Lundi 16 septembre 2024
2024 sera une année sous le signe cheval ou ne sera pas. C’est du moins ce qu’on affirme au Château de Versailles alors que la France entière vient de célébrer les Jeux olympiques dont les épreuves équestres, les cinq épreuves du pentathlon modernes et les épreuves de para-équitation se déroulèrent au sein de cet écrin royal voulue par Louis XIV.
C’est dans ce contexte qu’est présentée l’exposition «Cheval en Majesté » jusqu’au 3 novembre prochain. Un hommage appuyé à cet animal à la fois indissociable de l’aventure humaine et plus noble conquête de l’homme, qui, de serviteur utile et humble deviendra symbole et spectacle.
Un événement de cette ampleur méritait bien qu’on y consacra pas moins de quatorze sections accompagnées de près de 300 œuvres en provenance de collections publiques ou privées,françaises et majoritairement internationales, tant le cheval et l’univers équin déchainent les passions. A travers l’exceptionnelle richesse de la civilisation équestre européenne du XVIème au XXème siècle,le commencement des Temps Modernes, moment de transition quant à la place et aux usages du cheval dans la société civile et militaire, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale qui verra s’éteindre la civilisation la société hippomobile pour reléguer l’équidé au rang de loisir ,le visiteur portera un regard neuf et global sur le cheval à l’issue de sa visite.
Le parcours de l’‘exposition nous plongera tour à tour dans l’extraordinaire beauté des ornements créés pour les chevaux, les portraits majestueux auxquels ils ont droit, l’infinie curiosité des artistes et des scientifiques sur leur anatomie,leur tempérament et leurs réactions, et les fêtes et les parades éblouissantes dont ils sont les célébrités. L’ensemble étant déployé dans des espaces emblématiques du château de Versailles.
Des chevaux et des rois (Galerie de pierre haute)
L’exposition débute par la présentation d’une galerie de chevaux favoris de quelques princes, souverains et empereur européens passionnés par l’univers équin.
Kortom, Sultan, Finske, Red Rose, Abraham, Merrygold, Mustafa, Imaum Adonis, Vizir, Phoebus, La Truffe...
Distingués par leurs noms, représentés dans des tableaux monumentaux seuls et en gloire, naturalisés, moulés sur nature ou décrits sous des aspects plus intimistes, ces portraits sont les témoins du profond attachement des princes pour leurs fidèles compagnons.
Ce panthéon pour équidés nous donne à voir des compagnons de la vie quotidienne, mais aussi les compagnons d’armes des chefs de guerre. Aux côtés des victoires de leurs maitres, les chevaux en partagent également les défaite
Ecuries des Lumières et Palais pour chevaux (Vestibule de pierre haute)
On mesure l’attachement des princes aux chevaux à l’ampleur des écuries. Les grandes écuries aristocratiques et royales bâties aux XVIIè et XVIIIè siècles sont la preuve de la place conséquente accordée au cheval dans la représentation du pouvoir sous l’Ancien Régime. Ainsi le monarque restait-il le premier chevalier de son royaume.
Le roi Louis XIV gratifiera ses chevaux d’un remarquable complexe équestre qui sera construit de 1679 à 1683 d’après les dessins de Jules Hardouin-Mansard. Au nord, s’élèvera la Grande Ecurie, placée sous l’autorité du grand écuyer de France et destinée aux chevaux de main, dressés pour la chasse et la guerre. Au sud,sera bâtie la Petite Ecurie, où résideront les montures de l’ordinaire (chevaux d’attelage et des voitures). On est immédiatement séduit par la beauté de ces constructions qui serviront d’ailleurs de référence dans toute l’Europe.Certains souverains comme Charles XII , en Suède, tentera même de rivaliser avec le roi Soleil en projetant d’ériger de nouvelles écuries royales dotées d’un faste tel qu’elles ressemblaient davantage à un palais qu’à des écuries. Ce projet qui ne verra pas le jour, atteste toutefois d’une profonde réflexion autour de l’organisation des espaces (disposition des logements pour les chevaux, et pour le personnel, les voitures, l’endroit servant à abriter le fourrage et le fumier, la cour d’honneur, les manèges couverts et les carrières en plein air...)
