Lundi 9 octobre 2017
La rentrée est propice aux nouvelles expositions et le Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération (Paris 15è) ne fait pas exception en présentant depuis le 5 septembre dernier l'exposition « Jean Gabin dans la Guerre 1939- 1945 ». Réalisé par la Société du Musée Jean Gabin, cet événement permet au visiteur d'admirer des photographies d'époque mais aussi des objets personnels et militaires, autant de témoignages qui brossent le portrait du second maitre Jean Moncorgé, aliasJean Gabin, pour qui « la guerre, c'est pas du cinéma ».
Lorsque l'annonce de la guerre est faite en juillet 1939, et vient interrompre le tournage de son dernier film « Remorques », Jean Gabin est une star de cinéma. Réfugié en zone sud, il fait bientôt l'objet d'un chantage de la part des Allemands qui veulent le voir incarner la collaboration à l'écran. Mauvaise pioche, puisque l'acteur quitte alors la France pour les Etats-Unis, où il soutient bientôt l'effort de guerre aux côtés de la grande Marlène Dietrich. Mais à l'instar de « L'imposteur », rôle qu'il incarnera sur demande du général de Gaulle pour servir la propagande de la France libre, Gabin prend conscience qu'il ne peut plus rester un soldat fictif. Et de s'engager en janvier 1944 dans les Forces françaises combattantes, en troquant par la même occasion sa légendaire casquette contre celle d'un fusilier-marin. Après une première bataille à bord de l'Elorn au large de l'Afrique du nord, notre homme deviendra instructeur puis conducteur dans la 2è division blindée du char « Le Souffleur II » qu'il ne quittera pas, de la libération de Royan aux portes du nid d'aigle d'Hitler à Berchtesgaden.
Né à Paris le 17 mai 1904, Jean Gabin débutera sa carrière comme chanteur de revue et d'opérette, avant de s'imposer à l'écran en devenant une figure incontournable du cinéma français. Sa filmographie, qui dénombre 95 films, compte un nombre important de classiques parmi lesquels Gueule d'amour, La Bête humaine, Pépé le Moko, ou Quai des Brumes...Jean baignera dans le milieu artistique dès sa plus tendre enfance puisque son père, Ferdinand, était tenancier de café mais aussi comédien d'opérette et sa mère, Madeleine Petit, plumassière du quartier du Sentier reconvertie comme chanteuse-fantaisiste de café-concert. Cela ne l'empêchera pas, une fois devenu adulte, de privilégier le patriotisme à sa carrière : le 2 février 1941, il refuse ainsi de tourner pour les Allemands et s'expatrie à Hollywood (Etats-Unis) où il va retrouver d'autres Français comme Jean Renoir, Julien Duvivier, Charles Boyer ou Jean-Pierre Aumont...Il avait déjà accompagné Michèle Morgan à la gare Saint-Charles de Marseille, en octobre 1940, alors que la célèbre actrice partait pour Barcelone, puis pour le Portugal dans le but de rejoindre les Etats-Unis. Notre homme la suivra à quelques mois d'intervalle, à bord du navire L'Exeter.
Tout commence en 1939 alors que Jean Gabin est en plein tournage du film « Remorques ». L'annonce de la guerre interrompt immédiatement le tournage et notre homme se rend à Cherbourg, puis attendra un an durant la suite des évènements. Il réussira tout de même à achever le film en cours lors de ses permissions. Son passage à l'armée lui vaudra toutefois quelques blâmes à cause de sa manière très particulière de porter la casquette un peu trop en arrière. Bientôt, ce sera la débâcle et Jean Gabin partira pour le sud. Les Allemands lui proposent bientôt de tourner des films de propagande mais l'acteur refuse et part en 1941, plus précisément à la mi-février, pour les Etats-Unis, et sans visa américain. Il obtiendra toutefois l'agrément de Vichy pour son départ outre-atlantique, mais sans grand enthousiasme. Déjà, en 1937, Gabin avait refusé de partir là-bas pour tourner « Pépé le Moko ».
Une fois outre-atlantique, Jean apprendra l'anglais puis tournera entre autres La Péniche de l'amour, avec Ida Lupino. Sur place, il fréquentera aussi quelques temps Ginger Rogers et Patricia Morison, puis Marlène Dietrich à New-York (jusqu'à emménager avec elle en Californie). Il entretiendra aussi des relations très tendues avec Charles Boyer qui le traitera de collaborateur, ce qui provoquera l'ire de Jean Gabin. Notre acteur retrouvera également sur place Alfred Letourneur aux côtés duquel il vivra le record du monde de vitesse à vélo derrière une voiture le 17 mai 1941, le jour d'anniversaire de Jean. En juillet 1941, Jean fera la rencontre de Marlène Dietrich et le coup de foudre sera immédiat. L'actrice est alors surveillée par le FBI qui soupçonne Marlène d'espionnage même si elle a été naturalisée américaine. Et son soutien aux GI ne l'empêchera pas de recevoir des centaines de lettres anonymes. L'année suivante, Jean Gabin, lui aussi, sera surveillé durant quelques mois, ce qu'il vivra très mal. Marlène cajolera sa conquête en lui préparant du pot au feu mais notre homme souffrira malgré tout du mal du pays. Et Jean Gabin de s'engager en avril 1943 dans la marine française. C'est à ce moment-là qu'il lui sera demandé de jouer dans le film de Julien Duvivier « Passeport pour Dakar », qui deviendra ensuite « L'Imposteur », long-métrage de propagande gaulliste tourné an langue anglaise, avec seulement deux Français au générique, Jean Duvivier et Jean Gabin. De son côté, Marlène Dietrich se produit dans des spectacles avec Orson Welles, pour le plus grand plaisir des GI. Autant Jean Gabin s'efforce de rester discret, autant Marlène aime se montrer à visage découvert.
