Lundi 27 août 2018
De retour sur l'île de Noirmoutier, je me rends au bourg du Vieil, très proche de la commune de Noirmoutier-en-l'Île. L'endroit est remarquable à plusieurs titres : pour ses murs de pierre sèche et ses écluses à poissons, pour son sous-marin et pour ses artistes. Bien entendu, trouver des informations sur cette localité est une tâche ardue, excepté pour l'association des Amis de l'Île de Noirmoutier à qui j'ai rendu visite. Créée en 1934 par des Noirmoutrins, cette association possède à ce jour le deuxième fonds d'archives de Vendée, juste derrière les Archives départementales. Et sa dynamique équipe de bénévoles d'acquérir et de recevoir des dons (peintures, objets divers, cartes postales...), et de classer plus de 8000 pièces originales et copies d'archives intéressant l'île. Ainsi la bibliothèque est-elle riche de plusieurs milliers d'ouvrages sur l'histoire de Noirmoutier et de la Vendée, des documents tenus à la disposition du public. Enfin, l'association a pour mission la préservation de la nature et de l'environnement en s'impliquant directement dans la mise en place de législations concernant par exemple les risques locaux de submersion.
A vieil, il est des murs de pierre qui clôturaient jadis l'île et étaient constitués de pierres posées à plat sans aucun moyen d'union entre elles. Et puis il y a d'autres murs, plus rares, formés de pierres plus grandes et plus lourdes et disposées verticalement. On en trouve encore un mur de ce type à l'angle de la rue du Mardi-Gras et de la rue du Canal. Ce mur mesure 56 mètres de long pour une largeur de 70 cm à la base, tandis que sa hauteur est de 126 cm. On estime d'ailleurs à 10000 le nombre de pierres nécessaires à sa construction. L'histoire de ce mur remonterait à la fin du 18è siècle, début du 19è, à une époque où les cultivateurs amélioraient leur ordinaire en effectuant des travaux supplémentaires. Et les hommes d'ériger sur la côte des petites murettes et de former ainsi des pièges à poissons qui n'offraient que quelques trous permettant à l'eau de s'échapper à marée basse. Au Vieil, les familles Guillon, Maurice et Damour étaient les plus habiles pour ce genre de constructions. Il fallait en effet être adroit pour ériger ces murs sans chaux ni mortier pour immobiliser les grosses pierres debout, de façon durable, et capables de résister aux courants marins. Les Damour, eux, étaient tout particulièrement doués pour régulariser et tailler ces pierres qu'ils allaient ensuite « éclater » dans les rochers où ils établissaient de véritables carrières. Cette famille fut vraisemblablement la seule à construire de tels ouvrages avec des cailloux arrachés à la mer car le travail de taillage, de transport et d'assemblage des pierres était harassant.
Dans le cas du mur de pierre de la rue du Canal, on relève deux caractéristiques particulières : tout d'abord, le haut du mur offre une dénivellation constante entre la partie donnant sur la route et celle donnant sur l'intérieur (la plus basse). Ensuite, le tournant du mur à l'angle des deux rues s'effectue en douceur, sans aucune pierre saillante. Et la solidité du mur est à toute épreuve malgré l'absence de tout moyen d'union entre les pierres et de toue fondation. Ce qui fait de l'ouvrage une réalisation unique en son genre et d'autant plus précieuse pour le petit village de Vieil qu'elle est en parfait état de conservation.