De l’art de l’équitation (Vestibule de pierre haute)
Non seulement les écuries royales servent à loger les chevaux, mais elles dispensent aussi savoirs et pratiques équestres. A Versailles, l’équitation est pratiquée comme un art, de 1680 à 1830, à travers une nouvelle forme de pensée et de la techniques équestre.
Plusieurs écuyers français contribueront ainsi à la diffusion de traités pédagogiques précieux quant à l’éducation idéale du cheval : harmonie parfaite entre l’homme et l’équidé, tact, douceur...permettent au cavalier d’optimiser le dressage de l’animal sans brutalité. L’art équestre est alors assimilé à l’art de gouverner.
Bientôt, la haute équitation enseignée à Versailles fait école dans toute l’Europe après avoir atteint son point de perfection. Artisans de cette réussite, les écuyers du roi accomplissent des prodiges tandis que leur éblouissante prestance participe au prestige du royaume, à l’image de Monsieur de Nestier, le plus célèbre d’entre eux.
Ces prouesses faites de souplesse, d’aisance, d’équilibre, de légèreté et de grâce entre le cavalier et sa monture trouveront au siècle suivant un écho dans les voltiges réalisées sur la piste des cirques par les nouvelles amazones, telles Mademoiselle Thérèse Renz ou Blanche Allarty.
Le cheval, roi de guerre (Salle de Crimée)
Cela fait plus de deux millénaires que l’aspect le plus touchant de ce compagnonnage qui lie l’homme au cheval, reste leur aventure commune dans la guerre et aussi la mort.C’est que le cavalier et sa monture sont particulièrement exposés car ils se trouvent en première ligne sur les champs de bataille, escortant l’infanterie ou transportant l’artillerie.
L’affrontement équestre, empreint de noblesse et de bravoure, est alors synonyme d’héroïsme guerrier. Et certaines œuvres présentées dans cette section reflètent le choc de cavalerie, un corps à corps où chevaux et cavaliers ne font qu’un. La charge de cavalerie, qui constitue l’un des modes de combat es plus mythiques de l’Histoire,implique que le cheval se transforme en source d’énergie puissante et à pleine vitesse pour donner sa pleine mesure. Une image généralement développée dans des formats monumentaux par les peintres.
La mort du cheval (Salle de Crimée)
Cette section illustre l’hécatombe de la guerre moderne, si bien décrite par Buffon. On y parle des batailles rangées des guerres d’Ancien Régime, de la campagne de Russie de 1812 (135000 chevaux y meurent sur les 150000 engagés),et de la guerre de Crimée, lors de la charge de la cavalerie légère à Balaklava en 1854 (500 chevaux y périssent en quelques minutes).
Certains artistes décrivent la figure de ces gisants colossaux, chacun à sa manière. Le Musée du Louvre prête à cette exposition une vingtaine d’oeuvres dont une série de dessins réalisés par Charles Le Brun, Premier peintre de Louis XIV. Dévoilés pour la première fois, ces quatorze dessins illustrent le cheval mourant avec force détails. Poignant.
Cheval de fête (Salle de Crimée)
Instant plus joyeux de l’univers équin, on aborde ici les fêtes équestres qui occupent une place de premier plan dans les cours européennes. Ces festivités incluant la participation des équidés s’insèrent naturellement dans les spectacles urbains offerts aux populations par les villes et leurs élites.
Plusieurs spectacles cohabitent avec l’alliance du civil et du militaire, ou encore entre le spectacle et l’art des combats, un instant de guerre en temps de paix, sans victimes.
S’enchainent alors tournois, joutes, carrousels, courses de tête et de bague, parties de traîneaux, grands cortèges de cérémonie et cavalcades étincelantes perpétuent un idéal héroïque. Et un moyen pour la noblesse de manifester son attachement aux vertus chevaleresques d’où elle puise sa suprématie sociale.
