Lundi 11 juin 2018
S'il est une exposition qui est actuellement en odeur de sainteté, c'est bien celle des « Parfums de Chine» qui se tient au Musée Cernuschi (Paris 8è) jusqu'au 26 août 2018. On y aborde en effet la culture de l'encens au temps des empereurs, à travers un parcours historique et olfactif décomposé en sept parties.
L'exposition aborde ainsi de façon inédite la civilisation chinoise en s'intéressant à l'art de l'encens et du parfum de la Chine depuis le III ème siècle avant notre ère, et jusqu'au XIX ème siècle. Le visiteur y découvre plus d'une centaine d'objets d'art et d'archéologie qui sont rassemblés pour la première fois, autant d'objets qui invitent au voyage : céramiques, bronzes, dessins ou toiles issus des collections du musée de Shanghaï (Chine) mais aussi une vingtaine de pièces issues des collections du musée Cernuschi. Le parfum permet de son côté d'aborder différents aspects de la culture chinoise et l'encens suscita bien des productions artistiques depuis sa signification dans les pratiques liturgiques jusqu'à son association à l'art des vivre des lettrés. Et l'histoire du parfum en Chine d'aborder les plus brillantes créations artistiques des brûle-parfums aux tables à encens, en invitant le visiteur à découvrir un vaste aperçu des savoir-faire des artisans chinois avec, entre autres, les techniques des bronziers, des laqueurs ou des sculpteurs sur bambou. Par ailleurs, on admirera sur place plusieurs peintures signées de grands noms comme Chen Hongshou ou Qiu Ying qui mettent en scène d'élégantes dames, des ermites et des lettrés étant tous confrontés à l'encens tant dans la toilette que dans la méditation et le rituel.
Débutons cette visite par l'encens et les pratiques rituelles et profanes des Han aux Tang (III ème siècle avant J.C-IX ème siècle après J.C). Durant la période des Zhou, la culture de l'encens était indissociable des rites car les parfums jouaient un rôle d'intercesseurs entre les humains et les divinités. La combustion des différentes matières lors des cérémonies produisait une fumée dégageant de puissants effluves afin d'invoquer les dieux et les esprits tout en chassant les influences maléfiques qui étaient souvent des causes de maladies. L'unification de l'empire en 221 avant J.C permettra le développement des voies commerciales sous les Han et entrainera l'introduction en Chine des bois et résines venus d'Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient. La cour chinoise bénéficiera ainsi d'un vaste choix de parfums exotiques, avec la découverte du bois de santal (tanxiang), du camphre (naoxiang), du benjoin (anxixiang) et de l'encens (oliban ruxiang), qui dégageaient d'intenses parfums et autorisaient de nouvelles compositions, d'où l'apparition d'une culture de l'encens en dehors du contexte sacré.
Lorsque le bouddhisme parvint dans le pays sous le règne de l'empereur Mingdi des Han, il faudra attendre les traductions des principaux textes sacrés lors de la période des Six Dynasties (220-581) et des Tang (618-907) pour que les pratiques indiennes de l'encens pénètrent enfin la culture chinoise. Les bois et les résines importés étaient alors indispensables dans les offrandes rituelles bouddhiques d'encens. Et le bouddhisme, de donner lieu peu à peu à une iconographie où la représentation des brûle-parfums et des fidèles qui offrent de l'encens occupe un rôle primordial. La littérature de l'époque offrira également de nombreuses images des usages des parfums dans la sphère profane.
La seconde partie de l'exposition est consacrée au parfum et à la culture lettrée sous les Song et les Yuan (X è- XIV è siècle). Sous le règne des Song (960-1279), les pratiques rattachées à l'encens sont transformées par la nouvelle élite lettrée dont le pouvoir est indissociable du savoir transmis par le livre imprimé et du recrutement des fonctionnaires impériaux par examens. Le parfum s'impose alors comme partie intégrante de la culture lettrée émergente. L'époque, propice au développement des sciences, autorise d'importants progrès dans les connaissances botaniques, et de nombreuses plantes originaires de Chine (dont la pivoine, le chrysanthème et l'orchidée) sont décrites et classifiées avec soin dans des traités spécialisés tandis que les végétaux exotiques sont mieux connus à travers des ouvrages de géographie comme celui de Fan Chengda sur la Chine méridionale. On publie aussi des ouvrages consacrés aux parfums, comme le Xiangpu (Traité des parfums) de Hong Chu, le livre le plus ancien, ou celui de Chen Jing qui porte le même titre et qui reste le plus célèbre. Autant de sources d'informations sur les matières de prédilection, les modes de composition et les usages de l'encens sous les Song. Parmi ces matières, le bois d'aigle ou bois d'aloès (chenxiang) est incontournable. Appartenant déjà à la pharmacopée chinoise durant les dynasties du Nord et du Sud, ce bois sera utilisé comme tribut puis répertorié officiellement pour son encens de bois blanc, un type de bois d'aigle de l'île de Hainan. La renommée de ce dernier sera le parfum préféré des lettrés et servira de base pour réaliser de nombreuses compositions sous les Song. C'est aussi à cette époque qu'apparurent les premiers bâtonnets d'encens, lesquels deviendront populaires sous les Yuan. Toutefois, l'encens restera principalement consommé sous la forme de galettes adaptées aux nouveaux brûle-parfums conçus pour un usage domestique. On observe alors la création de brûle-parfums de petite taille et aux formes simples, des objets correspondant au mode de vie des lettrés qui accordent une place de choix à l'encens lors de leurs activités de lecture ou de méditation. Autant de valeurs partagées par l'empereur Gaozong des Song qui aimait composer des parfums avec l'encens pour composante essentielle.
