Mardi 20 juin 2017
C'est à la Galerie des Gobelins que se tient l'exposition « Sièges en Société, du Roi-Soleil à Marianne » dont je vais vous parler aujourd'hui. Le Mobilier national vous convie en effet à cet événement jusqu'au 24 septembre prochain afin de retracer devant vous plus de trois siècles de l'art du siège en France. Des moyens conséquents ont été déployés pour l'occasion puisqu'on peut observer sur place plus de trois cents sièges qui proviennent uniquement du Mobilier national, lequel possède l'une des plus riches collections au monde. Dans le même temps, l'ensemble des métiers participant au processus de création du siège est valorisé, à travers les huit sections que comporte cette exposition. Le tout est signé Jacques Garcia, l'un des décorateurs les plus sollicités pour ce genre d'évènements (plus de quarante réalisations d'envergure par an). C'est lui qui s'est en effet chargé de la scénographie placée sous le signe de la fantaisie : dans chaque salle, les sièges sont disposés dans des organisations différentes, et parfois même ludiques.
En parcourant les huit sections de l'exposition, le visiteur admirera les pièces restituées dans leur environnement originel, tout en découvrant les divers corps de métier entrant en scène dans la fabrication et la préservation des sièges. Je pars de la nef du rez-de-chaussée de la Galerie des Gobelins, où une mise en perspective de la longue tradition du siège parisien est agrémentée de créations anciennes et contemporaines savamment présentées ensemble. L'Atelier est à ce titre un espace d'introduction qui évoque d'emblée le caractère historique du siège, son ancrage parisien et son rayonnement dans les sociétés modernes. Là est abordée la fabrication de l'objet, avec mise en évidence des matériaux de construction (bois, métal, cannage...) et de l'art du sculpteur. La section revêtement aborde quant à elle l'art du peintre-doreur, à travers la présentation de quarante sièges : j'y découvre la dorure de l'Ancien Régime et les types diversifiés de dorures ayant eu cours jusqu'au XX ème siècle. Plusieurs exemples y sont présentés, comme un trumeau du règne de Louis XV ou des portes de bibliothèque en chêne sculpté des années 1740. Chaque essence de bois est ainsi exploitée selon la mode du temps, comme le noyer et le hêtre au XVIII ème, et l'acajou néoclassique et le palissandre vers 1830. L'art du tapissier est le thème de la section suivante, avec la présentation du lit Louis XVI à la polonaise, dont la tapisserie a été reconstituée, et les sièges, garnis ou regarnis d'après les caractéristiques de leur époque. On pourra admirer sur place 25 sièges dont des exemplaires destinés à la famille royale sous Louis-Philippe avec leurs couvertures d'origine, mais également des sièges en tapisserie des Gobelins ou de Beauvais des XIX è et XX è siècle. La cage d'escalier nous convie à découvrir la typologie du siège dans son contexte historique et social, ainsi que le choix de conception de l'ornemaniste-designer : cette typologie chronologique offre de voir deux tapisseries de l'Histoire d'Henri IV d'après Vincent sur les murs de la cage d'escalier. En montant à l'étage supérieure, le siège m'est présenté à la fois en tant qu'objet individuel et comme élément en symbiose avec son environnement architectural et décoratif. Il est alors porteur de significations différentes selon le cadre privé ou public et les lieux de pouvoir où il se trouve. La section Société de sièges dévoile l'usage des sièges dans le contexte d'une représentation sociale, avec, au centre, les sièges de salle à manger,et, sur des podiums latéraux, des sièges de salon ou de boudoir et des sièges de cabinets de travail. Un autre espace est consacré aux canapés et aux lits de repos. Il faut dire que la riche collection de sièges du Mobilier national n'est pas le fruit du hasard, mais de l'accumulation de commandes d'Etat ininterrompues depuis deux siècles, qui permet aujourd'hui d'offrir l'une des collections de sièges les plus remarquables au monde, et un échantillonnage presque complet du siège français, du XVIII ème siècle à nos jours. Le cadre exceptionnel du Mobilier national est tout à fait approprié pour cette exposition : héritier de l'ancien Garde-Meuble de la Couronne, et créé en 1604 par Henri IV, puis réorganisé en 1663 par Louis XIV, ce lieu de compétence nationale est aujourd'hui rattaché au ministère de la Culture et de la Communication. Là est conservée une collection de premier plan, issue des achats et des commandes destinés jadis aux demeures royales et impériales et aujourd'hui aux palais officiels de la République.
Le rôle du Mobilier national est en effet de meubler les palais officiels mais également diverses résidences présidentielles, autant d'aménagements visant à valoriser le prestige de notre pays et de ses grandes institutions. Il lui revient aussi de conserver et restaurer de riches collections regroupant plus de 100 000 œuvres reflétant quatre siècles de création ininterrompues dans les domaines du textile, du mobilier, de la porcelaine et des bronzes. Sept ateliers de restauration sont ainsi mis à contribution pour perpétuer une tradition d'excellence à travers les savoir-faire traditionnels. Créer fait également partie de ses tâches : des pièces nouvelles tissées naissent dans les trois manufactures qui lui sont rattachées (tapisseries des Gobelins et de Beauvais, tapis de la Savonnerie) à partir de modèles fournis par des générations successives d'artistes. De même, des pièces de mobilier voient parallèlement le jour dans l'Atelier de Recherche et de Création créé en 1964 à l'initiative d'André Malraux, et font pénétrer le design contemporain dans les bâtiments officiels. Plus de 600 pièces ont ainsi été produites depuis a création de cet atelier. Le Mobilier national perpétue et transmet les techniques traditionnelles des métiers d'art liés à ses missions dans divers domaines de la tapisserie, du tapis, du mobilier et de la dentelle. Et de présenter au public son patrimoine et ses créations lors d'expositions à la Galerie des Gobelins (Paris) et dans le cadre de prêts et de dépôts dans des musées et des châteaux partout sur notre territoire.
