Lundi 12 août 2024
Derniers jours pour visiter la superbe exposition « Mexica, des dons et des dieux au Templo Mayor » puisque cet événement est présenté jusqu’au 8 septembre prochain, au Musée du quai Branly – Jacques Chirac (Paris 7è).
Le point de départ de cette merveilleuse aventure est l’exhumation, le 21 février 1978, d’une représentation de la déesse de la Lune qui permet de localiser l’enceinte sacrée du Templo Mayor. Dès lors, les recherches archéologiques sur les Mexicas reprendront dans la capitale mexicaine, apportant au monde son lot de découvertes sur cette ancienne civilisation ainsi que sur la vie religieuse qui avait alors cours au cœur de Tenochtitlan, la capitale impériale.
L’exposition à laquelle je vous convie aujourd’hui, se veut être à la fois un bilan des recherches effectuées depuis 46 ans mais aussi une ouverture pour aider le public à mieux appréhender la civilisation mexica et son environnement.Travail de longue haleine, ces recherches permirent aussi d’en apprendre davantage sur plusieurs domaines des sciences sociales dont l’histoire, l’anthropologie, l’histoire de l’art et la linguistique. Le visiteur découvre ainsi de cette visite une partie des résultats des fouilles entreprises, tout en admirant une partie des 200 spectaculaires offrandes retrouvées devant le Templo Mayor.
Le sujet est si vaste que le parcours de visite comprend sept parties :
Mésoamérique et civilisation mexica
A l’origine du peuple mexica,prennent place de petits groupes nomades venus d’Aztlan au nord-ouest de la Mésoamérique, lesquels connaitront des confits avec d’autres peuples établis avant eux dans le bassin de Mexico.Ces nomades se réfugieront finalement sur deux iles de la partie ouest de l’immense lac de Texcoco pour y fonder Tenochtitlan (future ville de Mexicp) en 1325, puis Tlatelolco en 1338.
Tenochtitlan vit et grandit au rythme des conquêtes et des succès militaires de ses dirigeants. En 1430, cette cité adhère à une triple alliance aux côtés de Texcoco et Tlacopan, alliance grâce à laquelle le peuple mexica intégrera Tlatelolco en 1473, étendant ainsi la zone d’influence de la future ville de Mexico bien au-delà du bassin de Mexico.
Au tournant du 16è siècle, Tenochtitlan abrite 200 000 habitants et devient le centre d’un grand réseau de provinces tributaires depuis la côte Pacifique jusqu’au Golfe du Mexique, avec pour limite au sud, la région maya.
On imagine aisément l’enceinte cérémonielle principale avec le Templo Mayor et le flux ininterrompu de richesses qui s’y déversent sous forme de dons somptuaires provenant des quatre coins de l’empire : or, jade, turquoise, plumes multicolores, animaux exotiques (jaguars, aigles et crocodiles...), objets rituels anciens et autres victimes sacrificielles.
L’art mexica servait alors à légitimer le pouvoir impérial, et les artisans réalisant sculptures, offrandes et insignes royaux appartenaient à une classe distincte, vivant dans des quartiers séparés et célébrant leurs propres dieux et fêtes. A cette époque, les meilleurs artisans de l’empire convergeaient vers Tenochtitlan.
Outre les flûtes et les sifflets, la musique mexica utilisait les instruments de percussion, notamment dans les pièces de théâtre, les chants et les danses religieuses ou séculaires. Quant aux tambours, ils accompagnaient les guerriers mexicas au combat mais également lors de leur retour.
C’est dans un environnement très peuplé que la civilisation mexica se développe aux côtés des Mayas, Huastèques, Purpechas,et Mixtèques
Les Mexicas vivent leur religion aussi bien dans leur quotidien que dans la sphère politique De plus certains dieux (dieu du feu et du temps, dieu de la pluie...) sont anciens et relèvent de plusieurs cultures mésoaméricaines tandis que d’autres (dieu du soleil et de la guerre, déesse de la lune) sont spécifiques aux Mexicas. L’existence toute entière du peuple mexica était alors placée sous le regard des dieux, d’autant plus que la mort (après-vie) est directement en lien direct avec la religion des Mexicas. Certains rejoignant la maison du soleil et d’autres, des endroits différents.
Outre la religion, les Mexicas vivaient au rythme d’un calendrier mélangeant cycles et valeurs numériques : le cycle annuel de 365 jours consistait en 18 mois de 20 jours (auxquels étaient rajoutés cinq jours « néfastes ») et celui de 260 jours, largement divinatoire, était composé de 13 chiffres combinés à 20 symboles.
