Dimanche 13 août 2017
Je profite de quelques jours de vacances estivales pour visiter ma famille sur l'île de Noirmoutier. Or, il y a deux manières d'atteindre cette île : le pont de Noirmoutier, construit dans les années 1970 et le passage du Gois. Avant l'ouverture du pont, un service de navettes maritimes circulait entre l'estacade (jetée à claire-voie) de la Fosse et celle de Fromentine. D'une longueur de 583 mètres, et à 33 mètres au-dessus de l'eau, ce pont suscitera des manifestations d'îliens en 1977 lors de l'augmentation du prix du péage. Un sérieux blocage de l'ouvrage aura d'ailleurs lieu à cette occasion, avec barricades et charges de CRS. Le combat valait sans doute d'être mené puisque le péage sera supprimé en 1994 notamment grâce aux nombreux accidents survenus sur le passage du Gois, lors de la marée montante qui prenait au piège trop d'automobilistes peu vigilants.
Chaussée submersible située dans la baie de Bourgneuf, le passage du Gois (Gôa) relie toujours aujourd'hui l'ile de Noirmoutier au continent. Ce passage n'est praticable en voiture, à bicyclette ou à pied, qu'à marée basse car il est recouvert à marée haute. S'il existe d'autres passages du même type dans le monde, celui du Gois est exceptionnel par sa longueur de 4,12 kilomètres. Selon le coefficient de marée, il est recouvert d'1,30 à... 4 mètres d'eau selon l'intensité des marées.
L'origine du nom de Gois (Goy en français ancien) remonte à 1577 et provient du verbe goiser, c'est à dire marcher en mouillant ses sabots. Une autre version privilégie aussi le nom gois comme une déformation du mot gué. L'histoire fait déjà référence au passage alors que l'ile portait le nom d'ile d'Her. Le Gois était alors pratiqué par les marcheurs et les animaux depuis le XVIII ème siècle, alors qu'il était plus long qu'à l'heure actuelle car les digues anciennes se trouvaient à cette époque plus loin de la côte. 1701 voit pour la première fois la mention de ce passage par Claude Masse sur une carte géographique, mais sans tracé. Trois ans plus tard, une note précisera « cette route que prennent les gens à pied qui passent en basse mer de l'île de Noirmoutier à la terre ferme ». Et la tradition orale de souligner que le gois aurait été traversé pour la première fois en 1766 par un certain Gauvrit, tailleur à Barbâtre, tandis que le premier tracé officiel authentifiant le Gois n'apparaitra qu'en 1868 sur les cartes des Ponts et Chaussées. Quant à Claude Masse, il fut un ingénieur-géographe français du XVII ème siècle, recruté à l'origine par François Ferry, alors directeur des fortifications de Champagne et de Picardie. Notre homme connaitra Vauban en 1673 puis sera remarqué trois années plus tard par Louis XIV lors du siège de Toul. Nommé ingénieur ordinaire du roi en 1702, il consacrera 36 ans de sa vie à dresser plus de cent cartes, dont celle des parties des côtes du Bas-Poitou, pays d'Aunis, Saintonge et partie du Médoc.
L'origine de ce passage réside également dans l'effondrement du plateau qui donna naissance à la baie de Bourgneuf au début de l'ère quaternaire. En effet, deux courants marins, l'un venant du nord et l'autre du sud se rencontrèrent à cet endroit il y a plus de mille ans et se heurtèrent à cette baie, formant ainsi à un banc de hauts-fonds qui se déplacera continuellement avant de se stabiliser il y a près d'un siècle sur son emplacement actuel. La grande mobilité des hauts-fonds rend d'ailleurs l'exercice périlleux sans guide, à cause des bancs de sable. Le site internet passagedugois.com relate l'histoire du village éphémère de la Crosnière, village créé à partir d'un haut fond de la baie de Bourgneuf et qui sera transformé en polder à partir de 1767. Cette commune n'aura existé en tout et pour tout que 24 années, bien qu'on ne connaisse pas avec certitude la date de la disparition du village. Un registre du Conseil d'Etat daté du 14 janvier 1766 mentionne « qu'un banc de sable appelé l'Isle de Pé, ou île de la Crosnière, s'est formé depuis quarante ans, lequel est séparé du continent par le chenal de la Lasse et se joint à l'Isle de Noirmoutier dans la basse mer de manière que les habitants y vont à pied et même y mènent leurs chevaux chercher les récoltes de foin qu'ils y coupent ». Les premières balises de bois jalonneront le trajet du Gois à partir de 1780, tandis que les Royalistes, eux, se réfugieront sur l'île lors de la guerre de Vendée quelques années plus tard. Des travaux de stabilisation seront ensuite menés pour stabiliser les dangereux bancs de sable, travaux qui serviront de base à la voirie actuelle. Une ligne régulière assurée par une voiture à cheval verra le jour vers 1840 pour franchir le passage tandis que le Gois sera à nouveau stabilisé, puis empierré et balisé en 1924. Les travaux de pavage du Gois furent quant à eux réalisés entre 1935 et 1939, dans le court laps de temps de deux heures à marée basse, et deux fois par jour. Même si une partie du passage a depuis été bitumée, on peut encore observer ce pavage caractéristique par endroits. Les pavés, posés en quinconce, reposent sur un lit de sable et plusieurs couches de pierre, le tout renforcé de palplanches (planches et pieux servant à constituer un mur de soutènement) et de béton armé, formant un soubassement sur le fond sableux.