En me promenant dans les archives du bourg, je découvre une expérience sous-marine pour le moins étonnante : celle-ci a pour auteur un certain Brutus Villeroi, qui rêve, en 1832, de naviguer sous les mers, après David Bushnell et sa « tortue » (1776) et Robert Fulton et son « Nautilus » (1802). Le bateau-poisson de notre homme évoluera quant à lui à partir de l'Île de Noirmoutier. Brutus Villeroi n'est pourtant ni ingénieur, ni marin, mais juste un professeur de mathématiques et de dessin de Nantes, passionné par l'aventure sous-marine. Son invention est au départ conçue pour pêcher perles, coraux et objets immergés tout en observant les fonds et en rendant à l'occasion des services en cas de guerre. En ce dimanche 12 août 1832, Brutus Villeroi est au Vieil et se prépare à mettre à l'eau son bateau-poisson, sorte de dauphin en tôle, en forme de fuseau, long de 3,20 mètres et large d'1,10 mètre. On remarque des nageoires latérales permettant à l'engin de se propulser et une courte queue faisant office de gouvernail. Des hublots servent à observer les fonds depuis l'intérieur de la machine. Une fois l'engin fermé hermétiquement, notre homme commence à évoluer, puis plonge à 15 pieds pendant une dizaine de minutes. Sur la plage, l'inquiétude apparaît car ce laps de temps paraît long à tout le monde et on craint déjà le pire, jusqu'à ce que Brutus Villeroi ne refasse surface. C'est alors un triomphe et les officiels rédigent un procès verbal témoignant de ce qu'ils ont vu ce jour-là. Malheureusement, cette première expérience paraitra peu crédible aux yeux des autorités, mais cette attitude ne découragera pas notre inventeur pour autant. Ce dernier récidive lors de la Guerre de Crimée en mettant au point « l'Alligator », un appareil en fer d'environ 10 mètres de long (ci-dessus en photo) qui vaudra à son créateur d'être incarcéré à Philadelphie (Etats-Unis) lors de sa présentation. Bientôt, l'Amiral Laumel F.du Pont le charge de bâtir un sous-marin de guerre, le « Villeroi Submarine Boat », une machine longue d'une vingtaine de mètres, qui finira tragiquement son voyage lors d'une tempête imprévue au large de la Virginie, en 1863. Entre temps, les sous-marins sont devenus l'affaire des ingénieurs, avec la guerre pour but. L'un de ces sous-marins portera le nom de « Gymnote » (première photo ci-dessous) et sera l'oeuvre de Dupuy de Lôme en 1888. Le Vieil, lui, se souvient encore aujourd'hui de son héros et lui dédie une rue perpendiculaire à la rue de l'Océan : la rue Brutus Villeroi (ci-dessous). Cette ruelle qui est aussi étroite qu'un sous-marin, n'est praticable qu'à pied mais conduit à la plage du Mardi-Gras, là où notre homme effectua sa première performance. Sur son parcours, on croise de jolies maisons nichées dans la verdure.
Plusieurs artistes attireront la curiosité au début du 20è siècle mais deux d'entre eux choisiront de s'établir au Vieil : l'un vivra dans un « Original cottage » tandis que l'autre fera d'une vaste demeure son point de chute. Ce dernier, qui porte le nom de Gustave Godard, trouvera effectivement refuge dans un « chalet » séparé de la plage par un simple mur doté d'un petit belvédère (première photo ci-dessous). La demeure dispose d'une escalier intérieur et d'une porte donnant directement accès sur la plage tandis qu'un autre escalier, extérieur celui-là, conduit à un toit-terrasse. La porte donnant sur la plage porte une plaque indiquant le nom de la maison, « Le Vieil ». Deux lions monumentaux, inspirés des sculptures d'Antoine Louis Barye se dressent à chaque extrémité du mur. Godard ornera également le belvédère de médaillons et conclura son décor par le Génie des Arts. Né à Luçon en 1830, l'artiste, à la fois peintre et sculpteur, se liera tout jeune avec des personnages qui deviendront plus tard des artiste originaires de Vendée : Félix Lionnet voyagera avec Gustave sur les