L'exposition qui nous intéresse aujourd'hui met en valeur l'ensemble des métiers participant à la création du siège : menuisiers, peintres-doreurs, tapissiers, intermédiaires du marché de l'art, ornemanistes et commanditaires. Il y a certes la production du siège, mais aussi l'atmosphère et le processus de création qui firent, des siècles durant, la gloire des ébénistes parisiens partout en Europe. Ici, bois sculpté, peint ou doré, boiseries et pieds de table sont de mise, tout comme tapis, tapisseries, cartons de tapisserie, autant d'éléments qui entretiennent un dialogue étroit avec ces créations extraordinaires.
Au seuil de l'escalier, je pénètre dans un autre univers, celui de la période révolutionnaire. Et la création de nouveaux modèles de contribuer à l'enrichissement de la typologie du siège, objet multiple, chaise ou fauteuil, et fruit d'une diversité de métiers et de codes sociaux matérialisés par la volonté des créateurs, qu'ils soient artistes-ornemanistes (designers), peintres ou architectes. Des manifestes créateurs sont alors posés, faisant du siège un manifeste esthétique à lui seul.
Dans la nef supérieure, le choix a été fait de présenter les sièges dans un environnement de réserve avec le vrac apparent des racks et des caisses de transport. Plusieurs de ces sièges proviennent d’ailleurs des aménagements post-révolutionnaires de Napoléon Ier. L'ensemble étant disposé avec, pour arrière-plan, un gigantesque tapis suggérant les parements au sol de divers lieux de la République, sur lesquels reposaient les meubles. La Révolution de 1793 dispersera malheureusement la presque totalité des sièges de l'époque, mais il était impensable de ne pas évoquer le pouvoir dans sa majesté d'Ancien Régime. Depuis cette Révolution, le grand style versaillais n'a jamais cessé de servir de référence pour tous les régimes qui se sont depuis succédés. Et de poser la question de l'authenticité des pièces comme la collection de modèles constituée dès Napoléon III et Eugénie, qui permit plus tard d'élaborer des copies, des interprétations ou des créations originales « dans le goût de ».
Outre la section Société de sièges, déjà abordée plus haut, je découvre sur place un autre espace consacré au Roi-Soleil : ouverte sur l'extérieur côté jardin, cette section décrit le site des Gobelins. Y est abordé le mécénat de Louis XIV, exemplaire et lié à l'histoire du lieu, qui est matérialisé au travers d'éléments parfois inédits comme un trumeau, une console, des banquettes, des guéridons et près d'une quinzaine de sièges au total. Le pouvoir mis en scène est l'intitulé de la dernière section de cette exposition, laquelle offre d'admirer quinze sièges placés dans la perspective du pouvoir : sièges d'étiquette, de représentation et de mécénat d'Etat. J'y observe notamment des sièges de cour ainsi que des commandes d'Etat au XIX è et au XXI è siècle. Deux cimaises sont consacrées à un élément oublié de l'ameublement à l'époque classique, à savoir l'écran de cheminée, dont tous les exemplaires présentés ont conservé leur feuille d'origine. Quant à la porte centrale de sortie, elle est magnifiée par le dais du Trône de Napoléon III de l'Exposition universelle de 1867, avec, dans l'axe, une tapisserie contemporaine : Mercredi 14 juillet fête nationale, d'après Denis Doria.
Pour clore cet article, j'ai choisi de mettre l'accent sur quelques œuvres phare de l'exposition, juste pour le plaisir des yeux : le fauteuil de représentation en photo ci-dessus est issu d'une paire réalisée par Bellangé, d'après des dessins de Percier et Fontaine, pour le roi de Rome aux Tuileries, commande livrée en 1814. Le second fauteuil fut prêté en 1915 au Sultan du Maroc, à l'époque du protectorat français de l'empire shérifien, et est aujourd'hui devenu l'un des trônes du roi du Maroc.
Ci-dessous, un fauteuil à la Voltaire en 1837 dans le cabinet du duc d'Orléans, au château de Fontainebleau. Les deux petits cabinets qui terminaient les appartements du duc et de la duchesse d'Orléans à Fontainebleau étaient contigus et autorisaient une intimité réelle. Le confort qui régnait alors dans ces deux pièces témoignait des nouveautés de l'époque en matière d'ameublement.
Production de l'Atelier de recherche et de création du Mobilier national, le fauteuil ci-dessous a été réalisé d'après un modèle de Christophe Pillet. Il est installé chaque année au centre de la tribune présidentielle, place de la Concorde à Paris, lors du défilé du 14 juillet.
Sur la deuxième photo ci-dessous apparaît un fauteuil en bois doré et en tapisserie de Beauvais (bois de Paul Follot et carton de Jean Weber sur « Les contes de Perrault » et « La Belle au Bois-dormant ».
Enfin, cette magnifique pendule en bois sculpté et doré (ci-dessous), fabriquée vers 1720, et dotée d'un mouvement signé de H.Baradelle.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Sièges en Société, du Roi-Soleil à Marianne », jusqu'au 24 septembre 2017, au Mobilier national, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins à Paris (13è). Tél : 01 44 08 53 49. Accès : métro Gobelins. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 11h00 à 18h00. Entrée : 8€. Site internet : http://www.mobiliernational.culture.gouv.fr/fr/expositions/actualites/61/sieges-en-societe
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Le catalogue de l'exposition est disponible sur place. Auteur : Jean-Jacques Gautier (316 pages, Editions Gourcuff-Gradenio)
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Merci à l'agence Heymann, Renoult Associées pour son aide et le prêt des photos.