L'encens comme art de vivre sous les Ming (XIV è-XVII è siècle) forme la troisième partie de ce parcours. Les élites de la dynastie Ming se considèrent par bien des aspects comme les héritiers de cette culture lettrée apparue sous les Song. Le XV ème siècle voit le style de vie des lettrés devenir un modèle social auquel aspire la classe aisée qui trouve le moyen de s'élever à travers l'éducation et les fonctions administratives. Les fonctionnaires et les riches commerçants participent ainsi activement au rayonnement de cette culture lettrée. Et l'encens de jouer un rôle non négligeable dans cet art de vivre codifié par Gao Lian ou Wen Zhenheng, véritables arbitres des élégances à cette époque. L'encens devient alors un attribut indispensable du cabinet d'étude du lettré, et chaque objet doit dénoter le goût de son détenteur. Quant à la matière des brûle-parfums, leur forme et leur provenance, ils font l'objet de choix tant pratiques et esthétiques et d'une grande précision. On choisit avec le même soin boites et vases à instruments qui accompagnent le brûle-parfums, et la qualité des aromates reste essentielle. On consomme pur le santal, l'ambre gris et le bois d'aigle mais les recettes de l'époque trahissent pourtant un goût pour les encens composés. Et de rajouter à ces trois premières matières du camphre, du clou de girofle, de l'avoine odorante, du musc ou du nard de Chine (gansong). Dans l'idéal lettré, le parfum, discret, s'adresse à un nez éduqué qui y décèle mille fragrances, et révèle les gens élégants (ya). Sous les Ming, cette éducation ira de paire avec l'érudition et parfum et littérature sont intimement associés.
Après le studio du lettré, l'encens comme art de vivre sous les Ming (XIV è-XVII è siècle) s'intéresse aux dévotions privées. Dans la salle principale des résidences des élites chinoises de la dynastie Ming, le parfum était présent là où l'autel des ancêtres occupait une place centrale. On utilisait également l'encens dans d'autres pièces privées où l'on pouvait installer un autel bouddhique ou taoïste sans exclusivité de culte. Cet autel, consacrée à la dévotion privée et toutes traditions confondues, était orné d'un ensemble de trois à cinq objets rituels (en photo ci-dessous) composé d'un brûle-parfum, d'un ou deux chandeliers et d'un même nombre de vases à fleurs. L'encens accompagnait bien sûr la méditation, pratique courante chez les lettrés du XVI ème siècle. Le parfum constituait alors un agrément de bien-être et une purification qui permettait d'assainir l'espace et de le protéger contre les mauvais esprits. On retrouve à ce sujet un grand nombre de poèmes témoignant de l'association de l'encens à ces pratiques
Toujours sous les Ming, et dans la cinquième partie de l'exposition, le visiteur découvre la chambre et les quartiers privés : la nature subtile, les fonctions désodorisantes, purifiantes et thérapeutiques du parfum donnait à ce dernier une place importante dans les espaces privés des riches intérieurs. Ainsi Gao Lian invitait-il à emplir, durant l'hiver, une calebasse de matière odorante et de suspendre des vases de fleurs autour du lit pour garder l'esprit détendu et les idées joyeuses. L'oreiller pourrait aussi renfermer un sachet ou une galette de parfums. Ces galettes de poudres amalgamées étaient aussi bien suspendues à la ceinture ou au cou pour se parfumer. On y retrouvait les effluves de la pivoine, du santal, du clou de girofle et du musc. Ces parfums pouvaient être portés contre soi à l'intérieur d'un étui à parfum en bambou ajouré. Quant au brûle-parfum portatif, il était en laque ou en bronze et était considéré comme incontournable lors des rencontres autour du thé ou pour parfumer ses vêtements. Certaines recettes étaient plus particulièrement réservées aux femmes. Celles-ci piquaient des fleurs de jasmin ou d'osmanthe dans leur chignon, ou faisaient usage de macérats (fleurs mélangées à de l'huile de sésame). On connait aussi l'existence d'un grand nombre de cosmétiques réputés « éclaircir l'esprit » et « réjouir le coeur ». Ces substances médicales parfumées favorisaient au passage la circulation du sang et des souffles. Et le parfum de ne plus souligner uniquement le statut social mais d'assurer aussi santé et bien-être.