D'abord embarqué sur le pétrolier militaire Elorn, en janvier 1944 et comme canonnier chef de pièce, Jean Gabin traverse l'Atlantique en convoi en direction de Casablanca avant d'être attaqué en mer par les sous-marins et des avions allemands à l'approche de la Méditerranée. Les marins le considèrent comme l'idole du moment ce qui met notre homme dans l'embarras. Bientôt, à Alger, il devient instructeur au Centre Siroco (en photo ci-dessous) et forme les futurs marins, dont Marcel Cerdan qui est déjà boxeur. Marlène rejoint alors Jean en Algérie alors qu'il est placé sous les ordres de l'enseigne de vaisseau et futur vice-amiral André Gélinet, et qu'il sert comme chef du char Souffleur II du 2è escadron du régiment blindé de fusiliers-marins, en tant que second maitre Jean Moncorgé. Là encore, Marlène montera sur scène afin de chanter pour les troupes tandis que Jean se tiendra pudiquement en retrait. Jean Gabin avait décidé de devenir chef de char alors qu'il avait horreur du feu et qu'il était claustrophobe. Il s'agit là d'un défi personnel afin de se prouver qu'il vaut quelque chose, lui qui avait été si blessé par les soupçons à son encontre de la part du FBI. Il était si sûr de mourir lors des combats qu'il avait même rédigé son testament au bénéfice de Marlène Dietrich. C'est aussi à cette époque que Jean voit apparaître ses cheveux blancs. A Noël 1944, notre homme rejoindra la 2ème DB suite à une rencontre mémorable avec le général Massu. Et de devenir chef de char en janvier 1945. Jean rejoint alors son cantonnement dans l'Indre au printemps de la même année et participera peu de temps après à la libération de la poche de Royan, plus exactement à Saint Jean d'Angely. Il sera alors cantonné à Genouillé (près de Rochefort) avec pour objectif de défendre le nord de la fameuse poche, jusqu'à la libération de Royan, le 18 avril. Le 1er mai, Jean Gabin part pour l'Allemagne et se trouve trois jours plus tard au Nid d'aigle d'Hitler, à Berchtesgaden. Peu de personnes le savent mais le premier drapeau à flotter alors au-dessus du nid d'aigle est français. A partir de là, les évènements s'enchainent avec, le 17 mai, le 41 ème anniversaire de Jean Gabin, célébré en Allemagne et arrosé avec le vin blanc des...Allemands ! Le tournage officiel de l'entrée de la 2ème DB dans la ville de Berchtesgaden aura lieu quelques jours plus tard, et Jean, de s'éclipser pour ne pas apparaitre sur ce qu'il considère comme du cinéma. Viendra aussi le défilé du général Leclerc et du général De Gaulle pour la revue des troupes et Jean de refuser de défiler sur les Champs-Elysées, et de se contenter d'observer son ancien char passer, depuis le balcon de l'hôtel Claridge. Avant d'être décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre à la fin du conflit. Celui qui restera le plus vieux chef de char de la France libre est démobilisé en juillet 1945 et à l'âge de 41 ans, puis regagne le monde du spectacle. Il restera très attaché à la marine nationale et proche de son ancien chef, le vice-amiral Gélinet et sa famille.
De retour dans son pays, Jean Gabin s'apprête à reprendre sa carrière d'acteur, mais, entre temps, de nouveaux acteurs romantiques sont nés comme Jean Marais, Gérard Philippe ou Daniel Gélin. De plus, notre homme a changé physiquement et moralement. Jean privilégie la langue française , même lors de ses échanges avec des interlocuteurs américains. La rancune existe contre ceux qui l'auront jadis suspecté de collaboration et notre homme de faire désormais preuve d'une grande discrétion et de pudeur concernant sa période de guerre. Il refusera aussi d'interpréter des rôles de militaires à l'écran, la guerre étant pour lui autre chose que du cinéma. Il ne jouera pas non plus dans « Paris brûle t-il ? ». Et préfèrera s'illustrer dans « Le Jardinier d'Argenteuil » et « Drapeau noir sur la marmite », deux films qui lui permettront de montrer son attachement vis à vis des cheminots et des marins. Autre souvenir mémorable de Marlène Dietrich : le pot au feu. Sa compagne parviendra un jour à faire le même plat que la fameuse « Tante Marie » en cuisant tout simplement tous les ingrédients séparément. Une façon de mettre les petits plats dans les grands pour l'homme de sa vie !
L'exposition « Jean Gabin dans la Guerre 1939-1945 » offre un regard nouveau sur cet acteur secret et pudique, en présentant notamment des souvenirs personnels dont certains ont été empruntés au Musée Jean Gabin de Mériel (95). Cette exposition itinérante, qui comporte une trentaine de panneaux , a été montée de toutes pièces par Patrick Glâtre, et constitue une excellente entrée en matière avant la lecture de l'ouvrage «Gabin Dietrich, un couple dans la guerre ».
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Jean Gabin dans la Guerre 1939-1945 », au Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération – Musée Jean Moulin, 23, allée de la 2è Division Blindée, Jardin Atlantique, à Paris (15è). Tél : 01 40 64 39 44/52. Ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00 sauf les lundis et les jours fériés. Entrée libre. Site internet : http://museesleclercmoulin.paris.fr/
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Merci à Sandra Madueno (Service Presse) pour son aide précieuse et à Patrick Glâtre, Commissaire de l'exposition, pour sa conférence de presse.
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L'ouvrage «Gabin Dietrich, un couple dans la guerre »(en photo ci-dessous) de Patrick Glâtre est disponible aux Editions Robert Laffont.
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Si vous passez à Mériel (95), visitez le Musée Jean Gabin : http://www.musee-gabin.com/