Vendredi 31 mars 2017
Le Musée de la Tour Jean sans Peur nous invite cette fois à découvrir son exposition « Moyen Âge et Publicité », jusqu'au 31 décembre prochain. A cette époque, le défi de la publicité était immense car la majorité des gens ne savait pas lire et la presse n'existait pas. Dans ces conditions, comment diffuser la publicité commerciale , proclamer des festivités publiques, annoncer les nouvelles militaires, faire connaître les condamnations en justice ou organiser la propagande politique et religieuse ?
Cette publicité adoptait trois formes : une forme sonore, à l'aide d'instruments de musique comme le cor, la trompette et le tambour, mais aussi par le cri, une forme visuelle, en utilisant des images parlantes sur les enseignes, une installation en hauteur pour permettre au plus grand nombre de profiter de l'information par la vue, une exposition au coeur de l'espace public et une présentation mobile avec défilés et déambulations, et une forme écrite, même dans une société largement illettrée, car l'écrit avait alors force de loi. Ainsi le document administratif faisait-il l'objet de lectures aux habitants des villes et des campagnes. Puis, des copies manuscrites de ces proclamations orales étaient exposées dans les lieux publics ou présentées sur simple demande.
Le Moyen Âge connaissait également la mauvaise publicité, à travers la présence d'éléments susceptibles de perturber le voisinage. Ainsi les transgresseurs des bonnes moeurs ou les délinquants sexuels faisaient-ils l'objet d'une mauvaise publicité, avec, à la clef, séance d'insultes ou de charivari. Tambour, trompette et sonneries en cloches destinées à rameuter la foule entraient alors en scène : Et le contrevenant de devoir affronter insultes et cris, assortis des gestes imagés, moqueurs ou vulgaires, cet harcèlement social visant à l'isoler de la société, de façon momentanée ou durable.
Les carrefours et la place du marché restaient assurément les meilleurs endroits pour toucher aussi bien les habitants de la cité que les paysans venus vendre leur production ou acheter des biens absents des campagnes. On fait alors les annonces aux heures de pointe, comme par exemple à midi lorsque la population arrête de travailler pour la pause casse-croute. Ces annonces débutent aussi au point du jour, à destination des travailleurs matinaux comme les vendangeurs, pour se poursuivre tard dans la nuit pour les fêtes nobles, sans se préoccuper du confort sonore des riverains. Les marchands échangent aussi avec leurs correspondants étrangers des nouvelles économiques incluant bien souvent des informations militaires. Les merciers ambulants colportent leur part d'information, de bouche à oreille, autour des fontaines ou dans les tavernes, faisant la joie d'une population avide de bonnes nouvelles.
La politique, elle, sera à l'origine du développement de la poste au XIV ème siècle : Dans les années 1470, le roi Louis XI crée une route postale dotée des relais pour ses 250 chevaucheurs. Sous Charles le Téméraire, une cinquantaine de chevaucheurs et de coursiers à pied porteront les messages à toute diligence, parcourant journellement 70 kilomètres de voyage, voire à toute extrême diligence (jusqu'à 90 kilomètres par jour).
Un crieur, à pied ou à cheval, selon l'importance de sa mission, faisait la lecture des nouvelles administratives, accompagné d'un porte-enseigne qui tenait une bannière armoriée ou un panneau rigide, des signes permettant à la population de savoir d'où provenaient les nouvelles (roi, prince ou prévôt). Aux côtés de ce crieur se tenait aussi un sonneur de cor, jouant parfois aussi de la trompette ou du tambour. Son rôle était de rassembler le public, puis, de ponctuer la déclaration de sonneries pour maintenir l'attention. Cette équipe se trouvait sous la protection d’officiers municipaux en cas de colère de la foule lors d'une annonce de levée d'impôt par exemple. Pour être compris de tous, le crieur s'exprimait dans la langue du pays. La diction des nouvelles étant toutefois bilingue en cas d'occupation comme lorsque l'Angleterre conquit la Normandie, ou même trilingue en Bretagne.
