire, lesquels incarnent le devoir moral qui pousse les hommes à défendre leur point de vue « à la pointe de l’épée ».
Chez les militaires, l’honneur n’est pas un vain mot puisqu’il suscite la vaillance, ce sentiment capable d’aider les combattants à affronter la mort.
Toutefois, cet honneur les pousse aussi à chercher querelle à leurs camarades, avec souvent l’assentiment de leur hiérarchie. Et même si les duels sont sensés avoir disparu du royaume de France, ils sont tolérés dans l’armée, peut-être pour l’idéal chevaleresque animant encore les officiers à la fin du 17è siècle, au point de devenir une coutume d’intégration des recrues.
Le 19è siècle permettra à l’arme blanche de conserver son aura spécifique et son enseignement sera encore dispensé aux troupes après la Première guerre mondiale. Il est vrai qu’à cette époque, l’armée française occupait une place plus importante qu’aujourd’hui dans notre société, ce qui aida à la survivance du duel mais également à l’essor de l’escrime en tant que discipline sportive.
Le duel sportif
Cette escrime savante apparaît au 16è siècle et son but est bien de tuer. A la pointe de cette discipline, un bon nombre de maitres italiens espagnols et français qui développent différentes techniques de combat à partir de ce que firent leurs prédécesseurs.
La mort mise à part, l’escrime devient très important dans l’éducation des aristocrates, puis, après la Révolution, des jeunes hommes compte tenu de l’aide à la maitrise du corps qu’elle procure à ses pratiquants, lesquels améliorent conséquemment leurs forces physique et morale.
Au stade évolutif, l’escrime modifie la physionomie de la rencontre en exerçant une pratique plus pacifique. Puis devient un sport à part entière lors du retour de l’olympisme fin 19ème. Elle trainera malgré tout, et pour longtemps, son image de duel et sa logique d’affrontement. L’imaginaire sportif fera le reste en mettant les passionnés dans une ambiance telle que ceux-ci avaient l’impression de participer à une épreuve digne des ordalies médiévales.
Duel contre rixe
Excepté un seul point commun, à savoir l’implication d’au moins deux personnes dans la violence, ces deux pratiques s’opposent:au contraire de la rixe résultant d’un accès de colère et impétueux, le duel est toujours ajourné pour s’y préparer. Ce laps de temps d’une durée variable peut permettre d’aboutir à une réconciliation entre les deux antagonistes, rendant le combat inutile. Autre point de divergence : les armes utilisées. Celles-ci peuvent être très différentes et inégales. Lors d’une rixe, qui survient de manière inattendue, les armes sont parfaitement improvisées et l’on utilise ce qu’on a sous la main, tandis qu’un duel, différé pour mieux s’organiser, se déroule la plupart du temps sur un terrain privé ou dans un lieu discret à l’écart des badauds et des autorités.
Choix des armes
Nous l’avons vu plus haut, le duel est un combat pour trouver la vérité dans des affaires ne pouvant pas être tranchées par la justice. Le duelliste dominant aura nécessairement raison, ce qui explique le cérémonial encadrant ce duel.Ce combat-là a longtemps été interprété comme un jugement de Dieu, lequel favorisait les armes du vainqueur.
La Renaissance estompera cette vision religieuse, considérant que deux personnes honorables qui choisissent de livrer un duel afin de trancher un différend méritent au moins qu’on les entoure d’un minimum de précautions pour garantir l’équité de la rencontre et lui donner l’aura d’une justice privée. En cas de mort,celle-ci ne sera pas considérée comme meurtre.
Le cérémonial excepté, le souci d’équité porte alors sur les armes utilisées. Ces dernières doivent être usitées (ce qui exclut les armes expérimentales) et égales (équivalentes en poids, en longueur) pour garantir l’égalité des chances. Une démarche qui culmine lors d’un duel au pistolet, où l’on tire au jugé, sans viser. La balle qui trouve ainsi son chemin ne peut être que l’instrument du destin, comme lors des ordalies médiévales.
Le duel s’expose
En ce qui concerne les rituels et les cérémoniaux associés au duel, la question du secret et de la publicité faite autour de la rencontre reste ambiguë. Dans la mesure ou le duel est interdit par la loi, il devrait se dérouler dans un lieu secret. Et pourtant, c’est le contraire qui se passe, valorisant ainsi la rencontre tout en légitimant les duellistes. Quant à la présence de témoins, elle constitue un élément essentiel du décorum duellistique.
Les deux adversaires ne sont jamais seuls sur le pré, car ils sont non seulement accompagnés de témoins ou de seconds, mais aussi, lorsque le duel respecte les règles, d’un directeur sonnant le début du combat et des médecins constatant les blessures.
Cette spectacularisation sera particulièrement présente en France à la fin du 19è et au début du 20è siècle. Des lieux connus, portant le nom de duélodromes sont alors créés pour y accueillir duellistes et spectateurs enthousiastes.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Duels. L‘art du combat », jusqu’au 18 août 2024, au Musée de l’Armée-Invalides, Hôtel national des Invalides, 129 rue de Grenelle, à Paris (7ème).
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Catalogue de l’exposition, 336 pages et 275 illustrations. 35€.