rives e la Méditerranée et les deux hommes rencontreront sur place d'autres artistes, dont le vendéen Paul Baudry. Autre connaissance de Godard, le paysagiste et poète Emmanuel Lanslyer, originaire de Bouin (85), qui intègrera l'atelier de l'architecte Eugène Viollet-Le-Duc, puis celui du Gustave Courbet. Les deux hommes se retrouveront à Douarnenez vers 1865-1869, entourés d'une troupe d'artistes, peintres et poètes. Lors de ce séjour, Emmanuel Lansyer tracera un portrait de son ami Godard (deuxième photo), datant du 6 octobre 1866. Puis peindra le même portrait à l'huile sur toile quelques années plus tard, en 1872. Godard, lui, fut ami de beaucoup de peintres et de sculpteurs, et en conservera d'ailleurs de nombreuses œuvres, comme celles d'Odilon Redon ou de Paul Baudry. L'artiste contribuera aussi au décor de la maison que Félix Lionnet fera construire à la Châtaigneraie, en réalisant des sculptures comme, par exemple, un médaillon inspiré de la tête de la Victoria Colonna de Michel-Ange. Le même Félix Lionnet viendra peindre à Noirmoutier : le Bois de la Chaise, la plage des Dames, le Gois, ou le Petit Vieil à marée basse font partie de ses œuvres. L'homme est également l'ami du peintre Victor Richard, et les deux complices rejoignent Gustave Godard sur l'île, où ils retrouvent Lansyer. Ce dernier considère alors Godard comme « un excellent dessinateur qui ne montre pas assez ses oeuvres »...Ainsi le château du Vieil reçut-il la visite d'artistes amis qui entouraient Gustave Godard, lequel lisait le soir du Baudelaire à sa bonne. L'artiste qui se mariera avec Clémence Chappot en 1895, déclarera sa résidence à Noirmoutier. Maison qui continuera à intriguer bien après le décès de Gustave. Les sculptures de l'artistes feront alors l'objet de cartes postales et la demeure deviendra alors aussi célèbre que ses occupants d'antan.
Autre célèbre carte postale du Vieil : Le Vieil, »Original cottage », demeure d'un ancien artiste dramatique. (en photo ci-dessous). La carte montre un bâtiment surélevé, avec un toit arrondi, des fenêtres et des volets. L'ensemble fait immédiatement penser à une roulotte foraine installée à demeure et surmontée d'un belvédère. Sa porte est prolongée par un auvent et le tout semble en bois peint. Cinq insulaires posent au pied de l'édifice dont un, assis. Mais qui est donc l'ancien artiste dramatique? On fait ici et là état d'un promeneur en chapeau à larges bords et au visage rasé (dans le roman d'Aladar Kuncz, Le Monastère noir), puis d'un certain Monsieur Lecourt, artiste dramatique niçois qui se réfugiera au Vieil faute d'avoir trouvé la renommée sur la Côte d'Azur. En fait l'homme en question se prénomme Marie Louis Théodore Jean Lecourt, alias Edmond Schey, artiste lyrique et propriétaire du curieux chalet de la fameuse carte postale. On retrouve notre homme en 1912 au théâtre de Tours, où il incarne le rôle de Verduron dans « Le Voyage de Suzette », puis en 1894 alors qu'il joue au sein des tournées Baret, en tant qu'acteur au comique distingué, dans « Les cousins de Nanette ». On le retrouve également au Caire entre 1875 et 1877, Liège, Nice, Londres et Paris.
Peu d'artistes seront restés aussi présents dans les mémoires que Godard et Lecourt, tous deux installées au Vieil. Et les demeures respectives de nos deux hommes d'avoir été largement diffusées depuis pour leurs excentricités (le chalets et ses lions monumentaux et la maison-roulotte) qui correspondaient tout à fait à la personnalité hors du commun des deux hommes, à une époque où la fantaisie et la bohème étaient permises. N'oublions pas que nous sommes alors dans les années 1900. Ces chalets incitent au rêve car ils représentent des curiosités fort éloignées de l'architecture locale du Vieil ou des villas balnéaire de la riche bourgeoisie établie au Bois de la Chaise.
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