Mercredi 4 janvier 2017
Le Musée de l'Armée nous a depuis longtemps habitué à de superbes expositions. Celle dont je vais vous parler cette fois aborde un sujet délicat : les guerres secrètes. Et est accessible au public jusqu'au 29 janvier 2017. Le thème est sensible car il relève pour beaucoup de personnes du confidentiel, voire du mystérieux. La guerre est pourtant d'actualité, puisque, comme l'a dit notre Président « la France est en guerre » mais la guerre secrète, elle, se fait dans l'ombre et c'est cette guerre-là que le musée nous invite à découvrir, à l'aide de documents et d'objets divers, souvent mis en perspective par des entretiens avec des acteurs des guerres secrètes, comme par exemple, des hommes politiques, des hommes d'Etat, d'anciens premiers ministres, ou encore Pierre Joxe, ancien ministre de l'Intérieur, puis de la Défense. La parole est également donnée à Daniel Cordier, ancien des services qui fut agent du BCRA, au Préfet Pautrat, ancien directeur de la Surveillance du Territoire ou le général Heinrich, premier directeur du Renseignement militaire. L'exposition donne aussi une place aux fictions littéraires et cinématographiques qui se sont nourries des guerres secrètes. Nombre d'entre elles traitent d'ailleurs de faits historiques, et certaines d'entre elles sont dues à des auteurs familiers de ce sujet, parce qu'ils ont parfois été eux-mêmes actifs dans les services. Autant d'éléments qui nous offrent un reflet fidèle et aigu des enjeux propres aux guerres secrètes et à leur traitement public.
Dans le contexte actuel d'émergence de conflits armés d'un nouveau type partout dans le monde, l'exposition montre au visiteur en quoi ces guerres secrètes sont un des modes d'action des Etats contemporains, du point de vue politique, diplomatique et militaire. La période couverte s'étend du Second Empire à la fin de la Guerre froide, à la chute de l'Union soviétique en 1991. C'est en effet sous le Second Empire que se mettent en place les premières institutions destinées au renseignement. Tant la Seconde guerre mondiale et la Guerre froide tiennent une place conséquente dans l’exposition, et si la France en constitue le fil conducteur, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Etats-Unis et l'Union soviétique sont aussi représentés.
L'objectif n'est certes pas de lever le voile sur les grandes affaires d'espionnage mais le parcours proposé offre des clefs de lecture servant à démêler le vrai du faux en s'appuyant sur des archives audiovisuelles et des extraits de films de fiction. On retrouve continuellement l'opposition ombre/lumière, visible/invisible, transparence/opacité tout en appréhendant la réalité complexe du renseignement et de l'action clandestine.
L'exposition se présente ainsi en deux parties : la première présente la création des services secrets, leur organisation et leur évolution, le métier et les moyens de l'agent. Conçue comme un mode d'emploi, elle présente le contexte et la conception des guerres secrètes, qui jouent un rôle d'instrument intermédiaire entre les guerres ouvertes et l'action diplomatique menée par les Etats. Le visiteur découvre aussi l'organisation et l'évolution des services secrets français, et leurs homologues britanniques, américains et soviétiques, à travers l'évocation de responsables et de lieux emblématiques du renseignement comme les bureaux de la CIA à Washington, puis à Langley en Virginie. On aborde bien sûr le SOE de Baker Street, rue des détectives privés à Londres, et le MI6 dans le quartier de Vauxhall sur les bords de la Tamise. Une typologie des agents est enfin présentée, qui détaille les recrutements des agents, leur formation et les moyens mis à leur disposition pour mener à bien leurs missions. Contrairement à qu'on croit souvent, ces agents ne cumulent pas plusieurs fonctions, mais ont chacun une spécialité propre.
Les premiers services secrets permanents virent donc le jour à la fin du XIX ème siècle. La Première guerre mondiale fut synonyme de progrès dans le domaine du décryptage et des transmissions, et de l'apparition de réseaux d'espionnage. Et un pilotage gouvernemental de la censure, de la propagande et de la désinformation de se mettre en place. La Seconde guerre mondiale, elle, amplifiera les évolutions antérieures. Dans l'Europe submergée par l''Allemagne nazie ou l'Asie dominée par le Japon, de nombreux gouvernements ne pourront alors agir que dans l'ombre. C'est ainsi que naitra la guerre secrète avec ses modes d'action combinés. Les structures étatiques ou paraétatiques du secret s'accroissent comme jamais. Quant à la Guerre froide, elle opposera les blocs occidental et soviétique dans un climat de tension inégalé, en prenant à témoin les opinions publiques de part et d'autre. La technologie naissante (satellite, ordinateur...), elle, viendra conforter cette guerre secrète.
Travailler pour un service de renseignement ou d'action ne résulte pas toujours d'une vocation et les parcours des agents sont multiples. Avant la Seconde guerre mondiale, les attachés militaires sont des officiers de carrière formés par l'Armée. Dès 1940, les services secrets émergents (BCRA, SOE, OSS) devront recruter puis former rapidement des volontaires souvent étrangers à ce milieu. Cette formation prendra parfois des mois avec envoi sur le terrain, et inclura des disciplines aussi diverses que l'entrainement spécial, le saut en parachute, la filature, le sabotage, le codage ou la transmission radio...Avec la Guerre froide, des écoles de formation spécifiques apparaitront en France et aux Etats-Unis, encadrées par d'anciens agents de la Seconde guerre mondiale. La CIA, elle, trouvera ses recrues sur les bancs de l'université et celles destinées à travailler sur le terrain d'être formées à partir de 1952 dans une base secrète de Virginie.