Plusieurs autres publicités ont cours au Moyen Âge comme le faire-part par exemple. Ainsi le crieur de corps annonce t-il les décès d'une voix grave et à grands tintements de sonnailles. Et d'inviter familiers, voisins et personnes de passage à se rendre au repas de funérailles organisé par les héritiers pour festoyer en mémoire du disparu. Sur la route du cimetière, des crieurs pour l'âme interpellent les passants et leur réclament des prières pour le défunt, ou leur distribuent en son honneur des épinglettes à son image.
Les crieurs lisent également avec une voix de stentor les ordonnances limitant le port d'armes en période de troubles, tout en signalant le vol de bétail, les animaux errants, les objets perdus ou les enfants égarés. Les erreurs administratives sont aussi clamées par eux, tout comme les lieux et heures des processions, des réunions de confréries ou encore le moment du couvre-feu. Chose moins agréable, le même individu est censé proclamer les nouveaux impôts ou le taux d'usure pour le crédit. Il prévient de la vente d'une maison à la criée en posant notamment une bannière à son pignon. Il fait la publicité des arrivages alimentaires, lance le cri du ban de vendange, et donne le coup d'envoi de la cueillette du raisin. Même les grandes foires sont annoncées par le crieur. Le cri est ainsi la première forme de publicité commerciale. Le premier cri de la journée est celui de la vente, vers six heures du matin. Tous ces cris contribuent souvent à créer une cacophonie ambiante aux heures de forte affluence. Et le crieur d'être parfois épuisé en fin de journée, entre son activité d'annonceur et sa seconde occupation (il est aussi bien messager, guetteur de nuit, gardien des portes de la ville ou geôlier).
A Paris, la profession de crieur figurait déjà dans le Livre des métiers d'Etienne Boileau, au XIII ème siècle. Ce métier assermenté exige des capacités physiques (parler distinctement et à haute voix). Il existe deux sortes de crieurs de denrées : les premiers officient aux carrefours ou à la porte d'une boutique tandis que les seconds vendent à la criée, c'est à dire en déambulant dans les rues pour éviter de payer la taxe due par les marchands disposant d'un étal de marché. Pour être entendu, le slogan bref est de mise, et comporte l'essentiel et souvent des mots-clés. Et s'il est interdit d'haranguer directement le passant, on utilise l'acheteur potentiel avec des phrases clairs qui n'excluent pas non plus la poésie occasionnelle.
L'image a aussi son importance dans la publicité. Ainsi, jusqu'au XIV ème siècle, les rues marchandes portaient-elles le nom du produit mis en vente (rue aux Oies, là où on achetait des oies rôties par exemple...), tandis que la boutique constituait la meilleure devanture ouverte sur la rue, à la vue du client. Les échoppes étaient identifiables de loin grâce à leur enseigne de couleur souvent lumineuse. Cette couleur pouvait d'ailleurs induire parfois les passants en erreur. Au siècle de Saint Louis, les drapiers accrochaient ainsi un drap d'un rouge rutilant afin d'aveugler le client dont la vue était ensuite mise à mal pour juger de la couleur des autres pièces de tissus à l'intérieur de la boutique. La forme d'enseigne la plus simple consistait en effet à accrocher l'objet fabriqué à la façade de l'échoppe ou à le suspendre à une potence. Dès le XIV ème, de grandes bannières de tissus seront adoptées comme enseigne par les taverniers. Cette bannière attirant l'oeil par sa taille et sa mobilité au vent. A la campagne, c'est une autre histoire et les auberges isolées ont plus de difficultés pour se faire remarquer et certains aubergistes se résolvent à suspendre au mur une cloche qui tinte au vent en se faisant entendre de loin, d'où l'expression se taper la cloche. Toutes ces enseignes remplacent les affiches d'imprimerie qui n'existent pas encore. Certains commerces rivalisent d'ingéniosité pour se distinguer des autres et attirer le client. L'incitation olfactive forme bien sûr une forme de publicité avec certains produits comme ces volailles rôties placées sur l'ouvroir (étal) et dont les effluves viennent éveiller les papilles des passants. Tout est bon pour pousser à la consommation.