Le pouvoir mexica a aussi son histoire mythique : les Mexicas se seraient arrêtés à Chapultepec après un périple de deux siècles, où ils seront faits prisonniers par des chefs locaux, puis transférés à Culhuacan. Ce séjour forcé dans cet endroit leur permettra de tisser des liens avec la population locale héritière de l’empire toltèque jusqu’à s’unir pour ne plus former qu’un seul peuple qui trouvera refuge, après un long voyage, sur les rives du lac Texcoco où ils fonderont Tenochtitlan.
La vision mexica du monde
Cette histoire de la création de l’univers définit les constantes fondamentales de la pensée mexica : des dieux créèrent l’univers à partir d’un être primordial qu’ils divisèrent en deux pour former le ciel et la terre. Cette terre repose sur un monde souterrain recouverte par la surface terrestre où vivent des êtres humains et d’autres créatures .
Les mêmes dieux créèrent le soleil, les hommes, leur nourriture et la vie mais durent se sacrifier pour réaliser tout cela. Par ailleurs, le temps présent fut précédé par quatre âges appelés quatre soleils qui, détruits successivement par un cataclysme, laissèrent la place à notre ère, le cinquième soleil.
Pour les Mexicas, le ciel et le monde souterrain s’opposent mais ne peuvent exister l’un sans l’autre. Et l’équilibre nécessaire à la vie de reposer sur le principe de dualité, d’opposition et de complémentarité. Malheureusement, il ne s’agit que d’un équilibre précaire qui demande à être revitalisé et préservé par des rituels, voire, dans des cas extrêmes, par des sacrifices.
La suite de cette partie traite de l’univers, depuis sa création et ses espaces. On aborde ensuite le monde souterrain et ses représentations, puis les créatures qui l’habitent avant de s’intéresser au concept d’opposition et de complémentarité.
Quant aux dieux du panthéon mexica, ils sont innombrables, bien que généralement invisibles, ce qui ne les empêche pas de se manifester dans les rêves, à travers des objets, des plantes ou des animaux. Ils peuvent aussi prendre possession du corps des individus lors des cérémonies rituelles.
Leur personnalité est proche de celle des humains et ils éprouvent des sentiments d’amour, d’inimitié et d’orgueil. Ils sont capables de faire preuve de bonté, de générosité mais également de cruauté. D’où cette relation complexe entre ces dieux et les humains fondée sur l’engagement, la négociation et la réciprocité. La bienveillance ou la malveillance dépendent ainsi du comportement des humains et des rituels qui leur sont consacrés.
Autre caractéristique des dieux du panthéon mexica : la faculté pour un dieu de se dédoubler en plusieurs êtres divins, physiquement très différents. Enfin, les dieux peuvent fusionner en une seule divinité. A titre d’exemple,les déesses Chalchiuhtlicue et Chicomecoatl, favorisant toutes les deux les bonnes récoltes, fusionnent facilement en un seule déesse (photo ci-dessous)
Les figures divines
Maisons, temples, places, croisées des chemins, grottes, rochers, sources d’eau accueillaient des images de dieux tout particulièrement là où étaient célébrées les offrandes, prières, chants et processions. Ces sculptures le plus souvent de pierre e de bois , parfois même en céramique ou modelées dans de la terre ou dans de la pâte d’amarante.
Les Mexicas voyaient en ces figures ds dieux un réceptacle d’influences, des vertus et des forces insufflées par les divinités pour le bien de leurs protégés. Les sculptures étaient souvent pourvues d’un cœur qui se présentait sous la forme d’une pierre semi-précieuse logée dans une cavité aménagée au niveau de la poitrine.
Cette section présente les différentes divinités dont disposaient les Mexicas. Celles de la fertilité étaient fort nombreuses et se répartissaient en plusieurs groupes (divinités créatrices dont certaines favorisent les conditions d’une bonne récolte, et les autres qui surveillent la bonne croissance de la végétation.
Il existe aussi les divinités de l’eau, de la pluie et du vent. Ainsi attribuait-onà Ehecatl-Quetealcoatl, dieu du vent,des pouvoirs liés à la vie et à la fertilité, qui faisaient de lui l’un des dieux les plus vénérés.
Tlaloc, lui, en tant que dieu de la pluie, était certainement le dieu le plus honoré du panthéon mexica, car il fournissait tout ce dont les plantes avaient besoin pour leur survie. Sa compagne, Chalchiuhtlicue, était vénérée des rois et des seigneur car elle nourrissaient les gens du peuple pour qu’ils puissent vivre et se reproduire. Les accoucheuses l’invoquaient en baignant les nouveau-nés.