Outre le cycle monumental des Quatre Elements commandé par le cardinal de Richelieu au peintre Claude Deruet, cette section offre d’admirer de rares vestiges conservés d’objets utilisés au XVIIIème siècle lors des fêtes équestres et deux selles d’apparat issues des collections de la Rüstkammer de Dresde, qui comptent parmi les plus belles produites au XVIème et XVIIème siècles.
Trésors des écuries (Salle de Crimée)
En complément des arts de la fête, l’exposition convie le visiteur à découvrir de superbes ornements pour chevaux issus de collections étrangères, des ornements de queue, des mors et des étriers admirablement travaillés, une passementerie brodée de fils d’or destinée aux harnais ou encore une parure de joaillerie pour chevaux. Rappelons que la Rüstkammer de Dresde a prêté à l’occasion de cet évènement des chefs-d’oeuvre exceptionnels : une armure équestre d’apparat complète, deux selles parmi les plus riches jamais réalisées, et un ensemble de mors et d’étriers d’une richesse insurpassable.
Sont également exposés quelques rares témoignages de cet art éphémère qu’est la fête équestre : lances de courses, écus et carquois ornés de devises et emblèmes des quadrilles, des dessins et des manuscrits enluminés...On s’attardera enfin sur l’un des plus beaux cadeaux diplomatiques de l’Histoire, les ornements du Gaillard, l’un des douze chevaux somptueusement harnachés offerts à Charles XI par Louis XIV, lors de la guerre de Hollande.
Bardés d’or et de fer : Armures équestres d’apparat (Salon d’Hercule)
Le salon d’Hercule est l’endroit qui donne à voir le plus grand nombre d’armures équestres d’apparat complètes en provenance des grandes collections européennes, à savoir la Rüstkammer de Dresde, l’Armeria Reale Turin et le Musée de l’Armée de Paris.
Dès le XVIème siècle, on observe un changement de l’usage militaire avec la diminution de l’utilisation des armures équestres à cause de l’apparition des armes à feu portatives et de changements quant à l’utilisation de la cavalerie lourde. Cette évolution permettra l’apparition d’armures équestres très luxueuses uniquement fabriquées pour les tournois et les cérémonies et devenant ainsi un instrument de démonstration de richesse et de pouvoir hors des champs de bataille. Les armures équestres d’apparat exposées dans cette section confortent, s’il en était besoin, le degré de magnificence des cours de France, de Saxe et de Savoie aux XVIIème et XVIIIème siècles.
Le cheval aussi est doté d’une seconde peau faite de cuirs ornés d’or et peints de vives couleurs, de textiles de grande valeur et autres ornements héraldiques...
Non loin de là, un autre cheval, nu celui-là, retient l’attention. Oeuvre des collections des Royal Armouries de Londres,ce cheval a été réalisé au XVIIème siècle par l’un des plus illustres sculpteurs sur bois de la cour anglaise,Grinling Gibbons.
Chanfreins royaux (Salon de la Guerre)
La tête du cheval de guerre était particulièrement exposée, d’où l’invention du chanfrein conçu pour protéger cette partie du corps.Des orifices avaient bien sûr été prévus pour permettre à l’animal de voir et d’entendre, bien avant que l’objet, ne soit complété par une crinière enserrant l’encolure dès le XIVème siècle.
Les chanfreins exposés dans cette section témoignent de l’immense talent des maîtres armuriers entre les XVème et XVIIème siècles. On y voit les quatre plus importants chanfreins-masques en forme de dragon. Et l’armure équestre de non seulement protéger l’animal mais aussi de métamorphoser celui-ci au travers de l’imaginaire des romans de chevalerie et du goût pour l’étrange et le merveilleux, caractéristiques du début de la Renaissance.
