Samedi 22 avril 2017
Une exposition exceptionnelle se tient actuellement au Musée de Tokyo, dans le quartier de Ueno. Celle-ci traite de la cérémonie du thé et est ouverte au public jusqu'au 4 juin prochain.
Les nouvelles pratiques en matière de consommation de thé parvinrent au Japon grâce aux moines Zen qui étudiaient alors en Chine, sous la dynastie des Song, au XII ème siècle. Peu à peu, cette boisson sera consommée dans tous les temples Zen, et par les familles de samouraïs, puis par les autres membres de la haute société japonaise. Chacun s'efforcera alors de marquer son statut en ornant les salons de thé et les accessoires utilisés pour la cérémonie du thé et en peignant de superbes et délicats motifs sur la vaisselle, à l'aide de dessins appelés karamono. Le karamono se réfère en général à des styles de chawan (bols de thé) venus de Chine et conçus pour boire le précieux breuvage. On relève ainsi le Tenmoku (porcelaine Jian), le Haikatsugi, le Yohen, le Kensan, le Yuteki, le Taihisan, le Seiji (céladon), le Hakuji (blanc de Chine) et le Sometsuki (porcelaine bleue et blanche).
Sous la période Azuchi-Momoyama, au XVI ème siècle, Sen no Rikyu mit au point un nouveau service du thé surnommé wabicha, lors duquel les ornements chinois étaient utilisés sur des ustensiles basiques de la vie quotidienne, avant que la cérémonie du thé ne s'étende enfin au commun des mortels. Cet art du thé se répandit donc il y a plusieurs siècles jusqu'à devenir un élément incontournable de la culture nippone.
L'exposition qui nous intéresse porte sur l'art de la cérémonie du thé depuis la période Muromachi jusqu'à nos jours. Cet événement est considérable puisque cette exposition est la plus grande jamais organisée sur ce thème depuis celle des Arts de la cérémonie du thé qui fut présentée en 1980 au Musée National de Tokyo. Les visiteurs sont ainsi conviés à découvrir sur place des objets et accessoires dédiés à l'univers du thé provenant de périodes historiques lointaines.
La première partie est consacrée à la cérémonie du thé sous le shogunat Ashikaga. On y aborde entre autres les ornements karamono et le goût du shogun pour les accessoires chinois. On y apprend que le thé devint une boisson courante au Japon vers le XII ème siècle. On y découvre aussi le matcha, ce thé vert en poudre qui fut apporté également par les moines bouddhistes japonais qui voyageaient alors en Chine sous la dynastie des Song. Ce thé se répandra de la même manière dans les familles de samouraïs et auprès des aristocrates nippons. Durant la période Muromachi, (presque) tous les puissants du Japon possédaient chez eux des pièces de vaisselle importées de type karamono, objets tout droit venus de la Chine. Prendre le thé entre gens de même société dans des salons de thé était alors chose courante dans les sphères dirigeantes. Le shogun Ashikaga en particulier détenait un grand nombre de somptueux accessoires karamono. Chaque objet était alors évalué et classé par les conseillers appelés doboshu, en charge de ces collections d'objets précieux. Ce système d'évaluation des accessoires utilisés lors de la cérémonie du thé aura plus tard un impact majeur sur la culture chanoyu, c'est à dire sur la cérémonie du thé elle-même, le terme chanoyu signifiant service japonais du thé. Chanoyu (eau chaude pour le thé) se réfère à l'art de préparer le matcha, thé vert en poudre, de manière codifiée par un praticien expérimenté, breuvage ensuite servi à un petit groupe d'invités dans un cadre serein.
Des illustrations tirées notamment du manuel d'ordonnancement de la résidence shogunale apportent de précieux détails sur cette cérémonie du thé à cette époque. Et ce premier volet de l'exposition de présenter une riche sélection d'objets et de peintures chinoises datant du shogunat Ashikaga, shogunat qui dirigea le pays sous la période Muromachi. Cette collection est connue sous le nom de Higashiyama Gomotsu, la crème de la crème en matière d'objets pour les experts.