Parmi les divinités de la végétation, on trouve Chicomecoatl, déesse du maîs...et sœur deTlaloc.
Les figures divines comprennent bien d’autres divinités comme celles de la moisson et de la guerre, à l’image de Xipe Totec dont les fonctions à la fois liées à l’agriculture et à la conquête militaire peuvent paraître contradictoires.
Moins représentées que celles liées à la fertilité, mais aussi sous d’autres formes, les divinités solaires, lunaires et stellaires sont plus éloignées du quotidien des gens.
Cette section donne à voir les divinités du feu dont Xiuhtecuhtli-Huehueteotl dépeint sous la forme d’un vieillard assis et coiffé d’un brasero, les divinités de la mort (ci-dessous) qui offrent de terrifiantes images à une civilisation mexica déjà très préoccupée par la mort. Ce tour d’horizon s’achève avec les divinités spécialisées qui avaient des rôles bien précis.
Echanges entre humains et dieux
A force de se mouvoir et d’agir dans le monde terrestre des créatures, les dieux s’épuisent, d’où la nécessité de se nourrir. C’est pour cela qu’ils ont créé les êtres humains, lesquels vont vénérer les dieux et les nourrir avec offrandes et sacrifices.
Le XVIème siècle nous apprend que les fidèles se considéraient comme des privilégiés compte tenu de leurs étroites relations avec les dieux, se sentant redevables envers eux au point de leur offrir leur propre sang, puis leur dépouille. C’est le cas des actuels Nahuas de la Sierra Norte de Puebla du Mexique, héritiers de cette ancienne conception.
Les relations qu’entretenaient les humains avec les dieux étaient réciproques les premiers se considérant comme les bénéficiaires de faveurs divines dans leur quotidien et tout au long de leur existence. Pluie, fertilité de la terre, santé, pouvoir de reproduction et succès à la guerre apparaissaient pour eux comme des dons du ciel, considérant toutefois ces dieux comme inconstants, voire avares lorsque survenaient des défaillances (mauvaises récoltes, maladie ou défaites militaires...). Il était donc primordial d’entretenir sans cesse de bonnes relations avec les dieux par des offrandes et des sacrifices .
Les Mexicas attribuaient au sang des pouvoirs fortifiants et vivifiants. Aussi jetaient-ils en l’air leur propre sang, le versant sur le feu et l’étalant sur le corps des figures divines en guise de nourriture.
Les cérémonies magiques et religieuses étaient célébrées dans l’espoir d’atteindre les divinités et de bénéficier ainsi de leurs faveurs. A cette occasion, un protocole strict était respecté en tenant compte des cycles et de la gestion du calendrier agricole de 365 jours et du calendrier divinatoire de 260 jours. De plus, les rituels devaient se tenir dans des lieux sacrés.
Dans cette même partie de l’exposition sont également abordées les rites de passage avec les courageux souverains mexicas. On évoque une terrible sécheresse survenue au Mexique en 1454,qui vit le sacrifice de 42 enfants incarnant alors les Tlaloque (petits dieux de la pluie) puis le déroulement des offrandes aux dieux est décrit et les lieux choisis pour les déposer. Plus généralement,sont évoqués les principaux éléments de l’aménagement de l’espace urbain, les plus importants édifices religieux, les monuments sculpturaux et les habitations.On disposait alors les offrandes à des endroits bien précis en utilisant pour cela les instruments et les meubles liturgiques appropriés. L’usage des brasiers, d’encensoirs et de fumée de copal permettait ainsi d’invoquer les êtres surnaturels dans l’espoir d’obtenir des faveurs.Des couteaux dédiés étaient de la même manière utilisés pour les sacrifices animal et humain.
Miroirs, pierres sacrificielles et récipients pour cœurs humains sont présentés au public avant de clore ce chapitre par une description de l’enceinte sacrée de Tenochtitlan
Le Templo Mayor
Cette cinquième partie de l’exposition est consacrée au Templo Mayor de Tenochtitlan, une masse solide de pierre, de terre, de chaux, de sable et de bois. L’ensemble formait une pyramide de 45 mètres de haut et était constitué de quatre corps en escalier, lesquels servaient de base à deux chapelles, l’une au sud, dédiée à Huitzilopochtli, dieu du soleil et de la guerre, et l’autre au nord consacrée au culte de Tlaloc, dieu de la pluie.