Les années 1470 vont voir les bonimenteurs adopter l'enseigne en parchemin ou en papier , constituée d'images narratives. Et l'écrit de s'imposer vers 1500, date à laquelle la majorité des habitants sait lire, sans toutefois détrôner les images précédentes dont l'efficacité reste entière. On cumule alors les deux formes de publicité. Et les activités avec pignon sur rue mais ne disposant pas de devanture, de recourir en priorité à l'affichage manuscrit, d'abord sous la forme de feuilles volantes puis, vers 1500, sous la forme de placards apposés dans les églises. L'Italie utilise pour sa part, et depuis le XIII ème siècle, les murs de ses édifices publics pour la publications d'informations judiciaires (déshonneur des criminels, exposé de la nature des graves délits, meurtres, blasphèmes, faux témoignages...) de la manière la plus simple de façon à ce qu'un enfant soit à même de comprendre de quoi il s'agit. Il arrive aussi que le nom des contrevenants soit inscrit en grosses et grandes lettres dans le palais public et sur un mur blanchi pour l'occasion. Et le recours à la sculpture de rendre l'inscription définitive, autrement dit gravée dans le marbre. Bientôt, la caricature vient s'ajouter à ces première formes publicitaires, dès le XIV ème siècle. En France, des ânes volants surgissant d'une trompette sont ainsi gravés au charbon de bois pour se moquer d'un prince, ou bien, en Italie, un lion est tracé lorsqu'on milite pour le parti guelfe. Autant d'adresses des citadins aux hommes d'Etat ou d'Eglise corrompus sous la forme de devises insultantes...
Le peuple, curieux et insatiable, s'intéresse aux progrès de la justice. Cette dernière n'hésite d'ailleurs pas à exposer publiquement les criminels dans la rue et les habitants, convoqués à ce spectacle par un cri officiel, d'être contraints d'assister à la scène sous peine d'amende. Le délinquant , lui, porte une tunique ou une mitre de papier sur laquelle est inscrite la nature de son délit. Les exécutions se déroulent quant à elles sur la place du marché, et ce, depuis le XIII ème siècle, car ce lieu de commerce est également une zone sécurisée très surveillée. La mise au pilori du délinquant a lieu dès six heures du matin pour assurer l'efficacité de la publicité judiciaire. Son exhibition est annoncée à son de trompe, et, dans les cas graves, le crieur énonce les circonstances du délit à très haute voix. Le marché est aussi l'endroit où sont annoncés les remboursements de frais indus, les amendes honorables ou les déclarations de bannissement, sans oublier les avis de recherche et les appels à témoins. Carrefours et ponts, eux, sont utilisés pour y proclamer les annonces. Là s'installent les crieurs officiels placés en hauteur afin d'y faire leur devoir. Des pays comme l'Allemagne installent même des piloris à la porte des villes histoire de mettre en garde les estrangers. A Paris, un gigantesque gibet couvert de cadavres visible depuis toute la ville constituait une excellente mise en garde contre le crime. La publicité des châtiments constitua bel et bien un rouage majeur du fonctionnement de la société médiévale.
Au Moyen-Âge, la communication religieuse n'est pas en reste : caler les évènements commerciaux sur les fêtes religieuses est l'assurance d'attirer le plus grand nombre d'acheteurs possible, comme à la Foire de Compiègne en 1085, ou à celles de Genève. Ces manifestations sont aussi propices aux liens entre le pouvoir religieux et les marchands. Et les marchés hebdomadaires d'être en partie liés avec l'église, les uns faisant la publicité des autres et vice-versa. Les prédicateurs, eux, prêchent a jour et heure de plain marché, à l'emplacement même des marchands et des crieurs, et obtiennent peu à peu la confiance des édiles au point que ces dernières leur confieront bientôt la publication orale des avis. Ces prêcheurs émettent des opinions politiques et sont invités, dans les périodes troublées, à agir comme agents de renseignement et à rapporter les rumeurs du temps.