La seconde partie de l'exposition aborde la naissance du wabicha. Ce terme décrit en effet un style de cérémonie du thé au Japon, particulièrement associé à Sen no Rikyu et Takeno Joo avant lui. La caractéristique du wabicha reste la simplicité. Au départ, c'est à dire à la fin de la période Muromachi, la cérémonie du thé affichait sa préférence pour les accessoires très chers et d'origine chinoise, et puis, au fil des ans, le wabicha naitra d'un mouvement visant à se tourner vers les marchandises locales et les gouts plus simples. Vers la fin du XV ème siècle, alors que le shogunat Ashikaga commençait à décliner, les citadins dont le nombre ne cessait de croitre se mirent à apprécier eux aussi les poèmes renga, le théâtre Noh, le thé, les fleurs et l'encens, jusque là réservés aux classes supérieures. Et les ustensiles de la cérémonie du thé d'évoluer dans le même temps. Le maitre de thé Murata Shuko s'exerça bientôt à la pratique Zen, tandis que d'autres adeptes du breuvage adoptèrent des ustensiles à thé bien plus abordables que les précédents. Le style humble du wabicha était né, et fut très vite adopté par le riche marchand Takeno Joo, puis diffusé à travers tout le pays. Cette seconde partie retrace l'évolution du wabicha et présente plusieurs objets utilisés dans le cadre du wabicha, dont les koraimono (ustensiles venus de Corée) et les wamono (d'origine japonaise).
Sous la période Azuchi-Momoyama, le wabicha atteignit son apogée grâce au Sen no Rikyu, confortant l'ancrage de la cérémonie du thé Chanoyu auprès de la population. Rikyu, originaire d'une influente famille de marchands, se familiarisa très tôt avec le thé. Il devint moine au temple Daitoku-ji puis se spécialisa dans le chanoyu (cérémonie du thé japonaise). A 58 ans, il entra au service de Nobunaga Oda, alors premier conseiller de l'empereur, et en devint le maitre de thé. Il fera aussi créer le style de poterie raku par Chojiro, potier japonais fondateur du style raku-yaki. Ce dernier inventera des bols à thé, exclusivement rouges et noirs, sans fioritures et d'aspect simple, vaisselle reflétant les idéaux du wabi (beauté, sobriété et simplicité). Rikyu entrera ensuite au service de Toyotomi Hideyoshi et d'autres dirigeants influents. Cet homme créera de toutes pièces un nouveau style de cérémonie et une nouvelle façon de boire le thé. Et marquera durablement son principal disciple Furuta Oribe et bien d'autres encore. Cette troisième partie nous renseigne sur deux catégories d'objets, ceux qui furent collectionnés par Rikyu et ceux qui furent créés par lui. On découvre également l'art du thé pratiqué après la disparition du célèbre maitre de thé ainsi que la manière dont les samouraïs buvaient le thé entre les périodes Azuchi-Momoyama et Edo, avec un regard appuyé sur des personnages comme Furuta Oribe, Oda Uraku et Hosokawa Sansai.