Ce temple fera l’objet de plusieurs rénovations après son édification au XIVème siècle, puis sera détruit au XVIème. Cil sera considéré comme la montagne sacrée de la vision mexica du monde, et plus particulièrement la mythique Coateoec (montagne des serpents). Sa double structure était conforme à la vision mésoaméricaine de l’univers et à la classification par oppositions binaires (saison sèche/ saison des pluies, solstice d’été/solstice d’hiver...)
Plusieurs types d’offrandes étaient disposés à différents endroits du Templo Mayor, endroits choisis selon le type d’offrandes et selon le moment où se déroulait le rite de dons. Quant aux offrandes enterrées, elles incluaient des objets au symbolisme profond et pouvaient contenir des minéraux, des plantes et des animaux.
Les offrandes comprenaient même des restes humains(squelettes complets, têtes coupées, parties du crâne et os du cou, des mains ou des pieds isolés). D’autres victimes étaient sacrifiées pour renaitre auprès des dieux qu’elles incarnaient afin de les revivifier. C’est le cas d’enfants souffrant d’anémie, de parasitisme et de maladies gastro-intestinales.
Enfin, les offrandes contenaient une multitude d’objets culturels issus des 38 provinces de l’empire et au-delà des frontières, mais aussi obsidiennes, marbre moucheté, silex, coquillages, or, objets en travertin, pierres vertes, turquoises et bois. On releva aussi la présence de pots bleus en guise d’offrandes aux divinités de la pluie et de la fertilité.
Toutes ces offrandes faisaient l’objet d’un placement minutieux de la part des prêtres qui obéissaient ainsi à une liturgie stricte.
Un vivarium installé au palais royal avait vocation à accueillir les animaux exotiques amenés vivants par les Mexicas. Certains d’entre eux fournissaient plumes, peaux, dents et os aux artisans qui fabriquaient des objets de luxe pour le souverain et sa cour, tandis que d’autres étaient destinés au culte.
Conquête et colonisation du Mexique par les Espagnols
Arrivés aux Antilles en 1492, les Espagnols envahissent le Mexique le 10 février 1519. Ce jour-là, onze caravelles et 600 hommes débarquent dans le golfe du Mexique, avec à leur tête le conquistador Hernan Cortès.
Les Espagnols entrent à Tenochtitlan le 8 novembre 1519.
Les premières relations cordiales au début, tournent au conflit, puis en massacres Le 13 août 1521, Cuauhtrmoc, le dernier empereur, est capturé et Cortès s’empare de Tenochtitlan.
Peu à peu les vestiges de Tenochtitlan disparaissent sous la nouvelle ville de Mexico, désormais capitale de la Nouvelle Espagne et vice-royauté de la couronne espagnole, laquelle, instaurée en 1535, étend désormais son empire jusqu’au nord de l’Amérique centrale.
Notons que dès le début, les religions mésoaméricaines sont pourchassées et les missionnaires en détruisent les images et les temples tout en interdisant les cérémonies. Bien que prohibé en 1542, l’esclavage des peuples autochtones se poursuit. Dans un tel contexte,des épidémies ne tardent pas à se propager et à décimer les populations autochtones.
0ffrandes du Mexique autochtone moderne
Ce sont aujourd’hui 70 langues amérindiennes qui sont parlées dans le Mexique actuel. Les peuples autochtones vaincus de la conquête espagnole y occupent une place culturelle importante.
Grâce à une imbrication avec le catholicisme autochtonisé, des entités issues des anciennes divinités côtoient des images saintes chrétiennes.
Les offrandes ont toujours lieu, parfois enterrées, plus souvent disposées sur de simples nattes tressées ou sur des tables ornées d’une nappe et leur organisation précise reproduit les trois niveaux (la Terre, la surface terrestre et le ciel), les directions cardinales, le centre, le haut et le bas qui représente l’univers.
Dans cette dernière section, le visiteur prendra connaissance de la pratique d’offrandes a sud-ouest du Mexique, dans la montagne de l’Etat de Guerrero.
Changement d’époque et de décor : après la destruction des idoles de pierre et l’interdiction des codex, on a assisté à la transformation des images et des figures divines par l’usage de papier local. Un usage déjà pratiqué dans la clandestinité pendant l’époque coloniale.
Des figurines rituelles reprenant les grands principes anthropomorphiques de la personnification d’entités et d’objets-personnes sont désormais utilisées lors de cérémonies de guérison de type chamanique, chez les Otomis et les Nahuas.
INFOS PRATIQUES
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Exposition « Mexica, des dons et des dieux au Templo Mayor » jusqu’au 8 septembre 2024 au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37 quai Branly ou 206 et 218 rue de l’Université à Paris (7ème). Galerie Jardin.
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Catalogue de l’exposition : 272 pages, 39€.