De nos jours, les promeneurs imprudents peuvent se réfugier sur l'une des nombreuses balises jalonnant le parcours tous les cent mètres. De plus, six balises appelées « mâts de perroquets » et trois balises équipées de cages (en photo ci-dessous) offrent une sécurité relative depuis la fin du XIX ème siècle. Plusieurs panneaux (deuxième photo) indiquant les horaires des marées mettent pourtant les visiteurs en garde mais...parfois en vain sur le danger de franchir ce passage qui forme une partie de l'ancienne RN 148 qui relie Noirmoutier à Limoges (devenue désormais la RD 948).
Les risques présentés par le franchissement du passage du Gois sont bien réels et l'on releva bien des accidents. Les horaires des marées sont affichés aux deux extrémités du passage (elles-mêmes matérialisées par une croix) depuis 1830, mais encore faut-il en tenir compte. On peut franchir l'endroit par beau temps et fort coefficient de marée 1h30 AVANT et APRES la basse mer. Le brouillard, lui, représente un danger, tout particulièrement pour les pêcheurs à pied qui perdent alors tout sens d'orientation et sont à la merci de la marée montante. Le stationnement sur la chaussée du Gois est, de fait, interdit même si, sur l'estran (zone découverte à marée basse), il est toléré pour les véhicules des pêcheurs à pied. Attention tout de même à ne pas attendre le dernier moment pour regagner la terre ferme, malgré l'omniprésence de palourdes, coques et autres huitres sauvages.
Le site internet passagedugois.com (voir infos pratiques ci-dessous) suggère quelques passages historiques relatif à la chaussée submersible : l'un d'eux relate la vie des Noirmoutrins coincés sur leur île lors du blocus anglais à l'époque de Bonaparte. Le trafic maritime était alors très réduit sur cette côte atlantique, qu'il s'agisse du commerce avec l'étranger, de la pêche ou du cabotage, l'embouchure de la Loire étant alors surveillée par les Anglais. La défense des côtes, elle, laissait à désirer avec des troupes en nombre insuffisant, et des gardes côtes non armés. L'affaire des canonnières anglaises du 1er juillet 1800 va pourtant démontrer l'aptitude des Vendéens à organiser leur propre défense. Et le fait d'armes du Gois de faire à l'époque grand bruit, au point d'être porté à la connaissance de Bonaparte, Premier Consul , lequel demandera au préfet de Vendée de lui envoyer douze des citoyens s'étant les mieux comportés face à l'envahisseur anglais. A lire absolument.
Événement local d'importance, les Foulées du Gois (ci-dessous) ou « La course contre la mer » se déroule une fois par an en juin depuis 1987. Cette compétition, en dehors d'une épreuve réservée à trente coureurs professionnels, convie des milliers de participants amateurs et de spectateurs à un moment de grand spectacle. L'idée d'organiser cette course naquit en 1986 en faisant cohabiter des courses populaires ouvertes au plus grand nombre sur la chaussée du Gois découverte, et une course contre la marée montante sur les mythiques pavés du Gois. Jo Cesbron, le créateur de cette épreuve mit au point une solide équipe qui parviendra en quelques années à hisser cette course au deuxième rang des épreuves sportives de Vendée, après le Vendée Globe. 450 bénévoles des Amis du Gois sont pour l'occasion mobilisés, ainsi que deux médecins, 25 secouristes, et deux Zodiac aux côtés des célèbres « Casquettes rouges ».
INFOS PRATIQUES :