Chefs-d’oeuvre d’orfèvrerie (Salon de la Paix)
C’est dans ce salon que sont regroupés les objets d’orfèvrerie comme ces statuettes équestres représentant Gustave II Adolphe de Suède ou encore Lady Godiva, cadeau d’anniversaire de la reine Victoria au prince Albert.
On admirera également la superbe fontaine de table « Alhambra » réalisée par Edmund Cotteril.
Le cheval et la science (Appartement de Madame de Maintenon)
Cette section se penche sur l’étude d l’anatomie du cheval, dont on apprend qu’Andrea del Verrochio et son élève Léonard de Vinci s’interrogeaient déjà sur les justes proportions de l’équidé plus d’un siècle avant que ne soient publiiés les premiers traités. En effet, pour bien sculpter les statues équestres, encore fallait-il connaître les justes proportions de l’animal.Or, cette exposition a rassemblé pour la première fois ces études qui font autorité en la matière.
Ainsi Carlo Ruini publie t-il en 1598l la « Anatomia del cavallo », un document qui restera la référence jusqu’au XIXème siècle à une époque où l’on commence à comparer l’Homme à l’animal.
Le visiteur découvrira aussi ce que fut l’hippiatrie (forme ancienne de la médecine vétérinaire relative aux chevaux), une discipline réformée au siècle des Lumières avec la création par le Français Claude Bourgelat, et en 1762, de la première école vétérinaire au monde, à Lyon. Et les savoirs traditionnels forgés par la pratique de s’effacer peu à peu au profit de l’enseignement raisonné, et les hippiatres d’être remplacés par les vétérinaires.
Soulignons au passage le prêt exceptionnel d’une vingtaine d’oeuvres majeures (ouvrages illustrés,modèles anatomiques de chevaux)pour cette exposition.
Le cheval comme modèle (Appartement de la Dauphine)
L’Histoire nous montre que l’équidé a toujours figuré comme un sujet privilégié pour les artistes, grâce à sa noblesse, sa taille, sa musculature, sa fougue et sa puissance. La beauté de ses allures, sa rapidité, son agilité et son étrange pouvoir de séduction ont aussi contribué à fasciner les plus grands peintres et dessinateurs.
On admirera tantôt des chevaux montés par de grands personnages, tantôt des équidés se passant de toute présence humaine.
L’âme du cheval (Appartement de la Dauphine)
Il arrive que l’artiste tente de sonder l’âme du cheval en réfléchissant sur sa proximité avec l’être humain, ou au contraire, sur ses traits et vertus.
Là encore, l’animal fascine à la fois par sa force et sa nervosité, se prêtant en même temps aux visions épiques et aux furias.
Le cheval et la légende (Appartement de la Dauphine)
Cette ultime section du parcours de la visite nous conduit à l’imaginaire, un monde dans lequel les chevaux emportent les cavaliers de l’apocalypse ou tirent chars divins et navires royaux. L’avènement de la révolution industrielle entièrement dévolue à la machine suscite la nostalgie d’un monde perdu.
L’exposition s’achève ainsi sur les chevauchées de la mythologie nordique illustrées par les grands tableaux extravagants d’Ulpiano Checa, peintre espagnol installé à Paris en 1887, auquel cet événement redonne sa juste place .Est aussi évoquée cette civilisation équestre que quelques décennies auront suffi pour bouleverser un mode millénaire d’existence.La révolution industrielle tire un trait sur une vie terrestre qui marchait au pas des chevaux. Oui, le meilleur ami de l’Homme a cessé d’être le maître du temps !
INFOS PRATIQUES
- Exposition « Cheval en Majesté », jusqu’ au 3 novembre 2024, au château de Versailles, Place d’Armes, à Versailles (78). https://www.chateauversailles.fr
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En prolongement de cet évènement, la galerie des Carrosses et la galerie des Sculptures et des Moulages sont ouvertes au public tous les jours jusqu’au 29 septembre, les weekends et jours fériés du 1er au 31 octobre.
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L’Académie équestre est ouverte au public.
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Catalogue de l’exposition : 504 pages, 400 illustrations, 49€.