La plupart des services conduisant des activités de renseignement sont dotés d'ateliers spécialisés aptes à produire des matériels correspondant aux besoins spécifiques des missions demandées. Les films de James Bond ont depuis longtemps popularisés les gadgets les plus extravagants tandis que le personnage de James Bond a pour modèle un certain Charles Bovill, chef du service technique de Special Operations Executive (SOE) britannique, à qui les agents parachutés en Europe occupée devaient les moyens mis à leur disposition. Avec la guerre froide, on se recentrera sur l'espionnage afin de détecter les éventuels préparatifs de guerre, de part et d'autre du rideau de fer. Et les trésors d'ingéniosité (divers appareils d'usage courant) permettant de photographier en douce des documents sur des supports suffisamment petits pour paraître inaperçus, de faire leur apparition dans les ateliers des services soviétiques, américains, français et britanniques. A ce sujet, l'exposition présente un certain nombre d'objets insolites comme par exemple, le parapluie bulgare (ci-dessous en photo) qui fut en fait inventé par le KGB pour injecter à la victime une minuscule capsule de ricine qui provoquera la mort de l'individu quelques jours plus tard. D'autres appareils se cachent, comme cet appareil-photo miniature Tessina dissimulé à l'intérieur d'un paquet de cigarettes (deuxième photo) Ni vu ni connu !
La deuxième partie est, elle, consacrée à l'action. On y présente la diversité des opérations confidentielles, secrètes et clandestines, tout en expliquant les deux grandes fonctions assignées aux services secrets, que sont le renseignement et le contre-espionnage d'une part, et les opérations spéciales, la désinformation et le déstabilisation d'autre part.
Les opérations clandestines et subversives permettent quant à elles de voir l'invisible, d'être invisible, de surprendre l'adversaire sans se faire soi-même remarquer, et d'agir dans l'ombre grâce à des moyens humains et techniques (renseignement, contre-espionnage, sabotage, attentats, opération d'élimination, enlèvements, désinformation et propagande). Ces actions, illégales à l'étranger, sont donc strictement contrôlées.
La collecte d'informations précises et vérifiées aideront les décideurs à connaître les moyens et les intentions adverses qui demeurent les deux dimensions de toute menace. Après avoir cherché le renseignement brut, il faudra le traiter, l'analyser puis en tirer parti, la recherche pouvant être, selon les cas, ouverte ou clandestine. Pour arriver à leurs fins, les agents utilisent différents modes d'action selon l'objectif visé (moyens humains envoyés parfois au cœur de l'objectif, ou moyens techniques). Filature, surveillance et même intrusion sont alors de mise, et l'interception des communication, cryptées ou non, devient un mode de collecte du renseignement, d'autant plus que les outils de communication apparus lors de la Première guerre mondiale se seront beaucoup développés lors du Second conflit mondial. Les opérations clandestines constituent quant à elles l'une des composantes majeures des actions des services secrets depuis la Seconde guerre mondiale, et sont mises en œuvre soit en temps de guerre, soit en temps de paix.
La guerre psychologique, elle, apparaitra au début du XX ème siècle avec l'émergence de la guerre totale lors du premier conflit mondial. Cette guerre use alors des techniques de la manipulation , de la propagande et de la désinformation pour agir sur les esprits afin d'exalter le moral des troupes et des populations civiles, tout en brisant celui de l'ennemi. Lors de la Seconde guerre mondiale, la guerre psychologique aura principalement pour but de tromper les chefs militaires allemands sur les véritables intentions des Alliés et sur les lieux de débarquement, tant en Italie qu'en France, et de susciter dans la population allemande défaitisme, lassitude de la guerre et rupture de confiance en ses dirigeants. Cette même guerre jouera un rôle important lors de la Guerre froide, chacun des deux camps cherchant alors à diffuser et à défendre sa propre idéologie et ses valeurs au détriment de l'autre.
La fin du parcours rappelle de son côté certaines opérations dévoilées au grand jour par les médias. Souvent signe d'échec, ces affaires lâchées dans la sphère publique peuvent occasionner de temps à autres des dégâts collatéraux.
Ce sont près de 400 objets et documents d'archives qui se trouvent ainsi réunis, pour la plupart inédits. Institutions nationales et privées françaises, britanniques et allemandes ont pour l'occasion été mises à contribution. N'hésitez pas à consulter la totalité des visuels de cette exposition en tapant sur l'icône en haut à droite de cet article. Vous y verrez parfois des objets provenant de remarquables collections particulières. Les jeunes n'ont pas été oubliés par les concepteurs de cet événement puisqu’ils pourront découvrir douze cartels destinés à les aider à comprendre l'exposition, et profiter d'un livret-jeux pour mener l'enquête comme Sherlock Holmes, sans oublier l'organisation de visites ludiques (voir infos pratiques). 33 postes multimédias rythment aussi le parcours, avec diffusion d'extraits de films de fictions, d'archives audiovisuelles et sonores, d'interviews, d'un jeu et des animations.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Guerres secrètes », jusqu'au 29 janvier 2017, au Musée de l'Armée, Hôtel des Invalides, 129 rue de Grenelle à Paris (7è). Tél: 01 44 42 38 77. Métro : La Tour-Maubourg, Invalides, Varennes. Ouvert tous les jours de 10h à 18h (nocturne le mardi jusqu'à 21h, sauf le 14 juillet). Accès PMR: 6, boulevard des Invalides. Entrée : 8,50€ . Site internet : http://www.musee-armee.fr/expoGuerresSecretes/
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Concert en écho à l'exposition, le 24 janvier 2017, à 20h00 :Orchestre et Chœur des Universités de Paris. Infos sur musee-armee.fr
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Un catalogue Guerres secrètes (212 pages, 32 €) est disponible sur place
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Merci à l'agence Alambret Communication pour son aide.