Abordons maintenant la tradition de l'encens sous les Qing (XVII è – début XX è), avec le parfum à la cour. Les archives impériales de la dernière dynastie permettent de connaître la vie de la cour et de la Cité de façon détaillée. Elles offrent une image saisissante de la valeur de l’encens, lequel était jadis conservé dans les dépôts impériaux, en tant que bien d'Etat. L'approvisionnement de la cour en senteurs précieuses provenait alors des envois des provinces du Sud et grâce aux tributs versés par les royaumes de Siam et de l'Annam. Les usages rituels de l'encens occuperont une place centrale dans le système impérial et auront court lors des cérémonies d'Etat qui se tenaient surtout aux temples du Ciel, de la Terre, du Soleil, de la Lune, de l'Agriculture et au temple des Ancêtres impériaux. Des rites similaires auront lieu dans les mausolées impériaux et durant d'autres cérémonies favorisées par la politique impériale d'ouverture religieuse. Ainsi les archives impériales confirment-elles l'importance des différents encens dans la pharmacopée chinoise, en démontrant la prescription régulière de bois d’aigle, ambre gris, dalbergia odorifera,clous de girofle et santal blanc aux membres de la famille impériale. Outre les ordonnances de l'époque, on dispose également des grandes encyclopédies impériales qui rassemblent la synthèse écrite des savoirs et des textes anciens sur les parfums.
Sous la même dynastie, la dernière partie de l'exposition s'intéresse cette fois à l'objet repensé : avec le recul nécessaire, on constate que les objets pour l'encens créés pendant le règne de la dynastie Qing sont marqués par la préciosité des matières, la minutie de l'ouvrage et de délicatesse de l'ornementation. L'époque offre en effet un haut niveau de technicité encore jamais atteint dans tous les domaines de l'art, et rend possible la création d'objets repensés en fonction des usages spécifiques de l'encens puis déclinés dans divers matériaux. Ainsi trouve t-on à côté des brûle-parfums ordinaires des brûle-parfums cylindriques, des coupelles à encens, des porte-encens ou des brûle-parfums à encens imprimé. L'esprit créatif se retrouve chez des personnalités comme l'écrivain Li Yu qui confie considérer l'encens essentiellement sous un aspect pratique, tout comme l'ameublement ou la décoration. Dong Yue, lui, qui est l'auteur d'une Méthode d'encens sans fumée, basée sur l'utilisation de la vapeur, agrémente la description des brûle-parfums de considérations médicales et esthétiques bien à lui.
Dernière originalité de taille sur cet événement : l'exposition invite les visiteurs à une découverte olfactive unique, grâce à des bornes olfactives réparties sur tout le parcours : le parfumeur-créateur de la maison Dior-Parfums, François Demachy, a pour l'occasion réinterprété des parfums à partir d'anciennes formules chinoises. Des matières premières comme le bois d'aigle, le bois de santal, l'ambre gris, le musc, le patchouli, l'encens d'oliban, le styrax, le camphre,le clou de girofle ou le benjoin sont présentées, avec, en plus, des indications sur l'origine de la recette et ses principaux composants.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Parfums de Chine », jusqu'au 26 août 2018, au Musée Cernuschi, musée des Arts de l'Asie de la Ville de Paris, 7, avenue Vélasquez à Paris (8è). Tél : 01 53 96 21 50. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 10h00 à 18h00. Entrée : 9€. Accès : métro Villiers ou Monceau. Site internet : http://www.cernuschi.paris.fr/
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Merci à Laurence Vaugeois (Pierre Laporte Communication) pour sa précieuse aide.
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Le catalogue de l'exposition, « Dans l'empire des fous de parfums » (Frédéric Obringer) aborde quatre grandes périodes historiques et contient 240 pages (39,90€)