Hommes d'Eglise et crieurs partagent quant à eux un même mode de communication à travers les sonneries de cloches, les bannières, les épinglettes à piquer, les panneaux portant des messages ou des prières, ou des panneaux ronds ressemblant à nos actuels panneaux de signalisation. Et le rôle de l'église dans tout cela ? En Angleterre, la cathédrale fait fonction d'auditorium pour les proclamations royales tandis qu'en France, les églises paroissiales abritent les annonces seigneuriales. En Italie, on procède à la lecture des décrets communaux lors de la messe afin que nul ne puisse prétendre ignorer la loi. Et les puissants de mettre à profit les fêtes et les processions religieuses pour réaliser leur propagande politique, terme qui, autrefois, désignait tout simplement tout ce qui devait être propagé d'abord par la parole divine alors qu'aujourd'hui, ce mot est donné au prosélytisme politique. Ces princes sauront comment s'y prendre pour communiquer avec leur peuple. Jean sans Peur, par exemple, choisira l'action directe en orchestrant des campagnes de propagande et en distribuant des milliers de petits panneaux à l'enseigne de son propre parti. Il se servira aussi des monnaies, considérées comme tracts métalliques pour améliorer son image de marque. Des piécettes sont ainsi jetées à la foule. Cette auto-publicité se développera ensuite par les sceaux et l'héraldique.
Ne nous y trompons pas, loin d'être tombé en désuétude, le Moyen-Âge est très présent dans la publicité moderne, et nombreux sont ses personnages (Dagobert, Saint-Eloi, Jeanne d'Arc, Du-Guesclin ou Bayard) qui ont déjà apporté leur contribution à des campagnes de promotion. Cette époque historique apporte en effet une certaine légitimité aux produits, en évoquant le courage à la française. Ainsi, la promotion des fromages identitaires (comme le camembert) utilisa t-elle des combattants conquérants comme Guillaume le Conquérant ou encore l'image des moines pour sa promotion. Les chevaliers servent également d'argument publicitaire à des thématiques comme l'hygiène, la santé, les jouets, ou...la solidité et la sécurité.
Le retour actuel à l'héritage celtique permet de combiner dans la publicité histoire médiévale et magie : les alcools forts n'utilisent-ils pas un château écossais au milieu d'une lande pour vanter leur breuvage ? L'image renvoyée fait ainsi appel à la virilité. Et de réhabiliter pour l'occasion des personnages comme Gilles de Rais, qualifié non seulement de valeureux guerrier mais aussi de tueur en série, histoire de mettre en valeur la violence.
Sur un même produit, s'affiche un lettrage gothique, un écusson, un sceau, et une ambiance virile ou violente à l'image d'un chevalier, d'un tournoi, ou d'un pendu. Et le château de s'imposer sur (presque) toutes les étiquettes de vin. On vérifie les dates véridiques de la fondation d'une brasserie en y associant l'image rappelant le Moyen-Âge, poussant le consommateur à croire à la qualité d'un produit dès lors qu'il est marqué historiquement. De la même façon, utiliser des mots latins rassurent, surtout lorsqu'ils expriment une devise. Ce moyen de communication est souvent adopté par les liqueurs. De leur côté, les publicités lumineuses jouent leur rôle, en donnant à l'acheteur un sentiment d'authenticité dès lors que les manuscrits détournés sont célèbres, comme dans Les Très riches Heures du Duc de Berry.
Les Francs inspireront bien sûr les fabricants de couleurs comme Lefranc ou les crayons Franbel, mais ne réussiront pas à supplanter les Gaulois. La Bretagne, elle, devra son succès aux héros des romans de la Table ronde, roi Arthur en tête, en matière de publicité pour les bières, les salades ou la musique. Même Las Vegas possède un hôtel portant le nom d'Excalibur !
Exposition à la fois du passé et du présent, « Moyen-Âge et Publicité » a décidément de quoi vous surprendre...
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