Durant la période Edo, le chanoyu connut de nombreux changements alors que la société japonaise entrait dans une phase durable de paix et de prospérité. Le gouvernement Tokugawa et les puissants samouraïs qui l'entouraient avec leurs familles marquèrent les esprits. L'un d'entre eux, Kobori Enshu, daïmio, célèbre architecte, et maitre de thé, marquera plus particulièrement cette époque en tentant de remettre au goût du jour la cérémonie du thé traditionnelle du shogunat Ashikaga. Fils de Masazuku, premier daimio du château de Bitchu Matsuyama et compagnon d'armes des Tokugawa, notre homme sera l'auteur des principaux jardins de thé des Palais de Sento, de la Villa Katsura, du temple Kodai-ji, du château de Sunpu, du château de Nagoya, de celui de Fushimi, du Palais de Nijo et du château d'Osaka. Il sera aussi le professeur du shogun Tokugawa Iemitsu et fondera l'école Enshu de cérémonie du thé qui existe toujours aujourd'hui. Parallèlement, un nouveau mouvement avait vu le jour, qui créait le système iemoto, modèle d'organisation familiale des arts traditionnels japonais, comme l'ikebana, le théâtre nô, le go et...le chanoyu. L'iemoto est aussi la personne transmettant les enseignements et les méthodes d'une école en tant qu'une lignée de maitres. Ce titre est héréditaire et se transmet par lignée directe, même si l'adoption reste aussi une pratique courante. La quatrième partie de l'exposition nous offre ainsi de découvrir des ustensiles à thé datant de la première partie de l'époque Edo, surtout des objets en relation avec Kobori Enshu, instigateur du style kirei-sabi, c'est à dire l'art d'une simplicité élégante ressuscitant la culture aristocratique de l 'époque Heian. D'autres objets sont aussi présentés, associés à la personne de Matsudaira Fumai, connue également sous le nom de Matsudaira Harusato, qui fut un daïmio du milieu de l'époque Edo, seigneur du domaine de Matsue, et renommé en tant que maitre de thé. Notre homme marcha sur les traces de Kobori Enshu et revint aux fondamentaux de la cérémonie du thé tout en collectionnant les ustensiles à thé de grande valeur. Le visiteur terminera son tour d'horizon par des pièces de collection ayant appartenu à de riches familles marchandes de l'ère Edo, comme les Mitsui, les Konoike, ou la famille Sekido, qui chacune à leur manière, développeront des styles uniques de chanoyu.
La dernière partie de l'exposition est consacrée au regard porté par l'amateur de thé du début des temps modernes : depuis la fin de l'ère Edo jusqu'à l'ère Meiji, de nombreux ustensiles à thé de grande valeur tout droit venus des temples ou des collections anciennes de familles nippones feront leur apparition sur le marché. En ces temps de bouleversements, des industriels comme par exemple Hirase Roko, Fujita Kosetsu, Masuda Donno ou encore Hara Sankei saisirent l’occasion de récupérer ces précieux objets pour se constituer de riches collections. Ils étudièrent aussi l'histoire traditionnelle du chanoyu tout en se projetant dans l'avenir et en s'intéressant à la calligraphie ancienne et à la peinture japonaise yamato-e. Ils se penchèrent sur les peintures bouddhistes et autres décorations japonaises qui ornaient les salons tout en organisant des cérémonies du thé pour des gens importants venus de cercles divers, et contribuèrent ainsi à la survie du chanoyu. L'oeil avisé et les qualités esthétiques de ces hommes qui marquèrent les périodes Taisho et Showa laisseront bientôt la place aux spécialistes de la génération suivante, comme Hatakeyama Sokuo. Les collections d'objets de ces riches connaisseurs raviront sans aucun doute les gens ordinaires dont je fais partie, lesquels cultivent cependant un grand intérêt pour cette fascinante cérémonie du thé du Japon éternel.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Chanoyu, l'Art de la Cérémonie du Thé, Essence du Japon », jusqu'au 4 juin 2017, au Musée National de Tokyo, 13-9 UenoKoen, Taito-ku, à Tokyo. Tél : +81 3 3822 1111. Métro JR : Ueno. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 9h30 à 17h00. Entrée de l'exposition : 1600 yens. Interdiction de prendre des photographies. Site internet : http://www.tnm.jp/modules/r_free_page/index.php?id=1828
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Un catalogue de cette exposition est disponible à la vente à la boutique du musée, au prix de 2800 yens.
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Il y avait foule à cette exposition lors de mon passage. Ceci s'explique par la passion et la curiosité des Japonais en matière culturelle. J'étais d'ailleurs pratiquement le seul visiteur occidental présent. Soyez patient !